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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
13.7.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE FARANGE S.A. c. FRANCE

(Requête no 77575/01)

ARRÊT

STRASBOURG

13 juillet 2006

DÉFINITIF

13/10/2006

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Farange S.A. c. France,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

MM. B.M. Zupančič, président,
J. Hedigan,
J.-P. Costa,
L. Caflisch,
C. Bîrsan,
V. Zagrebelsky,
E. Myjer, juges,
et de M. V. Berger, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 22 juin 2006,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 77575/01) dirigée contre la République française et dont la société Farange S.A. (« la requérante ») a saisi la Cour le 1er octobre 2001 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. La requérante est représentée par Me P. Vaillant, avocat au barreau de Marseille. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme Edwige Belliard, directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

3. Le 14 septembre 2004, la Cour (deuxième section) a déclaré la requête partiellement irrecevable et a décidé de communiquer au Gouvernement les griefs tirés de l’article 6 § 1 de la Convention Gouvernement. Se prévalant de l’article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l’affaire.

4. Le 1er novembre 2004, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la troisième section ainsi remaniée (article 52 § 1).

EN FAIT

5. La requérante est une société de droit français ayant son siège social à Ajaccio, en Corse.

6. Par un acte notarié du 14 décembre 1988, la Région de Corse acquit un immeuble, le Grand Hôtel d’Ajaccio, dans lequel étaient installés l’hôtel de région et ses annexes.

7. Par des actes notariés des 18 février et 27 mars 1991, la requérante conclut avec les consorts R. et P., anciens propriétaires du Grand Hôtel d’Ajaccio, une promesse de vente, sous la condition d’obtenir un permis de construire, portant sur les parcelles cadastrées aux nos 264 à 267.

8. Le 17 juillet 1991, la requérante, après avoir entrepris les études nécessaires au lancement d’un projet immobilier sur lesdites parcelles, déposa une demande de permis de construire. Par divers courriers envoyés aux intéressés, l’assemblée de Corse manifesta son hostilité à ce projet ainsi que son intention de s’y opposer. A une date non précisée, la requérante retira sa demande de permis de construire.

9. Dans sa séance du 11 octobre 1991, l’assemblée de Corse autorisa son président à demander que l’acquisition, par la collectivité territoriale de Corse (anciennement dénommée Région de Corse), des parcelles 264 et 266 soit déclarée d’utilité publique ; cette extension du patrimoine immobilier de la collectivité avait pour but la réalisation d’emplacement de parking, l’aménagement d’un accès sécurisé à l’hôtel de région et à ses annexes ainsi que la protection de l’environnement boisé du secteur environnant. Le 27 décembre 1991, cette demande fut présentée au préfet de la Corse du Sud.

10. Le 4 mars 1992, la requérante présenta à la commune d’Ajaccio une nouvelle demande de permis de construire, qui lui fut accordé le 17 novembre 1992 ; dans le cadre de cette demande, l’architecte des bâtiments de France rendit un avis défavorable. Entre-temps, le 17 juillet 1992, le Préfet prit un arrêté d’ouverture de l’enquête publique préalable à la déclaration d’utilité publique.

11. Le 24 février 1993, le préfet prit un arrêté portant déclaration d’utilité publique du projet d’acquisition des parcelles susmentionnées. Par un arrêté du 19 mars suivant, la commune d’Ajaccio, au visa, notamment, de l’arrêté préfectoral, retira le permis de construire du 17 novembre 1992. Par une ordonnance du 28 avril 1993, rectifiée puis modifiée par deux ordonnances du 11 mai 1993 et du 7 septembre 1993, le juge de l’expropriation du tribunal de grande instance d’Ajaccio prononça l’expropriation des parcelles susvisées appartenant aux consorts R. au profit de la collectivité territoriale de Corse. Par un jugement du 22 octobre 1993 – confirmé en appel le 30 janvier 1996 et devenu définitif – le tribunal administratif de Bastia annula l’arrêté préfectoral du 24 février 1993, déniant à l’opération projetée un caractère d’utilité publique. La Cour de cassation, par voie de conséquence, annula à son tour, par un arrêt du 2 février 1999, les ordonnances du juge de l’expropriation des 28 avril, 11 mai et 7 septembre 1993.

12. Dans l’intervalle, la requérante chercha à obtenir réparation, auprès de la collectivité territoriale de Corse, du préjudice qu’elle estimait avoir subi du fait des agissements de cette dernière ayant contrecarré son projet immobilier. Le 9 avril 1993, elle saisit le tribunal administratif de Bastia d’une demande visant à annuler la décision implicite de rejet de sa demande en indemnisation en date du 14 octobre 1992, et à condamner la collectivité Corse au paiement de 5 411 000 FRF.

13. Par deux ordonnances de référé du 20 mai 1996 et du 14 mars 1997, le tribunal, respectivement, ordonna une expertise et alloua à la requérante diverses sommes d’argent à titre provisionnel. Le 29 mai 1997, il rendit une ordonnance clôturant l’instruction.

