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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
27.7.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE KAJA c. GRÈCE

(Requête no 32927/03)

ARRÊT

STRASBOURG

27 juillet 2006

DÉFINITIF

27/10/2006

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Kaja c. Grèce,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

MM. L. Loucaides, président,
C.L. Rozakis,
Mmes F. Tulkens,
E. Steiner,
MM. K. Hajiyev,
D. Spielmann,
S.E. Jebens, juges,
et de M. S. Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 6 juillet 2006,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 32927/03) dirigée contre la République hellénique par un ressortissant albanais, M. Sokrat Kaja (« le requérant »), qui a saisi la Cour le 10 octobre 2003 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant est représenté par Mes K. Tsitselikis et A. Spathis, avocats au barreau de Salonique. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») est représenté par les délégués de son agent, M. S. Spyropoulos, assesseur auprès du Conseil Juridique de l’Etat et Mme Z. Hatzipavlou, auditrice auprès du Conseil Juridique de l’Etat.

3. Le 14 décembre 2004, la première section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant des dispositions de l’article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l’affaire. Le 17 décembre 2004, le gouvernement albanais a été invité à présenter, s’il le désirait, des observations écrites sur l’affaire (articles 36 § 1 de la Convention et 44 § 1 b) du règlement). Le 21 mars 2005, celui-ci a informé la Cour qu’il n’entendait pas se prévaloir de son droit d’intervenir dans la procédure.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

A. Les faits à l’origine de la requête

4. Le requérant est né en 1965 et réside en Albanie.

5. Le 25 février 2002, la cour d’appel de Salonique, siégeant en première instance en un collège de trois juges, condamna le requérant à une peine de quatre ans d’emprisonnement pour infractions à la législation sur les stupéfiants et ordonna que son appel ait un effet suspensif à condition que le requérant verse une caution et ne quitte pas le pays (arrêt no 259/2002). Le requérant interjeta appel et fut remis en liberté le 27 mai 2002. L’audience en appel fut fixée au 26 septembre 2003.

6. Le 27 janvier 2003, la cour d’appel de Salonique, siégeant en formation de cinq juges, condamna le requérant à une peine de trois ans d’emprisonnement pour une autre affaire de trafic de drogues et ordonna son expulsion dès qu’il aurait fini de purger sa peine (arrêt no 121-122/2003). Le requérant fut incarcéré à la prison de Larissa.

7. Le 14 juillet 2003, la chambre d’accusation du tribunal correctionnel de Larissa constata que le requérant avait purgé les 3/5e de sa peine et que la loi autorisait sa remise en liberté. Elle ordonna alors sa libération à condition qu’il quitte le territoire (ordonnance no 337/2003). Libéré le 14 juillet 2003, le requérant fut donc immédiatement placé en détention en vue de son expulsion. Il fut incarcéré dans le centre de détention de la police de Larissa. Le requérant protesta, en invoquant l’arrêt no 259/2002 qui lui interdisait de quitter le territoire, mais sans succès. Le 16 juillet 2003, il saisit la chambre d’accusation du tribunal correctionnel de Larissa d’une demande tendant à la substitution de la condition de quitter le territoire. Le 12 août 2003, sa demande fut rejetée, au motif que son expulsion avait été ordonnée par l’arrêt no 121-122/2003 de la cour d’appel de Salonique (ordonnance no 397/2003).

8. Le 2 septembre 2003, le procureur près la cour d’appel de Salonique émit un avis selon lequel le requérant ne pouvait pas être expulsé, tant que son appel contre l’arrêt no 259/2002 était pendant.

9. Le 11 septembre 2003, le requérant demanda à recevoir une copie de son dossier et à être informé sur les motifs de sa détention. Il reçut une copie de son dossier le même jour ; le 19 septembre 2003, il fut informé qu’il était détenu aux fins d’expulsion, en exécution de l’arrêt no 121-122/2003 et des ordonnances nos 337/2003 et 397/2003.

10. Le 26 septembre 2003, le requérant fut conduit devant la cour d’appel de Salonique qui allait examiner son appel contre l’arrêt no 259/2002. Par décision avant dire droit, l’audience fut reportée au 25 juin 2004, car les co-accusés du requérant étaient empêchés d’y comparaître (décision no 894/2003). Il ressort du dossier que l’avocate du requérant acquiesça à l’ajournement et ne demanda pas à la cour de lever l’interdiction de quitter le territoire qui était imposée au requérant par l’arrêt no 259/2002.

11. Le 30 septembre 2003, le requérant déposa une demande tendant à obtenir la suspension de la mesure d’expulsion ordonnée par l’arrêt no 121-122/2003 de la cour d’appel de Salonique. Il affirmait à l’appui de ses dires que son « incarcération dans un lieu qui n’était pas approprié pour une longue détention comportait de risques pour sa santé et constituait une atteinte flagrante à l’article 3 de la Convention ».

12. Le 1er octobre 2003, le conseil du requérant s’adressa au Médiateur de la République Hellénique (voir paragraphe 34 ci-dessous), en lui demandant d’intervenir dans son affaire. Il protestait quant à la légalité et les conditions de sa détention. Dans deux courriers datés des 6 novembre et 8 décembre 2003, adressés respectivement au ministre de la Justice et au procureur près la Cour de cassation, le Médiateur exprima ses préoccupations quant à la situation du requérant.

