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TROISIÈME SECTION
AFFAIRE PIETRO ET AUTRES c. ROUMANIE
(Requête no 8402/03)
ARRÊT
STRASBOURG
20 juillet 2006
DÉFINITIF
20/10/2006
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Pietro et autres c. Roumanie,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. B.M. Zupančič, président,
J. Hedigan,
L. Caflisch,
C. Bîrsan,
Mme A. Gyulumyan,
MM. E. Myjer,
David Thór Björgvinsson, juges,
et de M. V. Berger, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 29 juin 2006,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 8402/03) dirigée contre la Roumanie et dont cinq ressortissants de cet Etat, M. Bernardis Pietro et Mmes Elena Pietro, Gioconda Rozina Cojocaru, Doina-Mariana Stoica et Marcela Fenato (« les requérants »), ont saisi la Cour le 6 janvier 2003 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Les requérants sont représentés par M. V. Vartolomei. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme B. Ramaşcanu.
3. Le 16 juin 2005, la Cour (troisième section) a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant de l’article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l’affaire.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
4. Les requérants sont nés respectivement en 1927, 1921, 1926, 1948 et 1932 et résident à Ploiesti.
5. En 1950, en vertu du décret de nationalisation no 92/1950, l’Etat prit possession de deux immeubles sis à Ploieşti respectivement au no 102 de la rue Lupeni et au no 24 de la rue Rareş Voda, qui étaient la propriété de S.P., dont les héritiers sont les requérants.
A. Action en restitution de propriété fondée sur la loi no 112/1995
6. Par une décision du 23 décembre 1996, la commission près le conseil départemental de Prahova chargée de l’application de la loi no 112/1995 sur le régime juridique de certains biens immeubles nationalisés (« la commission départementale » et « la loi no 112/1995 ») rejeta la demande des requérants de restitution des immeubles susmentionnés, décidant de leur octroyer des dédommagements d’un montant total de 83 735 618 lei roumains (« ROL »), à actualiser au moment du paiement.
7. Les 20 décembre 1996 et 15 janvier 1997 respectivement, la société commerciale C. (« la S.C. C. »), mandataire de la mairie de Ploieşti, vendit en vertu de la loi no 112/1995 les deux immeubles en question aux locataires de l’Etat, à l’exception du rez-de-chaussée de l’immeuble sis au no 102 de la rue Lupeni, sans en aviser les requérants.
8. Le 28 janvier 1997, les requérants saisirent le tribunal de première instance de Ploieşti d’une action tendant à la modification de la décision du 23 décembre 1996, qu’ils dirigèrent contre la commission départementale, le conseil départemental de Prahova et le conseil municipal de Ploiesti. Ils demandèrent à cet égard la restitution des deux immeubles, au motif que la nationalisation avait été illégale.
9. Par un jugement du 14 avril 1998, le tribunal de première instance de Ploieşti accueillit partiellement l’action des requérants et modifia la décision administrative du 23 décembre 1996, leur restituant l’immeuble sis au no 102 de la rue Lupeni et leur octroyant des dédommagements d’un montant de 94 499 719 ROL pour immeuble sis au no 24 de la rue Rareş Voda, conformément aux conclusions d’une expertise technique effectuée au cours de la procédure.
10. Par un arrêt du 2 avril 1999, rendu en dernier ressort, la cour d’appel de Ploieşti cassa partiellement le jugement précité. Elle restitua aux requérants uniquement le rez-de-chaussée de l’immeuble sis au no 102 de la rue Lupeni, considéré comme une unité d’habitation individualisée, au motif que l’étage de celui-ci était occupé par T.M., locataire de l’Etat, et confirma le reste du dispositif du jugement du 14 avril 1998.
B. Action en revendication et en annulation du contrat de vente portant sur l’immeuble sis au no 102 de la rue Lupeni
11. Le 18 novembre 1999, les requérants introduisirent devant les juridictions une action contre la mairie de Ploieşti, la S.C. C. et T.M. ayant pour objet la revendication de l’immeuble sis au no 102 de la rue Lupeni, ainsi que l’annulation du contrat de vente conclu le 15 janvier 1997 et portant sur l’étage de cet immeuble.