14. Par un jugement du 11 juillet 1997, le tribunal administratif déclara la collectivité de Corse responsable des trois quarts des conséquences dommageables du préjudice subi, et la condamna au paiement d’une somme de 2 200 000 FRF. Il considéra en effet que le retrait du permis de construire du 17 novembre 1992 n’avait pas été motivé, contrairement à ce qu’elle soutenait, par l’absence de faisabilité juridique du projet mais par l’intervention de la déclaration d’utilité publique, laquelle devait être regardée comme un agissement fautif de la collectivité. Il releva enfin que l’arrêté portant déclaration d’utilité publique avait été édicté par le préfet, ce qui l’exonérait d’une partie de sa responsabilité.

15. Par un arrêt du 20 juin 1998, la cour administrative d’appel de Marseille annula le jugement déféré ainsi que les ordonnances de référé, et rejeta l’ensemble des demandes de la société requérante. Elle dégagea ainsi la collectivité de toute responsabilité, en relevant, au principal, que le fait que la déclaration d’utilité publique avait été déclarée illégale pour défaut d’intérêt public ne suffisait pas à engager sa responsabilité dès lors que le détournement de pouvoir allégué par la requérante n’était pas établi et que la collectivité n’était pas l’auteur de la déclaration d’utilité publique litigieuse.

16. La requérante se pourvut en cassation. Dans le cadre de son pourvoi, elle développait quatre moyens relatifs à la dénaturation des pièces du dossier par la cour d’appel quant au comportement de la collectivité, au détournement de pouvoir de la procédure d’expropriation, à l’engagement de la responsabilité de la collectivité du fait de l’illégalité de la déclaration d’utilité publique, et enfin à un défaut de motivation. A l’audience devant le Conseil d’Etat, tenue le 27 octobre 2000, les débats furent clôturés à l’instant où le commissaire du gouvernement prit la parole, conformément aux usages en vigueur. Celui-ci proposa au Conseil d’Etat d’annuler l’arrêt en la forme pour défaut de motivation, puis, sur le fond, de rejeter la demande d’indemnisation en relevant, notamment, que le préjudice allégué ne présentait pas un caractère certain – condition nécessaire à l’indemnisation – compte tenu de l’extrême difficulté qu’aurait eue la requérante à obtenir un permis de construire sur les terrains considérés. Sur ce point, il releva que le projet immobilier de la société requérante se heurtait, d’une part, aux prescriptions du plan d’occupation des sols (« POS ») de l’époque et, d’autre part, à l’avis défavorable rendu par l’architecte des bâtiments de France le 15 avril 1992, empêchant l’édification des constructions projetées. Le conseil de la requérante, présent à l’audience, ne put répliquer oralement aux conclusions du commissaire du gouvernement. Le 6 novembre 2000, il déposa auprès du secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat une « note en délibéré », à l’appui de laquelle il produisait, d’une part, un rapport du président du conseil exécutif de la collectivité territoriale de Corse relatif à l’acquisition éventuelle des terrains adjacents à l’hôtel de région – terrains dont il était indiqué qu’ils étaient constructibles – et d’autre part, une délibération de l’assemblée de Corse du 28 septembre 2000 autorisant une transaction avec les consorts R. aux fins d’acquérir les terrains en question pour y réaliser d’importantes constructions immobilières.

17. Par un arrêt rendu le 20 novembre 2000, notifié le 30 août 2001, le Conseil d’Etat annula l’arrêt du 20 juin 1998 pour défaut de motivation et, conformément au droit interne, décida de régler l’affaire au fond. Il statua en ces termes :

« (...)

Considérant que l’article UB 6 du plan d’occupation des sols de la commune d’Ajaccio disposait, dans sa rédaction en vigueur à l’époque des faits, que les constructions de plus d’un étage devaient, dans la zone dont il s’agit, être situées à une distance maximale de quinze mètres de la voie publique ; qu’il est constant que le projet de la société Farange, qui était constitué d’immeubles de plusieurs étages, ne respectait pas cette prescription ; que si la société Farange avait proposé à la commune de classer dans la voie publique une partie des terrains d’assiette du projet, afin de rendre ce dossier conforme aux dispositions de l’article UB 6, ce classement, qui n’a pas été effectué, aurait dû intervenir dans une zone boisée classée en application de l’article L. 130-1 du code de l’urbanisme, lequel interdit dans les zones ainsi classées tout changement d’affectation du sol de nature à compromettre la conservation, la protection ou la création de boisements ; qu’ainsi il n’est pas établi que le projet de la société Farange eût pu être réalisé en conformité avec les dispositions de l’article UB 6 du plan d’occupation des sols ;

