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PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE LAZARIDI c. GRÈCE
(Requête no 31282/04)
ARRÊT
STRASBOURG
13 juillet 2006
DÉFINITIF
11/12/2006
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Lazaridi c. Grèce,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
MM. L. Loucaides, président,
C.L. Rozakis,
Mmes F. Tulkens,
N. Vajić,
MM. A. Kovler,
D. Spielmann,
S.E. Jebens, juges,
et de M. S. Nielsen, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 22 juin 2006,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 31282/04) dirigée contre la République hellénique et dont une ressortissante de cet Etat, Mme Despina Lazaridi (« la requérante »), a saisi la Cour le 25 août 2004 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. La requérante est représentée par Me D. Nikopoulos, avocat au barreau de Thessalonique. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») est représenté par les délégués de son agent, M. V. Kyriazopoulos, assesseur auprès du Conseil juridique de l’Etat et Mme S. Trekli, auditrice auprès du Conseil juridique de l’Etat.
3. Le 6 juin 2005, la première section a décidé de communiquer le grief tiré de la durée de la procédure au Gouvernement. Se prévalant des dispositions de l’article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l’affaire.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
4. La requérante est née en 1930 et réside à Thessalonique.
A. Le contexte de l’affaire
5. Par décision administrative no 50113/2580 du 20 mars 1935, une superficie de 14 500 000 m², sise dans la périphérie de la ville de Thessalonique, actuellement connue sous le nom de « Forêt Parc de Thessalonique », fut destinée au reboisement.
6. Par décision préfectorale no ΓΔ 2193 du 9 octobre 1973, la superficie à reboiser fut étendue à 29 790 000 m². Seuls quatorze terrains, affectés à un usage particulier (écoles, cimetières, aqueducs, etc.), furent exemptés du reboisement.
7. Le 29 juin 1979, par décision no 1877, le préfet de Thessalonique exempta également du reboisement les propriétés privées et les terres agricoles cultivées.
8. Le 3 avril 1990, le préfet de Thessalonique révoqua la décision no 1877/1979, pour des motifs « de légalité et d’ordre public ». En effet, il considéra qu’en exemptant du reboisement les propriétés privées et les terres agricoles cultivées, la décision préfectorale de 1979 avait illégalement levé en partie la mesure de reboisement (décision no 1157). Dès lors, la décision préfectorale no ΓΔ 2193/1973 entra de nouveau en vigueur.
9. Le 6 juillet 1997, un incendie détruisit 16 640 000 m² de la région.
10. Par actes nos ΔΔ 2835 du 29 septembre 1997 et ΔΔ 2871 du 30 septembre 1997, l’administration destina au reboisement 14 869 000 m² des terres forestières incendiées, auxquelles furent ajoutées 1 117 800 m² de terres non forestières pour constituer un ensemble. Par ailleurs, l’administration exempta du reboisement les terrains sur lesquels des habitations avaient été légalement érigées avant 1973 et entre 1979 et 1990.
11. Le 5 janvier 1998, deux associations écologiques saisirent le Conseil d’Etat d’un recours en annulation des actes administratifs susmentionnés.
12. Le 15 novembre 1999, la cinquième chambre du Conseil d’Etat annula les actes attaqués au motif qu’ils avaient arbitrairement limité l’étendue de la zone que la décision préfectorale de 1973 avait destinée au reboisement. La haute juridiction considéra en outre comme illégale l’exemption du reboisement opérée par les actes incriminés au profit des terrains construits (arrêt no 3643/1999).
13. Par la suite, d’autres propriétaires de terrains situés dans la région, eurent connaissance de l’arrêt no 3643/1999 et se rendirent compte que les actes administratifs de 1997 exemptant leur terrain du reboisement avaient été annulés. En 2000, ces personnes saisirent la cinquième chambre du Conseil d’Etat d’une tierce opposition contre l’arrêt no 3643/1999. Il s’agit d’une voie de recours ouverte aux individus qui n’ont été ni parties ni représentées dans une instance, leur permettant d’attaquer une décision qui leur fait grief. En novembre 2001, le Conseil d’Etat les débouta. Selon la haute juridiction, la qualification d’un terrain comme forestier ou destiné au reboisement n’emportait pas privation de propriété car, même après cette qualification, une propriété demeurait privée, avec les limitations nécessaires découlant de sa nature forestière, dont l’interdiction de construire (voir, notamment, les arrêts nos 4086/2001, 4088/2001, etc.).
