Přehled

Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
27.6.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE BIELEC c. POLOGNE

(Requête no 40082/02)

ARRÊT

STRASBOURG

27 juin 2006

DÉFINITIF

23/10/2006

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Bielec c. Pologne,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

Sir Nicolas Bratza, président,
MM. J. Casadevall,
M. Pellonpää,
S. Pavlovschi,
L. Garlicki,
Mme L. Mijović,
MM. J. Šikuta, juges,

et de M. T.L. Early, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 8 juin 2006,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 40082/02) dirigée contre la République de Pologne et dont un ressortissant de cet État, M. Marian Bielec (« le requérant »), a saisi la Cour le 21 juin 2001 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le gouvernement polonais (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. Jakub Wołąsiewicz.

3. Le 18 mai 2004, la Cour a déclaré la requête partiellement irrecevable et a décidé de communiquer le grief tiré de la durée de l’ensemble des procédures administratives au Gouvernement. Se prévalant de l’article 29 § 3 de la Convention, elle a décidé qu’elle se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.

LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

4. Le requérant est né en 1925 et réside à Kąty Wrocławskie.

1. La procédure visant l’obtention d’un certificat d’urbanisme

5. Le 21 avril 1999, le voisin du requérant saisit le maire de Kąty Wrocławskie d’une demande tendant à se voir délivrer un certificat d’urbanisme, préalable nécessaire à l’obtention d’un permis de construire.

6. Par une décision du 14 mai 1999, le maire délivra au voisin du requérant le certificat souhaité.

7. Le 27 mai 1999, le requérant, à titre de tiers intervenant, introduisit un recours contre la décision du 14 mai 1999. Son recours se basait sur l′article 28 § 2 de la loi sur l′urbanisme aux termes duquel « sont considérées comme parties à la procédure visant la délivrance d′un permis de construire : la personne désirant entreprendre des travaux ainsi que les propriétaires, les usufruitiers viagers et les gérants des parcelles sises dans la zone susceptible d′être affectée par la construction ». Le requérant estimait être propriétaire d′une partie de la parcelle concernée par le permis de construire. En outre, il soutenait que le chantier se situait trop près de sa parcelle et que dès lors les travaux et l′exploitation future de l′immeuble troubleraient la jouissance paisible de son domicile. L′intéressé estima que la décision du 14 mai 1999 ne pouvait être considérée comme valable étant donné que le maire l′avait délivrée sans tenir compte de ses intérêts légitimes.

8. Le 14 juillet 1999, l’organe compétent d’appel (samorządowe kolegium odwoławcze) annula la décision du 14 mai 1999 et renvoya le dossier au maire pour reconsidération.

9. Le 8 août 2001, le maire classa le dossier sans suite étant donné qu’entre-temps les travaux avaient été achevés et qu’une procédure visant la légalisation de ceux-ci était pendante devant les instances administratives.

2. La procédure portant sur la délivrance d’un permis de construire

10. Le 7 juin 1999, sur la base du certificat d’urbanisme du 14 mai 1999, le maire délivra au voisin du requérant un permis de construire.

11. Toutefois, le 11 juin 1999, le permis de construire fut annulé d’office par le maire au motif que le certificat d’urbanisme, sur la base duquel le permis avait été délivré, n’était pas définitif, le requérant ayant formé un recours à son encontre le 27 mai 1999.

12. La décision du 11 juin 1999 devint définitive compte tenu du fait que ni le requérant ni son voisin n’avaient interjeté d’appel.

3. La procédure tendant à la légalisation des travaux de construction entrepris par le voisin du requérant sur la base du permis de construire ensuite annulé

13. Le 10 août 1999, le requérant informa le maire de Kąty Wrocławskie de ce que son voisin était en train d’effectuer des travaux sur son terrain sans permis valable. Le 20 août 1999, le maire en informa l’inspecteur des constructions de district.

14. Le 10 septembre 1999, l’inspecteur ordonna au voisin de l’intéressé de démolir le chantier. À la mi-septembre, le requérant et son voisin contestèrent, chacun à leur tour, la décision du 10 septembre 1999.