13. Entre-temps, le 4 octobre 2003, le requérant avait fait une tentative de suicide, mais avait été sauvé par un gardien et transféré à titre préventif à l’hôpital, où les médecins ne décelèrent aucun problème de santé. Une instruction fut ouverte pour cette affaire, à l’issue de laquelle le procureur la classa sans suite, au motif qu’aucune responsabilité pénale d’un tiers n’avait pu être démontrée. Le requérant prétend qu’il avait fait une première tentative de suicide, le 18 septembre 2003 ; cet incident est contesté par le Gouvernement.

14. Le 8 octobre 2003, le tribunal correctionnel de Larissa rejeta la demande du requérant en date du 30 septembre 2003, au motif que les conditions prévues par la loi n’étaient pas réunies en l’espèce (ordonnance no 4702/2003).

15. Le 10 octobre 2003, le requérant fut transféré à la prison de Larissa.

16. Le 5 décembre 2003, la cour d’appel de Salonique, siégeant en chambre du conseil, constata que le requérant s’était désisté de son appel contre l’arrêt no 259/2002 et déclara ledit appel irrecevable (ordonnance no 1760/2003).

17. Le 12 janvier 2004, la cour d’appel de Salonique prononça le cumul des peines infligées au requérant en vertu des arrêts nos 259/2002 et 121-122/2003, en une peine globale de cinq ans et six mois d’emprisonnement.

18. Le 18 février 2004, la chambre d’accusation du tribunal correctionnel de Larissa ordonna alors la libération du requérant, à condition qu’il quitte le territoire et ne revienne pas en Grèce avant trois ans (ordonnance no 42/2004). Libéré le même jour, le requérant fut expulsé le 20 février 2004.

B. La mission d’enquête de la Cour

19. Dans la présente affaire, la Cour a organisé, en vertu de l’article A1 de l’annexe à son règlement, une mission d’enquête visant à établir les faits pertinents relatifs aux conditions de détention du requérant au centre de détention de la police de Larissa.

20. La délégation de la Cour, accompagnée des représentants du requérant et du Gouvernement, a donc rendu visite au centre de détention de la police de Larissa, les 31 mars et 1er avril 2006. Lors de cette visite, la délégation s’est également entretenue avec le commissaire en chef actuel et celui en poste à l’époque, ainsi qu’avec le président du barreau de Larissa et une avocate du barreau de Trikala.

1. Les lieux

21. Le commissariat de police de Larissa est situé au centre de la ville dans un immeuble de quatre étages construit dans les années 1970 et équipé d’un ascenseur. Il est implanté dans ce bâtiment depuis 1978. Le bureau du commissaire se trouve au quatrième étage.

22. Les cellules de détention sont situées au rez-de-chaussée. Elles sont au nombre de trois.

23. Une entrée indépendante, qui donne sur la rue, permet d’accéder à ces cellules. Une première porte donne accès à cette entrée, composée d’une pièce où est posté en permanence un policier armé, chargé de monter la garde. Equipée d’une chaise et d’un petit bureau, elle comporte une petite fenêtre à trous par laquelle, aux dires des policiers, les avocats peuvent communiquer avec leurs clients. De cette fenêtre, on aperçoit l’antichambre, à laquelle on accède par une seconde porte. Il s’agit d’une pièce équipée de bancs en béton, recouverts d’une assise en bois et garnis de coussins. On aperçoit un radiateur fixé au mur. Un vieux chauffe-eau alimentant les trois cellules est fixé en hauteur.

24. Jouxtant cette antichambre, une cellule de détention est réservée aux femmes. Elle est équipée de trois murets en béton qui font office de lit (ci-après « les lits »), sur lesquels sont posés des matelas recouverts d’un drap housse. Des couvertures, des draps et un oreiller ont également été déposés sur les matelas. On observe sur le mur de gauche tout en haut une bouche d’aération de forme rectangulaire fermée d’une grille à petits trous. Au fond, une salle de bains séparée par une porte est équipée d’un lavabo, de toilettes « à la turque » et d’une arrivée d’eau faisant office de douche fixée au plafond. Cette pièce est aérée par une petite fenêtre et éclairée par une ampoule.

25. Depuis l’antichambre, un couloir doté d’un radiateur mène, sur la droite, aux deux cellules de détention réservées aux hommes : la première comporte deux lits et la seconde trois. La première cellule est celle que le requérant a occupée lors de sa détention. En entrant, on distingue un lit sur la gauche et un autre sur la droite. Il s’agit là encore de murets de béton sur lesquels ont été déposés des matelas recouverts d’un drap housse. Des couvertures et des oreillers étaient également à disposition. Les murs et le sol, cimenté de type mosaïque, étaient propres et relativement en bon état. Les murs ont très probablement été repeints en blanc récemment. On distingue également en hauteur, de part et d’autre de la cellule, deux bouches d’aération composées chacune d’une grille rectangulaire à petits trous. Au fond, séparée par une porte métallique de couleur verte, se trouve la salle de bains. Elle est équipée de toilettes « à la turque », d’un lavabo et d’une arrivée d’eau fixée au plafond et faisant office de douche. Le sol est carrelé, dans un état médiocre. On distingue au dessus du lavabo une petite fenêtre et une ampoule. La configuration de la seconde cellule réservée aux hommes est similaire à la première, à la différence qu’elle comporte trois lits.

