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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
13.7.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE ZACHARAKIS c. GRÈCE

(Requête no 17305/02)

ARRÊT

STRASBOURG

13 juillet 2006

DÉFINITIF

11/12/2006

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Zacharakis c. Grèce,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

MM. L. Loucaides, président,
C.L. Rozakis,
Mmes F. Tulkens,
N. Vajić,
M. A. Kovler,
Mme E. Steiner,
MM. K. Hajiyev, juges,
et de M. S. Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 22 juin 2006,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 17305/02) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant de cet Etat, M. Emmanuel Zacharakis (« le requérant »), a saisi la Cour le 18 avril 2002 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant est représenté par Mes G. Vitalis et C. Kapsalis, avocats au barreau d’Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») est représenté par les délégués de son agent, M. S. Spyropoulos, assesseur auprès du Conseil Juridique de l’Etat et Mme S. Trekli, auditrice auprès du Conseil Juridique de l’Etat.

3. Le requérant alléguait en particulier une violation de son droit au respect de ses biens.

4. La requête a été attribuée à la première section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d’examiner l’affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l’article 26 § 1 du règlement.

5. Par une décision du 6 mars 2003, la Cour a décidé de communiquer au Gouvernement le grief tiré de l’article 1 du Protocole no 1 et de déclarer la requête irrecevable pour le surplus.

6. Le 1er novembre 2004, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la première section ainsi remaniée (article 52 § 1).

7. Par une décision du 9 décembre 2004, la Cour a déclaré recevable le restant de la requête.

8. Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l’affaire (article 59 § 1 du règlement).

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

A. Genèse de l’affaire

9. Par une décision du 4 mai 1970, publiée le 19 mai 1970, les ministres de l’Economie et des Travaux Publics exproprièrent pour des motifs d’intérêt public, à savoir la construction d’une église, une superficie de 594 504 m² sise à Tourkovounia (Athènes). En vertu de l’acte d’expropriation, la propriété du terrain fut transférée à une entité de caractère public, le Fonds Spécial de l’Eglise du Sauveur.

10. Le 17 novembre 1970, le tribunal de première instance d’Athènes fixa le montant provisoire de l’indemnité au mètre carré. Il estima que pour une partie de la superficie, ce montant devait s’élever à 500 drachmes (GRD) (environ 1,46 euros - EUR) au mètre carré et pour une autre partie à 300 GRD (environ 0,88 EUR) le mètre carré (décision no 1173/1970). La somme fut consignée dans l’attente de la reconnaissance de la qualité d’ayant droit de l’indemnité.

11. En 1971, l’indemnité correspondant aux sommes fixées par la décision no 1173/1970 fut déposée par l’Etat à la Caisse des dépôts et consignations (Ταμείο Παρακαταθηκών και Δανείων).

B. Procédure en reconnaissance du droit de propriété

12. Lors de la procédure de fixation de l’indemnité susmentionnée, le père du requérant intervint en invoquant un droit de propriété à hauteur de 36 % d’un terrain de 119 000 m² dont il était co-propriétaire en indivis avec le Fonds de la Marine nationale et faisant partie de la superficie litigieuse. Il sollicitait également la reconnaissance de ce droit en application de la procédure prévue aux articles 29-33 de la loi no 1731/1939. Le tribunal de première instance d’Athènes rejeta cette demande au motif que le père du requérant n’avait pas soumis un rapport démontrant que l’Etat n’avait pas de droit de propriété sur la superficie litigieuse.

13. Le 25 février 1971, le père du requérant introduisit une action devant le tribunal de grande instance d’Athènes par laquelle il réitérait sa demande de reconnaissance au titre de co-propriétaire. Il demandait également à être reconnu bénéficiaire de l’indemnité définitive correspondant à cette superficie.

14. Le 26 juin 1991, le tribunal reconnut le père du requérant propriétaire en indivis à hauteur de 36 % de 97 610 m² de la superficie expropriée et bénéficiaire de l’indemnité y afférente (décision no 6445/1991).

15. Le 20 novembre 1991, l’Etat interjeta appel de cette décision. Il reprochait au tribunal d’avoir mal apprécié les éléments de preuve. Le 27 juillet 1992, la procédure fut interrompue en raison du décès du père du requérant, mais reprise, après que le requérant se fut substitué aux droits de son père.