12. Par un arrêt du 20 septembre 2001, rendu en dernier ressort, la cour d’appel de Ploieşti rejeta l’action des requérants. Elle jugea que les requérants avaient implicitement reconnu la légalité de la nationalisation en introduisant antérieurement une procédure fondée sur la loi no 112/1995, que le décret de nationalisation no 92/1950 avait été correctement appliqué à S.P. en 1950, et que le contrat de vente du 15 janvier 1997 respectait les conditions requises par la loi susmentionnée. Le 12 août 2002, les requérants furent informés du refus du parquet près la Cour suprême de Justice de former un recours en annulation contre l’arrêt précité.
C. Démarches des requérants tendant à l’exécution de l’arrêt du 2 avril 1999 de la cour d’appel de Ploieşti
13. Par une lettre du 31 janvier 2001, la mairie de Ploieşti informa les requérants qu’afin d’être mis en possession du rez-de-chaussée de l’immeuble sis au no 102 de la rue Lupeni, ils devaient se rendre à la mairie pour signer un procès-verbal. Le requérants refusèrent au motif qu’un tel procès-verbal impliquait une reconnaissance du droit de propriété de T.M. sur l’étage de la maison en question et sur le terrain y afférent. En outre, ils considéraient qu’en réalité le rez-de-chaussée n’était pas habitable en tant qu’appartement distinct de l’étage, en raison notamment de l’entrée commune située au rez-de-chaussée.
14. Le 23 novembre 2001, le tribunal de première instance de Ploiesti fit droit à la demande des requérants du 22 novembre 2001 et revêtit de la formule exécutoire son jugement du 14 avril 1998, tel que modifié par l’arrêt du 2 avril 1999 par la cour d’appel de Ploieşti.
15. Par deux lettres des 28 novembre et 10 décembre 2001, les requérants s’adressèrent respectivement à la mairie de Ploieşti et au conseil municipal de Ploieşti afin d’obtenir le paiement des dédommagements fixés pour l’immeuble sis au no 24 de la rue Rareş Voda par l’arrêt du 2 avril 1999, actualisés au jour du paiement.
16. Par une lettre du 8 janvier 2002, le conseil local de Ploieşti informa les requérants que pour l’exécution de l’arrêt du 2 avril 1999, ils devaient s’adresser à la commission départementale, afin que celle-ci modifie sa décision du 23 décembre 1996 et, ultérieurement, à la direction départementale des finances publiques de Prahova (« la D.F.P.P. »). Par une lettre du 17 janvier 2002, la mairie de Ploiesti conseilla également aux requérants de demander l’exécution de l’arrêt du 2 avril 1999 à la D.F.P.P., qui était compétente en la matière.
17. Par deux lettres des 23 janvier 2002, les requérants demandèrent à la D.F.P.P. et au conseil départemental de Prahova le paiement du montant actualisé des dédommagements fixés pour l’immeuble sis au no 24 de la rue Rareş Voda par l’arrêt du 2 avril 1999 de la cour d’appel de Ploiesti, en joignant une copie de cet arrêt ainsi que des lettres précitées des 8 et 17 janvier 2002. La D.F.P.P. ne leur fournit aucune réponse. Par une lettre du 14 février 2002, le conseil départemental leur recommanda de se présenter à la S.C. C. pour la réactualisation des dédommagements. Il ne ressort pas du dossier que les requérants aient suivi cette recommandation.
18. Le 15 avril 2002, les requérants mandatèrent un huissier de justice afin d’obtenir l’exécution forcée de l’arrêt du 2 avril 1999. Il ressort du mandat que l’huissier s’engageait à saisir les juridictions d’une demande de saisie-attribution du compte bancaire du conseil municipal de Ploieşti, ce qu’il obtint par un jugement du 2 avril 2002 du tribunal de première instance de Ploiesti.
19. Les 15 avril et 24 mai 2002, l’huissier de justice avisa la D.F.P.P, en sa qualité de tiers saisi, de la créance des requérants contre le conseil municipal de Ploiesti fondée sur l’arrêt du 2 avril 1999 susmentionné et de la procédure d’exécution forcée pendante.
