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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
18.7.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE HOSTEIN c. FRANCE

(Requête no 76450/01)

ARRÊT

STRASBOURG

18 juillet 2006

DÉFINITIF

11/12/2006

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Hostein c. France,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

MM. I. Cabral Barreto, président,
J.-P. Costa,
R. Türmen,
M. Ugrekhelidze,
Mmes A. Mularoni,
E. Fura-Sandström,
M. D. Popović, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 27 juin 2006,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 76450/01) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet Etat, M. Jacques Hostein (« le requérant »), a saisi la Cour le 29 juin 2001 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant est représenté par Me Frédéric Thuillier, avocat à Montpellier. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. R. Abraham, auquel a succédé dans ses fonctions, Mme E. Belliard, Directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

3. Le 28 avril 2004, la Cour a décidé de communiquer le grief tiré de l’iniquité de la procédure devant la Cour de cassation (article 6 § 1 de la Convention) au Gouvernement. Se prévalant des dispositions de l’article 29 § 3 de la Convention, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bienfondé de l’affaire.

4. Le 1er novembre 2004, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la deuxième section ainsi remaniée (article 52 § 1).

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1948 et réside à Mauguio.

A. La procédure de divorce

6. Le 25 mai 1990, le juge aux affaires matrimoniales du tribunal de grande instance de Nancy rendit une ordonnance de non-conciliation entre le requérant et son épouse, les autorisant à résider séparément (le requérant résidant à Nancy et son épouse à Lyon). Il confia l’exercice de l’autorité parentale sur les cinq enfants mineurs du couple au requérant et fixa leur résidence chez ce dernier avec droit de visite et d’hébergement à la mère, ainsi que le montant de la pension alimentaire que le requérant devait verser à son épouse pendant la durée de la procédure.

7. L’épouse interjeta appel du jugement.

8. Par un arrêt du 19 juillet 1990, la cour d’appel de Nancy confirma l’ordonnance de non-conciliation sauf en ce qui concernait la pension alimentaire, dont elle augmenta le montant.

9. Par un acte du 27 juillet 1990, l’épouse du requérant l’assigna en divorce.

10. Par une ordonnance du 12 mars 1991, le juge de la mise en état près le tribunal de grande instance de Nancy maintint les mesures précédentes relativement à l’exercice de l’autorité parentale, la résidence des enfants, la pension alimentaire et élargit le droit d’hébergement de la mère.

11. Cette dernière interjeta appel de l’ordonnance du 12 mars 1991, faisant notamment valoir que les quatre aînés des enfants avaient clairement manifesté leur volonté de vivre avec elle.

12. Par un arrêt du 3 juin 1991, la cour d’appel de Nancy infirma l’ordonnance, confiant l’exercice de l’autorité parentale à la mère, fixant chez elle la résidence des enfants, accordant un droit de visite et d’hébergement au père et augmentant à nouveau la pension alimentaire due par le requérant.

13. Par un jugement du 30 avril 1996, le tribunal de grande instance de Nancy prononça le divorce du requérant et de son épouse aux torts exclusifs de cette dernière, rejeta sa demande de prestation compensatoire et ordonna une enquête sociale afin de se déterminer quant à l’exercice de l’autorité parentale et du droit de visite et d’hébergement.

14. Par un arrêt du 11 décembre 1998, la cour d’appel de Nancy infirma le jugement du 30 avril 1996, prononça le divorce aux torts partagés des époux, fixa la résidence des deux enfants encore mineurs chez leur mère avec un droit de visite et d’hébergement au profit du requérant, et fixa le montant des pensions alimentaires dues par ce dernier pour l’entretien et l’éducation de ses enfants. Elle condamna également le requérant à verser à son ex-épouse une prestation compensatoire sous forme de rente viagère mensuelle de 2 000 francs français (FRF), soit 304,90 euros (EUR), ainsi qu’une somme de 800 000 FRF, soit 121 959,21 EUR, sous forme de capital.

15. Le requérant forma un pourvoi en cassation. Il se fit représenter, devant la Cour de cassation, par un avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation (ci-après, « avocat aux Conseils »).

16. Le 25 janvier 2001, lors d’une audience publique faisant suite à une première audience du 15 novembre 2000 au cours de laquelle l’avocat aux Conseils du requérant présenta ses observations, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation prononça la cassation partielle de l’arrêt de la cour d’appel en ses seules dispositions relatives à la fixation de la prestation compensatoire sous forme de rente viagère et renvoya l’affaire sur ce point devant la même cour d’appel autrement composée.

17. Par un arrêt du 13 décembre 2002, la cour d’appel de Nancy convertit la rente viagère en capital complémentaire à la charge du requérant.