2. Les témoignages recueillis

a) M. Theodoros Chatzopoulos, sous-directeur de Police, ancien Commissaire en chef du Commissariat de Police de Larissa

26. M. Chatzopoulos affirme que la cellule où était détenu le requérant était exactement dans le même état qu’aujourd’hui. Elle était équipée d’un lit, de matelas, d’oreillers et de draps. Selon lui, les sanitaires étaient à l’identique : tout fonctionnait (la chasse d’eau, la douche, eau courante –froide et chaude). Il dit avoir autorisé le requérant à monter dans son bureau plusieurs fois pour lui permettre d’effectuer ses démarches judiciaires. Il affirme également avoir donné l’ordre qu’on le laisse séjourner dans l’antichambre aussi longtemps qu’il le souhaitait. Selon lui, il retournait dans sa cellule uniquement pour dormir. Il raconte qu’un jour, à la demande du requérant, il a même fait venir un coiffeur au commissariat. Par ailleurs, en ce qui concerne les repas, il rapporte que les détenus ont droit à 5,87 euros par jour (somme fixée par la loi). Les détenus payent eux-mêmes les produits de première nécessité. Pour se nourrir, ils s’adressent aux restaurants de la ville effectuant des livraisons à domicile. Ils demandent au garde de passer la commande par téléphone. M. Chatzopoulos affirme que le requérant ne s’est jamais plaint de ne pas manger à sa faim. Il ignore s’il avait accès à des livres ou journaux. Il soutient qu’à l’époque où le requérant était détenu au commissariat, il n’y avait pas plus de deux personnes dans sa cellule. Il ne se souvient pas qu’il y ait eu une troisième personne dans sa cellule. Il explique que les avocats communiquent avec les requérants depuis le bureau où se tiennent les gardes au travers de la fenêtre. Il nie que son avocat ait pu entrer dans l’antichambre. Il dit que ceci est formellement interdit. Il précise que les avocats peuvent rendre visite à leur client toute la journée et qu’il y a des heures de visite pour les parents du premier degré. Les amis des détenus ne sont pas autorisés à leur rendre visite. M. Chatzopoulos se souvient que le requérant a été transporté à l’hôpital à deux ou trois reprises parce que, selon lui, il se plaignait de maux d’estomac ou de maux de tête. Il ne souffrait pas d’une maladie particulière. Il affirme que le requérant a fait une seule tentative de suicide et non deux, comme l’affirme son avocat. Il soutient que le requérant a tenté de se pendre avec un drap. Partageant sa cellule avec un autre détenu, il a été transféré immédiatement à l’hôpital, mais plus pour des raisons préventives car il n’avait pas de blessures, ni même de traces sur son cou. Il a quitté l’hôpital très vite. Enfin, il affirme que le requérant ne s’est jamais plaint des conditions de sa détention.

b) M. Philippos Samaras, Président du Barreau de Larissa

27. M. Samaras explique que la communication entre les détenus et leurs avocats se fait par la petite fenêtre à trous, située dans la pièce où se trouve le garde. Il rapporte les opinions de ses confrères et en conclut que les conditions de détention ne sont pas bonnes. Il se rend au moins dix fois par an dans ces lieux. Il parle de mauvaises odeurs, de situation chaotique lorsque les cellules sont surpeuplées. Ses confrères et lui-même sont d’avis que les conditions de détention devraient être améliorées. Il ne peut pas affirmer que les conditions étaient les mêmes en 2003, car depuis la petite fenêtre il dit ne pas voir suffisamment à l’intérieur. Par contre, il ne se rappelle pas que les lieux étaient aussi clairs que le jour de la visite de la délégation de la Cour. Il a également remarqué que ce jour-là les lieux étaient très propres, en comparaison avec d’autres jours où il s’y était rendu mais pense que ceci dépend du nombre de détenus. Il affirme que les bancs se trouvant dans l’antichambre peuvent servir de lits et dit avoir vu de ses propres yeux des détenus dormant par terre, sur des couvertures, lorsque ces bancs ne suffisaient pas.

c) Me Georgia Toliou, avocate au barreau de Trikala, ayant rendu visite au requérant à plusieurs reprises lors de sa détention

