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TROISIÈME SECTION
AFFAIRE BARTOS c. ROUMANIE
(Requête no 12050/02)
ARRÊT
STRASBOURG
20 juillet 2006
DÉFINITIF
20/10/2006
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Bartos c. Roumanie,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. B.M. Zupančič, président,
J. Hedigan,
L. Caflisch,
C. Bîrsan,
Mme A. Gyulumyan,
MM. E. Myjer,
David Thór Björgvinsson, juges,
et de M. V. Berger, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 29 juin 2006,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 12050/02) dirigée contre la Roumanie et dont une ressortissante de cet Etat, Mme Doina Elena Bartos (« la requérante »), a saisi la Cour le 11 janvier 2002 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. La requérante, qui a été admise au bénéfice de l’assistance judiciaire, est représentée par Me Dan Sergiu Oprea, avocat à Braşov. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme R. Rizoiu, puis par Mme B. Rămăşcanu, du ministère des Affaires étrangères.
3. La requérante alléguait une atteinte au principe de la sécurité des rapports juridiques, ainsi qu’une atteinte au droit au respect des biens, en raison de l’annulation d’un arrêt définitif à la suite de l’introduction d’un recours en annulation par le procureur général.
4. Le 11 mars 2005, le président de la troisième section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant de l’article 29 § 3 de la Convention, il a décidé que la recevabilité et le bien‑fondé de l’affaire seraient examinés en même temps.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. La requérante est née en 1937 et réside à Budapest.
6. A la suite de l’établissement de la requérante à l’étranger en 1989, l’Etat prit possession d’un bien immobilier, composé d’une maison et du terrain afférent, qui appartenait à la requérante.
7. En 1992, la requérante saisit le tribunal de première instance de Braşov d’une action en revendication du bien susmentionné. Par un jugement du 14 avril 1993, le tribunal fit droit à l’action. Ce jugement devint définitif le 20 avril 1994.
8. Par un jugement du 4 octobre 1994, le tribunal de première instance de Braşov décida que les époux L., locataires occupant l’immeuble depuis 1989 en vertu d’un contrat de bail conclu avec l’Etat, devaient conclure un nouveau bail avec la requérante.
9. Le 9 mai 1995, la Cour suprême de justice admit le recours en annulation introduit par le procureur général à l’encontre du jugement du 14 avril 1993.
10. Par un contrat conclu le 11 octobre 1996 avec l’Etat, les époux L. achetèrent l’immeuble. Toutefois, l’action de la requérante en annulation de ce contrat fut accueillie par un jugement du 6 mars 1997 du tribunal de première instance de Braşov. Ce jugement devint définitif le 7 décembre 1998 à la suite du rejet du recours formé par les époux L.
11. Entre-temps, par un jugement du 27 juin 1995, le tribunal de première instance de Braşov accueillit une nouvelle action en revendication introduite par la requérante à l’encontre de l’Etat. Ce jugement fut confirmé par un arrêt définitif du 9 octobre 1998 de la cour d’appel de Braşov.
12. Le 15 novembre 1999, la requérante entama une procédure d’expulsion des époux L., à l’issue de laquelle, le 31 mars 2000, elle reprit possession de l’immeuble.
13. Par une action introduite le 2 août 1999 devant le tribunal de première instance de Braşov, les époux L. demandèrent à la requérante le remboursement du coût des travaux qu’ils avaient effectués dans la maison.
14. La requérante forma une demande reconventionnelle par laquelle elle réclama des dommages et intérêts pour diverses dégradations de la maison, ainsi que les loyers que les époux L. auraient dû, selon elle, lui verser depuis le 1er juin 1994.
15. Par un jugement du 27 octobre 2000, s’appuyant sur les conclusions de deux expertises techniques et sur les constatations personnelles du juge à l’occasion d’un transport sur les lieux, le tribunal rejeta l’action principale et la demande reconventionnelle. Il estima que les anciens locataires n’avaient pas le droit de se voir rembourser le coût des travaux, car ils les avaient effectués en l’absence d’autorisations légales. Quant à la demande de la requérante, il jugea que les travaux en cause ne constituaient pas des dégradations de la maison et que les époux L. n’étaient pas tenus de lui payer des loyers, dès lors qu’ils n’avaient conclu aucun bail avec elle.