20. Dans une lettre du 12 juillet 2002 adressée au tribunal de première instance de Ploiesti, la D.F.P.P estima que la procédure d’exécution forcée des revenus budgétaires n’avait pas été respectée en l’espèce, car les requérants auraient dû demander l’inscription de leur créance au rôle du budget municipal et attendre par la suite que le conseil municipal prévoie le paiement des dédommagements en question dans son budget. La D.F.P.P précisa que, de toute manière, elle ne devait pas être tiers saisi dans la procédure d’exécution, puisqu’elle n’avait pas été partie à la procédure tranchée par l’arrêt du 2 avril 1999 de la cour d’appel de Ploiesti et n’avait donc aucune obligation juridique à l’égard des requérants.
21. Par un arrêt du 26 novembre 2002, la cour d’appel de Ploieşti rejeta en dernier ressort la demande de saisie du compte bancaire du conseil municipal introduite par l’huissier de justice au motif qu’en ce qui concernait les dédommagements, l’obligation de paiement incombait en effet à la D.F.P.P., en vertu de l’article 13 de la loi no 112/1995, même si l’arrêt du 2 avril 1999 avait été rendu contre le conseil municipal.
22. Il ressort des pièces du dossier que les requérants n’introduisirent pas devant les tribunaux une nouvelle demande d’exécution forcée contre la D.F.P.P. par l’intermédiaire de l’huissier de justice, car une telle démarche impliquait de leur part la conclusion d’un nouveau contrat de mandat avec ce dernier et le paiement de nouveaux honoraires qu’ils ne pouvaient pas se permettre en tant que retraités.
23. Par une lettre du 5 février 2004, les requérants invitèrent la D.F.P.P. à répondre à leur demande du 23 janvier 2002 et à leur expliquer les raisons de l’absence de toute réponse. Ils y indiquèrent qu’ils avaient déjà introduit une requête devant la Cour européenne des Droits de l’Homme.
24. Par une lettre du 9 février 2004, la D.F.P.P. répondit aux lettres des requérants des 23 janvier 2002 et 5 février 2004 leur précisant qu’ils devaient lui soumettre leurs coordonnés bancaires et une déclaration authentifiée relative à la modalité de partage des dédommagements entre eux, et s’adresser à la S.C. C. pour l’actualisation du montant des dédommagements.
25. Le 13 février 2004, les requérants demandèrent à la S.C. C. d’actualiser le montant en question et, en l’absence de réponse de cette dernière, ils envoyèrent le 10 juin 2004 une nouvelle lettre à la D.F.P.P. qui leur rappela d’envoyer à la S.C. C. tous les documents nécessaires. Le 16 juillet 2004, les requérants fournirent à la S.C. C. une copie des conclusions de l’expert de la procédure fondée sur la loi no 112/1995, qui leur avait été demandée le 12 juillet 2004.
26. En réponse à une nouvelle lettre des requérants du 14 octobre 2004, la S.C. C. leur envoya le 22 octobre 2004 une lettre indiquant le montant actualisé des dédommagements fixés par l’arrêt du 2 avril 1999 pour l’immeuble sis au no 24 de la rue Rareş Voda, soit 585 934 134 ROL. La lettre précisait également que le montant maximum qu’aurait pu être octroyé en vertu de la loi no 112/1995 était de 1 398 954 720 ROL (article 13 § 2).
27. Après avoir reçu de la part des requérants leur déclaration authentifiée du 7 décembre 2004 relative au partage volontaire des dédommagements, le 10 décembre 2004, la D.F.P.P. effectua le virement bancaire du montant de 585 934 134 ROL sur les comptes bancaires des requérants.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
A. Le code de procédure civile
28. Les articles pertinents sont ainsi libellés :
Article 373
« Les décisions de justice (...) sont exécutées [à défaut d’exécution de bon gré] par l’huissier de justice de la circonscription territoriale du tribunal de première instance du lieu où l’exécution sera réalisée, lorsque les biens sur lesquels porte l’exécution y sont situés (...) »
Article 374
« Aucune jugement ne peut être exécuté s’il n’est pas revêtu de la formule exécutoire (...) à l’exception des jugements avant dire droit exécutoires et d’autres décisions prévues par la loi.
