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TROISIÈME SECTION
AFFAIRE FALNOGA c. SLOVÉNIE
(Requête no 5110/02)
ARRÊT
STRASBOURG
13 juillet 2006
DÉFINITIF
13/10/2006
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Falnoga c. Slovénie,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. J. Hedigan, président,
B.M. Zupančič,
L. Caflisch,
V. Zagrebelsky,
E. Myjer,
David Thór Björgvinsson,
Mme I. Ziemele, juges,
et de M. V. Berger, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 22 juin 2006,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 5110/02) dirigée contre la République de Slovénie et dont une ressortissante de cet Etat, Mme Ljudmila Falnoga (« la requérante »), a saisi la Cour le 21 janvier 2002 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. La requérante est représentée par des avocats du cabinet Verstovšek. Le gouvernement slovène (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. L. Bembič, procureur général de l’Etat.
3. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, la requérante alléguait que la procédure interne à laquelle elle est partie avait connu une durée excessive. Elle dénonçait aussi en substance l’absence de recours interne effective qui lui eût permis de se plaindre de la durée déraisonnable de cette procédure (article 13 de la Convention).
4. Le 11 juin 2004, la Cour a décidé de communiquer au Gouvernement les griefs tirés de la durée de la procédure et de l’absence de recours à cet égard. Se prévalant de l’article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de la requête.
EN FAIT
5. La requérante est née en 1958 et réside à Petrovče.
6. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
7. Le 22 janvier 1994, la requérante fut blessée sur un terrain de ski.
8. Le 16 avril 1997, la requérante, par l’intermédiaire de ses avocats, intenta une action en dommages-intérêts s’élevant à 4 910 000 tolars (SIT) contre une compagnie d’assurances devant le tribunal de district (Okrožno sodišče) de Celje et demanda à être exemptée du paiement des frais de procédure.
9. Les 23 janvier, 29 juin, 23 novembre 1998 ainsi que le 12 avril 1999, la requérante demanda au tribunal de tenir une audience.
10. Les 8 juillet et 15 octobre 1999, le tribunal tint des audiences.
11. Le 27 juillet 1999, la requérante augmenta le montant d’indemnisation réclamée.
12. Le 15 octobre 1999, une audience fut tenue.
13. Le 18 novembre 1999, le tribunal tint une audience et décida de nommer un expert en ski.
14. Le 2 décembre 1999, le tribunal nomma l’expert, qui prépara son avis le 4 avril 2000.
15. Le 25 mai 2000, le tribunal tint une audience.
16. Le 22 juin 2000, le tribunal tint une audience, où la requérante demanda au tribunal de nommer un autre expert médical. Le tribunal accéda à sa demande.
17. Le 8 septembre 2000, cet expert fut nommé. Le 24 novembre 2000, il soumit son avis.
18. Le 19 mars 2001, la requérante retira une partie de sa demande.
19. Le 22 mars 2001, le tribunal tint une audience et décida de nommer un expert médical.
20. Le 24 mai 2001, l’expert médical fut nommé. Le 28 août 2001, il soumit son avis.
21. Le 11 décembre 2001, la requérante diminua le montant de l’indemnisation demandée.
22. Au cours de la procédure, la requérante soumit environ dix mémoires.
23. Le 10 janvier 2002, après une audience, le tribunal rendit un jugement accédant partiellement à la demande de la requérante. Les deux parties interjetèrent appel. La requérante en plus demanda la rectification du jugement et l’exemption du paiement des frais.
24. Le 21 février 2002, le tribunal rejeta cette dernière demande. Elle interjeta appel.
25. Le 14 mai 2003, le tribunal supérieur modifia partiellement le jugement de première instance et rejeta le reste.
26. Le 3 juillet 2003, la requérante présenta un recours devant la Cour suprême.
27. Le 21 juillet 2003, le tribunal supérieur rectifia le jugement.
28. Le 17 février 2005, la Cour suprême infirma les décisions antérieures et renvoya l’affaire devant le premier juge. La décision fut notifiée à la requérante le 18 mars 2005.
29. Le 12 avril 2005, le tribunal de district de Celje rendit un jugement, donnant partiellement gain de cause à la requérante. Cette décision fut notifiée à la requérante le 24 mai 2005.
