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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
13.7.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE GUZEJ c. SLOVÉNIE

(Requête no 14619/02)

ARRÊT

STRASBOURG

13 juillet 2006

DÉFINITIF

13/10/2006

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Guzej c. Slovénie,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

MM. J. Hedigan, président,
B.M. Zupančič,
L. Caflisch,
V. Zagrebelsky,
E. Myjer,
David Thór Björgvinsson,
Mme I. Ziemele, juges,
et de M. V. Berger, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 22 juin 2006,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 14619/02) dirigée contre la République de Slovénie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Alojz Guzej (« le requérant »), a saisi la Cour le 12 mars 2002 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant est représenté par des avocats du cabinet Verstovšek. Le gouvernement slovène (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. L. Bembič, procureur général de l’Etat.

3. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant alléguait que la procédure interne à laquelle il est partie avait connu une durée excessive. Il dénonçait aussi en substance l’absence de recours interne effective qui lui eût permis de se plaindre de la durée déraisonnable de cette procédure (article 13 de la Convention).

4. Le 11 juin 2004, la Cour a décidé de communiquer au Gouvernement les griefs tirés de la durée de la procédure et de l’absence de recours à cet égard. Se prévalant de l’article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de la requête.

EN FAIT

5. Le requérant est né en 1981 et réside à Celje.

6. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

7. Le 27 décembre 1993, le requérant, facteur de profession, fut blessé lors de sa tournée. Il glissa sur un escalier enneigé.

8. Le 27 décembre 1996, le requérant, par l’intermédiaire de ses avocats, intenta une action en dommages-intérêts s’élevant au montant de 6 713 500 tolars (SIT) contre une compagnie d’assurances et deux particuliers, G.J. et G.S., devant le tribunal de district (Okrožno sodišče) de Celje et demanda à être exempté des frais de procédure. Il demanda au tribunal de nommer un expert médical.

9. Le 20 novembre 1997, le requérant demanda au tribunal de tenir une audience.

10. Le 20 janvier 1998, le tribunal tint une audience et décida de nommer un expert médical.

11. Le 21 janvier 1998, cet expert fut nommé. Il prépara son avis le 3 mars 1998.

12. Le 27 juillet 1998, le requérant demanda au tribunal de tenir une audience.

13. Le 20 octobre 1998, le requérant augmenta le montant de l’indemnisation réclamée.

14. Le 22 octobre 1998, au cours d’une audience, le tribunal décida de demander à l’expert médical de compléter son expertise. Le 29 octobre 1998, une décision à ce propos fut prise. Le 5 janvier 2001, le tribunal redemanda à l’expert médical de compléter son expertise.

15. Le 22 janvier 2001, le requérant demanda au tribunal de nommer un autre expert médical, étant donne que le premier expert avait été blessé lors d’un accident de la route.

16. Le 28 mars 2001, le tribunal nomma un autre expert médical.

17. Le 5 avril 2001, le requérant contesta cette nomination et demanda au tribunal de nommer un autre expert médical, ce qu’il fit le 11 avril 2001.

18. Le 3 juillet 2001, l’avis médical fut soumis.

19. Le 10 septembre 2001, le requérant demanda au tribunal de joindre la présente procédure à une autre procédure.

20. Les 19 septembre, 2 octobre, 5 novembre et 31 décembre 2001, le requérant réitéra sa demande et demanda au tribunal également de tenir une audience.

21. Le 21 février 2002, le requérant augmenta le montant de l’indemnisation réclamée.

22. Le 7 octobre 2002, le requérant redemanda au tribunal de joindre la présente procédure à une autre procédure.

23. Les 17 octobre et 3 décembre 2002, des audiences furent tenues et les procédures furent jointes.

24. Le 17 janvier 2003, l’expertise médicale fut complétée.

25. Au cours de la procédure, le requérant soumit ses mémoires.

26. Le 23 octobre 2003, après une audience, un jugement fut rendu, donnant partiellement gain de cause au requérant. Le jugement lui fut notifié le 12 décembre 2003.

27. Le requérant interjeta appel et demanda rectification du jugement.

28. Le 23 décembre 2003, le jugement fut rectifié.

29. Le 21 septembre 2005, le tribunal supérieur infirma le jugement et renvoya l’affaire devant le premier juge. Cette décision fut notifiée au requérant le 20 octobre 2005.