B. La procédure engagée par la requérante
14. La requérante est propriétaire du tiers d’un terrain de 4 750 m² sis à Panorama, une banlieue dans la zone du « Forêt Parc de Thessalonique ». La requérante invoque plusieurs documents administratifs pour faire valoir la nature agricole du terrain en question.
15. Le 5 janvier 1998, la requérante saisit le Conseil d’Etat d’un recours en annulation de l’acte no ΔΔ 2871 du 30 septembre 1997, destinant son terrain au reboisement (voir paragraphe 10 ci-dessus). L’audience fut initialement fixée au 1er décembre 1999, puis ajournée à plusieurs reprises, dont une à la demande de la requérante. Elle eut lieu le 27 mars 2002. Au cours de la procédure, le rapporteur initialement désigné fut promu et l’affaire attribuée à un nouveau rapporteur.
16. Le 12 août 2003, le Conseil d’Etat constata qu’il avait déjà annulé l’acte attaqué dans son arrêt no 3643/1999 et qu’il avait aussi rejeté les tierces oppositions formées contre cet arrêt (voir paragraphes 12-13 ci-dessus). Dès lors, il prononça l’annulation de l’instance, en vertu de l’article 32 § 1 du décret présidentiel no 18/1989 qui prévoit l’annulation de l’instance lorsque l’acte qui fait l’objet du recours en annulation a été annulé ou révoqué après l’introduction du recours (arrêt no 2094/2003). Cet arrêt fut mis au net et certifié conforme le 25 février 2004.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
17. Les articles pertinents de la Constitution sont ainsi libellés :
Article 17
« 1. La propriété est placée sous la protection de l’Etat. Les droits qui en dérivent ne peuvent toutefois s’exercer au détriment de l’intérêt général.
2. Nul ne peut être privé de sa propriété, si ce n’est que pour cause d’utilité publique, dûment prouvée, dans les cas et suivant la procédure déterminés par la loi et toujours moyennant une indemnité préalable complète. Celle-ci doit correspondre à la valeur que possède la propriété expropriée le jour de l’audience sur l’affaire concernant la fixation provisoire de l’indemnité par le tribunal. Dans le cas d’une demande visant à la fixation immédiate de l’indemnité définitive, est prise en considération la valeur que la propriété expropriée possède le jour de l’audience du tribunal sur cette demande (...) »
Article 24 § 1
« La protection de l’environnement naturel et culturel constitue une obligation de l’Etat. L’Etat est tenu de prendre des mesures spéciales, préventives ou répressives, dans le but de sa conservation.
La loi règle les modalités de la protection des forêts et des espaces boisés en général. La modification de l’affectation des forêts et des espaces boisés domaniaux est interdite, sauf si leur exploitation agricole l’emporte au point de vue de l’économie nationale ou si tout autre usage devient nécessaire en vue de l’intérêt public. »
Article 117 § 3
« Les forêts domaniales ou privées et les espaces boisés qui ont été ou qui seraient détruits par incendie ou déplantés de toute autre manière, ne changent pas de cette raison leur affectation établie avant leur destruction et ils sont déclarés obligatoirement des espaces à reboiser ; leur affectation à tout autre but est exclue. »
18. L’article 105 de la loi d’accompagnement (Εισαγωγικός νόμος) du code civil dispose :
« L’Etat est tenu à réparer le dommage causé par les actes illégaux ou omissions de ses organes lors de l’exercice de la puissance publique, sauf si l’acte ou l’omission ont eu lieu en méconnaissance d’une disposition destinée à servir l’intérêt public. La personne fautive est solidairement responsable, sous réserve des dispositions spéciales sur la responsabilité de ministres. »
19. Cet article établit le concept d’acte dommageable spécial de droit public, créant une responsabilité extracontractuelle de l’Etat. Cette responsabilité résulte d’actes ou omissions illégaux. Les actes concernés peuvent être, non seulement des actes juridiques, mais également des actes matériels de l’administration, y compris des actes non exécutoires en principe (Kyriakopoulos, Commentaire du code civil, article 105 de la loi d’accompagnement du code civil, no 23; Filios, Droit des contrats, partie spéciale, volume 6, responsabilité délictueuse 1977, par. 48 B 112; E. Spiliotopoulos, Droit administratif, troisième édition, par. 217; arrêt no 535/1971 de la Cour de cassation; Nomiko Vima, 19e année, p. 1414; arrêt no 492/1967 de la Cour de cassation ; Nomiko Vima, 16e année, p. 75). La recevabilité de l’action en réparation est soumise à une condition : la nature illégale de l’acte ou de l’omission.
