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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
27.7.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE DAVTIAN c. GÉORGIE

(Requête no 73241/01)

ARRÊT

STRASBOURG

27 juillet 2006

DÉFINITIF

27/10/2006

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Davtian c. Géorgie,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

MM. J.-P. Costa, président,
A.B. Baka,
I. Cabral Barreto,
R. Türmen,
M. Ugrekhelidze,
Mme D. Jočienė,
M. D. Popović, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 6 septembre 2005 et 6 juillet 2006,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 73241/01) dirigée contre la Géorgie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Karen Davtian (« le requérant »), a saisi la Cour le 24 mai 2001 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant est représenté par Mme Laura Davtian, sa mère, résidant à Piatigorsk, Fédération de Russie. Le gouvernement géorgien (« le Gouvernement ») était représenté successivement par M. L. Tchélidzé, Mmes T. Bourdjaliani et E. Gouréchidzé, représentants généraux du Gouvernement auprès de la Cour, auxquels a succédé le 1er septembre 2005 M. S. Papouachvili, agent du Gouvernement.

3. Le requérant se plaignait en particulier des mauvais traitements subis en détention et des tentatives de l’administration de la prison de l’obliger à retirer sa requête.

4. La requête a été attribuée à la deuxième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d’examiner l’affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l’article 26 § 1 du règlement.

5. Le 1er novembre 2004, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la deuxième section ainsi remaniée (article 52 § 1).

6. Par une décision du 6 septembre 2005, la chambre a déclaré la requête partiellement recevable et a invité les parties à produire des éléments de preuves supplémentaires (article 54 § 2 a) du règlement).

7. Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites complémentaires (article 59 § 1 du règlement).

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

8. Le requérant, M. Karen Davtian, est un ressortissant géorgien, né en 1977. Il a été détenu à Roustavi, Géorgie, jusqu’au 9 septembre 2005.

9. En 1992, le requérant et sa mère quittèrent la Géorgie et s’installèrent à Yerevan, Arménie. Le requérant s’engagea comme volontaire dans le bataillon du Haut-Karabakh, stationné dans la ville de Massis. Sa mère s’installa alors également dans cette ville. Le requérant et sa mère se rendaient parfois à Tbilissi pour régler certaines formalités nécessaires.

10. Dans une affaire de brigandage (article 179 du code pénal géorgien), l’action publique fut mise en mouvement le 10 mars 1999 par les autorités géorgiennes. Dans la même affaire, le 27 avril 1999, le requérant fut mis en examen, mais son arrestation ne fut pas possible. Le 28 avril 1999, le tribunal de première instance du district d’Issani-Samgori à Tbilissi ordonna le placement en détention provisoire du requérant « qui se dérobait à la justice ». Le même jour, un mandat de recherche à son encontre fut décerné par les autorités d’instruction.

11. Le 14 juin 1999, se trouvant dans un marché de Tbilissi, le requérant fut reconnu par deux commerçants, parties civiles dans l’affaire précitée, et dénoncé à la police. Les commerçants témoignèrent que, le 9 mars 1999, le requérant les avait guettés à la porte de leur appartement, les avait menacés à main armée et entraînés dans l’appartement, avait tout volé après les avoir battus et torturés pendant deux heures.

12. Le requérant fut aussitôt arrêté et mis en garde à vue à la police du district d’Issani-Samgori à Tbilissi.

13. Le 16 juin 1999, l’instructeur du ministère de l’Intérieur dans le district d’Issani-Samgori, chargé de l’affaire, saisit le tribunal de première instance de ce district d’une demande de confirmation de la mise en détention du requérant, décidée le 28 avril 1999 en l’absence de l’intéressé (article 160 du code de procédure pénale). Le 17 juin 1999, la mesure préventive en question fut confirmée par le tribunal. Le requérant passa la nuit dans la cellule de garde à vue du commissariat de police du district d’Issani-Samgori, situé à Varkétili.

14. Le 15 juillet 1999, le requérant saisit le procureur de district en l’informant qu’il souffrait de psychopathie et de névrose et requit qu’il soit transféré à l’hôpital pénitentiaire. Le 2 août 1999, l’instructeur chargé de l’affaire ordonna une expertise psychiatrique. Il ressort du rapport de cette expertise, rendu le 4 août 1999, que le requérant avait suivi un traitement psychiatrique les 12-16 juillet 1996, qu’après sa participation aux combats armés dans le Haut-Karabakh, un diagnostic de psychopathie avait été établi et qu’après le divorce à un jeune âge, il avait commencé à boire. Le requérant affirma devant les experts que, parfois, pour se détendre, il se tailladait les paumes avec un couteau. De nombreuses cicatrices, d’origine auto-traumatique, furent relevées sur son avant-bras gauche. L’impulsivité, l’irritabilité, un penchant vers l’auto-traumatisme et l’émotivité furent constatés, mais le requérant fut déclaré psychiquement responsable de ses actes au moment où le crime avait été commis, ainsi qu’au moment de son examen.