18. Le requérant n’a pas formé de pourvoi en cassation.

B. La médiatisation de la procédure de divorce par la presse et la télévision

19. Le 15 mars 1991, le journal Lyon-Matin publia un article accompagné de photographies des enfants intitulé « ils ont fugué pour vivre avec leur mère » et décrivant les difficultés survenues lors de la procédure de divorce entre le requérant et son épouse, notamment du fait de la fixation de la résidence habituelle des enfants chez le père à Nancy.

20. Par un acte du 11 juin 1991, le requérant fit citer à comparaître le directeur de la publication, le directeur de la rédaction, la journaliste ayant rédigé l’article et la société d’exploitation du journal en tant que civilement responsable devant le tribunal correctionnel de Lyon pour y répondre du délit de diffamation publique pour l’avoir présenté comme une personne violente susceptible de nuire à ses enfants.

21. Par un jugement du 2 juin 1992, le tribunal correctionnel de Lyon prononça la relaxe.

22. Par un arrêt du 19 novembre 1992, la cour d’appel de Lyon confirma le jugement concernant le directeur de la rédaction, mais l’infirma concernant le directeur de la publication, le condamnant à payer au requérant la somme de 50 000 FRF, soit 7 622,45 EUR, au titre de dommages-intérêts, et ordonna la publication d’un extrait de l’arrêt dans le journal. Elle annula également la citation délivrée par le requérant à la journaliste, la mettant hors de cause.

23. Le 15 mai 2001, le requérant assigna la société nationale de télévision France 3 (ci-après, « France 3 ») en réparation du préjudice subi du fait de l’atteinte à sa vie privée pour avoir diffusé dans le cadre du journal télévisé de France 3 Lorraine Champagne Ardennes du 12 avril 1991 un reportage intitulé « le divorce Hostein », relatant les difficultés de la procédure de divorce quant à la résidence des enfants, quatre d’entre eux ayant fugué de chez leur père à Nancy pour rejoindre leur mère à Lyon. L’avocat du requérant apparaissait également à l’écran et avait déclaré déplorer une médiatisation de la procédure de divorce néfaste pour les enfants.

24. Par un jugement du 13 mai 2002, le tribunal de grande instance de Paris débouta le requérant de sa demande au motif que le mandat donné à son avocat pour intervenir en réplique au cours de l’émission litigieuse induisait son consentement à l’évocation de sa situation familiale et qu’il n’y avait donc pas eu d’atteinte à sa vie privée.

25. Le requérant interjeta appel excipant notamment d’une atteinte exceptionnelle à sa vie privée et familiale du fait de la médiatisation de la procédure de divorce orchestrée par son ex-épouse (articles 9 du code civil et 8 de la Convention).

26. Par un arrêt du 8 avril 2004, la cour d’appel de Paris infirma le jugement du tribunal de grande instance. Elle jugea qu’il ressortait des propos tenus dans le reportage de France 3 en cause que le requérant avait subi une atteinte à sa vie privée et qu’il ne pouvait pas être déduit de la déclaration du conseil du requérant que ce dernier avait donné son consentement à l’évocation de sa vie familiale. Elle condamna en conséquence France 3 à verser au requérant 7 500 EUR à titre de dommages-intérêts, sans indiquer explicitement si elle se fondait sur l’article 9 du Code civil, l’article 8 de la Convention, ou les deux textes cumulés. Elle rejeta, par ailleurs, la demande du requérant tendant à voir réparer son préjudice liée au fait que l’autorité parentale ait, en raison du reportage, été transférée à la mère dans les termes suivants :

« (...) considérant qu’il ressort clairement des décisions de justice successives que le départ des enfants de chez leur père pour rejoindre leur mère, fait antérieur au reportage, et leur stabilisation constatée auprès de leur mère, ont conduit à ce que l’autorité parentale soit confiée à celle-ci, après qu’elle l’eut été au père, sans que les capacités éducatives de l’un des parents par rapport à l’autre soient mises en cause ; qu’il n’est aucunement démontré par M. Hostein que le reportage soit la cause de la modification intervenue à titre provisoire dans l’exercice de l’autorité parentale et de la fixation, par arrêt du 11 décembre 1998 statuant en appel du jugement de divorce du 30 avril 1996, de la résidence des deux derniers enfants encore mineurs à cette date, chez leur mère (...) »

27. Selon les informations fournies par le requérant, aucun pourvoi en cassation n’a été formé contre cet arrêt.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

Article 9 du Code civil

« Chacun a droit au respect de sa vie privée (...) »