15. Le 23 novembre 1999, l’inspecteur régional annula la décision du 10 septembre et renvoya le dossier à l’inspecteur de district pour reconsidération en lui demandant d’examiner la possibilité de légalisation des travaux entrepris sans permis de construire valable. Le 15 décembre 1999, le requérant attaqua la décision du 23 novembre devant la Cour administrative suprême.

16. Entre-temps, le 7 janvier 2000, l’inspecteur de district ordonna la suspension des travaux entrepris par le voisin du requérant. Ensuite, le 12 janvier 2000, l’inspecteur ordonna à ce dernier de recueillir, jusqu’au 15 février 2000, les pièces indispensables à la légalisation des travaux.

17. Le 17 février 2000, statuant sur un recours du requérant, l’inspecteur régional annula la décision du 12 janvier 2000 et renvoya le dossier à l’inspecteur de district pour reconsidération. Le 6 octobre 2000, la Cour administrative suprême rejeta le recours formé par le requérant contre la décision du 17 février 2000.

18. Le 10 octobre 2000, la Cour administrative suprême rejeta le recours formé par le requérant contre la décision du 23 novembre 1999.

19. Le 9 novembre 2001, une inspection fut effectuée sur le chantier. Compte tenu de l′avancement des travaux, le 29 novembre 2001, l′inspecteur de district ordonna au voisin de l′intéressé de recueillir, jusqu`au 30 mars 2002, les pièces indispensables à la légalisation. Le requérant fit appel auprès de l’inspecteur régional.

20. Le 28 janvier 2002, l’inspecteur régional transmit le dossier de l’affaire au préfet étant donné que le 3 décembre 2001, le maire avait invité ce dernier à se prononcer sur la validité des décisions rendues les 7 et 11 juin 1999, relatives à l’autorisation de construire délivrée au voisin du requérant (voir, sous point 4 ci-dessous). L’inspecteur pria le préfet de l’informer aussitôt du résultat de la procédure portant sur la validité des décisions des 7 et 11 juin dans la mesure où son issue était décisive pour la solution à adopter dans la procédure visant la légalisation des travaux.

21. Entre-temps, le 30 août 2002, le voisin du requérant informa l’inspecteur de district que les travaux avaient été achevés.

22. Le 31 mars 2004, le préfet informa l’inspecteur de ce que les décisions des 7 et 11 juin 1999 avaient été déclarées nulles et non avenues.

23. Le 21 avril 2004, le requérant se plaignit auprès du préfet de l’inactivité de l’inspecteur de district. Il affirma qu’en dépit de l’annulation – par la décision du préfet rendue le 7 juillet 2003 – du permis de construire délivré à son voisin (paragraphe 35 ci-dessous), l’inspecteur n’avait pris aucune disposition ni pour appliquer la décision en question ni pour terminer la procédure portant sur la légalisation des travaux. Le préfet transmit la plainte du requérant à l’inspecteur régional.

24. Par une ordonnance du 23 août 2004, l’inspecteur régional somma l’inspecteur de district de lui soumettre certaines pièces nécessaires pour compléter le dossier. Le 22 septembre 2004, ce dernier présenta les documents requis.

25. Le 25 octobre 2004, l’inspecteur régional annula la décision du 29 novembre 2001 et renvoya le dossier à l’inspecteur de district pour reconsidération. Il releva que la situation de l’immeuble construit par le voisin du requérant n’était pas conforme à des normes techniques en vigueur et que dès lors il était nécessaire de déterminer les mesures à prendre par celui-ci pour éliminer les irrégularités.

26. Cependant, le 11 mai 2005, l’inspecteur de district décida de ne plus poursuivre la procédure au motif que celle-ci n’était plus pertinente. Se fondant sur les pièces versées au dossier, l’inspecteur estima que les intérêts légitimes du requérant n’avaient pas été lésés du fait des travaux effectués sur la parcelle avoisinante dans la mesure où la distance minimale requise par les normes techniques en vigueur entre la parcelle du requérant et la construction effectuée par son voisin avait été respectée. Par ailleurs, ce dernier n’était plus concerné par la procédure étant donné qu’il avait vendu sa parcelle à un tiers.