Considérant, au surplus, qu’il résulte de l’instruction que le terrain d’assiette des constructions projetées est situé dans le champ de visibilité de l’ancien Grand Hôtel d’Ajaccio, inscrit à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques ; que dès lors, en application de l’article R. 421-38-4 du code de l’urbanisme, ces constructions ne pouvaient être édifiées qu’avec l’accord de l’architecte des bâtiments de France ; qu’il est constant que cet accord a été refusé par une décision du 15 avril 1992 ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la société Farange ne justifie pas qu’elle aurait, selon toute vraisemblance, pu légalement obtenir le permis de construire les bâtiments projetés ; que le préjudice dont elle se prévaut ne peut ainsi être regardé comme certain ; que ce préjudice n’est, par suite, pas indemnisable ;

(...) »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

A. Equité de la procédure devant le Conseil d’Etat

18. La requérante allègue la violation de l’article 6 § 1 de la Convention en ce qu’elle garantit le droit à un procès équitable, dans le respect du principe de l’égalité des armes et du contradictoire, en raison de l’absence de communication des conclusions du commissaire du gouvernement avant l’audience, de l’impossibilité d’y répondre et de la présence de celui-ci lors du délibéré ou, pour le moins, de sa participation potentielle. Elle se plaint également de ce que sa note en délibéré n’ait été ni examinée ni prise en compte par le Conseil d’Etat. L’article 6 § 1 est ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...), par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

19. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse. Il estime le grief manifestement mal fondé pour les raisons exposées ci-dessous, et considère qu’il doit être déclaré irrecevable de ce chef.

1. Sur la recevabilité

20. La Cour estime que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

2. Sur le fond

a) En ce qui concerne la non-communication préalable des conclusions du commissaire du gouvernement et l’impossibilité d’y répondre à l’audience

21. Le Gouvernement rappelle que, ainsi que l’a déjà souligné la Cour, la production et le dépôt d’une note en délibéré est un élément renforçant le contradictoire devant le Conseil d’Etat et qui permet aux parties, le cas échéant, d’apporter une réponse aux conclusions du commissaire du gouvernement. Bien qu’une instruction du président de la section du contentieux du 23 novembre 2001, relative au visa des éventuelles notes en délibéré, ait été prise postérieurement à l’arrêt litigieux du Conseil d’Etat, rien ne permet de douter que la note produite en l’espèce par la requérante ait été examinée par la formation de jugement, dès lors qu’elle a été régulièrement enregistrée au greffe.

Au surplus, selon la jurisprudence constante en la matière, la formation de jugement est toujours tenue de prendre en compte une telle note et a d’ailleurs l’obligation de rouvrir l’instruction lorsque la note, exposant une circonstance de fait ou de droit que la formation ne peut ignorer pour fonder sa décision, est de nature à influer sur la solution du litige.

En l’espèce, et à titre infiniment subsidiaire, le Gouvernement affirme que la note de la requérante ne pouvait ni convaincre la formation de jugement ni nécessiter la réouverture de l’instruction.

22. La requérante, sur ce point, constate que la pratique de la note en délibéré ne repose sur aucun fondement juridique et estime qu’elle constitue une chimère juridique. Après avoir relevé que l’arrêt du Conseil d’Etat ne vise pas la note en délibéré, elle soutient que le contenu de celle-ci exposait des circonstances de fait susceptibles d’influer sur le sens de la solution retenue par la formation de jugement dans la mesure où elle contenait des éléments nouveaux établissant la faisabilité du projet immobilier et que, par conséquent, à la lecture de l’arrêt, il est clair que sa note n’a pas été examinée par les délibérants.

23. La Cour rappelle que le principe de l’égalité des armes – l’un des éléments de la notion plus large de procès équitable – requiert que chaque partie se voie offrir une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire (voir, parmi beaucoup d’autres, NideröstHuber c. Suisse, arrêt du 18 février 1997, Recueil 1997-I, p. 107, § 23).

24. Or, indépendamment du fait que, dans la majorité des cas, les conclusions du commissaire du gouvernement ne font pas l’objet d’un document écrit, la Cour relève qu’il ressort clairement du déroulement de la procédure devant le Conseil d’Etat que le commissaire du gouvernement présente ses conclusions pour la première fois oralement à l’audience publique de jugement de l’affaire et que tant les parties à l’instance que les juges et le public en découvrent le sens et le contenu à cette occasion (voir Kress c. France [GC], no 39594/98, § 29, CEDH 2001VI).

La requérante ne saurait dès lors tirer du droit à l’égalité des armes reconnu par l’article 6 § 1 de la Convention le droit de se voir communiquer, préalablement à l’audience, des conclusions qui ne l’ont pas été à l’autre partie à l’instance, ni au rapporteur, ni aux juges de la formation de jugement (Nideröst-Huber précité). Aucun manquement à l’égalité des armes ne se trouve donc établi (Kress précité).