20. Selon la jurisprudence des tribunaux administratifs, le dépassement des limites du pouvoir discrétionnaire de l’administration ou la méconnaissance des principes généraux de la bonne administration sont susceptibles d’engager la responsabilité extracontractuelle de celle-ci (voir, parmi d’autres, cour administrative d’appel d’Athènes, arrêts nos 1605/93 et 1427/1998, Dioikitiki Diki 1994, p. 369 et 1998, p. 963). La responsabilité extracontractuelle de l’administration est également engagée dans le cas où une charge pesant légalement sur une propriété consiste en un blocage substantiel de celle-ci (Conseil d’Etat, arrêt no 2801/1991, formation plénière, Nomiko Vima 1992, p. 1091).
21. Les dispositions pertinentes du décret présidentiel no 18/1989 sur la « Codification des dispositions des lois sur le Conseil d’Etat » disposent :
Article 32 § 1
« Si, après l’introduction du recours, l’acte ou le jugement attaqué a été révoqué, annulé, ou a disparu, il est mis fin à l’instance par une décision de non-lieu à statuer. »
Article 50 § 1
« L’arrêt faisant droit aux conclusions du recours en annulation prononce l’annulation de l’acte attaqué et entraîne légalement son abolition erga omnes, qu’il s’agisse d’un acte réglementaire ou d’un acte individuel. »
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION AU REGARD DE LA DURÉE DE LA PROCÉDURE
22. La requérante se plaint de la durée de la procédure devant le Conseil d’Etat. Elle invoque l’article 6 § 1 de la Convention, dont les parties pertinentes sont ainsi libellées :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) ».
23. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse. Il affirme que la durée de la procédure n’a pas été excessive, eu égard notamment au changement du rapporteur et à la surcharge exceptionnelle du rôle du Conseil d’Etat. En tout état de cause, le Gouvernement souligne que l’enjeu de l’affaire n’exigeait aucune célérité particulière de la part des autorités, puisque l’acte attaqué par la requérante dans son recours avait été déjà annulé par le Conseil d’Etat dans le cadre d’une autre procédure.
A. Sur la recevabilité
24. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
25. La période à considérer a débuté le 5 janvier 1998, avec la saisine du Conseil d’Etat et s’est terminée le 12 août 2003, avec l’arrêt no 2094/2003 de la haute juridiction. Elle a donc duré cinq ans, sept mois et sept jours, pour une instance.
26. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement des requérantes et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII).
27. La Cour a traité à maintes reprises d’affaires soulevant des questions semblables à celle du cas d’espèce et a constaté la violation de l’article 6 § 1 de la Convention (voir l’affaire Frydlender précitée).
28. Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour considère que le Gouvernement n’a exposé aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent. Il est vrai que le litige a perdu son enjeu pour l’intéressée dès le 15 novembre 1999, date à laquelle l’acte litigieux fut annulé dans le cadre d’une autre procédure ; il n’en demeure pas moins que le Conseil d’Etat a mis plus de cinq ans et sept mois pour rendre son arrêt et prononcer l’annulation de l’instance. La Cour estime qu’aucune explication pertinente de ce délai n’a été fournie par le gouvernement défendeur. Ni le changement du rapporteur ni la surcharge du rôle du Conseil d’Etat ne constituent une telle explication. La Cour réaffirme à cet égard qu’il incombe aux Etats contractants d’organiser leur système judiciaire de telle sorte que leurs juridictions puissent garantir à chacun le droit d’obtenir une décision définitive sur les contestations relatives à ses droits et obligations de caractère civil dans un délai raisonnable (voir Comingersoll S.A. c. Portugal [GC], no 35382/97, § 24, CEDH 2000-IV).
29. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu’en l’espèce la durée de la procédure litigieuse est excessive et ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable ».
Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1
30. La requérante se plaint d’une atteinte à son droit au respect de ses biens. Elle affirme que même s’il jouxte une forêt, son terrain n’en a jamais été une. Or, l’annulation de l’instance dont elle avait saisi le Conseil d’Etat la prive à jamais de la possibilité de faire établir la réalité quant à la nature agricole de son terrain. Selon elle, son terrain a été indûment bloqué et sera exproprié aux fins de reboisement ; quant à l’indemnité d’expropriation, la requérante affirme qu’il n’est pas sûr qu’elle en touche une et que, de toute façon, celle-ci sera d’un montant nettement inférieur à la valeur du bien exproprié, en raison de la qualification de ce dernier comme terre forestière. La requérante conclut qu’elle est privée de la jouissance de sa propriété en raison d’une série d’erreurs commises par les services administratifs de l’Etat durant des décennies. Elle invoque l’article 1 du Protocole no 1, qui se lit comme suit :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »
Sur la recevabilité
31. La Cour note, tout d’abord, qu’en se plaignant que son terrain sera exproprié et que l’indemnisation qui sera fixée ne correspondra pas à la valeur réelle de ce dernier, la requérante invoque de façon prématurée un risque futur qui se fonde sur de simples spéculations et qui ne saurait être pris en compte pour l’examen de son grief. S’il y a expropriation, la requérante devra d’abord épuiser les voies de recours internes, conformément à l’article 35 § 1 de la Convention. En particulier, la requérante pourra, d’une part, attaquer la décision d’expropriation de son terrain et, d’autre part, participer à la procédure tendant à la fixation de l’indemnité d’expropriation. Par ailleurs, si la requérante estime que l’atteinte à sa propriété est illégale et qu’elle en subit un préjudice, elle peut toujours saisir les tribunaux administratifs d’une action en réparation fondée sur l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil (voir paragraphes 18-20 ci-dessus).
32. En effet, la Cour note qu’à ce jour il n’y a eu en l’espèce ni expropriation formelle ni expropriation de fait. Comme l’a remarqué le Conseil d’Etat dans son arrêt no 4088/2001 (voir paragraphe 13 ci-dessus), la qualification d’un terrain comme forestier ou destiné au reboisement n’emporte pas privation de propriété car, même après cette qualification, une propriété demeure privée, avec les limitations nécessaires découlant de sa nature forestière, dont l’interdiction de construire. Or, cela signifie que la requérante n’a pas le droit de faire ériger de constructions sur son terrain. A n’en pas douter, cette limitation apportée à la libre disposition du droit d’usage constitue une ingérence dans la jouissance des droits que la requérante tire de sa qualité de propriétaire. Dès lors, le second alinéa de l’article 1 du Protocole no 1 joue en l’espèce. La Cour examinera donc le grief sous cet angle.
33. Selon une jurisprudence bien établie, le second alinéa de l’article 1 du Protocole no 1 doit se lire à la lumière du principe consacré par la première phrase de l’article. En conséquence, une mesure d’ingérence doit ménager un « juste équilibre » entre les impératifs de l’intérêt général et ceux de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu. La recherche de pareil équilibre se reflète dans la structure de l’article 1 du Protocole no 1 tout entier, donc aussi dans le second alinéa ; il doit exister un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. En contrôlant le respect de cette exigence, la Cour reconnaît à l’Etat une grande marge d’appréciation tant pour choisir les modalités de mise en œuvre que pour juger si leurs conséquences se trouvent légitimées, dans l’intérêt général, par le souci d’atteindre l’objectif de la loi en cause (Chassagnou et autres c. France [GC], nos 25088/94, 28331/95 et 28443/95, § 75, CEDH 1999–III). S’agissant de domaines tels que celui de l’environnement, la Cour respecte l’appréciation portée à cet égard par le législateur national, sauf si elle est manifestement dépourvue de base raisonnable (voir, mutatis mutandis, Immobiliare Saffi c. Italie [GC], no 22774/93, § 49, CEDH 1999‑V).