15. Le 9 novembre 1999, le requérant saisit le procureur de district d’une plainte dans laquelle il exposa, entre autres, que, dans la nuit du 17 au 18 juin 1999 (paragraphe 13 ci-dessus), un agent de police l’avait sorti de sa cellule à trois heures du matin et l’avait battu. Ne pouvant pas lui extorquer des aveux, le policier l’avait soumis à un traitement par électrochoc plusieurs fois. Le requérant avait perdu connaissance. Suite à ce traitement, il avait signé un procès-verbal. Le lendemain, visité par son avocat, le requérant ne lui révéla pas ce fait de peur de subir des représailles. Il confia uniquement à sa grand-mère qu’il avait été maltraité. Le requérant demanda que lui ainsi que sa grand-mère soient interrogés à ce sujet et affirma pouvoir reconnaître l’agent de police en question.

16. Suite à cette plainte, le 18 novembre 1999, l’instructeur chargé de l’affaire rencontra le requérant qui lui fit part de son intention de collaborer avec l’instruction à condition que, préalablement, l’ensemble des instructeurs du ministère de l’Intérieur dans le district d’Issani-Samgori soit récusé par le Parquet général. Il affirma que, dans le cas contraire, il ne prendrait pas part à l’instruction et ne déposerait pas. Le Gouvernement met l’accent sur ce dernier aspect de la rencontre.

17. Le 19 novembre 1999, l’instructeur interrogea deux inspecteurs de police ayant été d’astreinte au commissariat à Varkétili dans la nuit du 17 au 18 juin 1999. Les policiers affirmèrent que le requérant n’avait pas été sorti de sa cellule pendant la nuit et qu’il n’avait pas été maltraité.

18. L’instructeur questionna par écrit le responsable de la cellule de garde à vue où le requérant passa la nuit litigieuse ainsi que le chef de la prison de garde à vue où il fut maintenu du 18 au 22 juin 1999 avant d’être placé à cette dernière date dans la prison d’instruction préparatoire no 1 de Tbilissi. Dans leurs réponses respectives des 22 et 24 novembre 1999, les personnes interrogées affirmèrent que le requérant ou ses proches ne s’étaient plaints à aucun moment de mauvais traitements auxquels celui-ci aurait été soumis dans la nuit litigieuse et qu’au moment de son placement dans la prison de garde à vue le 18 juin 1999, l’intéressé n’avait subi aucun examen médical, puisqu’il n’avait fait aucune déclaration à cet égard.

19. Le 15 décembre 1999, l’information préparatoire fut close et le requérant fut renvoyé en jugement. Le 12 juillet 2000, il fut reconnu coupable des faits reprochés par le tribunal de première instance du district d’Issani-Samgori et condamné à une peine d’emprisonnement de sept ans, à purger dans un établissement pénitentiaire de strict régime. Le 26 décembre 2000, ce jugement fut confirmé en appel et, le 13 mars 2001, en cassation.

20. Entre les 27 juillet 2002 et 26 juillet 2003 ainsi qu’à partir du 27 novembre 2003, le requérant fut détenu dans la prison no 1 de Tbilissi.

21. Le 26 février 2003, sa mère saisit le ministère de la Justice soutenant que le requérant, détenu dans la prison no 1 de Tbilissi, avait été torturé dans la cellule no 10 dite « de presse » par ses codétenus et que, par conséquent, il souffrait de lésions à dix endroits sur la tête ainsi que d’entailles sur le corps. Ne pouvant pas faire entendre sa voix auprès de l’administration de la prison, le requérant se serait cousu la bouche en signe de protestation.

22. Faisant suite à la plainte de sa mère, en mars 2003, le requérant saisit le ministre de la Justice en l’informant que M. Z.OU., directeur adjoint de la prison no 1, tentait de lui extorquer de l’argent à l’aide de l’un de ses codétenus de la cellule no 18 (bâtiment II). Le détenu en question et M. Z.OU. auraient été amis, ce dernier venant discuter avec le premier pendant longtemps dans une cellule séparée. Le détenu en question conseillait au requérant que, s’il voulait lui aussi « se porter bien », il fallait que sa famille apporte à M. Z.OU. une somme de 200 dollars américains. Placé ensuite dans la cellule no 17 (bâtiment II), un autre détenu également ami avec M. Z.OU. aurait obligé le requérant à acheter à M. Z.OU. son téléphone portable. Le même détenu lui aurait demandé de faire apporter à sa famille 200 dollars américains pour M. Z.OU. Ayant refusé, le requérant aurait alors été davantage persécuté. Après un rendez-vous au parloir dont le requérant ne précisa pas la date, M. Z.OU. l’aurait envoyé directement dans le « bâtiment spécial » (cellule no 4) sans qu’il puisse prendre ses affaires personnelles dans sa cellule. Ayant alors déclaré la grève de la faim, le requérant aurait été visité par M. Z.OU lui disant qu’il avait pourtant été bien conseillé sur ce qu’il fallait faire pour se porter bien. Placé le 29 septembre 2002 dans la cellule no 10 dite de « presse », le requérant aurait été battu sans merci par ses codétenus et, pendant longtemps, il n’aurait pas pu remarcher. Transféré dans la cellule no 12, il aurait été battu personnellement par M. Z.OU. Le requérant demanda au ministre de prendre des mesures nécessaires à son éloignement de M. Z.OU. et des détenus collaborant avec celui-ci.