EN DROIT

I. SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION AU REGARD DE L’EQUITE DE LA PROCEDURE

28. Le requérant se plaint de l’iniquité de la procédure devant la deuxième chambre civile de la Cour de cassation ayant statué le 25 janvier 2001, en ce qu’il n’a eu ni communication du rapport du conseiller rapporteur avant l’audience alors que ce document aurait été transmis à l’avocat général, ni communication des conclusions de l’avocat général avant l’audience afin de pouvoir y répondre. Il se plaint également d’un défaut de motivation de l’arrêt de la Cour de cassation et du fait que cette dernière n’ait cassé que partiellement l’arrêt de la cour d’appel. Il invoque l’article 6 § 1 de la Convention, dont les dispositions pertinentes sont ainsi libellées :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

A. Sur la recevabilité

29. S’agissant de l’absence de communication des conclusions de l’avocat général au requérant, la Cour rappelle que, dans l’arrêt Reinhardt et Slimane-Kaïd (arrêt du 31 mars 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998II, p. 666, § 106), elle a relevé que, devant la chambre criminelle de la Cour de cassation, lorsque les parties sont représentées par un avocat aux Conseils, l’avocat général informe celui-ci avant le jour de l’audience du sens de ses propres conclusions, de sorte que lorsque, à la demande dudit avocat aux Conseils, l’affaire est plaidée, ce dernier a la possibilité de répliquer aux conclusions oralement ou par une note en délibéré. Elle a estimé que cette pratique était « de nature à offrir [aux parties] la possibilité de prendre connaissance des conclusions litigieuses et de les commenter dans des conditions satisfaisantes » (ibidem) et a, par la suite, conclu au défaut manifeste de fondement des griefs de cette nature (voir, par exemple, Mac Gee c. France (déc.), no 46802/99, 10 juillet 2001), y compris devant une chambre civile de la Cour de cassation (cf. Crochard et autres c. France (déc.), nos 68255/01, 68256/01, 68257/01, 68258/01, 68259/01, 68260/01 et 68261/01, 27 mai 2003 ; Vezon c. France (déc.), no 66018/01, 9 mars 2004).

30. En l’espèce, la Cour relève que le requérant était représenté par un avocat aux Conseils, que ce dernier a donc bénéficié de la pratique jugée suffisante par la Cour aux fins de l’article 6 § 1 de la Convention, et qu’il a pu présenter ses observations lors d’une audience devant la Cour de cassation.

Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

31. Quant à l’absence alléguée de motivation suffisante de l’arrêt de la Cour de cassation et du fait que cette dernière ait conclu à la cassation partielle de l’arrêt de la cour d’appel, compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, et dans la mesure où elle est compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour n’a relevé aucune apparence de violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

Il s’ensuit que ces griefs sont manifestement mal fondés et doivent être rejetés en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

32. La Cour estime, en revanche, que le grief tiré de l’absence de communication au requérant, avant l’audience de la Cour de cassation, du rapport du conseiller rapporteur n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

33. Le Gouvernement reconnaît que, dans l’affaire Reinhardt et SlimaneKaïd c. France précitée, la Cour a jugé que l’absence de communication du rapport du conseiller rapporteur aux parties, alors que ce document avait été transmis à l’avocat général, ne s’accordait pas avec les exigences du procès équitable, et que cette jurisprudence a été plusieurs fois confirmée par la Cour. Il souligne ensuite que la Cour de cassation française a modifié les modalités d’instruction et de jugement des affaires qui lui sont soumises, afin notamment de prendre en compte les conclusions de la Cour dans son arrêt. Il admet qu’en l’espèce, le requérant n’a pas eu, contrairement à l’avocat général, communication du rapport du conseiller rapporteur, les mesures susmentionnées n’étant pas en vigueur lors de l’examen de son pourvoi et, en conséquence, « s’en remet à la sagesse de la Cour » pour apprécier le bien-fondé du grief.

34. Le requérant déclare prendre acte des déclarations du Gouvernement et invite la Cour à constater la violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

35. La Cour rappelle qu’elle a déjà jugé que l’absence de communication au requérant ou à son conseil, avant l’audience, du rapport du conseiller rapporteur, alors que ce document avait été fourni à l’avocat général, ne s’accorde pas avec les exigences du procès équitable (Reinhardt et Slimane-Kaïd c. France précité, pp. 665-666, § 105 ; Crochard et autres c. France, nos 68255/01 et suiv. précités, § 13, 3 février 2004).

36. La Cour ne distingue en l’espèce aucune raison de s’écarter de cette jurisprudence. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

II. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

37. Sur le même fondement de la Convention, le requérant dénonce le caractère déraisonnable de la durée de la procédure de divorce.