25. Toutefois, la notion de procès équitable implique aussi en principe le droit pour les parties à un procès de prendre connaissance de toute pièce ou observation soumise au juge, fût-ce par un magistrat indépendant, en vue d’influencer sa décision, et de la discuter (voir les arrêts Lobo Machado c. Portugal du 20 février 1996, Recueil 1996-I, p. 215, § 49, Vermeulen c. Belgique du 20 février 1996, Recueil 1996-I, p. 234, § 33, K.D.B. c. Pays-Bas du 27 mars 1998, Recueil 1998-II, p. 631, § 44, et NideröstHuber précité, p. 108, § 24).

26. Pour ce qui est de l’impossibilité pour les parties de répondre aux conclusions du commissaire du gouvernement à l’issue de l’audience de jugement, la Cour a déjà relevé qu’à la différence de l’affaire Reinhardt et Slimane-Kaïd c. France (arrêt du 31 mars 1998, Recueil 1998-II), il n’est pas contesté que dans la procédure devant le Conseil d’Etat, les avocats qui le souhaitent peuvent demander au commissaire du gouvernement, avant l’audience, le sens général de ses conclusions. Il n’est pas davantage contesté que les parties peuvent répliquer, par une note en délibéré, aux conclusions du commissaire du gouvernement, ce qui permet, et c’est essentiel aux yeux de la Cour, de contribuer au respect du principe du contradictoire. Enfin, au cas où le commissaire du gouvernement invoquerait oralement lors de l’audience un moyen non soulevé par les parties, le président de la formation de jugement ajournerait l’affaire pour permettre aux parties d’en débattre (Kress précité, § 76).

27. Reste que, de l’avis de la Cour, le dépôt d’une note en délibéré contribue au respect du principe du contradictoire à certaines conditions. En particulier, les justiciables doivent pouvoir déposer une telle note indépendamment de la décision éventuelle du président d’ajourner l’affaire, tout en disposant d’un délai suffisant pour la rédiger. Par ailleurs, afin d’éviter tout litige quant à sa prise en compte par la haute juridiction administrative, la Cour a déjà souligné à plusieurs reprises que l’arrêt devrait expressément viser l’existence d’une note en délibéré, comme c’est déjà le cas s’agissant de la mention, dans les arrêts du Conseil d’Etat, de la requête ou du recours enregistré auprès de son secrétariat, des autres pièces du dossier et des interventions en audience publique (rapporteur, conseils des parties et commissaire du gouvernement).

28. En l’espèce, la Cour relève que la requérante a déposé une note en délibéré le 6 novembre 2000, ce dont atteste le tampon apposé par le secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat. Dès lors, bien que l’arrêt du 20 novembre 2000 n’en fasse pas expressément mention – ce qui est certes regrettable –, le versement de la note au dossier ne saurait prêter à discussion. En conséquence, la Cour est en mesure de s’assurer que la requérante a répliqué, par une note en délibéré, aux conclusions du commissaire du gouvernement, ce qui lui a permis en l’espèce de contribuer effectivement au respect du principe du contradictoire, nonobstant les doutes que la requérante émet quant à une telle pratique.

Dans ces conditions, la Cour estime que la procédure suivie devant le Conseil d’Etat a offert suffisamment de garanties à la requérante et qu’aucun problème ne se pose sous l’angle du droit à un procès équitable pour ce qui est du respect du contradictoire.

Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention à cet égard.

b) En ce qui concerne la présence du commissaire du gouvernement au délibéré du Conseil d’Etat

29. Le Gouvernement rappelle tout d’abord l’originalité de la situation du commissaire du gouvernement devant le Conseil d’Etat, spécificité reconnue par la Cour dans son arrêt Kress c. France ([GC], no 39594/98, CEDH 2001VI). Ce faisant, il souligne que les fonctions du commissaire du gouvernement sont exercées par un membre de la juridiction qui relève du même statut que les autres membres, et que ce magistrat bénéficie de toutes les garanties statutaires nécessaires à un exercice serein et indépendant de sa mission. Affranchi de tout lien de subordination hiérarchique, il exprime l’opinion personnelle d’un jurisconsulte par le jeu de conclusions qui sont rendues publiques lors de l’audience, donnant l’assurance au justiciable que son dossier a fait l’objet d’une étude approfondie.

Le Gouvernement observe ensuite que, ayant conclu à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison de la participation du commissaire du gouvernement au délibéré (Kress précité), la Cour a ainsi interdit au commissaire toute participation active au délibéré, sans que ni son impartialité personnelle ni l’utilité de son rôle ne soient contestées. Il indique à cet égard que par une instruction du 23 novembre 2001, complétée par une note interne du 13 novembre 2002 relative à l’application de l’arrêt Kress précité, le président de la section du contentieux du Conseil d’Etat a fixé la conduite à tenir par l’ensemble des formations de jugement : le commissaire peut assister, comme témoin muet, au délibéré mais ne doit pas intervenir dans celui-ci en y prenant la parole. Dans la présente espèce, le Gouvernement relève que la requérante se borne à évoquer un « sentiment d’inégalité » au moment où le commissaire s’est retiré avec la formation de jugement mais n’invoque pas clairement son intervention ultérieure à l’appui d’un grief tiré de la rupture de l’égalité des armes, alors que c’est précisément sur ce fondement que la Cour a condamné la participation du commissaire au délibéré. Il conclut par conséquent au défaut manifeste de fondement du grief de la requérante.