16. Sur appel de la requérante, par un arrêt du 24 avril 2001, le tribunal départemental de Braşov jugea que les travaux effectués n’étaient ni utiles ni de nature à augmenter la valeur de l’immeuble, mais qu’ils avaient, au contraire, endommagé l’immeuble.
17. S’appuyant sur le jugement du 4 octobre 1994 du tribunal de première instance de Braşov, qui avait condamné les époux L. à conclure un bail avec la requérante, ainsi que sur le fait que leur contrat d’achat de l’immeuble avait été annulé, le tribunal estima qu’ils devaient verser à la requérante le montant des loyers pour la période du 1er juin 1994 au 15 novembre 1999.
18. Il les condamna également au paiement d’une indemnité pour la réhabilitation de l’immeuble, ainsi qu’au remboursement des frais et dépens, soit au total 84 741 747 lei roumains (ROL).
19. Sur recours des époux L., cet arrêt fut confirmé par un arrêt définitif du 24 septembre 2001 de la cour d’appel de Braşov.
20. Au cours du mois de novembre 2001, la requérante vendit l’immeuble à un tiers.
21. A la fin du mois de mars 2002, les époux L. versèrent à la requérante la somme octroyée par le tribunal départemental.
22. A une date non précisée, sur demande des époux L., le procureur général forma devant la Cour suprême de justice un recours en annulation contre le jugement du tribunal de première instance et les deux arrêts du tribunal départemental et de la cour d’appel.
23. Il fit valoir qu’en interprétant les pièces du dossier et la législation interne, les tribunaux avaient commis de graves erreurs de droit, entraînant une mauvaise solution du litige. Il argua que les travaux effectués par les époux L. étaient nécessaires et utiles et qu’ils avaient augmenté la valeur de l’immeuble. Quant au versement des loyers, il estima qu’en l’absence de contrat de bail, ils n’étaient pas dus.
24. Invoquant le principe de l’autorité de la chose jugée de l’arrêt du 24 septembre 2001, la requérante demanda le rejet du recours en annulation.
25. Par un arrêt du 19 novembre 2002, la Cour suprême de justice accueillit les arguments du procureur général et cassa les décisions contestées.
26. Sur le fond, la Cour suprême de justice fit droit à l’action des époux L. et condamna la requérante à leur verser des dommages et intérêts représentant le coût des travaux, à savoir 92 158 026 ROL.
27. Le 7 novembre 2005, sur demande des époux L. qui réclamaient le versement de la somme susmentionnée, un huissier de justice ouvrit une procédure en exécution forcée sur les biens de la requérante. Cette dernière introduisit, devant le tribunal de première instance de Braşov, une contestation qui est toujours pendante.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
28. A l’époque des faits, les articles pertinents du code de procédure civile disposaient :
Article 330
« Le procureur général peut, soit d’office soit à la demande du ministre de la justice, former, devant la Cour suprême de justice, un recours en annulation contre une décision définitive et irrévocable pour les motifs suivants :
1. lorsque les tribunaux ont dépassé leurs compétences,
2. lorsque la décision, objet du recours en annulation, a méconnu essentiellement la loi, ce qui a entraîné une solution erronée sur le fond de l’affaire, ou lorsque cette décision est manifestement mal fondée. »
Article 3301
« Dans les cas prévus aux §§ 1 et 2 de l’article 330, le recours en annulation peut être formé dans un délai d’un an à partir de la date où la décision visée est devenue définitive et irrévocable. »
29. Les articles 330 et 3301 ont été abrogés par l’article I § 17 de l’ordonnance d’urgence du gouvernement no 58 du 25 juin 2003.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
30. La requérante soutient que la remise en cause par la Cour suprême de justice des arrêts définitifs des 24 avril et 24 septembre 2001 a enfreint le principe de la sécurité des rapports juridiques. Elle allègue de ce fait une violation de l’article 6 § 1 de la Convention, qui se lit ainsi dans sa partie pertinente :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal indépendant et impartial (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
A. Sur la recevabilité
31. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève en outre qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité.
B. Sur le fond
32. Le Gouvernement renvoie à l’affaire Brumărescu, où la Cour a conclu à la violation de l’article 6 § 1 en raison de la remise en cause d’un jugement définitif à la suite de l’introduction d’un recours en annulation par le procureur général, qui disposait à cette fin d’un pouvoir discrétionnaire (Brumărescu c. Roumanie, [GC], no 28342/95, § 62, CEDH 1999-VII).