4. Procédure en nullité des décisions des 7 et 11 juin 1999

27. Dans l’entretemps, le 3 décembre 2001, l′inspecteur de district s’était adressé au préfet en l’invitant à se prononcer sur la conformité à la loi de la décision rendue le 11 juin 1999 par laquelle le maire avait annulé le permis de construire délivré à son voisin (voir, point 2 ci-dessus).

28. Le 15 mars 2002, le préfet ouvrit la procédure de nullité.

29. Le 3 avril 2002, le requérant saisit l′inspecteur général des constructions d’une demande tendant à voir déclarer nulle et non avenue la décision prononcée le 7 juin 1999, en vertu de laquelle son voisin s’était vu délivrer le permis de construire.

30. Le 14 mai 2002, le préfet prononça la nullité de la décision du 11 juin 1999 pour inobservation de la procédure administrative. Le 28 mai 2002, le requérant fit appel.

31. Le 6 septembre 2002, l′inspecteur général des constructions confirma la décision du 14 mai.

32. Le même jour, l′inspecteur général des constructions transmit la demande du requérant relative à la décision du 7 juin 1999 au préfet, organe compétent pour s’y prononcer.

33. Le 14 mai 2003, la Cour administrative suprême raya du rôle le recours formé par le requérant contre la décision de l′inspecteur du 6 septembre 2002 étant donné que l′intéressé avait retiré sa demande.

34. Aussitôt après le retour du dossier par la Cour administrative, le 28 mai 2003, le préfet ouvrit la procédure relative à la décision du 7 juin 1999.

35. Le 7 juillet 2003, le préfet prononça la nullité du permis de construire délivré au voisin du requérant par le maire le 7 juin 1999. Le 29 juillet 2003, le voisin du requérant fit appel.

36. Le 25 septembre 2003, l′inspecteur général des constructions confirma la décision du 7 juillet 2003.

LE DROIT INTERNE PERTINENT

37. En vertu de l’article 35 du code de procédure administrative, l’autorité administrative saisie par un demandeur dispose d’un délai maximal de deux mois pour prononcer une décision. Lorsque le délai en question n’est pas respecté, l’autorité administrative se doit - en vertu de l’article 36 du code - d’expliquer aux parties les motifs de sa carence. De surcroît, elle est tenue de fixer un nouveau délai dans lequel la décision devra être prononcée. Ensuite, en cas où l’autorité administrative demeure inactive, la partie intéressée peut se plaindre de son inaction en formant – en vertu de l’article 37 § 1 du code - un recours hiérarchique en carence auprès d’une autorité hiérarchiquement supérieure à celle mise en cause. Dans la mesure où le recours s’avère bien fondé, l’autorité administrative concernée peut se voir impartir par l’autorité supérieure un nouveau délai pour rendre une décision. Par ailleurs, l’autorité supérieure peut ordonner l’ouverture d’une enquête administrative pour identifier les motifs de sa carence. De surcroît, lorsque cela s’avère nécessaire, l’autorité hiérarchiquement supérieure peut prendre des mesures appropriées en vue de prévenir à l’avenir la répétition des carences.

38. Par ailleurs, en vertu de l’article 17 de la loi sur la Cour administrative suprême qui est entrée en vigueur le 1er octobre 1995, une partie à une procédure administrative pouvait à tout moment saisir cette juridiction d’un recours en carence en vue de voir constater l’inaction d’une autorité administrative qui était censée rendre une décision. En vertu de la disposition de l’article 26 de la loi en question, à supposer que les allégations au sujet de l’inaction d’une autorité mise en cause soient bien fondées, cette dernière peut être sommée par la Cour administrative suprême « à rendre une décision ou accomplir un acte donné ou bien à déclarer l’existence d’un droit ou d’une obligation qui découle de la loi ». Une telle décision de la Cour administrative suprême est juridiquement contraignante. Si l’autorité administrative concernée ne s’y conforme pas, la Cour administrative suprême peut lui infliger une amende administrative ou bien rendre elle-même une décision sur le droit ou l’obligation en cause.

