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TROISIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 17640/02
présentée par Carlo PASTORINO et autres
contre l’Italie
La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant le 11 juillet 2006 en une chambre composée de :
MM. B.M. Zupančič, président,
C. Bîrsan,
V. Zagrebelsky,
Mme A. Gyulumyan,
MM. E. Myjer,
David Thór Björgvinsson,
Mme I. Ziemele, juges,
et de M. V. Berger, greffier de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 17 juillet 2001,
Vu la décision de la Cour de se prévaloir de l’article 29 § 3 de la Convention et d’examiner conjointement la recevabilité et le fond de l’affaire,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par les requérants,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Les requérants, MM. C. Pastorino, B. Bailo et P. Raini, sont des ressortissants italiens, nés respectivement en 1925, 1938 et 1944 et résidant à Milan. Le premier requérant est représenté devant la Cour par Mes G. Maris et G. Siniscalchi, les deuxième et troisième requérants sont représentés par Mes F. Bongiorni et S. Pesce. Les représentants sont avocats à Milan. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. I. M. Braguglia, par son coagent, M. F. Crisafulli, et par son coagent adjoint, M. N. Lettieri.
A. Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
A une date non précisée, A.M., A.V., A.C. et L.G. introduisirent devant le tribunal de Milan une demande de faillite à l’encontre du premier requérant, au motif que ce dernier, à côté de son activité de nature publique d’agent de change, aurait exercé également une activité privée d’administration et de gestion fiduciaires de titres et patrimoines d’autrui. Par une décision du 23 février 1993, le tribunal rejeta cette demande car le premier requérant ne résultait pas insolvable.
A une date non précisée, les mêmes demandeurs présentèrent une réclamation devant la cour d’appel de Milan.
Par une décision du 17 mars 1993, la cour d’appel considéra que la demande de faillite avait été introduite plus d’un an après la cessation de l’activité d’entreprise du requérant (article 10 du décret royal no 267 du 16 mars 1942, « loi sur la faillite ») et rejeta cette réclamation.
A une date non précisée, une nouvelle demande de faillite fut introduite, cette fois à l’encontre de tous les requérants.
Par un jugement déposé le 29 octobre 1994, le tribunal reconnaissant l’existence d’une société de fait entre les requérants, considéra que l’article 10 de la loi sur la faillite (concernant les entreprises individuelles et non pas les sociétés) n’était pas applicable au cas d’espèce et prononça la faillite de la société des requérants ainsi que la faillite personnelle de ceux-ci.
Les 22 et 25 novembre 1994, M. Pastorino, d’une part, et MM. Bailo et Raini, de l’autre, firent opposition. Ils considérèrent que le cabinet de M. Pastorino n’avait pas exercé d’activité d’entreprise ; en outre, ils relevèrent que, MM. Bailo et Raini étant les subordonnés de M. Pastorino, il n’existait pas de société de fait et que, en tout cas, la condition d’insolvabilité n’avait pas été prouvée. MM. Bailo et Raini demandèrent également la condamnation des créanciers à la réparation des dommages.
Par une décision de la Commission nationale pour les sociétés et la bourse (Consob) du 2 décembre 1994, les noms de MM. Bailo et Raini furent effacés du registre des courtiers financiers en raison de ce que ces requérants avaient été mis en faillite.
Le 12 juin 1996, les deux recours furent joints, les parties déposèrent des documents et les requérants demandèrent l’audition de certains témoins. Par une ordonnance du 13 octobre 1995, le juge rejeta toute demande d’instruction complémentaire et fixa l’audience au 6 novembre 1995 pour la présentation des conclusions. L’audience de plaidoiries fut fixée au 18 septembre 1997.
Le 15 novembre 1997, les requérants introduisirent une demande de concordat devant le tribunal de Milan.