28. Me Toliou affirme que les conditions de détention dans ces cellules sont inacceptables pour les détenus. Par contre, le jour de la visite de la délégation, les choses étaient très différentes, les lieux étant notamment très propres. Elle se rappelle avoir rendu visite au requérant fin août-début septembre 2003, en compagnie du conseil du requérant avec lequel elle collaborait. Elle dit qu’elle pouvait l’apercevoir depuis la petite fenêtre à trous. Contrairement à son conseil, elle dit ne pas avoir pu passer la porte et entrer dans l’antichambre. Elle pense que les détenus dans la cellule du requérant étaient au moins au nombre de trois. Elle ne se souvient pas du nombre exact. Elle se rappelle que ce jour-là l’atmosphère était étouffante, que ça sentait très mauvais, que les murs n’étaient pas peints, que le sol était couvert de crasse et qu’il n’y avait presque pas de lumière. Elle affirme également qu’il n’y avait pas de lit dans la cellule. Elle déduit cela du fait que les détenus pouvaient s’approcher des barreaux sans être gênés par quoi que ce soit. En ce qui concerne les sanitaires, Me Toliou dit que le requérant racontait qu’on l’emmenait ailleurs pour qu’il puisse aller aux toilettes et se doucher. Elle dit ne rien avoir constaté elle-même. Elle ne fait que rapporter les propos du requérant. Elle affirme également que le commissaire en chef de l’époque n’était pas très coopératif.

d) M. Vassilis Chalatsis, sous-directeur de Police, Commissaire en chef duCommissariat de Police de Larissa

29. M. Chalatsis réaffirme que les avocats ou les parents du premier degré communiquent avec les détenus par la petite fenêtre à trous. Ils ne rentrent jamais dans l’antichambre. Il soutient qu’il n’y a pas eu de changements majeurs dans les cellules de détention depuis 2003. Les lieux sont repeints et désinfectés régulièrement, documents à l’appui. Selon lui, pour un bâtiment qui date de plus de trente ans, les conditions de détention sont « humaines » mais il avoue que les lieux de détention sont restreints si l’on considère le nombre important de départements de police concernés. Il affirme que les sanitaires ont toujours existés et qu’il est fréquent que les détenus salissent les murs ou y inscrivent des insultes. C’est donc, selon lui, pour cette raison que les murs sont repeints régulièrement. Les deux gardes ont pour ordre de vérifier l’intérieur des cellules toutes les demi-heures ou toutes les heures. Tout ce qui est endommagé est systématiquement remplacé. Il ne se rappelle pas qu’il y ait eu un cas d’expulsion pendante semblable à celui du requérant. Il affirme ne jamais avoir vu de détenus dormir par terre.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

30. L’article 565 du code de procédure pénale est ainsi libellé :

« Doutes quant à la nature ou la durée de la peine

Tout doute ou objection quant à l’exécution du jugement ainsi qu’à la nature ou la durée de la peine est levé par le tribunal correctionnel du lieu de l’exécution de la peine. Le procureur et le condamné peuvent se pourvoir en cassation contre cette décision. »

31. L’article 57 du code civil dispose :

« Celui qui, d’une manière illicite, est atteint dans sa personnalité, a le droit d’exiger la suppression de l’atteinte et, en outre, l’abstention de toute atteinte à l’avenir (...).

En outre, la prétention à des dommages-intérêts, suivant les dispositions relatives aux actes illicites, n’est pas exclue. »

32. L’article 59 du code civil est ainsi libellé :

« Dans les cas prévus par les deux articles précédents le tribunal peut, par son jugement rendu à la requête de celui qui a été atteint et compte tenu de la nature de l’atteinte, condamner en outre la personne en faute à réparer le préjudice moral de celui qui a été atteint. Cette réparation consiste dans le paiement d’une somme d’argent, dans une mesure de publicité, et aussi dans tout ce qui est indiqué par les circonstances. »

33. L’article 105 de la loi d’accompagnement (Εισαγωγικός Νόμος) du code civil se lit comme suit :

« L’Etat est tenu à réparer le dommage causé par les actes illégaux ou omissions de ses organes lors de l’exercice de la puissance publique, sauf si l’acte ou l’omission a eu lieu en méconnaissance d’une disposition destinée à servir l’intérêt public. La personne fautive est solidairement responsable avec l’Etat, sous réserve des dispositions spéciales sur la responsabilité des ministres.»

Cette disposition établit le concept d’acte dommageable spécial de droit public, créant une responsabilité extracontractuelle de l’Etat. Cette responsabilité résulte d’actes ou omissions illégaux. Les actes concernés peuvent être, non seulement des actes juridiques, mais également des actes matériels de l’administration, y compris des actes non exécutoires en principe (Kyriakopoulos, Commentaire du code civil, article 105 de la loi d’accompagnement du code civil, no 23; Filios, Droit des contrats, partie spéciale, volume 6, responsabilité délictueuse 1977, par. 48 B 112 ; E. Spiliotopoulos, Droit administratif, troisième édition, par. 217; arrêt no 535/1971 de la Cour de cassation; Nomiko Vima, 19e année, p. 1414; arrêt no 492/1967 de la Cour de cassation ; Nomiko Vima, 16e année, p. 75). La recevabilité de l’action en réparation est soumise à une condition : la nature illégale de l’acte ou de l’omission.

34. Le Médiateur de la République Hellénique est une autorité administrative indépendante, consacrée par l’article 103 § 9 de la Constitution. Créée par la loi no 2447/1997, l’autorité est actuellement régie par les dispositions de la loi no 3094/2003. Le Médiateur intervient entre l’administration et les citoyens pour la protection de leurs droits et le respect du principe de légalité. Il formule des recommandations et des propositions envers l’administration. Il n’impose pas de sanctions et ne peut pas annuler les actes illégaux de l’administration.