16. Le 18 février 1994, la cour d’appel confirma le jugement de première instance (décision no 1136/1994). L’Etat se pourvut en cassation.

17. Le 7 juin 1996, la Cour de cassation rejeta le pourvoi de l’Etat (arrêt no 832/1996).

C. Tentative de conclusion de l’affaire à l’amiable

18. Les 19 septembre et 30 octobre 1996, le requérant tenta de conclure un règlement amiable avec l’Etat. Il proposa à ce dernier que lui soit versée une indemnité correspondant à la valeur actuelle de la superficie de 97 610 m². Le requérant proposa aussi au Conseil juridique de l’Etat de se désister de la co-propriété à hauteur de 36 % en échange d’un terrain situé dans un autre endroit à Tourkovounia. Le Conseil juridique de l’Etat accepta sa proposition mais celle-ci ne fut pas concrétisée car le second copropriétaire (le Fonds de la Marine nationale) exigea le même traitement. Toutefois, le 14 mars 1997, le ministère de l’Economie se déclara prêt à verser au requérant la somme fixée comme indemnité provisoire, à condition que le requérant accepte de se désister de toute autre prétention qu’il aurait pu avoir contre l’Etat.

D. Procédure tendant à la fixation de l’indemnité définitive

19. Le 2 août 1999, le requérant invita le tribunal de grande instance à fixer le montant définitif de l’indemnité. Dans son mémoire, il précisait que le montant, fixé de manière provisoire en 1970, devait être révisé afin de refléter la valeur actuelle de la propriété expropriée. Le requérant proposa qu’il soit fixé à 128 093 GRD (environ 376 EUR) au mètre carré.

20. Le 13 juin 2000, le tribunal de grande instance rejeta l’action du requérant. Il considéra que la date à retenir pour la détermination de la valeur de la superficie expropriée était celle de la fixation de l’indemnité provisoire, à savoir le 17 novembre 1970, et non pas celle de la fixation de l’indemnité définitive (décision no 5860/2000).

21. Le 5 décembre 2001, la Cour de cassation confirma cette décision. En particulier, elle conclut que le tribunal de grande instance n’avait pas violé les dispositions de la Constitution de 1968 ou du code des expropriations. Elle rappela qu’un réajustement de la valeur du bien exproprié, après la publication de l’acte d’expropriation, était pris en compte jusqu’à la première délibération sur la fixation de l’indemnité. Toutefois, elle jugea que lorsque la fixation provisoire de l’indemnité était déjà intervenue, l’intéressé pouvait demander ultérieurement la fixation définitive de cette indemnité à un montant supérieur. Cependant, ce montant devrait refléter la valeur du bien au moment de la fixation provisoire de l’indemnité (arrêt no 1715/2001).

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

22. L’article 21 § 2 de la Constitution de 1968 disposait :

« Nul ne peut être privé de sa propriété si ce n’est pour cause d’utilité publique (...) et à la suite d’une indemnisation intégrale. Celle-ci doit correspondre à la valeur du bien exproprié au moment de la publication de l’acte d’expropriation (...). La modification éventuelle de la valeur du bien exproprié après la publication de cet acte n’est pas prise en compte. »

Selon l’article 9 de la loi no 1731/1939, tel que modifié par l’article 6 du décret no 3979/1959, la date à retenir pour la détermination de la valeur du bien est celle de la première délibération relative à la détermination de l’indemnité, indépendamment du tribunal ou du juge devant lequel cette délibération a lieu. Selon l’interprétation faite par les tribunaux de ces dispositions, la détermination de la valeur du bien exproprié est faite au moment de la fixation du montant provisoire de l’indemnité.

23. L’article 17 § 2 de la Constitution de 1975 dispose :

« Nul ne peut être privé de sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, dûment prouvée, dans les cas et suivant la procédure déterminés par la loi et toujours moyennant une indemnité préalable complète. Celle-ci doit correspondre à la valeur que possède la propriété expropriée le jour de l’audience sur l’affaire concernant la fixation provisoire de l’indemnité par le tribunal (...). »

Suite à la réforme constitutionnelle de 2001, un nouveau paragraphe fut ajouté à la disposition susmentionnée, qui se lit ainsi :

« Si la délibération pour la fixation définitive de l’indemnité a lieu après un an à compter de la délibération pour la fixation provisoire de celle-ci, seule la valeur du bien au moment de la délibération pour la fixation définitive est prise en compte pour la détermination de l’indemnité ».