30. L’affaire est toujours pendante.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 6 § 1 ET 13 DE LA CONVENTION

31. Le requérant se plaint de la durée excessive de la procédure. Il invoque l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :

« Tout personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

32. Le requérant dénonce en substance le caractère ineffectif des recours disponible en Slovénie pour se plaindre de la durée excessive d’une procédure judiciaire. L’article 13 de la Convention dispose :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

A. Sur la recevabilité

33. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes.

34. Le requérant combat cette thèse, arguant que les recours disponibles manquaient d’effectivité.

35. La Cour relève que la présente requête est similaire aux affaires Belinger et Lukenda (Belinger c. Slovénie (déc.), no 42320/98, 2 octobre 2001, et Lukenda c. Slovénie, no 23032/02, 6 octobre 2005). Dans ces affaires, la Cour a rejeté l’exception de non-épuisement des voies de recours internes formulée par le Gouvernement car elle a jugé que les recours dont le requérant pouvait se prévaloir n’étaient pas effectifs. La Cour rappelle qu’elle a constaté dans son arrêt Lukenda c. Slovénie que la violation du droit à un jugement dans un délai raisonnable est un problème systémique qui résulte d’une législation inadéquate et d’un manque d’efficacité dans l’administration de la justice.

36. En ce qui concerne la présente espèce, la Cour estime que le Gouvernement n’a fourni aucun argument convaincant susceptible de l’amener à établir une distinction entre l’affaire à l’étude et les affaires antérieures et donc à s’écarter de sa jurisprudence constante.

37. La Cour constate par ailleurs que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève en outre qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Dès lors, il y a lieu de la déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Article 6 § 1 de la Convention

38. La période à considérer a débuté le 27 décembre 1996, jour où le requérant a engagé une procédure devant le tribunal de district de Celje, et n’a pas encore pris fin. Elle a donc duré plus de neuf ans et cinq mois pour deux degrés de juridiction et trois instances.

39. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères suivants : la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour l’intéressé (voir, parmi beaucoup d’autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII).

40. Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, et compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu’en l’espèce la durée de la procédure litigieuse, en particulier devant le tribunal de première instance, est excessive et ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable ».

Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1.

2. Article 13 de la Convention

41. La Cour rappelle que l’article 13 garantit un recours effectif devant une instance nationale permettant de se plaindre d’une méconnaissance de l’obligation, imposée par l’article 6 § 1, d’entendre les causes dans un délai raisonnable (voir Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 156, CEDH 2000-XI). Elle relève que les exceptions et arguments soulevés par le Gouvernement ont déjà été rejetés précédemment (voir Lukenda, arrêt précité) et ne voit pas de raison de parvenir a une conclusion différente dans le cas présent.

42. Dès lors, la Cour estime qu’en l’espèce il y a eu violation de l’article 13 a raison de l’absence en droit interne d’un recours qui eut permis au requérant d’obtenir la sanction de son droit à voir sa cause entendue dans un délai raisonnable, au sens de l’article 6 § 1.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

43. Aux termes de larticle 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

44. Le requérant réclame 15 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral.

45. Le Gouvernement conteste ces prétentions.

46. La Cour estime que le requérant a subi un tort moral certain. Statuant en équité, elle lui accorde 4 800 EUR à ce titre.

B. Frais et dépens

47. Le requérant demande également 1 223 EUR pour les frais et dépens encourus devant la Cour.

48. Le Gouvernement considère que ces prétentions sont exagérées.

49. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. La Cour relève aussi que les avocats du requérant, qui ont également représenté M. Lukenda dans l’affaire Lukenda précitée, ont soumis près de 400 requêtes qui, hormis les faits, sont pour l’essentiel identiques à celle à l’étude. Dès lors, en l’espèce, compte tenu des éléments en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour estime raisonnable la somme de 1 000 EUR pour la procédure devant elle et l’accorde au requérant.

C. Intérêts moratoires

50. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention ;

4. Dit

a) que lEtat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 4 800 EUR (quatre mille huit cents euros) pour dommage moral et 1 000 EUR (mille euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 13 juillet 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Vincent Berger John Hedigan
Greffier Président