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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
6.7.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE CIARAMELLA c. ITALIE

(Requête no 6597/03)

ARRÊT

STRASBOURG

6 juillet 2006

DÉFINITIF

11/12/2006

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Ciaramella c. Italie,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

MM. B.M. Zupančič, président,
J. Hedigan,
L. Caflisch,
V. Zagrebelsky,
Mme A. Gyulumyan,
M. E. Myjer,
Mme I. Ziemele, juges,
et de M. V. Berger, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 15 juin 2006,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 6597/03) dirigée contre la République italienne et dont un ressortissant de cet Etat, M. Pietro Ciaramella (« le requérant »), a saisi la Cour le 29 janvier 2003 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant, qui a été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire, est représenté par Mes Silvio Ferrara et Massimiliano Ricciardi, avocats à Bénévent. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. Ivo Maria Braguglia, son coagent, M. Francesco Crisafulli, et son coagent adjoint, M. Nicola Lettieri.

3. Le 23 septembre 2004, la Cour (première section) a déclaré la requête partiellement irrecevable et a décidé de communiquer les griefs tirés des articles 8 et 13 de la Convention, 1 du Protocole no 1 et 2 du Protocole no 4 au Gouvernement. Se prévalant de l’article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l’affaire.

4. Le 1er novembre 2004, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la troisième section ainsi remaniée (article 52 § 1).

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

1. La procédure de faillite

5. Le requérant est né en 1942 et réside à Moiano (Bénévent).

6. Par un jugement déposé le 15 février 1996, le tribunal de Bénévent déclara la faillite du requérant.

7. Le 6 mars 1996, le syndic accepta son mandat.

8. Entre le 5 avril 1996 et le 26 juin 1998, quarante-deux demandes d’admission au passif de la faillite furent introduites devant le tribunal.

9. Entre-temps, le 16 juillet 1996, le syndic demanda au juge délégué (« le juge ») l’autorisation de signer un contrat de location avec la société C 2, laquelle avait loué l’activité du requérant avant la mise en faillite de celui-ci.

10. Le jour suivant, le juge rejeta la demande du syndic et, le 19 septembre 1996, celui-ci réitéra sa demande.

11. L’audience pour la vérification du passif de la faillite fut fixée au 19 novembre 1996 et ensuite reportée à quatre reprises jusqu’au 8 octobre 1998, date à laquelle le tribunal déclara le passif de la faillite exécutoire.

12. Entre-temps, le 21 mars 1997, le syndic réitéra devant le juge la demande d’autorisation de signature d’un contrat de location avec la société C 2.

13. Le 16 avril 1997, le juge fit droit à cette demande.

14. Le 22 septembre 1997, le syndic demanda au juge de prélever une somme du compte courant de la faillite et, le 2 octobre 1997, le juge fit droit à cette demande.

15. Le 15 janvier 1998, le juge autorisa le paiement d’un avocat représentant le syndic dans une procédure civile.

16. Le 3 juin 1998, le requérant demanda au juge à bénéficier d’une rente viagère, compte tenu de ses conditions économiques précaires.

17. Le 13 octobre 1998, le syndic donna son avis favorable.

18. Le 4 novembre 1998, M. B.B. fit opposition à l’état du passif de la faillite.

19. Le 10 décembre 1998, le syndic demanda au juge de proroger le contrat de location avec la société C 2.

20. Entre le 22 février 1999 et le 26 mars 2002, douze demandes tardives d’admission au passif de la faillite furent déposées devant le tribunal.

21. Entre-temps, par un jugement du 12 octobre 1999, le tribunal fit droit à la demande de M. B.B.

22. Selon les informations fournies par le requérant, la procédure était encore pendante au 19 mai 2004.

2. La procédure introduite conformément à la loi Pinto

23. Le 12 septembre 2003, le requérant introduisit un recours devant la cour d’appel de Rome conformément à la loi Pinto. Il se plaignait de la durée de la procédure ainsi que du prolongement des incapacités dérivant de sa mise en faillite.

24. Par une décision déposée le 12 janvier 2004, la cour d’appel, considérant que la procédure était particulièrement complexe, rejeta la demande du requérant.

25. Le 24 janvier 2004, le requérant se pourvut en cassation.

26. Selon les informations fournies par le requérant, cette procédure était pendante au 10 mai 2006.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

27. Le droit interne pertinent est décrit dans les arrêts Campagnano c. Italie (no 77955/01, §§ 19-22, 23 mars 2006), Albanese c. Italie (no 77924/01, §§ 23-26, 23 mars 2006) et Vitiello c. Italie (no 77962/01, §§ 17-20, 23 mars 2006).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 8 DE LA CONVENTION, QUANT AU DROIT AU RESPECT DE LA CORRESPONDANCE DU REQUÉRANT, 1 DU PROTOCOLE No 1 ET 2 DU PROTOCOLE No 4

28. Invoquant l’article 8 de la Convention, le requérant se plaint de la violation de son droit au respect de sa correspondance en raison de ce que la correspondance du failli est soumise au contrôle du syndic. Invoquant l’article 1 du Protocole no 1, il se plaint que la déclaration de faillite l’a privé de ses biens, notamment en raison de la durée de la procédure. Invoquant l’article 2 du Protocole no 4, le requérant dénonce la limitation de sa liberté de circulation, notamment en raison de la durée de la procédure. Ces articles sont ainsi libellés :

Article 8 de la Convention

« 1. Toute personne a droit au respect de sa (...) correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bienêtre économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

Article 1 du Protocole no 1

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

Article 2 du Protocole no 4

« 1. Quiconque se trouve régulièrement sur le territoire d’un Etat a le droit d’y circuler librement et d’y choisir librement sa résidence.

2. Toute personne est libre de quitter n’importe quel pays, y compris le sien.

3. L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au maintien de l’ordre public, à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.

