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Rozhodnutí
TROISIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 35097/02
présentée par Gheorghe BOZGAN
contre la Roumanie
La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant le 11 juillet. 2006 en une chambre composée de :
MM. B.M. Zupančič, président,
C. Bîrsan,
V. Zagrebelsky,
Mme A. Gyulumyan,
MM. E. Myjer,
David Thór Björgvinsson,
Mme I. Ziemele, juges,
et de M. V. Berger, greffier de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 21 août 2002,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant, M. Gheorghe Bozgan, est un ressortissant roumain, né en 1960 et résidant à Mândruloc. Il est représenté devant la Cour par Me M. Elmrini, avocat à Strasbourg. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme R. Rizoiu, puis par Mme B. Ramascanu qui l’a remplacée dans ses fonctions.
A. Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
Le 23 avril 2002, le requérant déposa auprès du tribunal de première instance d’Arad une demande d’inscription de l’association nommée « la Garde Nationale Antimafia » (« Garda Naţională Antimafie », ci-après « l’association ») sur le Registre des associations et des fondations tenu auprès du greffe de ce tribunal. Il agissait en qualité de président désigné de l’association. Il accompagnait sa demande du statut et de l’acte constitutif de l’association, dont les dispositions pertinentes se lisaient ainsi :
« Le but de l’association est d’attirer les citoyens vers des formes d’autodéfense, dans le cadre législatif existant, contre la menace du crime organisé. La création d’une telle association est nécessaire, car les autorités de l’Etat spécialisées dans la lutte contre le crime organisé ne peuvent plus faire face aux structures criminelles et ne peuvent toujours agir d’une manière efficace et prompte pour la défense des droits et libertés des citoyens.
L’association ne se substituera pas aux autorités de l’Etat spécialisées dans la lutte contre le crime organisé, elle complétera leur activité par des moyens légaux et dans le respect de la loi.
L’association identifiera, par l’intermédiaire des mass media, les personnes impliquées dans le crime organisé et en constituera une base de données ; elle enregistrera les plaintes concernant le crime organisé, en saisira les autorités et suivra la façon dont elles les instruiront ; elle promouvra la confiance des citoyens dans les autorités de l’Etat impliquées dans la lutte contre le crime organisé et soutiendra leur activité.
L’association s’inspirera de l’expérience des autres organisations similaires des pays de l’Europe de l’Ouest, notamment de l’Italie, dans lesquels leur aide a été décisive dans la lutte contre la mafia. »
Le 24 avril 2002, le tribunal tint une audience publique et entendit le requérant et le procureur. Le premier demanda au tribunal d’enregistrer l’association, les conditions formelles prévues par la loi étant remplies. Le procureur considéra que le but de l’association contrevenait à la Constitution.
Par un jugement avant-dire droit du 24 avril 2002, le tribunal rejeta la demande du requérant, en motivant ainsi sa décision :
« [Le tribunal] constate que les objectifs de l’association tels qu’inscrits dans son statut favorisent le déroulement d’actions qui présupposent une ingérence dans l’activité des autorités judiciaires de l’Etat, en visant même la création de structures parallèles qui contrôleraient ces autorités, et, par conséquent, il rejette la demande, car le but de l’association est contraire à la loi. »
Le requérant forma contre ce jugement un recours, rejeté par un arrêt définitif du 25 juin 2002 du tribunal départemental d’Arad, qui motiva sa décision dans les termes qui suivent :
« Conformément au statut, les buts de l’association sont de compléter l’activité [des autorités de l’Etat spécialisées dans la lutte contre le crime organisé] par des moyens légaux et dans le respect de la loi, et aussi d’enregistrer les plaintes concernant le crime organisé et de suivre la manière dont les autorités spécialisées les instruiront. »
Il est évident que tous ces buts font partie des attributions des parquets, tel qu’établies par le Code de procédure pénale, et qu’en outre, l’association veut contrôler l’activité de ces organes, bien que la Constitution et ledit code, en réglementant strictement la matière, ne confèrent pas à une telle association la possibilité d’exercer pareilles attributions.