34. Concernant la présente affaire, la Cour constate que la qualification du terrain de la requérante comme terre à reboiser trouve sa source dans les décisions préfectorales de 1935, 1973 et 1990, cette dernière étant prise conformément aux dispositions de la Constitution en vigueur relatives à la protection de l’environnement. Il convient donc de considérer que l’ingérence litigieuse répond à la condition de légalité. La Cour estime également que le but des limitations imposées à la requérante, à savoir la protection de la nature et des forêts, entre dans le cadre de l’intérêt général au sens du second alinéa de l’article 1 du Protocole additionnel.
35. Quant à l’exigence de proportionnalité entre l’ingérence dans le droit de propriété de la requérante et le but d’intérêt général poursuivi, la Cour note que la seule limitation qui semble avoir été apportée à l’usage du bien visé par le reboisement est celle de l’interdiction de construire. Or, la requérante n’a à aucun moment prétendu qu’elle avait planifié de faire ériger de constructions sur sa propriété, qu’elle qualifie par ailleurs de terrain agricole. Dans ces conditions, la Cour estime que la mesure incriminée ne peut être considérée comme causant à la requérante un préjudice de nature à rendre cette mesure disproportionnée par rapport au but légitime visé (Koustelidou et autres c. Grèce (déc.), no 35044/02, 20 novembre 2003).
36. Il s’ensuit que ce grief doit être rejeté comme manifestement mal fondé, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
III. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES
37. La requérante se plaint, sous l’angle des articles 6 § 1, 13 et 14 de la Convention, qu’elle n’a pas pu bénéficier d’une protection judiciaire effective de ses droits. Elle affirme qu’en prononçant l’annulation de l’instance, le Conseil d’Etat l’a privée indûment de son droit d’avoir accès à un tribunal pour faire valoir ses propres arguments contre l’acte attaqué, arguments fondés sur l’atteinte illégale à son droit de propriété. Selon elle, à l’origine de cette situation se trouve la durée de la procédure, durée d’autant plus inacceptable que les autres recours exercés à l’occasion du même litige ont été jugés rapidement par le Conseil d’Etat. De l’avis de la requérante, il s’agit là d’une manifestation claire du traitement discriminatoire dont elle fit l’objet.
Sur la recevabilité
38. La Cour observe tout d’abord que l’objectif du recours en annulation formé par la requérante était l’annulation de l’acte administratif destinant son terrain au reboisement. Or, cet acte fut annulé par le Conseil d’Etat dans le cadre d’une autre procédure. Indépendamment des raisons retenues par le Conseil d’Etat pour annuler l’acte en question, il n’en demeure pas moins que celui-ci fut bel et bien annulé. Au moment de l’examen de son propre recours, la requérante ne saurait donc se prétendre victime de la décision du Conseil d’Etat de prononcer l’annulation de l’instance, car son objectif avait été totalement atteint, ne serait-ce que pour des raisons diamétralement opposés à celles qu’elle avait proposées. De l’avis de la Cour, aucune atteinte au droit d’accès à un tribunal ou au droit à un recours effectif ne se trouve donc établie en l’espèce. Quant au grief soulevé au titre de l’article 14 de la Convention, la Cour estime qu’il n’a aucunement été étayé.
39. Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
40. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
41. La requérante réclame 60 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’elle aurait subi.
42. Le Gouvernement estime que la somme allouée à la requérante ne saurait dépasser 1 000 EUR.
43. La Cour estime que la requérante a subi un tort moral certain. Statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, elle lui accorde 5 000 EUR à ce titre, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt.
B. Frais et dépens
44. La requérante n’a présenté aucune demande à ce titre. La Cour estime donc qu’il n’y a pas lieu d’octroyer de somme au titre des frais et dépens.
C. Intérêts moratoires
45. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de la durée de la procédure et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
3. Dit
a) que l’Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 5 000 EUR (cinq mille euros) pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 13 juillet 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Søren Nielsen Loukis Loucaides
Greffier Président