La juridiction de premier ressort est compétente en matière d’apposition de la formule exécutoire. (...) »
B. La loi no 188/2000 sur les huissiers de justice
29. Les articles pertinents sont libellés comme suit :
Article 1
« 1) Les huissiers de justice sont chargés de l’exécution forcée des obligations civiles prévues par les titres exécutoires (...) »
Article 2
« 1) Les huissiers de justice sont chargés d’accomplir un service d’intérêt public.
2) L’acte effectué par un huissier de justice dans les limites de sa compétence légale et qui porte son cachet et sa signature ainsi qu’un numéro d’enregistrement et sa date est une acte d’autorité publique (...) »
C. La loi no 112/1995 sur le régime juridique de certains biens immeubles nationalisés
30. L’article 13 § 2 prévoit que le montant maximum qui peut être alloué au titre de dédommagements pour un immeuble qui n’est pas restitué en nature ne peut pas dépasser la somme des salaires mensuels moyens du pays pour une durée de vingt ans. L’article 13 § 4 se lit comme suit :
« Le paiement des dédommagements sera effectué par le ministère des Finances, par l’intermédiaire des services décentralisées départementales [la D.F.P.P.] (...), dans les comptes bancaires indiqués par les bénéficiaires, en vertu de l’acte qui ordonne l’octroi desdits dédommagements (...) »
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
31. Les requérants se plaignent en substance de l’inexécution par l’administration de l’arrêt du 2 avril 1999 de la cour d’appel de Ploiesti jusqu’au mois de décembre 2004, pour ce qui est des dédommagements octroyés pour l’immeuble sis à Ploieşti au no 24 de la rue Rareş Voda, en méconnaissance de leur droit d’accès à un tribunal, prévu par l’article 6 § 1 de la Convention, qui est ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
A. Sur la recevabilité
32. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
33. Le Gouvernement considère que l’Etat n’a pas une obligation positive de procéder d’office à l’exécution d’une décision définitive à son encontre et qu’il appartient au créancier d’en demander l’exécution. En particulier, il revient au créancier de demander qu’un jugement définitif soit revêtu de la formule exécutoire, condition requise par l’article 374 § 1 du code de procédure civile pour qu’un tel jugement constitue titre exécutoire.
34. En l’espèce, le Gouvernement estime que la période à prendre en considération a débuté le 23 janvier 2002, lorsque les requérants ont demandé à la D.F.P.P., compétente en la matière, le paiement des dédommagements après avoir revêtu l’arrêt du 2 avril 1999 de la formule exécutoire, et s’est terminée le 10 décembre 2004, avec le transfert bancaire des sommes en question. En tout état de cause, il fait valoir que les requérants ne se sont adressés à l’administration à cet égard que le 28 novembre 2001.
35. Le Gouvernement considère que le retard dans l’exécution de l’arrêt susmentionné est imputable aux requérants, qui n’ont pas suivi les instructions de la D.F.P.P. quant aux démarches leur incombant et qui n’ont pas saisi la S.C. C. d’une demande de réactualisation du montant alloué au titre de dédommagements, tel que le conseil départemental de Prahova leur avait indiqué le 14 février 2002. Pour ce qui est des retards enregistrés en 2004, ils sont également dus aux requérants, qui n’ont pas fourni tous les documents nécessaires, soit le rapport d’expertise technique, le numéro de compte bancaire et la déclaration authentifiée concernant la modalité de partage des dédommagements.
36. A titre subsidiaire, invoquant la décision de la Cour dans l’affaire Krapyvnytskiy c. Ukraine (no 60858/00, 17 septembre 2002), le Gouvernement estime que la période de deux ans et presque onze mois ne saurait être considérée comme incompatible avec l’exigence du délai raisonnable garanti par l’article 6 § 1 de la Convention.