Quant à la présence du commissaire du gouvernement au délibéré de la formation de jugement, le Gouvernement estime nécessaire de compléter l’information de la Cour sur le rôle exact de ce magistrat, rappelant notamment que la règle de présence sans participation est scrupuleusement respectée par les juridictions administratives et a fait l’objet d’une jurisprudence constante sanctionnant sa violation. Il souligne également le double intérêt offert par l’assistance du commissaire au délibéré : d’un côté, une expertise technique et, de l’autre, la compréhension du magistrat des raisons pour lesquelles la formation de jugement se rallie ou non à son point de vue. Dès lors, il affirme que si la Cour a pu voir une atteinte au principe de l’apparence d’impartialité objective de la juridiction par la participation active du commissaire au délibéré, il ne saurait en être de même de sa simple présence passive au cours de celui-ci. Du fait de la règle de l’assistance silencieuse du commissaire du gouvernement, les craintes du justiciable prises en considération par la Cour lorsqu’elle fait application de la théorie des apparences, qui doivent être fondées sur des éléments objectifs et non sur des sentiments, sont désormais levées. En d’autres termes, le commissaire n’ayant plus la possibilité de prendre la parole au délibéré, les appréhensions de la requérante quant à une éventuelle influence de ce magistrat sur le sens du délibéré ne sont pas objectivement justifiées ; sur ce dernier point, le Gouvernement indique qu’il étudie un projet de décret tendant à inclure dans le code de justice administrative la règle d’interdiction de toute participation au délibéré du commissaire, tout en autorisant l’assistance passive de ce dernier.

En outre, le Gouvernement affirme que, nonobstant les discussions ouvertes par la doctrine sur le sens du mot « participation » dans le dispositif de l’arrêt Kress, la Cour a choisi de reprendre ce terme dans des arrêts postérieurs (Immeuble groupe Kosser c. France et APBP c. France, nos 38748/97 et 38436/97, 21 mars 2002, et Theraube c. France, no 44565/98, 10 octobre 2002). Or, la portée de tout arrêt doit se déduire, avant tout, de son dispositif.

Le Gouvernement ajoute qu’interdire la présence même du commissaire du gouvernement au délibéré porterait atteinte à une institution qui a largement fait ses preuves et qui est vigoureusement défendue par ses meilleurs connaisseurs, les avocats appelés à plaider fréquemment devant le Conseil d’Etat. Les enseignements que le commissaire du gouvernement tire des discussions en délibéré, par la connaissance des conditions dans lesquelles la décision a été prise et des débats qui ont précédé son adoption, lui permettent de connaître les tendances internes à la juridiction afin d’en tenir compte lors de l’examen des affaires sur lesquelles il sera ultérieurement appelé à conclure. Il contribue ainsi à assurer la cohérence, la continuité et au besoin le développement de la jurisprudence, pour une bonne administration de la justice, laquelle bénéficie au premier chef à l’ensemble des justiciables.

Pour clore ses observations sur ce point, le Gouvernement se réfère aux termes de l’opinion dissidente commune à sept des quinze juges (en réalité dix-sept) s’étant prononcés dans l’arrêt Kress précité, opinion qui vient au soutien du souhait de ne pas voir sacrifier l’institution du commissaire du gouvernement. Enfin, il serait paradoxal que ce dernier, qui est membre du Conseil d’Etat à la différence d’autres personnes susceptibles d’assister au délibéré (tel que tout membre du Conseil d’Etat en service ordinaire ainsi que d’autres magistrats ou professeurs de droit effectuant un stage), soit le seul à ne pouvoir y assister.

30. La requérante, se référant à l’arrêt Kress, conteste l’analyse faite par la partie défenderesse du statut particulier du commissaire du gouvernement comme étant celui d’un magistrat à part entière dont la présence au délibéré ne poserait aucune difficulté. S’agissant des termes de l’opinion dissidente repris par la Gouvernement, la requérante constate que cet argument a déjà été examiné et rejeté par la Cour dans l’arrêt susmentionné (§ 70). Elle fait observer à cet égard que c’est à l’unanimité que la Cour a réaffirmé sa position dans l’arrêt Immeubles Groupe Kosser c. France, et que des membres de la Cour qui avaient précédemment décidé d’opiner dans un sens contraire à celui de la majorité se sont par la suite ralliés à cette confirmation dans les affaires APBP c. France et Theraube c. France (no 44565/98, 10 octobre 2002).