III. RAPPORTS INTERNATIONAUX PERTINENTS

35. 12e Rapport général d’activités du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT), en date du 3 septembre 2002 :

« 47. La détention par la police est (ou au moins devrait être) de relativement courte durée. Toutefois, les conditions de détention dans les cellules de police doivent remplir certaines conditions élémentaires.

Toutes les cellules de police doivent être propres et d’une taille raisonnable eu égard au nombre de personnes que l’on peut y placer et, elles doivent bénéficier d’un éclairage adéquat (c’est-à-dire suffisant pour lire en dehors des périodes de repos); de préférence, les cellules devraient bénéficier de lumière naturelle. De plus, les cellules doivent être aménagées de façon à permettre le repos (par exemple un siège ou une banquette fixe), et les personnes contraintes de passer la nuit en détention doivent disposer d’un matelas et de couverture propres. Les personnes détenues par la police doivent avoir accès à des toilettes correctes dans des conditions décentes et disposer de possibilités adéquates pour se laver. Elles doivent avoir accès à tout moment à de l’eau potable et recevoir de quoi manger à des moments appropriés, y compris un repas complet au moins chaque jour (c’est-à-dire quelque chose de plus substantiel qu’un sandwich). Les personnes détenues par la police pendant 24 heures ou plus devraient, dans la mesure du possible, se voir proposer un exercice quotidien en plein air. »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

36. Le requérant se plaint que les conditions dans lesquelles il a été détenu au centre de détention de la police de Larissa s’analysent en un traitement inhumain et dégradant. Il invoque l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

A. Sur la recevabilité

37. Le Gouvernement affirme, à titre principal, que ce grief est irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes. Il soulève que les articles 57 et 59 du code civil protègent le droit au respect de la personne et avance que le requérant aurait pu introduire une action en indemnisation contre l’Etat aux termes de l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil afin d’obtenir une réparation pour la prétendue atteinte à sa personnalité. A cet égard, le Gouvernement se réfère également aux affaires Bejaoui et Mehiar, déclarées irrecevables par la Commission européenne des droits de l’Homme, au motif que les intéressés n’avaient pas saisi le procureur d’une plainte pour dénoncer les conditions de leur détention (Bejaoui c. Grèce, no 23916/94, décision de la Commission du 6 avril 1995 ; Mehiar c. Grèce, no 21300/93, décision de la Commission du 10 avril 1996, Décisions et Rapports (DR) Volume 85, p. 47).

38. Le requérant affirme qu’il s’était plaint des conditions de sa détention lors de sa demande tendant à obtenir la suspension de la mesure d’expulsion. Il s’en était également plaint auprès du Médiateur de la République.

39. La Cour rappelle que le fondement de la règle de l’épuisement des voies de recours internes énoncée dans l’article 35 § 1 de la Convention consiste en ce qu’avant de saisir un tribunal international, le requérant doit avoir donné à l’Etat responsable la faculté de remédier aux violations alléguées par des moyens internes, en utilisant les ressources judiciaires offertes par la législation nationale, pourvu qu’elles se révèlent efficaces et suffisantes (voir, entre autres, Fressoz et Roire c. France [GC], no 29183/95, § 37, CEDH 1999–I). En effet, l’article 35 § 1 de la Convention ne prescrit l’épuisement que des recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats. Ils doivent exister à un degré suffisant de certitude non seulement en théorie mais aussi en pratique, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues ; il incombe à l’Etat défendeur de démontrer que ces exigences se trouvent réunies (voir, parmi beaucoup d’autres, Dalia c. France, arrêt du 19 février 1998, Recueil des arrêts et décisions 1997-I, p. 87, § 38).

40. En l’occurrence, la Cour estime que le recours proposé par le Gouvernement, à savoir une action en dommages-intérêts pour atteinte au droit à la personnalité, n’est pas un recours susceptible de remédier à la violation alléguée de l’article 3 de la Convention. Cela étant, elle admet que le requérant n’a pas contesté sa situation devant le procureur, ce qui aurait pu remédier à la situation litigieuse (voir Bejaoui et Mehiar c. Grèce, précitées) ; toutefois, elle note que, dans le cadre de sa demande tendant à obtenir la suspension de la mesure d’expulsion, le requérant a invoqué une « atteinte flagrante » à l’article 3 de la Convention. Même si ce recours en tant que tel n’offrait au requérant qu’une chance indirecte de redresser la violation alléguée, puisqu’en cas d’acceptation, il aurait été libéré et aurait donc pu quitter le centre de détention, la Cour note que le requérant en a profité pour alerter le tribunal sur les conditions de sa détention. La Cour estime donc de ce fait que les autorités nationales ont été informées de la situation du requérant et qu’elles ont eu la possibilité de se pencher sur les conditions de sa détention et y remédier, le cas échéant (voir, mutatis mutandis, Kalachnikov c. Russie (déc.), no 47095/99, CEDH 2001-XI).

