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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
13.7.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE GALATALIS c. GRÈCE

(Requête no 36251/03)

ARRÊT

STRASBOURG

13 juillet 2006

DÉFINITIF

13/10/2006

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Galatalis c. Grèce,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

MM. L. Loucaides, président,
C.L. Rozakis,
Mmes F. Tulkens,
N. Vajić,
MM. A. Kovler,
D. Spielmann,
S.E. Jebens, juges,
et de M. S. Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 22 juin 2006,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 36251/03) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant de cet Etat, M. Apostolos Galatalis (« le requérant »), a saisi la Cour le 8 novembre 2003 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant est représenté par Me D. Nikopoulos, avocat au barreau de Thessalonique. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») est représenté par les délégués de son agent, MM. Y. Halkias, assesseur auprès du Conseil Juridique de l’Etat et I. Bakopoulos, auditeur auprès du Conseil Juridique de l’Etat.

3. Le 12 mai 2005, la Cour a déclaré la requête partiellement irrecevable et a décidé de communiquer les griefs tirés de la durée de la procédure et de l’absence de recours à cet égard au Gouvernement. Se prévalant de l’article 29 § 3 de la Convention, elle a décidé qu’elle se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.

EN FAIT

4. Le requérant est né en 1933 et réside à Thessalonique. Il est le propriétaire de 1/8e indivis d’un terrain d’une superficie totale de 9 197 m2 sis sur la commune de Kalamaria près de la ville de Thessalonique.

5. En 1987, en vertu d’un acte du ministre de l’Environnement et de l’Aménagement du territoire (no 49787/2419/31 juillet 1987) et d’un décret présidentiel publié le 22 août 1988, une certaine superficie fut affectée à la construction du « complexe sportif de Mikra ». Le terrain dont le requérant était propriétaire en faisait partie.

6. Les 5 et 11 juillet 1994, le requérant sollicita respectivement auprès du ministère de l’Environnement et de l’Aménagement du territoire et du préfet de Thessalonique la révocation de la qualification de son terrain en tant que lieu affecté à la construction du « complexe sportif de Mikra ». L’administration ayant tacitement rejeté la demande du requérant, celui-ci saisit, le 25 novembre 1994, le Conseil d’Etat d’un recours en annulation du refus de l’administration de révoquer l’acte administratif attaqué.

7. Le 11 février 1998, le Conseil d’Etat fit droit au recours du requérant (arrêt no 639/1998).

8. Le 10 juin 1998, la commune de Kalamaria forma devant le Conseil d’Etat une tierce opposition contre le requérant et l’arrêt no 639/1998 du Conseil d’Etat. La tierce opposition est ouverte aux personnes qui n’ont été ni parties ni représentées dans une instance devant le Conseil d’Etat. Elle leur permet d’attaquer un arrêt de ladite juridiction qui leur fait éventuellement grief. Au cas où la tierce opposition - qui n’a pas d’effet suspensif- se trouve fondée, l’arrêt attaqué est annulé rétroactivement et le recours en annulation initial est réexaminé.

9. Le 18 septembre 2002, et après neuf ajournements d’office de l’audience, le Conseil d’Etat rejeta la tierce opposition comme irrecevable, au motif qu’elle avait été déposée en dehors du délai prescrit (arrêt no 2413/2002). Cet arrêt fut mis au net et certifié conforme le 9 mai 2003.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

10. Le requérant allègue que la durée de la procédure en tierce opposition a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

11. La Cour note que la période à considérer a débuté le 10 juin 1998, avec la saisine du Conseil d’Etat par la municipalité de Kalamaria et prit fin le 18 septembre 2002, avec l’arrêt no 2413/2002 du Conseil d’Etat. Elle a donc duré quatre ans et plus de trois mois pour un degré de juridiction.

A. Sur la recevabilité

12. Le Gouvernement affirme que l’article 6 de la Convention ne s’applique pas en l’espèce. Il avance que l’issue de la tierce opposition devant le Conseil d’Etat n’était pas déterminante pour les droits de caractère civil du requérant.

13. Le requérant rétorque que l’issue de la procédure en cause était directement déterminante pour ses droits.

14. La Cour rappelle que, pour que l’article 6 § 1 trouve à s’appliquer sous sa rubrique « civile », il faut qu’il y ait « contestation » sur un « droit » « de caractère privé » (voir, par exemple, Allan Jacobsson c. Suède arrêt du 25 octobre 1989, série A no 163, p. 20, § 72) que l’on peut prétendre, au moins de manière défendable, reconnu en droit interne. Il doit s’agir d’une « contestation » réelle et sérieuse ; elle peut concerner aussi bien l’existence même d’un droit que son étendue ou ses modalités d’exercice. L’issue de la procédure doit être directement déterminante pour le droit de caractère civil en question, un lien ténu où des répercussions lointaines ne suffisant pas à faire entrer en jeu l’article 6 § 1 (voir, par exemple, Balmer-Schafroth c. Suisse, arrêt du 26 août 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-IV, p. 1357, § 32).