23. Il ressort des informations produites par le Gouvernement (paragraphes 6 et 7 ci-dessus) que, suite aux deux plaintes susmentionnées, un groupe d’enquête du service de l’enquête du Département pénitentiaire du ministère de la Justice demanda au requérant plus d’explications, mais celui-ci refusa d’abord de préciser ses griefs pour se limiter ensuite à des affirmations vagues et hypothétiques. Interrogée, la grand-mère du requérant confirma que, lors d’un rendez-vous au parloir en septembre 2002, elle avait constaté que son petit-fils portait des marques de passage à tabac sur le corps. Le 18 mars 2003, une expertise médicale eut lieu. Le requérant soutint devant l’expert qu’il avait été battu en novembre 2002 à coups de poing et de pied ainsi qu’avec une chaise et que, par ailleurs, il s’était infligé des blessures lui-même. L’expertise conclut que les cicatrices sur son corps constituaient des traces de blessures causées par un objet tranchant, qu’elles étaient situées aux endroits facilement accessibles pour l’intéressé lui-même et qu’il n’était pas possible d’établir leur ancienneté. Le directeur, le médecin principal et l’inspecteur de la prison no 1, ainsi que M. Z.OU. et le codétenu du requérant, prétendument ami avec M. Z.OU., furent également interrogés, mais ils nièrent tout fait de pression exercée sur le requérant. Par ailleurs, il fut relevé qu’aucun rendez-vous au parloir ne figurait dans le dossier du requérant pour le mois de septembre 2002 et que sa grand-mère lui avait rendu visite en août 2002 et en janvier 2003 seulement. En outre, du 27 septembre au 10 octobre 2002, le requérant était demeuré dans la cellule no 59 du bâtiment V.

24. Dans ces conditions, le groupe d’enquête conclut que, « malgré d’importants efforts déployés » en vue de l’identification des auteurs des méfaits allégués, les assertions du requérant n’avaient pas trouvé leur confirmation. De surcroît, le requérant avait adopté un ton hypothétique affirmant qu’« il lui semblait que M. Z.OU. lui extorquait de l’argent ». Ne trouvant pas ainsi d’éléments de preuve confirmant les allégations en cause, le groupe d’enquête conclut le 2 avril 2003 au classement de la plainte sans suite. Cette ordonnance de classement fut avalisée le 9 avril 2003 par le Parquet général.

25. Elle était susceptible de recours devant le parquet ou le tribunal dans un délai de quinze jours, ce droit de recours étant explicité dans la partie opérationnelle de la décision.

26. Le requérant affirme avoir subi des pressions de la part des agents de la prison pour qu’il retire sa requête introduite devant la Cour.

27. Le 15 mars 2004, le requérant saisit à nouveau le ministre de la Justice en soutenant qu’il faisait l’objet de « moqueries, passages à tabac, humiliation et intrigues de toute sorte. » Il demanda d’être assigné au service de la logistique de la prison pour survivre.

28. Interrogé par le service de la sécurité du Département pénitentiaire du ministère de la Justice suite à cette plainte, le requérant affirma qu’il ne présentait aucune prétention envers l’administration de la prison no 1 et demanda qu’il soit maintenu dans cet établissement. Il ne cita aucun nom de détenu qui l’aurait soumis à une pression quelconque. Sa demande d’assignation au service de la logistique de la prison fut par conséquent rejetée.

29. En avril 2004, le ministère de la Justice demanda à l’administration de la prison no 1 de renforcer la sécurité du requérant. Faisant alors suite à la demande d’isolement de l’intéressé, l’administration le plaça le 16 avril 2004 dans une cellule pour une personne. A partir du 12 février 2005, le requérant purgea sa peine dans la prison no 2 à Roustavi. Le 9 septembre 2005, il fut mis en liberté conditionnelle.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

30. Code de procédure pénale (« CPP »), en vigueur à l’époque des faits

Article 61 § 1

« L’instruction préparatoire (...) est réalisée par les instructeurs du parquet, du ministère de l’Intérieur et du ministère de la sécurité d’Etat. »