Par un jugement déposé le 10 avril 1997, le tribunal homologua la proposition de concordat et, le 18 avril 1997, ce jugement fut affiché au tribunal. Selon les informations fournies par le Gouvernement, le 21 avril 1998, les requérants s’acquittèrent des obligations résultant du concordat et la procédure fut donc close. Par un courrier du 2 mai 2006, les requérants ont informé la Cour que le pourcentage du concordat pour les créanciers chirographaires était supérieur au vingt-cinq pour cent, au sens de l’article 143 alinéa 2 de la loi sur la faillite.
Entre-temps, par un jugement déposé le 10 novembre 1997, le tribunal rejeta l’opposition. Il estima d’abord que l’activité exercée par les requérants était une activité d’entreprise, deuxièmement que cette dernière était exercée collectivement par les requérants ainsi constituant une société de fait au sein de laquelle MM. Bailo et Raini opéraient pour le compte du cabinet et exerçaient une activité de gestion aussi bien que de participation aux bénéfices et, enfin, que ladite activité était en état d’insolvabilité.
A une date non précisée, les requérants interjetèrent appel devant la cour d’appel de Milan et demandèrent à voir déclarer l’inexistence des conditions nécessaires pour la déclaration de faillite, la révocation du jugement et l’audition de certains témoins. Les requérants demandèrent aussi la condamnation de la partie défenderesse à la réparation des dommages qu’ils estimaient avoir subi en raison de la déclaration de faillite et se réservèrent de quantifier lesdits dommages dans une procédure ultérieure.
Par un arrêt déposé le 26 janvier 2001, la cour d’appel de Milan révoqua le jugement de faillite. En outre, elle déclara irrecevable la demande de condamnation de la partie défenderesse à la réparation des dommages en raison de ce que, selon une jurisprudence constante en matière de responsabilité aggravée de la partie demanderesse (article 96 du code de procédure civile), cette demande n’aurait pas pu faire l’objet d’une procédure ultérieure, contrairement à ce que les requérants avaient demandé.
Les requérants ne se sont pas pourvus en cassation.
B. Le droit interne pertinent
Le droit interne pertinent est décrit dans les arrêts Campagnano c. Italie (no 77955/01, §§ 19-22, 23 mars 2006), Albanese c. Italie (no 77924/01, §§ 23-26, 23 mars 2006) et Vitiello c. Italie (no 77962/01, §§ 17-20, 23 mars 2006).
L’article 1, alinéa 1, a) du décret ministériel no 472 de 1998, en matière de conditions d’honorabilité des courtiers financiers dispose :
« Les personnes se trouvant dans l’une des conditions d’inéligibilité (...) prévues par l’article 2382 du code civil ne peuvent pas être inscrites dans le registre de courtiers financiers. »
L’article 2382 du code civil est ainsi libellé :
« (...) le failli ne peut pas être nommé administrateur (...) »
L’article 131 de la loi sur la faillite est ainsi libellé :
« Les personnes ayant fait opposition et le failli peuvent attaquer le jugement d’homologation de la proposition de concordat dans les quinze jours après son affichage »
L’article 143 de la loi sur la faillite dispose :
« La réhabilitation peut être accordée au failli :
1. ayant payé intégralement les créances admises à la faillite, y compris les intérêt et les dépens ;
2. ayant régulièrement exécuté le concordat de faillite, lors le tribunal le considère digne (meritevole) de ce bénéfice, compte tenu des causes et des circonstances de la faillite, des conditions du concordat ainsi que de son pourcentage. La réhabilitation ne peut pas être accordée au cas où le pourcentage pour les créanciers chirographaires est inférieur au vingt-cinq pour cent (...) ;
3. ayant fait preuve de bonne conduite effective et constante pendant au moins cinq ans après la clôture de la faillite. »
L’article 96 du code de procédure civile est ainsi libellé :
« Lorsque la partie succombant introduit une procédure ou résiste dans une procédure de mauvaise fois ou en faute lourde (per colpa grave), le juge (...) condamne celle-ci à la réparation des dommages, qu’il quantifie dans le jugement. »
GRIEFS
1. Invoquant l’article 8 de la Convention, les requérants se plaignent de la violation de leur droit au respect de la correspondance. Invoquant l’article 6 de la Convention, ils dénoncent le fait de ne pas pouvoir ester en justice en raison de la déclaration de faillite. Invoquant l’article 1 du Protocole no 1, ils se plaignent aussi d’avoir été privés de leurs biens à la suite de leur mise en faillite. Invoquant l’article 2 du Protocole no 4, ils se plaignent de l’interdiction de s’éloigner de leur lieu de résidence.