38. La Cour rappelle qu’elle ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes. Tout grief tiré de la durée d’une procédure judiciaire introduit devant elle après le 20 septembre 1999, sans avoir préalablement été soumis aux juridictions internes dans le cadre d’un recours fondé sur l’article L. 781-1 du code de l’organisation judiciaire, est en principe irrecevable, quel que soit l’état de la procédure au plan interne (Mifsud c. France [GC] (déc.), no 57220/00, CEDH 2002-VIII). En l’espèce, le requérant a saisi la Cour le 29 juin 2001 sans avoir préalablement exercé ce recours.

Il s’ensuit que ce grief doit être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

39. Le requérant se plaint également de l’atteinte à sa vie privée et familiale commise par la chaîne de télévision France 3 et du fait que cette atteinte est à l’origine de l’arrêt de la cour d’appel de Nancy du 3 juin 1991 fixant la résidence des enfants chez leur mère et lui confiant l’autorité parentale. La juridiction civile aurait, selon lui, ainsi cédé aux pressions exercées par la mère des enfants par le biais des médias au détriment de ses droits de père, ce qui serait constitutif d’une discrimination. Il invoque les articles 8 §§ 1 et 2 et 14 de la Convention, qui se lisent comme suit :

Article 8

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...)

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire (...) à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

Article 14

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

40. La Cour relève que par un arrêt du 8 avril 2004, la cour d’appel de Paris, infirmant le jugement du 13 mai 2002, a dûment reconnu qu’une atteinte à la vie privée du requérant résultait du reportage de la chaîne de télévision France 3 relatant les conditions difficiles de son divorce en cours et que la juridiction lui a en conséquence octroyé une réparation de 7 500 EUR. Selon les informations fournies par le requérant, aucun recours en cassation n’a été formé contre cet arrêt, qui est donc devenu définitif.

41. La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle « une décision ou une mesure favorable au requérant ne suffit en principe à lui retirer la qualité de « victime » que si les autorités nationales ont reconnu, explicitement ou en substance, puis réparé la violation de la Convention » (cf. notamment les arrêts Amuur c. France du 25 juin 1996, Recueil 1996III, p. 846, § 36 ; Dalban c. Roumanie [GC], no 28114/95, § 44, CEDH 1999-VI).

42. En l’espèce, la Cour estime que bien que la cour d’appel de Paris n’ait pas indiqué explicitement se fonder sur l’article 8 de la Convention, il ressort des termes clairs de l’arrêt du 8 avril 2004 qu’elle a reconnu, au moins en substance, la violation de cet article et qu’elle a réparé cette violation. Dès lors, elle considère que le requérant ne peut plus se prétendre « victime » d’une telle violation, comme l’exige l’article 34 de la Convention. Il s’ensuit que ce grief est incompatible ratione personae avec les dispositions de la Convention au sens de l’article 35 § 3 et doit être rejeté en application de l’article 35 § 4.

43. Par ailleurs, en ce que le requérant se plaint que l’atteinte à sa vie privée et familiale résiderait également dans le fait que le reportage aurait été la cause directe de la fixation par la cour d’appel de Nancy de la résidence de ses enfants chez la mère et de l’autorité parentale confiée à celle-ci, la Cour relève que, si ce chef de préjudice a été rejeté par la cour d’appel de Paris dans son arrêt du 8 avril 2004, cette dernière a dûment motivé sa décision à cet égard en retenant que le requérant ne démontrait nullement de lien de causalité entre le reportage et le transfert de l’autorité parentale à la mère.

44. En tout état de cause, la Cour relève que le requérant ne justifie pas avoir formé un pourvoi en cassation contre ce dernier arrêt, pas plus qu’il n’a soulevé le grief tiré de la violation de l’article 14 de la Convention devant les juridictions internes. Il s’ensuit que ces deux autres branches du grief doivent être rejetées pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

45. Aux termes de larticle 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

46. Le requérant réclame « plus de 250 000 » euros (EUR) au titre du préjudice matériel, correspondant à la prestation compensatoire qu’il a été condamné à payer à son ex-épouse, aux frais des procédures internes pénales et civiles l’ayant opposé à cette dernière de 1991 à 2004 et de l’atteinte à sa réputation professionnelle. Dès lors que, selon le requérant, l’octroi de la somme réclamée ne saurait suffire à réparer les conséquences dommageables des violations alléguées, il demande également à la Cour de contraindre la France à intégrer dans son droit interne la révision des procédures civiles déclarées contraires à la Convention par la Cour.