15. D’emblée, la Cour constate que l’existence d’une « contestation » portant sur « un droit de caractère civil » n’est pas controversée en l’espèce. Elle entend en conséquence se borner à examiner si cette « contestation » était directement déterminante pour le droit civil en question.

16. En l’occurrence, la « contestation » devant le Conseil d’Etat lors de la procédure en tierce opposition portait sur la validité de l’arrêt no 639/1998 du Conseil d’Etat qui avait annulé la qualification du terrain du requérant en tant que lieu affecté à la construction d’un complexe sportif. Dans le cas où la tierce opposition aurait été accueillie, l’arrêt no 639/1998 aurait été rétroactivement annulé et le recours en annulation initial réexaminé. En d’autres termes, l’aboutissement de la tierce opposition aurait eu pour effet d’infirmer l’arrêt no 639/1998 et de remettre en vigueur l’acte administratif restreignant l’usage du terrain concerné. Il s’ensuit que la procédure litigieuse était directement déterminante pour le droit « patrimonial » du requérant de disposer librement de son terrain (voir, en ce sens, Editions Périscope c. France, arrêt du 26 mars 1992, série A no 234B, p. 66, § 40). En conséquence, l’exception soulevée par le Gouvernement quant à l’inapplicabilité de l’article 6 § 1 ne saurait être retenue.

17. La Cour constate par ailleurs que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève en outre qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

18. Le Gouvernement affirme que le Conseil d’Etat s’est prononcé sur la tierce opposition dans un délai qui ne saurait être qualifié de déraisonnable.

19. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII).

20. La Cour a traité à maintes reprises d’affaires soulevant des questions semblables à celle du cas d’espèce et a constaté la violation de l’article 6 § 1 de la Convention (voir Dactylidi c. Grèce, no 52903/99, §§ 37-41, 27 mars 2003).

21. Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour considère que le Gouvernement n’a exposé aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu’en l’espèce la durée de la procédure litigieuse est excessive et ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable ».

Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION

22. Le requérant se plaint également du fait qu’il n’existe en Grèce aucune juridiction à laquelle l’on puisse s’adresser pour se plaindre de la durée excessive de la procédure. Il invoque l’article 13 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

23. Le Gouvernement ne se prononce pas sur cette question.

A. Sur la recevabilité

24. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

25. La Cour rappelle que l’article 13 garantit un recours effectif devant une instance nationale permettant de se plaindre d’une méconnaissance de l’obligation, imposée par l’article 6 § 1, d’entendre les causes dans un délai raisonnable (voir Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 156, CEDH 2000XI).

26. Par ailleurs, la Cour a déjà eu l’occasion de constater que l’ordre juridique hellénique n’offrait pas aux intéressés un recours effectif au sens de l’article 13 de la Convention leur permettant de se plaindre de la durée d’une procédure (Fraggalexi c. Grèce, no 18830/03, §§ 18-23, 9 juin 2005). La Cour ne distingue en l’espèce aucune raison de s’écarter de cette jurisprudence, d’autant plus que le Gouvernement n’affirme pas que l’ordre juridique hellénique a été entre-temps doté d’une telle voie de recours.

27. Dès lors, la Cour estime qu’en l’espèce il y a eu violation de l’article 13 de la Convention en raison de l’absence en droit interne d’un recours qui eût permis au requérant d’obtenir la sanction de son droit à voir sa cause entendue dans un délai raisonnable, au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

28. Aux termes de larticle 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

29. Le requérant réclame 274 731 euros (EUR) au titre du préjudice matériel qu’il aurait subi en raison de l’absence d’indemnisation pour le blocage de sa propriété. Il réclame en outre 10 000 EUR au titre du dommage moral.

30. Le Gouvernement conteste ces prétentions. Il affirme notamment qu’il n’existe aucun lien de causalité entre les préjudices allégués et la violation constatée et propose le rejet de ces demandes.

31. La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. En revanche, la Cour estime que le requérant a subi un tort moral certain. Statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, elle lui accorde 4 000 EUR à ce titre, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt.

B. Frais et dépens

32. Le requérant demande également 3 000 EUR pour les frais et dépens encourus devant les juridictions internes et la Cour sans produire de justificatifs.

33. Le Gouvernement affirme que les prétentions du requérant sont vagues et non justifiées.

34. La Cour rappelle que l’allocation de frais et dépens au titre de l’article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000-XI). S’agissant des frais et dépens encourus en Grèce, la Cour a déjà jugé que la longueur d’une procédure pouvait entraîner une augmentation des frais et dépens du requérant devant les juridictions internes et qu’il convient donc d’en tenir compte (voir, entre autres, Capuano c. Italie, arrêt du 25 juin 1987, série A no 119-A, p. 15, § 37). Toutefois, dans le cas d’espèce, la Cour note que le requérant ne produit aucune facture en ce qui concerne les frais engagés devant les juridictions saisies et la Cour. Il échet donc de rejeter ses prétentions au titre des frais et dépens.

C. Intérêts moratoires

35. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare le restant de la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention ;

4. Dit

a) que lEtat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 4 000 EUR (quatre mille euros) pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 13 juillet 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Søren Nielsen Loukis Loucaides
Greffier Président