En outre, l’association promouvra la confiance des citoyens dans les autorités de l’Etat engagées dans la lutte contre le crime organisé et soutiendra leur activité etc., des propos libellés d’une manière trop générale qui ne permettent pas d’identifier les buts concrets de l’association. »
B. Le droit interne pertinent
1. L’ordonnance no 26/2000 sur les associations et les fondations
Article 7
« § 1 Un des associés (...) peut déposer une demande d’inscription de l’association sur le Registre des associations et des fondations tenu auprès du greffe du tribunal de première instance dans le ressort duquel l’association a son siège.
§ 2 La demande d’inscription sera accompagnée des documents suivants : a) l’acte constitutif ; b) le statut de l’association ; (...) »
Article 8
« § 1 L’association acquiert la personnalité juridique dès son inscription sur le Registre des associations et des fondations.
§ 2 Le juge vérifie la légalité de la demande d’inscription et des documents annexés conformément à l’article 7 (a), dans un délai de trois jours à compter de la date du dépôt des documents, et ordonne, par décision avant-dire droit, l’inscription de l’association sur le Registre des associations et des fondations (...) »
Article 9
« § 1 Si les exigences légales pour la constitution de l’association ne sont pas remplies, quand le délai prévu par l’article 8 § 2 est échu, le juge convoque en chambre du conseil le représentant de l’association, et lui demande, par écrit, de remédier aux irrégularités, en lui fixant un délai de moins d’une semaine à cette fin.
§ 2 Si les irrégularités concernent l’article 37 § 2 de la Constitution (...) le parquet est aussi cité (...). Le parquet doit donner son avis [sur la demande d’inscription, le statut et l’acte constitutif de l’association]. »
Article 10
« § 1 S’il a été remédié aux irrégularités, (...) le juge ordonne l’inscription de l’association sur le Registre des associations et des fondations.
§ 2 S’il n’a pas été remédié aux irrégularités (...), le juge rejette la demande d’inscription par décision avant-dire droit motivée. »
Article 11
« § 4 Le recours [contre ladite décision avant-dire droit] est jugé en chambre du conseil (...) »
Article 56
« § 1 L’association est dissoute, par décision judiciaire, sur demande de tout intéressé :
a) si son but ou son activité s’avèrent contraire à la loi ou à l’ordre public ;
b) si le but est réalisé par des moyens illicites ou contraires à l’ordre public ;
c) si l’association poursuit un but différent de celui fixé par le statut (...). »
2. La Constitution
Article 37 Liberté d’association
« § 2 Les partis et les organisations qui, par leurs objectifs ou leurs activités, militent contre le pluralisme politique, les principes de l’Etat de droit ou la souveraineté, l’intégrité ou l’indépendance de la Roumanie sont inconstitutionnels. »
GRIEF
Invoquant l’article 11 de la Convention, le requérant se plaint d’une restriction à son droit de créer une association, en raison des décisions des juridictions nationales qui ont refusé l’inscription de son association sur le Registre des associations et des fondations.
EN DROIT
Le requérant invoque une atteinte à sa liberté d’association garantie par l’article 11 de la Convention, dans la mesure où les juridictions internes ont refusé l’inscription de son association sur le Registre des associations et des fondations. L’article 11 se lise ainsi :
« 1. Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, y compris le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts.
2. L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. Le présent article n’interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l’exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l’administration de l’Etat. »
Sans contester l’existence d’une ingérence, le Gouvernement estime qu’elle était prévue par loi, qu’elle poursuivait un but légitime et qu’elle était nécessaire dans une société démocratique. A son avis le refus d’inscrire l’association n’était qu’un exercice normal du pouvoir de l’Etat de contrôler la légalité du statut, y compris de refuser toute clause qui aurait conféré un droit d’utiliser des pouvoirs relevant de la sphère exclusive des autorités publiques. Il estime enfin que les tribunaux n’avaient pas le droit de demander à l’intéressé de supprimer des dispositions du statut pour le seul motif qu’elles seraient illégales.
Le requérant s’oppose à cette position et rappelle que ni les juridictions internes ni le Gouvernement dans ses observations n’ont précisé les éléments qui ont assis leur conviction que la société aurait mené des activités anticonstitutionnelles.
La Cour estime, à la lumière de l’ensemble des arguments des parties, que ce grief pose de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de l’examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond ; il s’ensuit que ce grief ne saurait être déclaré manifestement mal fondé, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Aucun autre motif d’irrecevabilité n’a été relevé.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête recevable, tous moyens de fond réservés.
Vincent Berger Boštjan M. Zupančič
Greffier Président