2. Invoquant l’article 3 du Protocole no 1, les requérants se plaignent de la privation de leurs droits électoraux.
3. Invoquant l’article 8 de la Convention, les requérants se plaignent d’une atteinte à leur droit au respect de leur vie privée. MM. Bailo et Raini allèguent ne pas avoir pu exercer leur activité professionnelle à cause de l’effacement de leur nom dans le registre des courtiers financiers et M. Pastorino dénonce le fait d’avoir subi une atteinte au droit à son image et à sa santé en raison de la déclaration de faillite.
EN DROIT
1. Invoquant l’article 8 de la Convention, les requérants se plaignent de la violation de leur droit au respect de la correspondance. Invoquant l’article 6 de la Convention, ils dénoncent le fait de ne pas pouvoir ester en justice en raison de la déclaration de faillite. Invoquant l’article 1 du Protocole no 1, ils se plaignent aussi d’avoir été privés de leurs biens à la suite de leur mise en faillite. Invoquant l’article 2 du Protocole no 4, ils se plaignent de l’interdiction de s’éloigner de leur lieu de résidence. Ces articles sont ainsi libellés :
Article 8 de la Convention
« 1. Toute personne a droit au respect de sa (...) correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
Article 6 de la Convention
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) par un tribunal (...) qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...) »
Article 1 du Protocole no 1
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »
Article 2 du Protocole no 4
« 1. Quiconque se trouve régulièrement sur le territoire d’un Etat a le droit d’y circuler librement et d’y choisir librement sa résidence.
2. Toute personne est libre de quitter n’importe quel pays, y compris le sien.
3. L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au maintien de l’ordre public, à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
Le Gouvernement observe tout d’abord que la procédure de faillite a été close par un concordat et que les incapacités dérivant de la mise en faillite ont donc pris fin le 21 avril 1998, date à laquelle les requérants se sont acquittés des obligations résultants dudit concordat.
Le Gouvernement soutient en outre que les requérants auraient pu se plaindre des incapacités prolongées dérivant de sa mise en faillite devant la cour d’appel compétente conformément à la loi Pinto. Il se réfère, entre autres, à l’arrêt de la Cour de cassation no 362 de 2003.
M. Pastorino soutient que les incapacités dérivant de la mise en faillite ne se terminent pas avec le concordat et observe que la loi Pinto ne constitue pas un moyen de recours efficace pour se plaindre du prolongement des incapacités dérivant de la mise en faillite.
La Cour relève que le jugement d’homologation de la proposition de concordat a acquis force de chose jugée le 2 mai 1997, c’est-à-dire quinze jours après son affichage au tribunal, conformément à l’article 131 de la loi sur la faillite.
A partir de cette date, les incapacités dérivant de la mise en faillite dont les requérants se plaignent, c’est-à-dire la limitation du droit de disposer des biens, du droit d’ester en justice, le contrôle de la correspondance et la limitation de la liberté de circulation (respectivement prévus par les articles 42, 43, 48 et 49 de la loi sur la faillite), ont pris fin. En effet « ces incapacités, fonctionnelles à la procédure de faillite, débutent avec le jugement de déclaration de faillite et se terminent avec la clôture de ladite procédure » (S. Bonfatti et P. F. Censoni, Manuale di diritto fallimentare, Cedam, 2004, p. 72).