41. En conséquence, nonobstant le fait que le requérant n’a pas fait usage des voies suggérées par le Gouvernement, la Cour estime que ce grief ne saurait être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes. Partant, il convient d’écarter l’exception soulevée par le Gouvernement à ce titre.

42. La Cour constate en outre que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Arguments des parties

43. Le requérant affirme que le centre de détention de la police de Larissa était un lieu surpeuplé, au sous-sol, sans fenêtres, donc sans éclairage naturel ni aération. Le lieu était sale et ne disposait ni de lits ni de sanitaires. Les détenus dormaient à même le sol, parfois à côté de leurs excréments. Il n’y avait pas d’endroit où faire de l’exercice. Les détenus n’étaient pas nourris, mais se trouvaient dans l’obligation d’acheter des aliments proposés à la cantine. Selon lui, ces conditions rappelaient plutôt une prison médiévale qu’un lieu de détention. A l’appui de ses allégations, le requérant se réfère aux constatations du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) relatives aux conditions de détention dans les commissariats de police et les locaux de détention pour les étrangers, ainsi qu’à un communiqué de la section grecque d’Amnesty International dénonçant les conditions de détention des étrangers qui sont dans l’attente d’une expulsion. Le requérant affirme enfin que sa santé physique et mentale fut tellement atteinte qu’il a essayé à deux reprises de se suicider.

44. Le Gouvernement rappelle que, pour enfreindre l’article 3 de la Convention, les conditions matérielles de détention doivent atteindre un niveau d’humiliation ou d’avilissement supérieur à ce qu’emporte habituellement une peine de détention. Il affirme que les allégations du requérant sont vagues, imprécises et non étayées. Il fait savoir que le centre de détention incriminé disposait de sanitaires, de matelas et de couvertures ; les murs étaient peints et les locaux étaient nettoyés tous les jours, excepté les jours fériés, par les femmes de ménage de la police de Larissa. Le requérant sortait de sa cellule trois fois par jour et pouvait passer des appels téléphoniques et recevoir la visite de ses proches ou de son avocat. Le Gouvernement note enfin que le requérant a essayé une fois de se suicider et qu’il a été sauvé grâce à l’intervention efficace d’un gardien. Par la suite, il fut transféré pour des raisons préventives à l’hôpital, mais aucun problème de santé n’a été décelé. Selon le Gouvernement, il n’y a aucun indice que cette tentative de suicide était motivée par les conditions de détention du requérant. Il souligne qu’en quittant le centre de détention, le requérant avait remercié les autorités compétentes pour leur comportement à son égard.

2. Appréciation de la Cour

45. La Cour rappelle que l’article 3 de la Convention consacre l’une des valeurs les plus fondamentales des sociétés démocratiques. Il prohibe en termes absolus la torture et les traitement ou peines inhumains ou dégradants, quels que soient les circonstances et les agissements de la victime (voir, parmi beaucoup d’autres, Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 119, CEDH 2000–IV).

46. Toutefois, pour tomber sous le coup de l’article 3, un traitement doit atteindre un minimum de gravité. L’appréciation de ce minimum est relative par essence ; elle dépend de l’ensemble des données de la cause, et notamment de la nature et du contexte du traitement, de ses modalités d’exécution, de sa durée, de ses effets physiques ou mentaux, ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime (voir, par exemple, Raninen c. Finlande, arrêt du 16 décembre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997–VIII, pp. 2821–2822, § 55).

47. En l’occurrence, eu égard aux constatations de ses délégués, la Cour estime qu’il n’a pas été établi avec une certitude suffisante que les conditions de détention du requérant dans le lieu incriminé étaient telles que celui-ci les a décrites. En effet, la Cour constate que plusieurs allégations du requérant n’ont pas été confirmées par la visite sur les lieux, tels par exemple la situation du lieu de détention en sous-sol ou le manque d’aération, d’éclairage naturel et de sanitaires. En somme, les conditions y régnant étaient acceptables, même si la Cour peut comprendre que, dans le cadre de la visite de ses délégués, le centre de détention ait été fraîchement repeint et méticuleusement nettoyé (voir paragraphes 27-28 ci-dessus).

48. En outre, la Cour ne peut accorder de poids particulier à l’argumentation que le requérant tire, de manière générale, des conditions de détention des étrangers en Grèce ; en effet, la Cour rappelle que son seul souci est d’établir si, en l’espèce, le requérant a été soumis à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la Convention. Dès lors, les constatations du CPT ou d’Amnesty International ne sauraient être considérés comme des éléments déterminants dans l’appréciation de la Cour, car ils ne renferment aucun renseignement relatif à la situation particulière du requérant.

49. Cela étant, la Cour estime que le centre de détention du commissariat de Larissa n’était pas un lieu approprié pour une détention aussi longue que celle infligée au requérant. De par sa nature même, il s’agit d’un lieu destiné à accueillir des prévenus pour une courte durée et non pas pour une période de trois mois. Présentant des caractéristiques pouvant faire naître chez le détenu un sentiment de solitude, sans enceinte extérieure pour se promener ou faire de l’exercice physique, ni structure de restauration interne, ni poste de radio ou de télévision pour avoir un contact avec le monde extérieur, le centre de détention, même s’il offre des conditions acceptables pour une courte détention, n’est pas pour autant adapté aux besoins d’une incarcération prolongée (voir, en ce sens, les recommandations du CPT en matière de détention par la police, paragraphe 35 ci-dessus).