Article 62 § 1

« L’instruction préparatoire d’une affaire pénale relève des instructeurs du ministère de l’Intérieur si le présent code ne prévoit pas autrement. »

Article 269 (aboli le 25 mars 2005)

« L’ordonnance de (...) classement d’une plainte sans suite est susceptible d’un recours dans un délai de 15 jours devant le parquet ou le tribunal. »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

31. Le requérant se plaint d’avoir fait l’objet de mauvais traitements suivant son placement en détention provisoire le 17 juin 1999 ainsi que par la suite, lors de l’exécution de sa peine d’emprisonnement. L’article 3 de la Convention est ainsi libellé :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

1. Arguments des parties

32. Renvoyant aux faits exposés aux paragraphes 16-18 ci-dessus, le Gouvernement affirme que le requérant ne fut pas maltraité pendant la nuit du 17 au 18 juin 1999. Concernant la période d’exécution de la peine, en raison de son caractère introverti, le requérant bénéficia d’un nombre de rendez-vous supérieur à la normale. Dans ses observations initiales, le Gouvernement affirma que le requérant n’avait jamais porté à la connaissance de l’administration pénitentiaire, fût-ce oralement, les faits de mauvais traitements.

33. Pour ce qui est de la suite donnée aux différentes plaintes de l’intéressé, le Gouvernement renvoie aux faits exposés aux paragraphes 1618, 23-24 et 27-28 ci-dessus et estime qu’il n’y a pas eu violation de l’article 3 de la Convention en l’espèce.

34. Maintenant ses allégations de mauvais traitements dans ses observations en réponse à celles du Gouvernement, le requérant ne formula aucun commentaire sur les éléments de preuves produits par le Gouvernement suite à l’invitation de la Cour (paragraphes 6 et 7 ci-dessus). Dans ses observations complémentaires, il se limita à critiquer différents aspects du procès pénal ayant abouti à sa condamnation.

2. Appréciation de la Cour

a) Quant aux mauvais traitements

35. Le requérant se plaint qu’il fut torturé par électrochoc après sa mise en détention provisoire le 17 juin 1999 et fit l’objet de mauvais traitements lors de l’exécution de sa peine d’emprisonnement (passage à tabac par le directeur adjoint de la prison, lésions infligées par ses codétenus, pressions, humiliation, tentatives d’extorsion de l’argent en échange d’un traitement approprié, etc.).

36. La Cour rappelle que l’article 3 de la Convention consacre l’une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques (Chahal c. Royaume-Uni, arrêt du 15 novembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996V, § 96). Il impose à l’Etat de s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités d’exécution de la mesure ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, la santé et le bienêtre du prisonnier sont assurés de manière adéquate (Kalachnikov c. Russie, no 47095/99, § 95, CEDH 2002VI).

37. Toutefois, les allégations de mauvais traitements doivent être étayées devant la Cour par des éléments de preuve appropriés (Berktay c. Turquie, no 22493/93, § 165, 1er mars 2001). Pour l’établissement des faits allégués, la Cour se sert du critère de la preuve « au-delà de tout doute raisonnable » (Farbtuhs c. Lettonie, no 4672/02, § 54, 2 décembre 2004). Un « doute raisonnable » est un doute dont les raisons peuvent être tirées des faits présentés. La preuve de mauvais traitements au-delà d’un tel doute peut résulter d’un faisceau d’indices, ou de présomptions non réfutées, suffisamment graves, précises et concordantes (Anguelova c. Bulgarie, no 38361/97, § 111, CEDH 2002IV ; Chamaïev et autres c. Géorgie et Russie, no 36378/02, § 338, CEDH 2005...).

38. En l’espèce, en l’absence de preuves tangibles et suffisantes, due à la défaillance des autorités d’une part (paragraphes 46-47 ci-dessous) et, d’autre part, à l’incohérence et au refus du requérant de coopérer avec celles-ci en vue de l’aboutissement de l’investigation (paragraphes 23, 24 et 28 ci-dessus, et 50 et 54-56 ci-dessous), il s’avère impossible d’établir, uniquement à partir des allégations du requérant, contenues dans ses différentes plaintes adressées aux autorités internes et à la Cour, si les traitements dénoncés lui ont été infligés entre les mains des agents de l’Etat comme il l’affirme. Les éléments du dossier ne fournissent pas d’indices de nature à étayer une telle conclusion « au-delà de tout doute raisonnable » (Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 129, CEDH 2000-IV ; Poltoratskiy c. Ukraine, no 38812/97, §§ 122-124, CEDH 2003V).

39. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 3 de la Convention quant aux mauvais traitements en détention.