33. Toutefois, le Gouvernement souligne qu’en l’espèce, à la différence de l’affaire précitée, le recours en annulation a été introduit dans le délai légal d’un an à partir de la date du dernier arrêt contesté et qu’il n’était pas l’expression d’un pouvoir discrétionnaire du procureur général.
34. Le Gouvernement considère qu’en rejetant la demande de remboursement du coût des travaux effectués par les époux L. et en condamnant ces derniers à verser à la requérante des loyers, le tribunal départemental et la cour d’appel ont commis une erreur dans l’appréciation des faits et l’application du droit, dès lors que les travaux en question ont augmenté la valeur de l’immeuble et qu’aucun contrat de bail n’avait été conclu avec la requérante.
35. Par conséquent, le Gouvernement estime que l’introduction d’un recours en annulation devant la Cour suprême de justice était la seule possibilité pour rétablir l’ordre juridique affecté par les erreurs des juridictions susmentionnées.
36. La requérante conteste les arguments du Gouvernement et maintient que l’annulation des arrêts définitifs des 24 avril et 24 septembre 2001 a enfreint le principe de la sécurité des rapports juridiques. Elle ajoute qu’en accueillant le recours en annulation, la Cour suprême de justice a fait également preuve d’un manque d’indépendance et d’impartialité.
37. La Cour rappelle que le droit à un procès équitable devant un tribunal, garanti par l’article 6 § 1 de la Convention, doit s’interpréter à la lumière du préambule de la Convention, qui énonce la prééminence du droit comme élément du patrimoine commun des Etats contractants.
38. Un des éléments fondamentaux de la prééminence du droit est le principe de la sécurité des rapports juridiques, qui veut, entre autres, que la solution donnée de manière définitive à tout litige par les tribunaux ne soit plus remise en cause (Brumarescu, précité, § 61). En vertu de ce principe, aucune partie n’est habilitée à solliciter la supervision d’un jugement définitif et exécutoire à la seule fin d’obtenir un réexamen de l’affaire et une nouvelle décision à son sujet (Riabykh c. Russie, no 52854/99, § 52, CEDH 2003‑IX).
39. En l’espèce, pour autant que le Gouvernement soutient que les arrêts des 24 avril et 24 septembre 2001 étaient le résultat d’une erreur dans l’appréciation des faits et l’application du droit, la Cour rappelle que le simple fait qu’il puisse exister deux points de vue sur le sujet n’est pas un motif suffisant pour rejuger une affaire (Riabykh, précité, § 52).
40. Quant au délai d’introduction du recours en annulation, bien qu’en l’espèce, à la différence de l’affaire Brumărescu précitée, où le procureur général n’était tenu par aucun délai, l’exercice de cette voie de recours extraordinaire soit intervenu dans le délai légal d’un an prévu par l’article 3301 du code de procédure civile, la Cour estime que cette différence n’est pas de nature à déterminer une approche différente de l’affaire Brumărescu (voir également SC Maşinexportimport Industrial Group SA c. Roumanie, no 22687/03, § 36, 1er décembre 2005).
41. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que l’annulation des arrêts définitifs des 24 avril et 24 septembre 2001 a porté atteinte au droit de la requérante à un procès équitable.
42. Par conséquent, il y a eu violation de l’article 6 § 1.
43. Au vu des conclusions qui précèdent, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément le grief de la requérante relatif au prétendu manque d’indépendance et d’impartialité de la Cour suprême de justice, ce grief ne constituant qu’un aspect particulier du droit à un procès équitable consacré par l’article 6 § 1, qui a déjà été examiné par la Cour.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1
44. La requérante se plaint que l’arrêt de la Cour suprême de justice du 19 novembre 2002 a eu pour effet de porter atteinte à son droit au respect de ses biens, tel que reconnu à l’article 1 du Protocole no 1, ainsi libellé :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »
A. Sur la recevabilité
45. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève en outre qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité.
B. Sur le fond
46. Le Gouvernement reconnaît qu’en vertu des arrêts définitifs des 24 avril et 24 septembre 2001, la requérante s’est vue reconnaître une créance sur les époux L. Il admet également que l’annulation de cette créance, ainsi que la condamnation de la requérante à verser des dommages et intérêts, ont constitué une ingérence dans son droit au respect de ses biens. Toutefois, il estime que l’ingérence était compatible avec les dispositions de l’article 1 du Protocole no 1, dès lors qu’elle était légale et qu’elle poursuivait un but légitime.