50. Au vu de ce qui précède, la Cour estime que le fait de maintenir le requérant en détention pendant trois mois dans le lieu incriminé s’analyse en un traitement dégradant, au sens de l’article 3 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Dougoz c. Grèce, no 40907/98, § 48, CEDH 2001-II).

Partant, il y a eu violation de cette disposition.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 DE LA CONVENTION

51. Le requérant se plaint qu’entre le 14 juillet 2003 et le 18 février 2004, il fut détenu sans aucune base légale et sans disposer d’un recours pour faire statuer sur sa situation et obtenir une réparation. Il invoque l’article 5 de la Convention, dont les parties pertinentes sont ainsi libellées :

« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

a) s’il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent ;

(...)

f) s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours.

(...)

4. Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale.

5. Toute personne victime d’une arrestation ou d’une détention dans des conditions contraires aux dispositions de cet article a droit à réparation. »

Sur la recevabilité

52. Le Gouvernement affirme, à titre principal, que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours que lui offrait le droit grec. Selon lui, les voies de recours exercées par le requérant n’étaient pas appropriées. En particulier, le requérant aurait dû engager, en vertu de l’article 565 du code de procédure pénale, une action sur les modalités d’application de la peine qui lui avait été infligée. Ce recours lui aurait permis de contester la légalité de sa détention, à la lumière de l’article 5 de la Convention. A titre subsidiaire, le Gouvernement affirme que ces griefs sont dénués de fondement.

53. Le requérant affirme qu’il a demandé à deux reprises à ne pas être expulsé et se livre à une analyse du droit interne tendant à démontrer qu’il n’aurait pas dû être placé en détention aux fins d’expulsion après sa mise en liberté conditionnelle en vertu de l’ordonnance no 337/2003. Il s’estime victime d’un comportement arbitraire de la part des autorités nationales.

54. S’agissant de l’exception d’irrecevabilité soulevée par le Gouvernement, la Cour note d’emblée qu’il y a un net désaccord entre les parties sur la portée exacte des dispositions du droit pénal qui trouvent à s’appliquer en l’espèce. Or, la Cour estime qu’il ne lui appartient pas de se livrer à une interprétation du droit interne pour départager les parties (voir, en ce sens, Kontos c. Grèce (déc.), no 18933/03, 26 mai 2005). Elle ne peut toutefois que constater, à la lecture même de l’article 565 du code de procédure pénale, que le droit interne offrait au requérant un recours qui lui aurait permis, le cas échéant, d’exprimer ses objections quant à l’exécution de la peine à laquelle il fut condamné en vertu de l’arrêt no 121-122/2003. La Cour rappelle à cet égard sa jurisprudence constante, selon laquelle, s’il y a des doutes sur les chances de succès d’un recours interne, ce recours doit être tenté (voir, parmi beaucoup d’autres, Tomé Mota c. Portugal (déc.), no 32082/96, CEDH 1999-IX).

55. Etant donné que le requérant, qui était représenté par un avocat au cours de la procédure, n’a soulevé aucune raison particulière de nature à le dispenser de l’obligation d’exercer, ne serait-ce que par précaution, le recours prévu par l’article 565 du code de procédure pénale, la Cour estime qu’il n’a pas fait un usage normal des voies de recours mises à sa disposition par le droit interne. Cela est d’autant plus vrai que les demandes déposées par le requérant tendant à la substitution de la condition de quitter le territoire par une autre mesure de sécurité et à la suspension de la mesure d’expulsion qui était pendante à son encontre ne sauraient être considérées, de l’avis de la Cour, comme des recours visant à faire contrôler la légalité de sa détention.

56. Par conséquent, les griefs soulevés par le requérant au titre de l’article 5 de la Convention doivent être rejetés pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

III. SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION

57. Le requérant se plaint de n’avoir disposé, pour dénoncer les violations alléguées des articles 3 et 5 de la Convention, d’aucun recours satisfaisant aux exigences de l’article 13 de la Convention, aux termes duquel :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

Sur la recevabilité

1. Sur l’article 13, combiné avec l’article 3 de la Convention

58. Le Gouvernement réitère son allégation qu’il aurait été loisible au requérant de se plaindre auprès du procureur des conditions de sa détention. Il se réfère en outre à plusieurs recours que le requérant aurait pu exercer pour mettre en cause la responsabilité pénale ou disciplinaire des policiers chargés de sa détention.

59. Le requérant rétorque que pour qu’un recours ait été efficace en l’espèce, il aurait dû avoir un effet suspensif sur les conditions de sa détention. Or, aucun des recours proposés par le Gouvernement ne pouvait avoir un tel effet. Il estime qu’une plainte adressée au procureur sur la base du droit pénitentiaire n’aurait pas été un recours efficace dans les circonstances de l’espèce. Quant aux recours visant à sanctionner le comportement des policiers chargés de sa détention, le requérant affirme qu’il ne vise pas le comportement de ces derniers, mais la responsabilité directe de l’Etat qui l’a placé dans un lieu inadapté.