24. Les articles pertinents du décret législatif 797 du 1er janvier 1971, relatif aux expropriations, disposent :

Article 17

« 1. La détermination de l’indemnité se fait par décision judiciaire, qui fixe seulement le montant unitaire de celle-ci au mètre carré, sans déterminer le bénéficiaire de cette indemnité (..). »

Article 18

« 1. Le tribunal compétent pour fixer l’indemnité provisoire est le tribunal de première instance du lieu où se trouve le bien exproprié (...).

10. Il n’existe pas de recours contre la décision du tribunal de première instance qui fixe l’indemnité provisoire. »

Article 19

« 1. Le tribunal compétent pour fixer l’indemnité définitive est la cour d’appel du lieu où se trouve le bien exproprié (...).

16. Le seul recours possible contre la décision de la cour d’appel fixant l’indemnité définitive est le pourvoi en cassation. »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1

25. Le requérant se plaint que le refus des juridictions internes de réactualiser l’indemnité d’expropriation fixée en 1970 pour correspondre à la valeur actuelle de sa propriété, expropriée en 1970, a méconnu l’article 1 du Protocole no 1, ainsi libellé :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

A. Arguments des parties

26. Le Gouvernement affirme que l’expropriation du terrain litigieux était légale et que la contestation des droits de l’Etat sur le terrain litigieux demandait l’engagement d’une procédure judiciaire ordinaire qui, en tout état de cause, traînerait en longueur du fait des questions techniques complexes qu’elle soulèverait. Le Gouvernement admet la longueur de la durée de la procédure judiciaire pour la reconnaissance du propriétaire de la superficie litigieuse. Se référant à l’arrêt Varipati c. Grèce (no 38459/97, 26 octobre 1999), il soutient que les répercussions patrimoniales encourues par la durée excessive d’une procédure s’analysent uniquement comme la conséquence d’une violation de l’article 6 § 1 de la Convention et ne sauraient être prises en considération qu’au titre de la satisfaction équitable que le requérant serait susceptible d’obtenir à la suite du constat de la violation de ladite disposition conventionnelle.

27. Le requérant affirme que le montant de l’indemnité à percevoir suite à l’expropriation d’un terrain doit correspondre à la valeur vénale que celui avait à une date proche de la date de versement de l’indemnité. Il estime que le rejet de ses demandes par les juridictions internes s’analyse en une violation de l’article 1 du Protocole no 1.

B. Appréciation de la Cour

28. La Cour observe d’emblée que, dans la présente affaire, le grief du requérant a trait au refus des juridictions internes de réactualiser l’indemnité allouée en 1970, en raison de l’expropriation de son terrain, pour correspondre à la valeur actuelle de sa propriété. Il est vrai que le retard de trente et un ans environ pour fixer le montant définitif de l’indemnité d’expropriation résulte, principalement, de la durée de la procédure en reconnaissance du droit de propriété du requérant. Pour le Gouvernement, la situation incriminée doit plutôt être examinée sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention. La Cour ne peut souscrire à cette thèse. En effet, dans l’affaire Varipati invoquée par le Gouvernement, le préjudice allégué par l’intéressée n’était que l’effet secondaire de la durée anormale de la procédure en cause. Or, dans la présente affaire, le grief allégué ne résulte pas de la durée de la procédure litigieuse mais du rejet par les juridictions compétentes de la demande de réajustement de l’indemnité accordée pour l’expropriation. Partant, la situation incriminée doit être examinée sous l’angle de l’article 1 du Protocole no 1.

29. En l’espèce, la Cour note que la situation litigieuse relève de la première phrase du premier alinéa de l’article 1 du Protocole no 1, qui énonce, de manière générale, le principe du respect des biens (Almeida Garrett, Mascarenhas Falcao et autres c. Portugal, nos 29813/96 et 30229/96, §§ 43 et 48, CEDH 2000-I). Dès lors, la Cour doit rechercher si un juste équilibre a été maintenu entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu (voir, parmi d’autres, Nastou c. Grèce (no 2), no 16163/02, § 31, 15 juillet 2005).