40. Or, la Cour rappelle que, lorsqu’un individu affirme de manière défendable avoir subi, aux mains de la police ou d’autres services comparables de l’Etat, de graves sévices illicites et contraires à l’article 3, cette disposition, combinée avec le devoir général imposé à l’Etat par l’article 1 de la Convention de « reconnaître à toute personne relevant de [sa] juridiction, les droits et libertés définis (...) [dans la] Convention », requiert, par implication, qu’il y ait une enquête officielle effective (Assenov et autres c. Bulgarie, arrêt du 28 octobre 1998, Recueil 1998VIII, p. 3290, §§ 102-103 ; Martinez Sala et autres c. Espagne, no 58438/00, § 156, 2 novembre 2004). Cette enquête doit pouvoir mener à l’identification et à la punition des responsables. S’il n’en allait pas ainsi, nonobstant son importance fondamentale, l’interdiction légale générale de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants serait inefficace en pratique, et il serait possible dans certains cas à des agents de l’Etat de fouler aux pieds, en jouissant d’une quasi-impunité, les droits de ceux soumis à leur contrôle (Khachiev et Akaïeva c. Russie, nos 57942/00 et 57945/00, § 177, 24 février 2005).

41. Le volet procédural de l’article 3 est invoqué en particulier lorsque la Cour ne peut, à raison, au moins en partie, du fait que les autorités n’ont pas, à l’époque pertinente, réagi d’une façon effective aux griefs formulés par les plaignants, aboutir à aucune conclusion sur le point de savoir s’il y a eu ou non traitements prohibés par l’article 3 de la Convention (İlhan c. Turquie [GC], no 22277/93, §§ 89-93, CEDH 2000VII).

42. En l’espèce, mis ensemble, les informations détaillées et précises fournies par le requérant quant aux endroits, dates ou périodes et procédés de différents mauvais traitements, les éléments contenus dans ses plaintes du 9 novembre 1999 et de mars 2003 indiquant ouvertement qu’un policier et M. Z.OU., directeur adjoint de la prison no 1, avaient été, aux différents moments, à l’origine de sa torture ou de sa persécution et de son passage à tabac, ainsi que la plainte de sa mère affirmant qu’en l’absence de réaction de la part de l’administration pénitentiaire, son fils s’était cousu la bouche en guise de protestation, donnent lieu, aux yeux de la Cour, à une allégation défendable selon laquelle le requérant aurait subi des sévices aux différents moments de sa détention (cf. Poltoratskiy, précité, §§ 60-70 et 126).

43. La Cour devra dès lors examiner la question de savoir si les différentes plaintes de l’intéressé donnèrent lieu à une enquête approfondie et effective de la part des autorités compétentes.

b) Quant aux investigations au sujet des griefs défendables du requérant

i. La plainte du 9 novembre 1999

44. La Cour note que, le 9 novembre 1999, le requérant se plaignit auprès du procureur de district d’avoir subi un traitement par électrochoc dans la nuit du 17 au 18 juin 1999 au commissariat de police à Varkétili (le district d’Issani-Samgori) et requit que, pour instruire sa plainte, sa grandmère à qui il s’était confié soit interrogée et que lui-même soit confronté avec l’agent de police, auteur des méfaits en question, qu’il affirma pouvoir reconnaître.

45. La Cour relève que, suite à cette plainte, l’instructeur chargé de l’affaire rencontra le requérant, d’une part, et interrogea, d’autre part, deux inspecteurs de police ayant été d’astreinte pendant la nuit en question. Les policiers affirmèrent que le requérant n’avait pas fait l’objet de mauvais traitements. Questionnés par l’instructeur, le responsable de la cellule de garde à vue concernée et le chef de la prison ayant accueilli le requérant à partir du 18 juin 1999 affirmèrent qu’aucune plainte n’avait été formulée par l’intéressé ou ses proches au sujet de mauvais traitements allégués et qu’au moment de son placement dans la prison précitée le 18 juin 1999, le requérant n’avait pas été examiné par un médecin, puisqu’il n’avait fait aucune déclaration à cet égard.