Selon la requérante, dès lors que le commissaire du gouvernement s’est exprimé publiquement en faveur du rejet de ses prétentions et qu’il n’existe aucune garantie qu’il ne puisse, par sa présence, exercer une certaine influence sur l’issue du délibéré, elle est fondée à soutenir que l’égalité des armes a été en l’espèce rompue. Sur ce point, la requérante note que si le président de la section du contentieux du Conseil d’Etat a jugé nécessaire d’édicter une instruction en date du 23 novembre 2001, c’est bien qu’auparavant les commissaires du gouvernement participaient au délibéré. Elle ajoute que la distinction opérée par le Gouvernement entre participation active et simple présence du commissaire ne correspond à aucune réalité dans la mesure où sa seule présence est de nature à influencer la décision de celui ou de ceux des délibérants qui n’ont pas examiné le dossier. Contrairement à ce qu’affirme le Gouvernement, le commissaire n’apporte pas un nouveau regard sur le dossier mais s’inspire plutôt des travaux du rapporteur et du réviseur plaçant ainsi les autres membres de la formation de jugement dans une situation de connaissance de l’affaire orientée, voire subordonnée.

La requérante souligne également que, dans le cadre de l’exécution de l’arrêt Kress précité, le secrétariat du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a clairement indiqué que la position adoptée par les autorités françaises relativement à la question du délibéré auquel assiste le commissaire du gouvernement comme témoin muet, ne permet pas de déployer le plein effet de l’arrêt et n’est donc pas satisfaisante ; elle se réfère à cet égard à un document d’information du Comité des Ministres, CM/inf (2003) 15 du 31 mars 2003. La requérante est donc d’avis que cela illustre un raidissement du juge administratif à l’idée de réaménager sa procédure, à la différence de la Cour de cassation française, devant laquelle les avocats généraux, depuis octobre 2001, ne sont plus présents au délibéré conformément à la jurisprudence de la Cour en la matière.

31. La Cour constate que le Gouvernement interprète l’arrêt Kress susmentionné comme condamnant la participation active du commissaire du gouvernement au délibéré, mais non sa simple présence. A l’appui de ses prétentions, il tire argument du fait que le dispositif de cet arrêt, comme celui des arrêts postérieurs portant sur le même grief, use du terme « participation » uniquement, et non de « présence » (voir APBP c. France précité, Immeubles Groupe Kosser précité et Theraube précité).

32. La Cour relève qu’elle a jugé récemment que « [la] lecture des faits de la cause, des arguments présentés par les parties et des motifs retenus par la Cour, ensemble avec le dispositif de l’arrêt, montre (...) clairement que l’arrêt Kress use de ces termes comme de synonymes, et qu’il condamne la seule présence du commissaire du gouvernement au délibéré, que celle-ci soit « active » ou « passive » » (Martinie c. France [GC], no 58675/00, CEDH 2006-..., § 53). Ce faisant, elle a constaté qu’il n’existait aucun motif susceptible de la convaincre qu’il y avait lieu de réformer sa jurisprudence Kress.

33. Partant, la Cour en conclut qu’il y a eu, en la présente cause, violation de l’article 6 § 1 de la Convention du fait de la présence du commissaire du gouvernement au délibéré de la formation de jugement du Conseil d’Etat.

B. Durée de la procédure

34. Sur le même fondement de l’article 6 § 1 de la Convention, la requérante se plaint de la durée de la procédure devant les juridictions administratives ayant abouti à l’arrêt du Conseil d’Etat rendu le 20 novembre 2000.

35. Le Gouvernement combat cette thèse pour les raisons exposées ci-après. Il estime le grief manifestement mal fondé.

1. Sur la recevabilité

36. La Cour estime que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

2. Sur le fond

a) Période à prendre en considération

37. Le Gouvernement estime que la période à prendre en considération est de sept ans et sept mois : la procédure litigieuse aurait débuté le 9 avril 1993, avec l’enregistrement de la requête formée par la requérante, et se serait achevée le 6 décembre 2000, date de la première notification de l’arrêt du Conseil d’Etat. A cet égard, le Gouvernement affirme que la lettre de notification envoyée le 6 décembre 2000 fut retournée par les services postaux avec la mention « n’habite pas à l’adresse indiquée », et qu’une seconde notification a été nécessaire après que la requérante se fut manifestée en août 2001.

38. La requérante, quant à elle, estime que la procédure a débuté le 14 octobre 1992, date de sa demande en indemnisation présentée à la collectivité territoriale de Corse, et s’est achevée le 3 septembre 2001, date de la notification de l’arrêt du Conseil d’Etat. Sur ce point, la requérante constate que le Gouvernement fait état d’une notification du 6 décembre 2000 sans pour autant produire aucune pièce justificative. Elle en déduit que la procédure a duré neuf ans, neuf mois et vingt jours.