60. La Cour rappelle que l’article 13 de la Convention garantit l’existence en droit interne d’un recours permettant de se prévaloir des droits et libertés de la Convention tels qu’ils peuvent s’y trouver consacrés. La portée de l’obligation que l’article 13 fait peser sur les Etats contractants varie en fonction de la nature du grief du requérant. Toutefois, le recours exigé par l’article 13 doit être « effectif » en pratique comme en droit. L’« effectivité » d’un « recours » au sens de l’article 13 ne dépend pas de la certitude d’une issue favorable pour le requérant. De même, l’« instance » dont parle cette disposition n’a pas besoin d’être une institution judiciaire, mais alors ses pouvoirs et les garanties qu’elle présente entrent en ligne de compte pour apprécier l’effectivité du recours s’exerçant devant elle. En outre, l’ensemble des recours offerts par le droit interne peut remplir les exigences de l’article 13, même si aucun d’eux n’y répond en entier à lui seul (voir, parmi beaucoup d’autres, Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 157, CEDH 2000-XI).

61. En l’occurrence, la Cour a déjà admis que le droit interne offrait au requérant la possibilité de se plaindre auprès du procureur des conditions de sa détention. La Cour n’a pas pour autant accueilli l’exception de non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement, considérant que l’évocation par le requérant de sa situation dans sa demande tendant à obtenir la suspension de la mesure d’expulsion suffisait pour informer les autorités nationales des conditions de sa détention (voir paragraphes 40-41 ci-dessus). En témoigne par ailleurs son transfert à la prison de Larissa, intervenu dix jours après qu’il eut formulé dans sa demande mentionnée ci-dessus ses griefs au titre de l’article 3 de la Convention (voir paragraphe 15 ci-dessus). Ce dernier ne saurait donc affirmer qu’il ne disposait d’aucune voie de recours lui permettant, le cas échéant, d’obtenir le redressement de ses griefs.

62. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

2. Sur l’article 13, combiné avec l’article 5 de la Convention

63. La Cour rappelle que l’article 13 exige un recours interne pour les seules plaintes que l’on peut estimer « défendables » au regard de la Convention (voir, entres autres, Powell et Rayner c. Royaume-Uni, arrêt du 21 février 1990, série A no 172, p. 14, § 31 ; Čonka c. Belgique, no 51564/99, §§ 75-76, CEDH 2002-I). Compte tenu des considérations ci-dessus quant aux griefs tirés de la légalité de la détention du requérant (voir paragraphes 55-56), la Cour estime que celui-ci n’a pas en l’espèce de grief « défendable », au sens de l’article 13.

64. Il s’ensuit que ce grief doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

IV. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

65. Invoquant l’article 6 § 1, combiné avec l’article 14 de la Convention, le requérant se plaint en outre que les autorités judiciaires ont été partiales à son égard et ont retardé de manière injustifiée sa libération, en raison de sa nationalité albanaise. Enfin, le requérant se plaint, sous l’angle de l’article 2 du Protocole no 7, d’avoir été de fait privé de son droit d’interjeter appel. Il prétend notamment que « l’exécution de l’expulsion lui [a] donné sa liberté au détriment du droit d’interjeter appel ».

Sur la recevabilité

66. La Cour observe que le requérant n’a fourni aucune explication ou information pertinente à propos de ces griefs, dont il n’a d’ailleurs plus fait état au cours de la procédure. Ces griefs ne sont donc aucunement étayés.

67. En tout état de cause, compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, et dans la mesure où elle était compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour n’a relevé aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention ou ses Protocoles.

68. Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

V. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

69. Aux termes de larticle 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

70. Le requérant réclame 20 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il aurait subi.

71. Le Gouvernement estime qu’un constat de violation constituerait en soi une satisfaction équitable suffisante.

72. La Cour estime que le requérant a subi un tort moral certain. Statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, elle lui accorde 5 000 EUR à ce titre, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt.

B. Frais et dépens

73. Le requérant demande également 6 500 EUR pour les frais et dépens encourus devant les juridictions internes. Il n’y joint ni facture ni note d’honoraires, mais seulement un tableau par lequel son avocat détaille ses honoraires.

74. Le Gouvernement affirme que les prétentions du requérant sont excessives et non justifiées. Il estime que la somme allouée à ce titre ne saurait dépasser 500 EUR.

75. Selon la jurisprudence constante de la Cour, l’allocation de frais et dépens au titre de l’article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000-XI).

76. En l’espèce, la Cour observe que les prétentions du requérant au titre des frais et dépens ne sont pas accompagnées des justificatifs nécessaires. Il convient donc d’écarter sa demande.

C. Intérêts moratoires

77. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré des conditions de détention du requérant et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention ;

3. Dit

a) que lEtat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 5 000 EUR (cinq mille euros) pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 27 juillet 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Søren Nielsen Loukis Loucaides
Greffier Président