29. Le Gouvernement soutient que, le requérant ayant introduit un recours devant la cour d’appel compétente conformément à la loi Pinto, il ne peut pas se prétendre victime des violations qu’il allègue.

30. Le requérant observe que la loi Pinto ne constitue pas un moyen de recours efficace pour se plaindre de la durée des incapacités personnelles dérivant de la mise en faillite.

31. La Cour relève que, dans son arrêt no 362 de 2003, déposé le 14 janvier 2003, la Cour de cassation a pour la première fois reconnu que le dédommagement moral relatif à la durée des procédures de faillite doit tenir compte, entre autres, de la prolongation des incapacités dérivant du statut de failli.

32. Elle rappelle avoir retenu que, à partir du 14 juillet 2003, l’arrêt no 362 de 2003 ne peut plus être ignoré du public et que c’est à compter de cette date qu’il doit être exigé des requérants qu’ils usent de ce recours aux fins de l’article 35 § 1 de la Convention (voir Sgattoni c. Italie, no 77132/01, arrêt du 6 octobre 2005, § 48).

33. La Cour note que, la procédure en cassation introduite par le requérant conformément à la loi Pinto étant pendante au 10 mai 2006, cette partie de la requête est prématurée et doit être rejetée pour non-épuisement des voies de recours internes selon l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION, QUANT AU DROIT AU RESPECT DE LA VIE PRIVÉE DU REQUÉRANT

34. Invoquant l’article 8 de la Convention, le requérant se plaint d’une atteinte à son droit au respect de sa vie privée dans la mesure où, en raison de l’inscription de son nom dans le registre des faillis, il ne peut exercer aucune activité professionnelle ou commerciale. En outre, il dénonce le fait que, selon l’article 143 de la loi sur la faillite, sa réhabilitation, qui met fin à ces incapacités personnelles, ne peut être demandée que cinq ans après la clôture de la procédure de faillite. L’article 8 de la Convention est ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée (...).

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bienêtre économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

A. Sur la recevabilité

35. La Cour constate que le grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

36. La Cour considère que l’ensemble des incapacités dérivant de l’inscription du nom du failli dans le registre entraîne en soi une ingérence dans le droit au respect de la vie privée du requérant qui, compte tenu de la nature automatique de ladite inscription, de l’absence d’une évaluation et d’un contrôle juridictionnels sur l’application des incapacités y relatives ainsi que du laps de temps prévu pour l’obtention de la réhabilitation, n’est pas « nécessaire dans une société démocratique » au sens de l’article 8 § 2 de la Convention.

La Cour estime donc qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION

37. Invoquant l’article 13 de la Convention, le requérant se plaint de ne pas disposer d’un recours effectif pour se plaindre des incapacités patrimoniales et personnelles le touchant pendant toute la procédure de faillite et jusqu’à l’obtention de sa réhabilitation. Cet article est ainsi libellé :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

A. Sur la recevabilité

38. Quant à la partie du grief concernant la limitation prolongée du droit au respect des biens (article 1 du Protocole no 1), de la correspondance (article 8 de la Convention) et de la liberté de circulation du requérant (article 2 du Protocole no 4), la Cour rappelle avoir conclu à l’irrecevabilité de ces griefs. Partant, elle estime que, ne s’agissant pas de griefs « défendables » au regard de la Convention, cette partie de la requête doit être rejetée en tant que manifestement mal fondée selon l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

39. Quant à la partie du grief portant sur les incapacités personnelles dérivant de l’inscription du nom du failli dans le registre des faillis et perdurant jusqu’à l’obtention de la réhabilitation civile, la Cour constate qu’elle n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

B. Sur le fond

40. La Cour a déjà traité d’affaires soulevant des questions semblables à celles du cas d’espèce et a constaté la violation de l’article 13 de la Convention (voir Bottaro c. Italie, no 56298/00, §§ 41-46, 17 juillet 2003).

41. La Cour a examiné la présente affaire et considère que le Gouvernement n’a fourni aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent.

Partant, la Cour conclut qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention.

IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

42. Aux termes de larticle 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

43. Le requérant présente une expertise chiffrant à 88 068 euros (EUR) le préjudice matériel qu’il aurait subi. Cette somme correspond au salaire minimum (pensione sociale) qu’il aurait reçu à partir de sa déclaration de faillite. Le requérant réclame aussi 200 000 EUR pour le dommage moral qu’il aurait subi.

44. Le Gouvernement conteste ces prétentions.

45. La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre les violations constatées et le dommage matériel allégué et rejette la demande. Quant au préjudice moral, elle estime que, eu égard à toutes les circonstances de l’affaire, les constats de violation figurant dans le présent arrêt fournissent par eux-mêmes une satisfaction équitable suffisante.

B. Frais et dépens

46. Le requérant demande également 29 927,40 EUR pour les frais et dépens encourus devant la Cour ainsi que 1 813,02 EUR pour les frais d’expertise.

47. Le Gouvernement conteste ces prétentions.

48. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce et compte tenu des éléments en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour estime raisonnable la somme de 2 000 EUR au titre des frais et dépens pour la procédure devant la Cour et l’accorde au requérant.

C. Intérêts moratoires

49. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés des articles 8, en ce qui concerne le droit au respect de la vie privée du requérant, et 13 de la Convention, en ce qui concerne l’absence d’un recours pour se plaindre des incapacités dérivant de l’inscription du nom du failli dans le registre, et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention ;

4. Dit que les constats de violation figurant dans le présent arrêt fournissent par eux-mêmes une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral ;

5. Dit

a) que lEtat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 2 000 EUR (deux mille euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

6. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 6 juillet 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Vincent Berger Boštjan M. Zupančič
Greffier Président