46. La Cour déduit de ces faits que l’instructeur chargé de l’affaire entreprit l’investigation et procéda à une certaine vérification du bien-fondé des assertions de l’intéressé. Toutefois, il ne diligenta pas une expertise médicale, ni ne confronta le requérant avec les policiers concernés, alors que l’intéressé prétendait pouvoir reconnaître le policier l’ayant soumis à la torture. Par ailleurs, l’instructeur n’interrogea pas la grand-mère du requérant, la seule personne à qui celui-ci se serait confié après avoir subi la torture alléguée par électrochoc. En effet, il se contenta de recueillir les propos des policiers qui rejetèrent les allégations du requérant ainsi que les réponses des responsables des lieux de détention concernés, qui affirmèrent ne disposer d’aucune information au sujet des mauvais traitements litigieux. Il ne ressort pas des informations produites par le Gouvernement qu’un autre procédé d’enquête ait eu lieu par la suite. Il n’est guère clair quelles conclusions tira l’instructeur de ses propres vérifications ci-dessus. En tout cas, à ce jour, aucune décision, confirmant ou infirmant le bien-fondé des allégations défendables du requérant du 9 novembre 1999, n’est intervenue. Il ne ressort d’ailleurs pas du dossier qu’en l’occurrence le requérant ait manqué de coopérer avec l’instructeur (cf. paragraphes 50 et suivants ci-dessous). Aux yeux de la Cour, sa demande de récusation des instructeurs du district d’Issani-Samgori, dont relevait l’information dans l’affaire pénale en l’espèce, ne saurait passer, contrairement à ce que le Gouvernement semble vouloir suggérer (paragraphe 16 ci-dessus), pour le refus du requérant de coopérer en vue de l’instruction de sa plainte du 9 novembre 1999. La Cour estime que le seul commencement de l’enquête qui s’interrompt dès son stade précoce sans jamais aboutir à une décision quelconque ne saurait passer pour approfondie et effective au regard des exigences de l’article 3 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Selmouni c. France [GC], no 25803/94, §§ 78-81, CEDH 1999V). Cette absence de réaction effective de la part des autorités est d’autant plus significative que l’intéressé n’était pas sans souffrir de sérieux troubles psychiques (paragraphes 14 et 23 ci-dessus) et, comme le Gouvernement l’admet d’ailleurs, était une personne introvertie et vulnérable.

47. Eu égard à ce qui précède, la Cour conclut qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention en ce qui concerne l’enquête au sujet des griefs du requérant du 9 novembre 1999.

ii. Les plaintes de février et de mars 2003

48. La Cour relève d’emblée que, dans ces plaintes, le requérant et sa mère firent référence à une période de mauvais traitements et de persécution prétendument subis par l’intéressé dans la prison no 1. Au vu des différents faits de l’espèce, il semble que cette période se situa entre juillet et novembre 2002.

49. Suite à ces deux plaintes, un groupe d’enquête du ministère de la Justice procéda à l’interrogatoire du requérant en lui demandant de fournir des explications, mais celui-ci refusa de préciser ses griefs. Ensuite, il se retrancha derrière des affirmations vagues et des hypothèses soutenant, par exemple, qu’il lui semblait qu’il avait fait l’objet d’une tentative d’extorsion d’argent. Interrogée, la grand-mère du requérant affirma que, lors d’un rendez-vous au parloir en septembre 2002, elle avait constaté des marques de passage à tabac sur le corps de son petit-fils. Or, l’enquête révéla qu’aucun rendez-vous au parloir n’avait eu lieu entre le requérant et sa grand-mère en septembre 2002 et que celle-ci n’avait rendu visite à son petit-fils qu’en août 2002 et en janvier 2003. Dans le cadre de l’enquête, une expertise médicale fut également diligentée. Le requérant soutint devant l’expert qu’il avait été battu en novembre 2002 à coups de poing et de pied ainsi qu’avec une chaise et que, par ailleurs, il s’était infligé des blessures lui-même. Le 18 mars 2003, l’expertise conclut que les cicatrices sur le corps de l’intéressé constituaient des traces de blessures causées par un objet tranchant, qu’elles étaient situées aux endroits facilement accessibles pour le requérant lui-même et qu’il n’était pas possible d’établir leur ancienneté. Le directeur, le médecin principal et l’inspecteur de la prison no 1, ainsi que M. Z.OU. et le codétenu du requérant, prétendument ami avec M. Z.OU., furent également interrogés, mais ils nièrent tout fait de mauvais traitements et de pression exercée sur le requérant. Par ailleurs, l’enquête établit qu’entre les 27 septembre et 10 octobre 2002, le requérant était détenu dans la cellule no 59 du bâtiment V, alors que l’intéressé se plaignit d’avoir été placé dans la cellule no 10 dite de « presse » le 29 septembre 2002. Le groupe d’enquête conclut alors que, suite à d’importants efforts de vérification, les allégations du requérant n’avaient pas trouvé leur confirmation. Par conséquent, les plaintes en question furent classées sans suite le 2 avril 2003, cette décision ayant été avalisée le 9 avril 2003 par le Parquet général.