37. Les requérants allèguent que les autorités sont responsables du délai dans l’exécution de l’arrêt du 2 avril 1999. A cet égard, ils soulignent qu’ils ont effectué plusieurs démarches afin d’obtenir le paiement des dédommagements en question, s’adressant successivement à la mairie et au conseil municipal de Ploiesti, au conseil départemental de Prahova ainsi qu’à la D.F.P.P. et même à un huissier de justice, mais que toutes ces démarches ont été infructueuses. Par ailleurs, ils estiment que la D.F.P.P. n’a répondu à leur lettre du 5 février 2004 qu’en raison du fait qu’ils ont précisé avoir introduit une requête à la Cour. Pour ce qui est du retard enregistré en 2004, ils mettent en avant le fait que la S.C. C. ne leur a demandé aucun document entre février et juillet 2004.
38. La Cour rappelle que l’exécution d’un jugement ou d’un arrêt, de quelque juridiction que ce soit, doit être considérée comme faisant partie intégrante du « procès », au sens de l’article 6 § 1 de la Convention. Le droit à un tribunal serait illusoire si l’ordre juridique interne d’un Etat contractant permettait qu’une décision judiciaire définitive et obligatoire reste inopérante au détriment d’une partie (Immobiliare Saffi c. Italie [GC], no 22774/93, § 63, CEDH 1999-V).
39. La Cour constate qu’en l’espèce, en vertu d’un arrêt du 2 avril 1999 rendu par la cour d’appel de Ploiesti, les requérants se sont vu allouer des dédommagements d’un montant de 94 499 719 ROL, qui ne leur ont été payés par l’administration que le 10 décembre 2004. Toutefois, elle observe que ce n’est que les 10 décembre 2001 et 23 janvier 2002 respectivement que les requérants ont demandé l’exécution de cet arrêt au conseil municipal de Ploiesti, qui avait été partie à la procédure, et à la D.F.P.P., à laquelle incombait en vertu de la loi no 112/1995 l’obligation de payer les dédommagements en cause. Dès lors, la Cour estime que la période à prendre en considération au regard du délai de l’exécution de l’arrêt susmentionné est d’environ trois ans.
40. La Cour rappelle que l’administration constitue un élément de l’Etat de droit, son intérêt s’identifiant avec celui d’une bonne administration de la justice. Dès lors, si l’administration tarde à exécuter une décision définitive, les garanties de l’article 6 dont a bénéficié le justiciable pendant la phase judiciaire de la procédure perdent toute raison d’être (Hornsby c. Grèce, arrêt du 19 mars 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997‑II, p. 511, § 41).
41. La Cour ne saurait accepter les arguments du Gouvernement quant à la responsabilité des requérants dans le retard de l’exécution au cours de la période susmentionnée. En effet, elle observe notamment que les intéressés n’ont reçu aucune réponse entre le 23 janvier 2002 et le 9 février 2004 de la D.F.P.P. et que cette dernière a même soutenu dans une lettre du 12 juillet 2002 qu’elle n’avait aucune obligation juridique découlant de l’arrêt du 2 avril 1999 envers les requérants, n’ayant pas été partie à la procédure tranchée par cet arrêt. A ce titre, la Cour relève que les requérants ne sauraient être pénalisés pour les erreurs et les défaillances de l’administration ou de l’exécuteur judiciaire, dont les actes sont qualifiés par le droit interne d’actes d’autorité publique (voir, mutatis mutandis, Timofeyev c. Russie, no 58263/00, § 42, 23 octobre 2003, et Platakou c. Grèce, no 38460/97, § 39, CEDH 2001-I). Au vu des diligences accomplies par les requérants et du défaut de réponse ou, au contraire, des instructions souvent différentes reçues des organes chargés d’exécuter l’arrêt du 2 avril 1999 ou de les assister dans cette exécution, la Cour estime que les requérants ne sauraient se voir reprocher le fait de n’avoir pas saisi la S.C. C. en 2002 d’une demande de réactualisation des dédommagements.