47. S’agissant du respect du principe de légalité, le Gouvernement fait valoir que l’ingérence se fonde sur les dispositions des articles 330 et 3301 du code de procédure civile, tel qu’ils étaient rédigés à l’époque des faits.
48. Quant au but légitime visé, le Gouvernement allègue que l’ingérence était nécessaire pour rétablir l’ordre juridique à la suite de l’erreur commise par le tribunal départemental et la cour d’appel.
49. Enfin, le Gouvernement estime que l’arrêt de la Cour suprême de justice n’a pas eu de conséquences réelles sur les droits patrimoniaux de la requérante, dès lors que les époux L. n’ont pas demandé le remboursement de la somme qu’ils lui ont versée.
50. La requérante maintient que l’arrêt du 19 novembre 2002 de la Cour suprême de justice a entraîné une violation de son droit au respect de ses biens.
51. La Cour note tout d’abord qu’il n’est pas contesté qu’en vertu des arrêts définitifs des 24 avril et 24 septembre 2001, la requérante avait une créance suffisamment établie pour être exigible. D’ailleurs, les époux L. lui ont versé la somme litigieuse, dont elle a pu jouir en toute tranquillité jusqu’à l’arrêt de la Cour suprême de justice qui a annulé cette créance et l’a condamnée à verser des dommages et intérêts pour les travaux effectués par les époux L.
52. Bien qu’à ce jour, et malgré une procédure en exécution forcée sur ses biens, la requérante ne se soit pas encore conformée à l’arrêt de la Cour suprême de justice, la Cour estime que l’annulation de sa créance et la condamnation à des dommages et intérêts ont eu pour effet de la priver de ses biens, au sens de la seconde phrase du premier alinéa de l’article 1 du Protocole no 1 (voir, mutatis mutandis, SC Maşinexportimport Industrial Group SA, précité, § 44).
53. Une privation de propriété relevant de cette norme peut seulement se justifier si l’on démontre notamment qu’elle est intervenue pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi. De surcroît, toute ingérence dans la jouissance de la propriété doit répondre au critère de proportionnalité (Brumărescu, précité, §§ 73-74).
54. En l’espèce, la Cour note d’emblée qu’il n’est pas contesté que l’ingérence dans le droit de la requérante au respect de ses biens est intervenue dans les conditions prévues par la loi, à savoir les dispositions du code de procédure civile régissant le recours en annulation.
55. Quant à la justification de cette ingérence, la Cour observe que le Gouvernement expose que l’intervention du procureur général était nécessaire afin de rétablir l’ordre juridique que les erreurs de jugement du tribunal départemental et de la cour d’appel auraient méconnu.
56. A cet égard, la Cour réitère son constat fait lors de l’examen du grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention, à savoir que le respect du principe de la sécurité des rapports juridiques s’oppose à ce que des décisions de justice passées en force de chose jugée soient remises en cause en raison du seul fait qu’il existe deux points de vue sur le sujet. Or, en l’espèce, la Cour note, d’une part, que les époux L. ont bénéficié d’un jugement sur le fond et de deux voies de recours ordinaires pour faire valoir leurs arguments et, d’autre part, que le procureur général n’a soulevé devant la Cour suprême de justice aucun nouvel argument qui n’ait été dûment examiné par les juridictions ordinaires.
57. En outre, à supposer même que l’on puisse démontrer que la privation de propriété ait servi une cause d’intérêt public eu égard au fait que l’intervention du procureur général, après la fin de la procédure à laquelle il n’était pas partie, a conduit non seulement à l’annulation de la créance de la requérante, mais à sa condamnation à verser des dommages et intérêts, la Cour estime qu’une atteinte aussi radicale aux droits de la requérante a rompu, en sa défaveur, le juste équilibre à ménager entre la protection de la propriété et les exigences de l’intérêt général.
58. Partant, il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1.
III. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES
59. La requérante s’estime victime de « nombreuses injustices » qui constitueraient autant d’atteintes au droit à la vie, à la liberté et à la sûreté, au respect de la vie familiale, à un recours effectif, à la liberté de circulation et à l’interdiction de l’abus de droit, garantis par les articles 2, 5, 8, 13 et 17 de la Convention et l’article 2 du Protocole no 4.
60. Compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, et dans la mesure où elle est compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour n’a relevé aucune apparence de violation de ces droits et libertés garantis par la Convention et ses Protocoles.
61. Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
62. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
63. La requérante réclame au titre du préjudice matériel, la somme de 40 750 euros (EUR) pour les loyers dont elle a été privée entre le 1er juin 1994 et le 31 mars 2000. Elle demande également 586 EUR pour la dégradation de son immeuble par les époux L.
64. Elle sollicite 10 000 EUR au titre du préjudice moral qu’elle a subi en raison de l’impossibilité d’utiliser son immeuble et de la souffrance que lui aurait infligée l’arrêt de la Cour suprême de justice, qui a effacé plusieurs années de procédures judiciaires.
65. Le Gouvernement conteste ces prétentions. Il fait valoir que par l’arrêt du 24 avril 2001, le tribunal départemental de Braşov a octroyé à la requérante une indemnité pour les loyers non perçus et pour les dégradations de l’immeuble. Il ajoute que malgré l’annulation de cet arrêt par la Cour suprême de justice, la requérante n’a toujours pas restitué cette indemnité aux époux L.
66. Quant à la somme réclamée au titre du préjudice moral, le Gouvernement soutient qu’il n’existe aucun lien direct entre les violations alléguées et un éventuel préjudice moral.
67. La Cour constate que la requérante s’est vue verser la somme allouée par l’arrêt du 24 avril 2001, le tribunal départemental de Braşov et qu’elle en garde toujours la possession. La Cour note également que, malgré une procédure en exécution forcée qui est en cours, la requérante n’a pas versé aux époux L. les dommages et intérêts auxquels elle a été condamnée par l’arrêt du 19 novembre 2002 de la Cour suprême de justice.
68. Dès lors, la Cour estime qu’aucune somme ne saurait être allouée à la requérante au titre du préjudice matériel en liaison directe avec la violation constatée des articles 6 § 1 de la Convention et 1 du Protocole no 1.
69. S’agissant de la réparation du préjudice moral, la Cour estime que la requérante a subi un tort moral indéniable en raison de l’annulation de sa créance ainsi que de sa condamnation à verser des dommages et intérêts.
70. Eu égard à l’ensemble des éléments en sa possession et statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, la Cour décide d’allouer à la requérante 2 000 EUR au titre du préjudice moral.
B. Frais et dépens
71. La requérante demande le remboursement de 955 EUR au titre des coûts de la procédure interne représentant des dépenses diverses telles que le paiement des droits de timbre, des photocopies, des expertises techniques et des frais de voyage. Elle demande en outre 210 EUR pour les frais de la procédure devant la Cour.
72. Le Gouvernement ne s’oppose pas au remboursement des frais encourus, sur présentation de pièces justificatives. Toutefois, il souligne que dans le cadre de la procédure interne, la requérante s’est déjà vue rembourser en partie les coûts exposés lors de cette procédure.
73. Selon la jurisprudence constante de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux.
74. Pour ce qui est des coûts de la procédure devant les juridictions internes ordinaires, la Cour note d’emblée que par l’arrêt du 24 avril 2001, confirmé par l’arrêt de la cour d’appel de Braşov du 24 septembre 2001, la requérante en a obtenu le remboursement.
75. La Cour rappelle ensuite avoir conclu à la violation des articles 6 § 1 et 1 du Protocole no 1 en raison de l’annulation par la Cour suprême de justice des deux arrêts susmentionnés. Il convient, dès lors, d’accorder à la requérante les frais et dépens afférents à la procédure devant cette dernière juridiction.
76. S’agissant des frais relatifs à la procédure devant elle, la Cour note que la requérante, qui a bénéficié de l’assistance judiciaire du Conseil de l’Europe, réside en Hongrie et a exposé des frais supplémentaires pour la correspondance avec la Cour et avec son avocat, ainsi que lors de plusieurs voyages effectués en Roumanie pour les besoins de la requête.
77. Compte tenu des éléments en sa possession, ainsi que de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime raisonnable d’octroyer à la requérante la somme de 1 000 EUR tous frais confondus.
C. Intérêts moratoires
78. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés des articles 6 § 1 de la Convention et 1 du Protocole no 1 et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 ;
4. Dit
a) que l’Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :
i. 2 000 EUR (deux mille euros) pour dommage moral ;
ii. 1 000 EUR (mille euros) pour frais et dépens ;
iii. tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur lesdites sommes ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 20 juillet 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Vincent Berger Boštjan M. Zupančič
Greffier Président