50. La Cour n’omet pas de vue le fait que, souffrant de psychopathie, le requérant se tailladait, de toute évidence, le corps avec un couteau et n’exclut donc pas que les « entailles sur le corps », dénoncées par sa mère dans la plainte du 26 février 2003, aient été d’origine autotraumatique. Le requérant confirma également le fait de se maltraiter de cette façon lors des expertises médicales des 4 août 1999 et 18 mars 2003 (paragraphes 14 et 23 ci-dessus). Toutefois, il est à noter que les autres allégations contenues dans les plaintes en question portaient sur des actes de mauvais traitements que les agents de l’administration de la prison ou les codétenus sur ordre de celle-ci auraient infligés au requérant. Or, aux tentatives des autorités de faire la lumière justement sur ces derniers faits, l’intéressé opposa un refus de coopération, une incohérence au niveau des faits et des dates (paragraphe 49 ci-dessus) et fit preuve d’inconstance. La Cour estime qu’après avoir adopté une telle attitude et n’avoir voulu prêter aucune assistance au groupe d’enquête, l’intéressé ne saurait valablement reprocher aux autorités internes de ne pas avoir approfondi l’investigation au sujet de ses allégations. En effet, celles-ci se trouvèrent privées des éléments de preuve essentiels que seul le requérant aurait pu leur fournir. La Cour attache par ailleurs de l’importance au fait que le requérant ne fit pas usage, en application de l’article 269 du code de procédure pénale, du recours hiérarchique ou judiciaire qui lui était ouvert en droit interne à l’époque des faits à l’encontre de l’ordonnance du 2 avril 2003 (paragraphes 25 et 30 in fine ci-dessus) et ne contesta donc pas le bien-fondé du classement sans suite de ses plaintes. De surcroît, l’intéressé n’opposa aucun argument aux éléments d’information contenus dans les observations complémentaires du Gouvernement (paragraphes 6 et 33-34 ci-dessus). La Cour elle-même ne discerne rien dans le dossier qui mettrait en cause la crédibilité de la thèse du Gouvernement pour ce qui est des circonstances ayant entouré l’investigation litigieuse.

51. Eu égard à ce qui précède, la Cour conclut qu’il n’y a pas eu violation de l’article 3 de la Convention en ce qui concerne l’enquête au sujet des griefs de mauvais traitements, contenus dans les plaintes de février et de mars 2003.

iii. La plainte du 15 mars 2004

52. Dans cette plainte, le requérant soutint devant le ministre de la Justice qu’il était soumis aux moqueries, passages à tabac, humiliation et intrigues de toute sorte au sein de la prison no 1.

53. Interrogé suite à cette plainte par le service de la sécurité du Département pénitentiaire du ministère de la Justice, le requérant affirma qu’il ne présentait aucune prétention envers l’administration de la prison no 1. Il ne cita aucun nom d’agent pénitentiaire ou de détenu qui l’aurait soumis à une pression quelconque.

54. La Cour note qu’ainsi, à l’instar des plaintes de février et de mars 2003 (paragraphe 50 ci-dessus), le requérant n’assista pas les autorités en vue de l’instruction de sa plainte du 15 mars 2004. Au contraire, il démentit sa propre thèse contenue dans celle-ci, retira ses prétentions et ne fournit aucun élément d’information pouvant mener à l’identification d’éventuels coupables. Il convient de noter par ailleurs que le requérant n’opposa aucun argument aux informations contenues dans les observations complémentaires du Gouvernement (paragraphes 6 et 33-34 ci-dessus) ni n’expliqua les raisons de sa rétractation. A aucun moment, par exemple, il ne soutint devant la Cour qu’il avait agi ainsi en raison de peur de représailles (cf., a contrario, paragraphe 15 ci-dessus au sujet de sa plainte du 9 novembre 1999).

55. La Cour prend acte du fait que nonobstant cette inconstance de l’intéressé, en avril 2004, l’administration de la prison no 1 fut invitée par le ministère de la Justice, son autorité de tutelle, à renforcer la sécurité du requérant au sein de l’établissement (paragraphe 29 ci-dessus).

56. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, la Cour estime que le requérant n’est pas fondé à reprocher aux autorités internes de ne pas avoir procédé à une enquête approfondie et effective des griefs dont il saisit le ministre de la Justice le 15 mars 2004 pour se démentir par la suite sans aucun motif avéré.

57. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 3 de la Convention en ce qui concerne l’enquête au sujet des griefs de mauvais traitements du requérant, contenus dans sa plainte du 15 mars 2004.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 34 DE LA CONVENTION

58. Dans ses lettres des 27 décembre 2003 et 13 janvier 2004, la représentante du requérant souleva en substance un grief tiré de l’article 34 de la Convention en affirmant que « des agents de la prison » exigeaient de son fils le retrait de sa requête et qu’à titre provisoire, des « voleurs dans la loi » (voleurs jouissant d’une autorité considérable dans le monde criminel) étaient régulièrement placés dans sa cellule afin que ceux-ci l’obligent à cesser de se plaindre.

59. L’article 34 de la Convention est ainsi libellé :

« La Cour peut être saisie d’une requête par toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers qui se prétend victime d’une violation par l’une des Hautes Parties contractantes des droits reconnus dans la Convention ou ses Protocoles. Les Hautes Parties contractantes s’engagent à n’entraver par aucune mesure l’exercice efficace de ce droit. »

60. Le Gouvernement produit la réponse du directeur de la prison no 1 affirmant que le fait de la saisine de la Cour par le requérant ne fut connu par l’administration de la prison que le 18 mai 2004, suite à la communication du grief du requérant par l’agent du Gouvernement. Le requérant n’ayant jamais envoyé de courrier à la Cour à l’aide de l’administration de la prison, celle-ci n’aurait pas pu être informée de l’existence de la présente requête et n’aurait pu, par conséquent, exiger son retrait. Le Gouvernement soumet la liste de trois plaintes dont le requérant, depuis son incarcération, saisit différentes autorités nationales à partir de la prison no 1.