30. Le 2 juin 2005, la requérante interjeta appel.
31. L’affaire est pendante devant le tribunal supérieur.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 6 § 1 ET 13 DE LA CONVENTION
32. La requérante se plaint de la durée excessive de la procédure. Elle invoque l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
« Tout personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
33. La requérante dénonce en substance le caractère ineffectif des recours disponible en Slovénie pour se plaindre de la durée excessive d’une procédure judiciaire. L’article 13 de la Convention dispose :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
A. Sur la recevabilité
34. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes.
35. La requérante combat cette thèse, arguant que les recours disponibles manquaient d’effectivité.
36. La Cour relève que la présente requête est similaire aux affaires Belinger et Lukenda (Belinger c. Slovénie (déc.), no 42320/98, 2 octobre 2001, et Lukenda c. Slovénie, no 23032/02, 6 octobre 2005). Dans ces affaires, la Cour a rejeté l’exception de non-épuisement des voies de recours internes formulée par le Gouvernement car elle a jugé que les recours dont la requérante pouvait se prévaloir n’étaient pas effectifs. La Cour rappelle qu’elle a constaté dans son arrêt Lukenda c. Slovénie que la violation du droit à un jugement dans un délai raisonnable est un problème systémique qui résulte d’une législation inadéquate et d’un manque d’efficacité dans l’administration de la justice.
37. En ce qui concerne la présente espèce, la Cour estime que le Gouvernement n’a fourni aucun argument convaincant susceptible de l’amener à établir une distinction entre l’affaire à l’étude et les affaires antérieures et donc à s’écarter de sa jurisprudence constante.
38. La Cour constate par ailleurs que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève en outre qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Dès lors, il y a lieu de la déclarer recevable.
B. Sur le fond
1. Article 6 § 1 de la Convention
39. La période à considérer a débuté le 16 avril 1997, jour où la requérante a engagé une procédure devant le tribunal de district de Celje, et n’a pas encore pris fin. Elle a donc duré plus de neuf ans et un mois pour cinq degrés de juridiction.
40. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères suivants : la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour l’intéressé (voir, parmi beaucoup d’autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII).
41. Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, et compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu’en l’espèce la durée de la procédure litigieuse, en particulier devant le tribunal de première instance, est excessive et ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable ».
Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1.
2. Article 13 de la Convention
42. La Cour rappelle que l’article 13 garantit un recours effectif devant une instance nationale permettant de se plaindre d’une méconnaissance de l’obligation, imposée par l’article 6 § 1, d’entendre les causes dans un délai raisonnable (voir Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 156, CEDH 2000-XI). Elle relève que les exceptions et arguments soulevés par le Gouvernement ont déjà été rejetés précédemment (voir Lukenda, arrêt précité) et ne voit pas de raison de parvenir a une conclusion différente dans le cas présent.
43. Dès lors, la Cour estime qu’en l’espèce il y a eu violation de l’article 13 a raison de l’absence en droit interne d’un recours qui eut permis à la requérante d’obtenir la sanction de son droit à voir sa cause entendue dans un délai raisonnable, au sens de l’article 6 § 1.
II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
44. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
45. La requérante réclame 13 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral.
46. Le Gouvernement conteste ces prétentions.
47. La Cour estime que la requérante a subi un tort moral certain. Statuant en équité, elle lui accorde 2 000 EUR à ce titre.
B. Frais et dépens
48. La requérante demande également 1 297 EUR pour les frais et dépens encourus devant la Cour.
49. Le Gouvernement considère que ces prétentions sont exagérées.
50. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. La Cour relève aussi que les avocats de la requérante, qui ont également représenté M. Lukenda dans l’affaire Lukenda précitée, ont soumis près de 400 requêtes qui, hormis les faits, sont pour l’essentiel identiques à celle à l’étude. Dès lors, en l’espèce, compte tenu des éléments en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour estime raisonnable la somme de 1 000 EUR pour la procédure devant elle et l’accorde à la requérante.
C. Intérêts moratoires
51. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention ;
4. Dit
a) que l’Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 2 000 EUR (deux mille euros) pour dommage moral et 1 000 EUR (mille euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 13 juillet 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Vincent Berger John Hedigan
Greffier Président