39. La Cour rappelle que la période à considérer sous l’angle du « délai raisonnable » de l’article 6 § 1 de la Convention débute à la date de la saisine de l’administration lorsqu’une telle démarche est un préalable nécessaire à la saisine du juge (voir, par exemple, X c. France, arrêt du 31 mars 1992, série A no 234-C, § 31, ainsi que Perhirin c. France, no 60545/00, 4 février 2003).

40. La Cour ne partage pas l’avis du Gouvernement selon lequel le début de la période à considérer en l’espèce se trouve reporté à la date du dépôt de la requête de la requérante devant les juridictions internes. Elle estime que le point de départ de la procédure en cause doit être fixé au 14 octobre 1992, date à laquelle le requérant a adressé sa demande en indemnisation à la collectivité territoriale de Corse. Quant au dies ad quem, la Cour relève qu’il ne ressort d’aucune pièce du dossier que l’arrêt du Conseil d’Etat ait été notifié le 6 décembre 2000, comme l’affirme le Gouvernement. En revanche, il apparaît que ledit arrêt a été notifié le 30 août 2001 à la partie requérante. En conséquence, la procédure a duré un peu moins de neuf ans (huit ans, dix mois et seize jours) pour une demande préalable et trois instances.

b) Caractère raisonnable de la durée de la procédure en cause

41. Le Gouvernement, qui souligne la complexité de l’affaire, soutient que celle-ci se situait dans le prolongement de nombreux contentieux en excès de pouvoir présentés par la requérante, au nombre de treize. Ces différents éléments expliqueraient selon lui la durée de la procédure en première instance. Le Gouvernement explique ensuite que la durée de l’instance devant le tribunal administratif de Bastia a été liée à l’introduction de plusieurs requêtes par la requérante, au fond et en référé (expertise et provision), à la nécessité de rouvrir l’instruction après une première audience du fait de nouveaux éléments soumis par les parties, et au manque d’effectif au sein du tribunal administratif à l’époque. Il estime par conséquent que l’article 6 § 1 n’a pas été méconnu en l’espèce.

42. La requérante souligne d’abord l’enjeu du litige, au regard de sa situation financière, qui appelait selon elle une célérité particulière. Elle estime ensuite que l’affaire ne présentait aucune complexité particulière et que son comportement, à l’inverse de celui des autorités administratives, est exempt de toute critique, car elle a toujours déposé ses mémoires dans les délais et n’a jamais demandé le renvoi de son affaire. En revanche, elle relève que l’instruction devant le tribunal administratif a duré plus de quatre ans, que la désignation de l’expert est intervenue presque trois ans après l’enregistrement de la requête, que le juge n’a pas suffisamment utilisé ses pouvoirs d’injonction afin de presser la marche de l’instance, et que le délai de notification de l’arrêt du Conseil d’Etat a contribué à l’allongement de la duré de la procédure.

43. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour l’intéressé (voir, parmi beaucoup d’autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII).

44. Elle constate que la requérante n’a pas provoqué de retard particulier, respectant notamment les délais prescrits pour soumettre ses mémoires. Le Gouvernement, en revanche, excipe de la complexité de l’affaire et avance le nombre de treize contentieux présentés par la requérante dans le prolongement de la présente affaire, sans plus de détails, pour expliquer la duré de la procédure. Or, même en admettant que le litige dont les juridictions administratives étaient saisies puisse présenter une relative complexité, la Cour relève certaines périodes de latences imputables aux juridictions, en particulier la durée de l’instruction devant le tribunal administratif de Bastia et le délai de notification de l’arrêt du Conseil d’Etat.

45. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, ces éléments suffisent à la Cour pour conclure qu’en l’espèce la durée de la procédure litigieuse est excessive et ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable ».

Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention à cet égard.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

46. Aux termes de larticle 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

47. La requérante réclame 1 618 831,80 euros (EUR) au titre du préjudice matériel qu’elle aurait subi. En premier lieu, elle estime que l’allongement de la procédure a nécessairement causé un blocage de son activité professionnelle, l’empêchant de s’investir sur d’autres opérations et l’amenant à supporter des charges d’exploitation sur une certaine durée. Elle s’appuie à cet égard sur un rapport établi par la Fiduciaire Corse Audit le 3 août 1994, duquel il ressort que les frais nécessaires au maintien de l’existence de la société s’élèvent à 752 373 EUR. En second lieu, la requérante considère que l’absence de prise en considération de sa note en délibéré a entraîné une perte de chance d’obtenir réparation du préjudice subi, qu’elle évalue à 642 460,80 EUR. Enfin, M. Faraud, fondateur et président de la société requérante, estime qu’il a droit, personnellement, à obtenir réparation des préjudices que la violation des exigences conventionnelles précédemment démontrées lui a causés, relativement à la diminution de ses revenus suite à la baisse des activités de la requérante, à la perte de points de retraite due à la diminution de ses salaires et à la perte d’une rente viagère suite à la fin, en 1995 au lieu de 2004, d’un contrat d’assurance vie souscrit à son profit. Au titre du préjudice moral, la requérante, en raison de la durée excessive de la procédure, réclame 20 000 EUR.