61. Le requérant ne répliqua jamais à cette thèse du Gouvernement, développée par celui-ci dans ses observations initiales.

62. La Cour rappelle que, pour que le mécanisme de recours individuel instauré à l’article 34 soit efficace, il est de la plus haute importance que les requérants, déclarés ou potentiels, soient libres de communiquer avec la Cour, sans que les autorités ne les pressent en aucune manière de retirer ou modifier leurs griefs. Par le mot « presser », il faut entendre non seulement la coercition directe et les actes flagrants d’intimidation des requérants déclarés ou potentiels, de leur famille ou de leur représentant en justice, mais aussi les actes ou contacts indirects et de mauvais aloi tendant à dissuader ceux-ci ou à les décourager de se prévaloir du recours qu’offre la Convention (voir, entre autres, mutatis mutandis, Kurt c. Turquie, 25 mai 1998, Recueil 1998-III, p. 1192, § 159 ; Sarli c. Turquie, no 24490/94, §§ 85-86, 22 mai 2001).

63. En l’espèce, le requérant se plaint des tentatives directes et indirectes de l’administration de la prison no 1 de l’obliger à se désister, alors que le Gouvernement se prévaut de la réponse du directeur de cette prison affirmant que l’administration n’était pas au courant de l’existence de la présente requête, l’intéressé n’ayant jamais envoyé de courrier à la Cour à partir de la prison.

64. Ayant estimé que les éléments du dossier ne permettaient pas de tirer des conclusions sur le bien-fondé du grief, la Cour a invité le requérant à fournir des informations supplémentaires (paragraphe 6 ci-dessus). Or, se concentrant sur d’autres circonstances de l’espèce, le requérant ne fournit aucune précision en réponse ni ne présenta aucun élément de preuve pour donner de la substance à son grief tiré de l’article 34 de la Convention.

65. Pour sa part, la Cour note seulement qu’en effet, tous les courriers et télécopies au nom du requérant furent adressés à la Cour par sa représentante résidant à Piatigorsk, Fédération de Russie (paragraphe 2 cidessus). Le requérant ne fournissant aucun commencement de preuve pour démontrer que l’administration de la prison était informée de sa requête avant d’être contactée par l’agent du Gouvernement au sujet du grief tiré de l’article 34 ou que les tentatives de dissuasion eurent en effet lieu, la Cour considère que ce grief manque en fait.

66. Elle conclut dès lors qu’il n’y a pas eu violation de l’article 34 de la Convention.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

67. Aux termes de larticle 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

68. Dans son formulaire de requête, le requérant se limita à affirmer qu’il évaluait le dommage subi à, au moins, un million de dollars américains. Néanmoins, il ne présenta, suite à l’invitation de la Cour après la décision sur la recevabilité, aucune prétention au titre du dommage subi ou à celui de frais et dépens.

69. La Cour rappelle qu’elle n’octroie aucune somme à titre de satisfaction équitable dès lors que les prétentions chiffrées et les justificatifs nécessaires n’ont pas été soumis dans le délai imparti à cet effet par l’article 60 § 1 du règlement, même dans le cas où la partie requérante aurait indiqué ses prétentions à un stade antérieur de la procédure (Fadıl Yılmaz c. Turquie, no 28171/02, § 26, 21 juillet 2005).

70. Toutefois, vu sa conclusion sur le terrain de l’article 3 de la Convention (paragraphe 47 ci-dessus), la Cour estime que le requérant a dû subir un dommage moral certain.

71. Par conséquent, tenant compte des circonstances spécifiques de l’espèce, et statuant en équité, la Cour alloue au requérant 3 000 euros (EUR) pour le dommage moral.

B. Intérêts moratoires

72. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À l’UNANIMITÉ,

1. Dit, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 3 de la Convention en ce qui concerne les allégations de mauvais traitements en détention ;

2. Dit, qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention du fait de l’absence d’enquête approfondie et effective au sujet des griefs du requérant du 9 novembre 1999 ;

3. Dit, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 3 de la Convention concernant l’enquête au sujet des autres plaintes de l’intéressé ;

4. Dit, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 34 de la Convention ;

5. Dit,

a) que lEtat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, une somme de 3 000 EUR (trois mille euros) pour le préjudice moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme, à convertir en laris géorgiens au taux applicable à la date du versement ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 27 juillet 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

S. Dollé J.-P. Costa
Greffière Président