42. La Cour rappelle qu’elle a déjà considéré que le défaut des autorités de se conformer, dans un délai raisonnable, à une décision définitive peut entraîner une violation de l’article 6 § 1 de la Convention, surtout quand l’obligation d’exécuter la décision en cause appartient à une autorité administrative, comme c’est le cas en l’espèce (voir, mutatis mutandis, Burdov c. Russie, no 59498/00, §§ 36-38, CEDH 2002-III, Timofeyev, précité, §§ 41-42, et Tacea c. Roumanie, no 746/02, 29 septembre 2005).
43. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que le système mis à la disposition des requérants afin d’obtenir l’exécution de l’arrêt du 2 avril 1999 de la cour d’appel de Ploiesti pour ce qui est des dédommagements alloués par cette juridiction n’a pas été efficace. De plus, en refusant d’exécuter pendant environ trois ans l’obligation de paiement des dédommagements qui leur incombait en vertu de l’arrêt susmentionné, les autorités nationales les ont privés d’un accès effectif à un tribunal.
Par conséquent, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1
44. Les requérants dénoncent une violation de leur droit au respect de leurs biens en raison du retard excessif dans le paiement par l’administration des dédommagements qui leur étaient dus en vertu de l’arrêt du 2 avril 1999 de la cour d’appel de Ploiesti. Ils invoquent l’article 1 du Protocole no 1 ainsi libellé :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international (...) »
A. Sur la recevabilité
45. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
46. Le Gouvernement concède que les requérants avaient une créance suffisamment établie pour être exigible, mais rappelle que le montant alloué par l’arrêt du 2 avril 1999 leur a été payé en décembre 2004, actualisé de manière volontaire. Renvoyant à ses arguments au titre de l’article 6 § 1 de la Convention, il estime que la durée de l’exécution n’est pas imputable aux autorités et qu’il n’y a donc pas eu d’ingérence dans le droit de propriété des requérants. A titre subsidiaire, il considère que même s’il y avait eu une ingérence, la période en question a été justifiée par l’actualisation du montant alloué aux requérants et par la procédure de partage visant à s’assurer que les droits de chaque requérant soient respectés.
47. Les requérants contestent les arguments du Gouvernement, estimant que les autorités sont responsables du retard dans le paiement des dédommagements qui leur ont été alloués par l’arrêt du 2 avril 1999.
48. La Cour constate que les parties s’accordent sur le fait que les requérants disposaient d’un « bien », au sens de la jurisprudence de la Cour, à l’égard des dédommagements octroyés par l’arrêt du 2 avril 1999 de la cour d’appel de Ploiesti. Au vu de ses observations ci-dessus, elle relève que le retard d’environ trois ans dans l’exécution de cette disposition de l’arrêt susmentionné est imputable aux autorités, qui n’ont fourni aucune base légale et aucune justification valable pour cette ingérence subie par les requérants dans leur droit au respect de leurs biens. En conséquence, elle considère que cette ingérence était arbitraire et emportait une violation du principe de la légalité. Une telle conclusion la dispense de rechercher si un juste équilibre a été maintenu entre les exigences de l’intérêt général et les impératifs de la sauvegarde des droits individuels des requérants (Metaxas c. Grèce, no 8415/02, § 31, 27 mai 2004, et Tacea, précité, § 39).
Partant, il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1.
III. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES
49. Les requérants se plaignent de l’issue et de l’iniquité des procédures tranchées par les arrêts des 2 avril 1999 et 20 septembre 2001 de la cour d’appel de Ploieşti. En particulier, ils font grief à cette juridiction d’avoir refusé la restitution intégrale des deux immeubles nationalisés, vu que le rez-de-chaussée de l’immeuble sis au no 102 de la rue Lupeni n’était pas une unité d’habitation individualisée susceptible d’être utilisée séparément de l’étage, du refus de la cour d’appel de Ploieşti de leur octroyer des dédommagements pour l’étage de ce dernier immeuble, et du montant des dédommagements alloués pour l’immeuble sis au no 24 de la rue Rareş Voda. Ils estiment également avoir subi un préjudice du fait qu’en 2004 la S.C. C. n’a pas actualisé le montant des dédommagements à 1 398 954 720 ROL, montant maximum auquel ils auraient eu droit, leur allouant seulement 585 934 134 ROL. Ils considèrent qu’il y a eu violation des articles 6 § 1 de la Convention et 1 du Protocole no 1.