48. Le Gouvernement ne formule aucune observation.

49. La Cour rappelle que l’article 41 de la Convention l’habilite, lorsqu’elle conclut à une violation de la Convention, à accorder à la partie lésée la satisfaction qui lui semble appropriée lorsque le droit national ne permet pas ou ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de ladite violation (voir, par exemple, Brumãrescu c. Roumanie (satisfaction équitable) [GC], no 28342/95, § 20, CEDH 2000-I).

La Cour note que la demande d’indemnité pour dommage matériel formulée par la requérante se fonde en partie sur une perte de chances commerciales du fait de la durée excessive de la procédure. Cette perte de chance étant hypothétique par nature, la Cour ne peut par principe spéculer sur ce qu’aurait été l’issue de la procédure si la requérante avait obtenu une décision définitive sur son action dans un délai raisonnable. Le lien de causalité entre les violations constatées de l’article 6 § 1 de la Convention et le dommage matériel allégué sur ce point n’est donc pas établi, et il y a lieu de rejeter cette partie de la demande. Pour ce qui est de la perte de chance d’obtenir gain de cause devant le Conseil d’Etat, la Cour ne peut davantage spéculer sur la conclusion à laquelle le Conseil d’Etat aurait abouti dans le cas où l’article 6 § 1 n’aurait pas été méconnu du fait de la présence du commissaire du gouvernement au délibéré. En outre, le versement de la note en délibéré au dossier de la procédure ne prêtant pas à discussion les prétentions de la requérante apparaissent sans objet. Par ailleurs, s’agissant de la demande formulée par M. Faraud, la Cour constate que ce dernier n’est pas partie à la procédure, l’unique partie requérante étant la société « Farange S.A. » ; par conséquent, aucune somme au titre de la satisfaction équitable ne saurait lui être allouée. En définitive, la Cour rejette la demande de la requérante au titre du préjudice matériel.

Elle estime en revanche que le prolongement de la procédure litigieuse au-delà du « délai raisonnable » a causé à la requérante un tort moral certain, justifiant l’octroi d’une indemnité (voir Comingersoll c. Portugal [GC], no 35382/97, § 35, CEDH 2000IV). Statuant en équité comme le veut l’article 41, elle estime qu’il y a lieu de lui octroyer 6 000 EUR à ce titre.

B. Frais et dépens

50. La requérante demande 10 083,59 EUR pour les frais et dépens encourus devant les juridictions internes. Elle demande également 22 867,35 EUR pour ceux encourus devant la Cour ; elle produit à cet égard une note d’honoraire émise par son mandataire datée du 19 octobre 2001. Enfin, au titre des « frais divers qu’elle a dû exposer afin d’obtenir le redressement des violations susmentionnées », la requérante réclame 5 500 EUR correspondant à cinq jours de travail plus les frais de constitution du dossier.

51. Le Gouvernement ne formule aucune observation sur ce point.

52. La Cour rappelle que lorsqu’elle constate une violation de la Convention, la Cour peut accorder le paiement des frais et dépens exposés devant les juridictions internes, mais uniquement lorsqu’ils ont été engagés « pour prévenir ou faire corriger par celles-ci ladite violation » (voir, notamment, Zimmermann et Steiner c. Suisse, arrêt du 13 juillet 1983, série A no 66, § 36, et Bouilly c. France (no 2), no 57115/00, § 29, 24 juin 2003). La Cour ayant conclu à une violation de l’article 6 § 1 du fait de la durée excessive de la procédure incriminée et de l’iniquité de l’instance devant le Conseil d’Etat, tel n’est à l’évidence pas le cas en l’espèce s’agissant des frais engagés devant les juridictions internes. Il y a donc lieu de rejeter cet aspect de la demande de la requérante.

Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (voir, par exemple, Bottazzi c. Italie [GC], no 34884/97, § 30, CEDH 1999-V). En l’espèce, compte tenu de la nature des griefs en cause, des éléments en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour estime raisonnable d’allouer à la requérante la somme de 6 000 EUR pour les frais et dépens encourus devant elle.

C. Intérêts moratoires

53. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare le restant de la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention du fait de la durée de la procédure et de la présence du commissaire du gouvernement lors du délibéré ;

3. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention du fait de la non-communication préalable des conclusions du commissaire du gouvernement à la requérante et de l’impossibilité pour elle d’y répondre à l’audience ;

4. Dit

a) que lEtat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 6 000 EUR (six mille euros) pour dommage moral et 6 000 EUR (six mille euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 13 juillet 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Vincent Berger Boštjan Zupančič
Greffier Président