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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
13.7.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE ALLUSHI c. GRÈCE

(Requête no 3525/04)

ARRÊT

STRASBOURG

13 juillet 2006

DÉFINITIF

13/10/2006

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Allushi c. Grèce,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

MM. L. Loucaides, président,
C.L. Rozakis,
Mmes F. Tulkens,
N. Vajić,
M. A. Kovler,
Mme E. Steiner,
MM. K. Hajiyev, juges,
et de M. S. Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 22 juin 2006,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 3525/04) dirigée contre la République hellénique par un ressortissant albanais, M. Aleks Allushi (« le requérant ») qui a saisi la Cour le 9 décembre 2003 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») est représenté par les délégués de son agent, M. Y. Halkias, assesseur auprès du Conseil Juridique de l’Etat et Mme O. Patsopoulou, auditrice auprès du Conseil Juridique de l’Etat.

3. Le 10 mai 2005, la Cour a décidé de communiquer le grief tiré de la durée de la procédure au Gouvernement. Se prévalant de l’article 29 § 3 de la Convention, elle a décidé qu’elle se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond. Le 11 mai 2005, le gouvernement albanais a été invité à présenter, s’il le désirait, des observations écrites sur l’affaire (articles 36 § 1 de la Convention et 44 § 1 du règlement). Celui-ci n’a pas répondu.

EN FAIT

4. Le requérant est né en 1964. Il purge actuellement une peine de réclusion dans la prison de Patras.

5. Le 19 juillet 2002, dans le cadre d’une enquête policière, le requérant fut arrêté pour détention et trafic de stupéfiants. Des poursuites pénales furent engagées à son encontre. Le 23 juillet 2002, il fut placé en détention provisoire. Le 7 octobre 2002, il fut renvoyé en jugement.

6. Le 11 juin 2003, la cour d’assises de Thessalonique le condamna à dix-neuf ans de réclusion (arrêt no 744/2003).

7. Le 18 juin 2003, le requérant interjeta appel.

8. La date de l’audience devant la cour d’appel fut fixée au 21 septembre 2006. Le requérant sollicita près le greffe de la cour d’appel de Thessalonique la fixation de l’audience à une date plus courte. Le 16 octobre 2003, sa demande fut rejetée par le greffe de la cour d’appel de Thessalonique.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

9. Le requérant allègue que la durée de la procédure a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

10. Le Gouvernement affirme que la durée de la procédure litigieuse ne prête pas à critique. Il note en particulier que l’instruction a été menée avec célérité et souligne que le requérant aurait pu demander près la cour d’appel la suspension de sa peine pour éviter d’être détenu dans l’attente de son procès devant cette juridiction.

A. Sur la recevabilité

11. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Période à prendre en considération

12. La période à considérer a débuté le 19 juillet 2002, avec l’arrestation du requérant, et n’a pas encore pris fin, la procédure étant pendante en appel. A ce jour, elle a donc déjà duré trois ans et onze mois environ pour une instance, l’instance d’appel étant pendante.

2. Caractère raisonnable de la durée de la procédure

13. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par la jurisprudence de la Cour, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes (voir, parmi beaucoup d’autres, Pélissier et Sassi c. France [GC], no 25444/94, § 67, CEDH 1999-II).

14. La Cour a traité à maintes reprises d’affaires soulevant des questions semblables à celle du cas d’espèce et a constaté la violation de l’article 6 § 1 de la Convention (voir Pélissier et Sassi précité).

15. Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour considère que le Gouvernement n’a exposé aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent. S’agissant notamment du comportement du requérant, la Cour ne relève aucun délai pouvant lui être imputé. Au contraire, elle constate que le requérant demanda la fixation de l’audience devant la cour d’appel à une date plus courte que celle prévue, demande qui a été rejetée. Par ailleurs, s’agissant de la possibilité pour le requérant de demander près la cour d’appel la suspension de sa peine, la Cour considère que ce moyen n’aurait pas eu comme effet d’accélérer la procédure mais d’éviter au requérant d’être détenu dans l’attente de l’audience de son affaire devant la cour d’appel.

16. Au demeurant, la Cour estime que le comportement des autorités n’est pas exempt de critiques ; la Cour se réfère notamment au fait que l’audience en appel a été fixée à une date de plus de trois ans après l’arrêt no 744/2003 de la cour d’assises de Thessalonique, délai qui n’a aucunement été justifié par le Gouvernement.

17. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu’en l’espèce la durée de la procédure litigieuse est excessive et ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable ».

Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1.

II. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

18. Sans invoquer de disposition de la Convention, le requérant se plaint qu’il a été condamné en dépit de son innocence. Il affirme par ailleurs qu’il n’a pas pu être représenté de manière effective par son avocat lors de son procès, car celui-ci a prétendument fait le jeu de la police. En outre, le requérant se plaint de l’administration des preuves telle qu’elle s’est déroulée devant les autorités compétentes.

Sur la recevabilité

19. La Cour rappelle que la conformité d’un procès aux exigences de l’article 6 § 1 de la Convention doit en principe être examinée sur la base de la procédure pénale dans son ensemble, à savoir une fois celle-ci terminée (voir, par exemple, Bernard c. France, arrêt du 23 avril 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-II, p. 879, § 37). Toutefois, dans certains cas exceptionnels, on ne peut exclure qu’un élément déterminé soit à ce point décisif qu’il permette à la Cour de juger de l’équité du procès à un stade plus précoce, avant même que les juridictions nationales aient rendu un jugement définitif dans l’affaire (voir parmi d’autres, Deligiannis c. Grèce, (déc.), no 5074/03, 5 juin 2003). La Cour, notant que la procédure pénale diligentée contre le requérant est actuellement pendante devant la cour d’appel, ne relève pas de circonstances de ce genre.

20. Il s’ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

21. Aux termes de larticle 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

22. Le requérant réclame 94 970 euros (EUR) au titre du préjudice matériel et moral qu’il aurait subi en raison de sa détention prolongée.

23. Le Gouvernement conteste ces prétentions. Il affirme notamment qu’il n’existe aucun lien de causalité entre le préjudice allégué et la violation constatée et invite la Cour à rejeter cette demande.

24. La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. En revanche, la Cour estime que le requérant a subi un tort moral certain. Statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, elle lui accorde 3 500 EUR à ce titre, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt.

B. Frais et dépens

25. Le requérant demande également 9 120 EUR pour les frais et dépens encourus devant les juridictions internes et la Cour sans produire de justificatifs.

26. Le Gouvernement affirme que les prétentions du requérant sont vagues et non justifiées.

27. La Cour rappelle que l’allocation de frais et dépens au titre de l’article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000-XI). S’agissant des frais et dépens encourus en Grèce, la Cour a déjà jugé que la longueur d’une procédure pouvait entraîner une augmentation des frais et dépens du requérant devant les juridictions internes et qu’il convient donc d’en tenir compte (voir, entre autres, Capuano c. Italie, arrêt du 25 juin 1987, série A no 119-A, p. 15, § 37). Toutefois, dans le cas d’espèce, la Cour note que le requérant ne produit aucune facture en ce qui concerne les frais engagés devant les juridictions saisies et la Cour. Il échet donc de rejeter ses prétentions au titre des frais et dépens.

C. Intérêts moratoires

28. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de la durée excessive de la procédure et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

3. Dit

a) que lEtat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 3 500 EUR (trois mille cinq cents euros) pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 13 juillet 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Søren Nielsen Loukis Loucaides
Greffier Président