30. Le souci d’assurer un tel équilibre se reflète dans la structure de l’article 1 du Protocole no 1 tout entier. En particulier, il doit exister un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé par toute mesure privant une personne de sa propriété (Pressos Compania Naviera S.A. et autres c. Belgique, arrêt du 20 novembre 1995, série A no 332, p. 23, § 38).

31. Afin de déterminer si la mesure litigieuse respecte le juste équilibre voulu et, notamment, si elle ne fait pas peser sur le requérant une charge disproportionnée, il y a lieu de prendre en considération les modalités d’indemnisation prévues par la législation interne. A cet égard, la Cour a déjà dit que, sans le versement d’une somme raisonnablement en rapport avec la valeur du bien, une privation de propriété constitue normalement une atteinte excessive au droit au respect des biens (voir Malama c. Grèce, no 43622/98, § 48, CEDH 2001II). En particulier, le caractère adéquat d’un dédommagement se trouverait diminué si son paiement faisait abstraction d’éléments susceptibles d’en réduire la valeur, tel l’écoulement d’un laps de temps que l’on ne saurait qualifier de raisonnable (Angelov c. Bulgarie, no 44076/98, § 39, 22 avril 2004 ; Almeida Garrett, Mascarenhas Falcão et autres c. Portugal, précité, § 54). Dans ces cas, la Cour recherche principalement si l’administration a procédé à la réactualisation de la somme due pour compenser sa dépréciation en raison du laps du temps écoulé (voir parmi d’autres, Akkuş c. Turquie, arrêt du 9 juillet 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-IV, pp. 1309-1310, §§ 29-31).

32. Pour ce qui est de la présente affaire, la Cour ne peut pas suivre la thèse du requérant selon laquelle l’indemnité d’expropriation doit être recalculée pour tenir compte de la valeur actuelle de son bien exproprié. En l’espèce, la Cour de cassation a jugé, dans son arrêt no 1715/2001, que le montant de l’indemnité due pour l’expropriation devait refléter la valeur du bien au moment de sa fixation provisoire, en 1970. La Cour ne saurait se substituer aux tribunaux grecs pour déterminer l’année à prendre en considération afin d’estimer la valeur du terrain exproprié et fixer ainsi la somme due (Malama c. Grèce, précité, § 51 et Yıltaş Yıldız Turistik Tesisleri A.Ş. c. Turquie, no 30502/96, § 38, 24 avril 2003). Partant, le montant d’indemnité à retenir est celui fixé en 1970 par le tribunal de première instance d’Athènes.

33. La seule question que la Cour est amenée à examiner concerne le refus des autorités compétentes de réactualiser l’indemnité allouée en 1970 pour tenir compte du laps du temps écoulé jusqu’à sa fixation définitive par la Cour de cassation, période qui en l’occurrence était supérieure à trente ans. En l’espèce, il est indéniable que l’on se trouve devant un retard anormalement long dans le paiement de l’indemnité d’expropriation qui a pour conséquence d’aggraver la perte financière de la personne expropriée et de la placer dans une situation d’incertitude surtout si l’on tient compte de la dépréciation monétaire résultant d’une si longue période de temps. En définitive, un tel décalage entre la valeur de la créance de l’intéressé lors de la détermination provisoire et la valeur lors de la fixation définitive par la Cour de cassation, a fait subir au requérant un préjudice distinct s’ajoutant à l’expropriation de son terrain. La Cour estime en conséquence que l’absence de compensation du requérant pour la dépréciation de l’indemnité d’expropriation due en raison d’un décalage si important entre la détermination provisoire de celle-ci et sa fixation définitive, a altéré son caractère adéquat et, par conséquent, a rompu le juste équilibre qui doit exister entre l’intérêt général et l’intérêt de l’individu (voir en ce sens, Malama c. Grèce, précité, § 52).

Partant, il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

34. Aux termes de larticle 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage matériel et moral

35. Le requérant soumet à la Cour un rapport d’expertise rédigé à sa demande par M. D. Stasinos, ingénieur et topographe. Aux termes de ce rapport, le préjudice matériel du requérant est évalué à 62 442 554 euros (EUR), somme correspondant à la valeur actuelle de son terrain exproprié.