50. La Cour observe que tous les griefs susmentionnés concernent les procédures terminées par les arrêts des 2 avril 1999 et 20 septembre 2001 de la cour d’appel de Ploieşti et des questions qui ont été tranchées par ces arrêts. A ce titre, elle relève qu’en 2004 la S.C. C. n’a fait qu’actualiser le montant des dédommagements établi par l’arrêt du 2 avril 1999, arrivant à un montant de 585 934 134 ROL, la somme de 1 398 954 720 ROL n’étant que le plafond maximum fixé par l’article 13 § 2 de la loi no 112/1995 et qui n’avait pas été atteint en l’espèce en vertu de l’arrêt susmentionné.
51. Il s’ensuit que cette partie de la requête a été tardivement introduite le 6 janvier 2003 et qu’elle doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
52. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
53. Les requérants réclament, au titre du préjudice matériel qu’ils auraient subi, la restitution en nature des deux immeubles en question ou, à titre subsidiaire, un montant de 75 000 euros (EUR), soit la valeur de l’immeuble sis à Ploiesti au no 24 de la rue Rareş Voda. Estimant avoir subi également un préjudice moral, ils laissent à la Cour le soin d’en fixer le montant.
54. Soulignant que le montant alloué aux requérants au titre de dédommagements par l’arrêt du 2 avril 1999 de la cour d’appel de Ploiesti leur a été payé le 10 décembre 2004, le Gouvernement considère que leur demande pour préjudice matériel n’a aucun lien avec les violations constatées par la Cour et doit être rejetée. Concernant la demande pour préjudice moral, il estime que ce préjudice allégué serait suffisamment compensé par des constats de violation.
55. La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre les violations constatées et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. En revanche, elle considère que les requérants ont subi un préjudice moral en raison notamment de la frustration provoquée par le refus d’exécution de l’arrêt susmentionné par l’administration pendant environ trois ans, et que ce préjudice n’est pas suffisamment compensé par les constats de violation.
56. Dans ces circonstances, eu égard à l’ensemble des éléments en sa possession et statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, elle alloue à chacun des requérants 1 100 EUR au titre du dommage moral subi.
B. Frais et dépens
57. Sans les quantifier ni fournir de justificatifs, les requérants demandent d’une manière générale le remboursement des frais et dépens engagés par eux, laissant à l’appréciation de la Cour la fixation du montant à allouer à ce titre.
58. Le Gouvernement s’oppose à cette demande, au motif que les requérants n’ont pas fourni les justificatifs nécessaires.
59. La Cour rappelle qu’au titre de l’article 41 de la Convention, elle rembourse uniquement les frais dont il est établi qu’ils ont été réellement exposés, qu’ils correspondaient à une nécessité et qu’ils sont d’un montant raisonnable. De plus, l’article 60 § 2 du règlement prévoit que toute prétention présentée au titre de l’article 41 précité doit être chiffrée, ventilée par rubrique et accompagnée des justificatifs nécessaires, faute de quoi la Cour peut rejeter la demande, en tout ou en partie (Cumpana et Mazare c. Roumanie [GC], no 33348/96, § 133, CEDH 2004-XI).
60. En l’espèce, la Cour observe que les requérants n’ont nullement étayé leur demande, puisqu’ils n’ont ni quantifié ni justifié les frais dont ils demandent le remboursement. En conséquence, elle décide de ne pas leur allouer de somme à ce titre.
C. Intérêts moratoires
61. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés de l’article 6 § 1 de la Convention, en ce qui concerne le droit d’accès à un tribunal pour les dédommagements alloués par l’arrêt du 2 avril 1999, et de l’article 1 du Protocole no 1, et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 ;
4. Dit
a) que l’Etat défendeur doit verser à chacun des requérants, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 1 100 EUR (mille cent euros) pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, à convertir en lei au taux applicable à la date du règlement ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 20 juillet 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Vincent Berger Boštjan M. Zupančič
Greffier Président