47. Ensuite, il réclame 50 000 EUR au titre du préjudice moral qu’il aurait subi en raison de la privation de l’autorité parentale sur ses cinq enfants depuis 1991 et des conséquences sur sa vie privée, familiale et sur sa situation financière du harcèlement judiciaire et médiatique dont il a fait l’objet.

48. Le Gouvernement considère que les demandes présentées par le requérant au titre du préjudice matériel sont dépourvues de tout lien avec le grief tiré de la violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison de l’iniquité de la procédure devant la Cour de cassation. Il estime, par ailleurs, que le seul constat de la violation des dispositions de l’article précité constituerait une réparation suffisante du préjudice moral allégué.

49. Quant aux dommages matériels allégués, la Cour examinera séparément (voir les paragraphes 51-54, ci-dessous) la demande du requérant au titre des frais et dépens devant les juridictions internes. Pour le reste, la Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et les dommages invoqués par le requérant ; par conséquent, elle rejette cette demande. En ce qui concerne la demande du requérant relative à l’introduction en droit interne d’un mécanisme de révision en matière civile, la Cour rappelle qu’un tel droit n’est pas garanti en tant que tel par la Convention. La Cour rejette donc également cette demande.

50. Enfin, quant au préjudice moral, selon sa jurisprudence constante dans les affaires analogues, la Cour estime qu’il est suffisamment réparé par le constat de violation de la Convention auquel elle parvient (Reinhardt et Slimane-Kaïd précité, § 112 in fine, p. 667).

B. Frais et dépens

51. Le requérant demande également 120 000 EUR pour les frais et dépens encourus devant les juridictions internes, à savoir les procédures dont il a fait état dans la présente requête, mais également toutes les « procédures connexes » à celles-ci.

52. Par ailleurs, dans ses demandes au titre de la satisfaction équitable transmises le 18 novembre 2004, le requérant n’a fait aucune demande pour les frais encourus devant la Cour. Par deux courriers des 20 avril et 19 mai 2005, il a cependant communiqué un tableau récapitulatif de ses frais, notamment devant la Cour pour un montant total de 5 074,94 EUR, et comprenant ses frais de représentation par Me Thuillier depuis le 19 janvier 2005 pour un montant de 2 734,94 EUR toutes taxes comprises selon note d’honoraires avec la mention « solde acquitté le 19/05/2005 ».

53. En ce qui concerne les frais exposés devant les juridictions internes, le Gouvernement relève qu’une partie de ces frais est relative à des procédures distinctes de celles ayant conduit à la saisine de la Cour. En tout état de cause, les frais engagés devant les juridictions internes étant, en l’espèce, sans lien avec la violation alléguée de l’article 6 § 1 de la Convention, le Gouvernement estime qu’aucune somme ne saurait être allouée au requérant à ce titre. S’agissant des frais et dépens engagés devant la Cour, le Gouvernement estime que la plupart des pièces du dossier ayant été fournies par le requérant, les services de son avocat ne sauraient justifier le remboursement de la somme demandée. Il propose d’allouer au requérant la somme de 500 EUR à ce titre.

54. Quant aux frais du requérant devant les juridictions internes, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de les rembourser, ceux-ci n’ayant pas été exposés pour remédier à la violation constatée (voir, par exemple, Lilly France c. France, no 53892/00, § 33, 14 octobre 2003).

55. S’agissant des frais relatifs au recours porté devant elle, la Cour constate que le requérant n’a fait aucune demande à ce titre dans le délai qui lui était imparti en vertu de l’article 60 § 2 du Règlement de la Cour, dont il a été informé par lettre du greffe en date du 8 octobre 2004 et qui a été prorogé, à sa demande, jusqu’au 19 novembre 2004. Postérieurement à cette date, le requérant a communiqué à la Cour un tableau récapitulatif comprenant les frais engagés devant la Cour et une note d’honoraires correspondant à ses frais de représentation par Me Thuillier pour un montant total de 5 074,94 EUR.

56. La Cour observe que s’agissant des frais de représentation, ils ont été engagés après l’échange des observations sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête et les demandes initiales du requérant au titre de la satisfaction équitable. Dès lors, bien que le requérant fournisse une note d’honoraires de son conseil, la Cour estime que le montant réclamé est excessif et lui alloue la somme de 700 EUR au titre de la présente procédure.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 6 § 1 relatif à l’absence de communication au requérant ou à son conseil, avant l’audience, du rapport du conseiller rapporteur, et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

3. Dit que le constat de violation fournit en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par le requérant ;

4. Dit

a) que lEtat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 700 EUR (sept cents euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 18 juillet 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

S. Dollé I. Cabral Barreto
Greffière Président