36. S’agissant du préjudice moral, le requérant sollicite 60 000 EUR.

37. Le Gouvernement note que la somme à allouer au titre du préjudice matériel ne doit pas refléter la valeur actuelle du bien exproprié. Le Gouvernement calcule la somme à allouer au titre du préjudice matériel à 19 490,712 EUR. En outre, le Gouvernement affirme qu’aucune indemnité n’est due au requérant pour les faits antérieurs au 20 novembre 1985, date de la reconnaissance du droit de recours individuel par la Grèce.

38. S’agissant du préjudice moral, le Gouvernement estime qu’une somme de 3 000 EUR constituerait une somme raisonnable à ce titre.

39. S’agissant du dommage matériel, la Cour rappelle qu’elle a conclu à la violation de l’article 1 du Protocole no 1 en raison du refus des juridictions internes de tenir compte du laps du temps important écoulé entre la fixation de l’indemnité provisoire et celle de l’indemnité définitive. Il ressort de ce constat que l’acte de l’Etat que la Cour a estimé contraire à l’article 1 du Protocole no 1, n’était ni l’expropriation en elle-même du terrain en cause ni la détermination de l’indemnité au prix de l’époque mais le refus des juridictions internes de tenir compte du temps écoulé depuis la fixation en 1970 jusqu’à ce jour du montant provisoire de l’indemnité. A cet égard, la Cour rappelle qu’une grande partie de la période entre 1970 jusqu’à ce jour, échappe à la compétence ratione temporis de la Cour (voir, mutatis mutandis, Malama c. Grèce (satisfaction équitable), no 43622/98, § 11, 18 avril 2002).

40. Eu égard aux incertitudes inhérentes à toute tentative d’estimation des pertes réelles subies par le requérant, et statuant en équité comme le veut l’article 41 de la Convention, la Cour décide d’allouer à celui-ci, forfaitairement pour la période allant du 20 novembre 1985, date de reconnaissance par la Grèce du droit de recours individuel, jusqu’au 5 décembre 2001, date de publication de l’arrêt no 1715/2001 de la Cour de cassation, 40 000 EUR, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme.

41. Quant au dommage moral, la Cour estime que le requérant a subi un préjudice moral du fait notamment de la frustration provoquée par le refus des juridictions internes de tenir compte du laps du temps écoulé depuis 1970 pour fixer l’indemnité d’expropriation. Statuant en équité, comme le veut l’article 41, la Cour alloue au requérant 3 000 EUR à ce titre, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme.

B. Frais et dépens

42. Pour les frais et dépens assumés devant les juridictions nationales et la Cour, le requérant réclame, sans pour autant produire aucune facture ou note d’honoraires, 779 930 EUR. Il ventile cette somme de la façon suivante :

i. 723 074 EUR pour les honoraires et frais relatifs à la réalisation de diverses expertises depuis 1974, y compris celle rédigée en 2003 par M. D. Stasinos, expertise déposée devant la Cour ;

ii. 56 856 EUR pour les procédures suivies devant les instances nationales.

43. Le Gouvernement rétorque que l’établissement d’une expertise pour le calcul de la valeur vénale du terrain litigieux n’était pas nécessaire, vu l’objet de l’affaire devant la Cour. En outre, le Gouvernement estime que la somme requise au titre des frais et dépens est exorbitante.

44. Selon la jurisprudence constante de la Cour, l’allocation de frais et dépens au titre de l’article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000-XI). Dans le cas d’espèce, la Cour note que la question de l’application de l’article 41 n’était pas complexe au point d’exiger la réalisation d’une expertise par un cabinet spécialisé (voir, a contrario, Malama c. Grèce (satisfaction équitable), précité, § 17). Cela est d’autant plus vrai que l’expertise soumise devant la Cour calcule la valeur actuelle de la propriété en cause, question qui n’a pas fait l’objet de l’examen de la Cour. Au demeurant, la Cour note que le requérant ne produit aucune facture ou note d’honoraires permettant de calculer les frais de façon précise. Il y a donc lieu de rejeter les prétentions du requérant à ce titre.

C. Intérêts moratoires

45. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À l’UNANIMITÉ,

1. Dit qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 ;

2. Dit

a) que lEtat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 40 000 EUR (quarante mille euros) pour dommage matériel et 3 000 (trois mille euros) pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

3. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 13 juillet 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Søren Nielsen Loukis Loucaides
Greffier Président