La Cour estime donc que les requérants auraient dû introduire leur grief au plus tard le 2 novembre 1997. La présente requête ayant été introduite le 17 juillet 2001, ces griefs doivent être rejetés pour dépassement du délai de six mois selon l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
2. Invoquant l’article 3 du Protocole no 1, les requérants se plaignent de la privation de leurs droits électoraux. Cet article est ainsi libellé :
« Les Hautes Parties contractantes s’engagent à organiser, à des intervalles raisonnables, des élections libres au scrutin secret, dans les conditions qui assurent la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif. »
La Cour note que la privation des droits électoraux suite à la mise en faillite ne peut pas excéder cinq ans à partir de la date du jugement déclarant la faillite. Or, ce jugement datant du 29 octobre 1994, les requérants auraient dû introduire leur grief au plus tard le 29 avril 2000. La requête ayant été introduite le 17 juillet 2001, la Cour constate que ce grief est tardif et qu’il doit être rejeté conformément à l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
3. Invoquant l’article 8 de la Convention, les requérants se plaignent d’une atteinte à leur droit au respect de leur vie privée. MM. Bailo et Raini allèguent ne pas avoir pu exercer leur activité professionnelle à cause de l’effacement de leur nom dans le registre des courtiers financiers et M. Pastorino dénonce le fait d’avoir subi une atteinte au droit à son image et à sa santé en raison de la déclaration de faillite. Cet article est ainsi libellé :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée (...).
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
Le Gouvernement observe que, suite au concordat de faillite, les requérants auraient pu demander leur réhabilitation.
Les requérants estiment avoir à tort fait l’objet d’une procédure de faillite et observent avoir « choisi de demander la révocation du jugement déclarant leur faillite et non pas leur réhabilitation, laquelle implique que le jugement soit légitimement prononcé ».
Quant au grief soulevé par MM. Bailo et Raini, la Cour note tout d’abord que, à la différence des incapacités telles que la limitation du droit au respect des biens, de la correspondance ou de la liberté de circulation des requérants, qui ont débuté avec la déclaration de faillite et se sont terminées avec la clôture de la procédure, les incapacités dérivant de l’inscription du nom du failli dans le registre ne cessent qu’une fois obtenu l’effacement de cette inscription.
Ce dernier a lieu avec la réhabilitation civile, laquelle, dans le cas des requérants, aurait pu être demandée à partir de l’exécution régulière du concordat de faillite.
Elle relève ensuite que la situation dont les requérants se plaignent est une situation continue ayant débuté avec l’inscription de leur nom dans le registre de faillis.
La Cour constate que les requérants auraient pu interrompre cette situation en demandant leur réhabilitation à partir du 21 avril 1998, date de l’exécution régulière du concordat de faillite. Elle estime donc que, dans le cas d’espèce, c’est à partir de cette date que le délai de six mois prévu par l’article 35 § 1 de la Convention court. La présente requête ayant été introduite le 17 juillet 2001, ce grief est tardif et doit être rejeté conformément à l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
En ce qui concerne le « droit à l’image » invoqué par M. Pastorino, la Cour considère que le requérant aurait pu soulever ce grief devant les autorités internes, notamment lors d’une demande en dédommagement. Elle note que lors de leur appel contre le jugement rejetant la demande en révocation, les requérants se sont réservés de quantifier les dommages qu’ils estimaient avoir subi en raison de la déclaration de faillite dans une procédure ultérieure.
La Cour relève ensuite que, par un arrêt déposé le 26 janvier 2001, la cour d’appel de Milan a déclaré irrecevable la demande de condamnation de la partie défenderesse à la réparation des dommages en raison de ce que, selon une jurisprudence constante, cette demande n’aurait pas pu faire l’objet d’une procédure ultérieure, contrairement à ce que les requérants avaient demandé.
La Cour estime donc que cette partie de la requête doit être rejetée pour non-épuisement des voies de recours internes selon l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
Enfin, quant à la partie du grief tiré du « droit à la santé », la Cour relève que ce droit ne rentre pas dans les droits garantis par la Convention et ses Protocoles (voir, parmi beaucoup d’autres, Fiorenza c. Italie, déc., no 44393/98, 28 novembre 2000). Il s’ensuit que cette partie de la requête est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention et doit être rejetée, en application de son article 35 §§ 3 et 4.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
Vincent Berger Boštjan M. Zupančič
Greffier Président