39. Suite à l`adoption, les 25 juillet et 30 août 2002, de nouvelles lois sur l’organisation et le fonctionnement des tribunaux administratifs, des juridictions administratives de deuxième degré ont été instituées dans le système judicaire polonais. De ce fait, la loi sur la Cour administrative suprême du 1995 a été abrogée étant donné que les nouvelles lois régissaient également le mode du fonctionnement de la juridiction administrative suprême.

40. L’article 3 § 1 de la loi du 30 août 2002 dispose que les tribunaux administratifs contrôlent les actes de l’administration publique. Il leur incombe, notamment, d’examiner les recours en carence dirigés contre les autorités administratives. La décision par laquelle un tribunal administratif se prononce sur ledit recours est susceptible d’un pourvoi en cassation qui peut être formé devant la Cour administrative suprême.

EN DROIT

SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

41. Le requérant allègue que la durée de différentes procédures suivies en l’espèce a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

42. La Cour estime qu’en l’espèce, il y a lieu d’examiner séparément la durée des procédures qui, bien qu’interdépendantes, relevaient de la compétence de différentes autorités administratives (en ce sens, Phocas c. France, arrêt du 23 avril 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-II, § 68).

A. Sur la recevabilité

43. Le Gouvernement soulève deux exceptions d’irrecevabilité : l’une relative à la compétence ratione materiae, l’autre tirée du non-épuisement des voies de recours internes.

1. Sur l’exception préliminaire du Gouvernement relative à la compétence ratione materiae

44. Le Gouvernement relève que les procédures administratives portaient sur des travaux effectués par le voisin du requérant sur sa propre parcelle. Il en résulte que l’issue des procédures n’était pas directement « déterminante pour les droits et obligations de caractère civil » du requérant.

45. La Cour rappelle que dans d’autres affaires similaires (voir, notamment Ortenberg c. Autriche, arrêt du 25 octobre 1994, série A nº 295B, § 28 ainsi que Fuchs c. Pologne, (déc) nº 33870/96, 11 décembre 2001), elle a conclu à l’applicabilité de l’article 6 à la procédure dans le cadre de laquelle les requérants s’opposaient à la délivrance à leur voisin d’un permis de construire, estimant que l’issue de ladite procédure avait des répercussions sur leur droit de propriété.

46. En ce qui concerne la présente affaire, la Cour relève que la loi polonaise reconnaît au requérant la qualité de partie dans les procédures portant sur les travaux effectués sur la parcelle avoisinante et qu’il a été considéré comme partie par les autorités administratives s’étant prononcées dans cette affaire. De surcroît, la Cour observe qu’au travers des recours qu’il a formé à l’encontre des décisions prononcées par les autorités administratives, le requérant faisait valoir ses intérêts légitimes, en particulier le fait que les travaux et l’exploitation future de l’immeuble pourraient compromettre la jouissance paisible de son domicile.

47. Au vu de ce qui précède, la Cour décide de rejeter l’exception préliminaire tirée de l’incompatibilité ratione materiae.

2. Sur l’exception du Gouvernement tirée du non- épuisement des voies de recours internes

48. Le Gouvernement estime que le requérant n’a pas épuisé tous les recours qu’il avait à sa disposition en droit interne pour se plaindre de la durée des procédures administratives. Le Gouvernement relève qu’à une seule reprise, à savoir le 21 avril 2004, le requérant a introduit – dans le cadre de la procédure tendant à légaliser les travaux entrepris par son voisin – le recours hiérarchique en carence sur le fondement de l’article 37 du code de procédure administrative (paragraphe 23 ci-dessus). Suite à son introduction, l’organe administratif compétent a pris des mesures visant à accélérer le déroulement de la procédure. Toutefois, le Gouvernement considère que l’intéressé n’a pas utilisé ledit recours en temps utile, à savoir au stade antérieur de la procédure, en particulier durant la période de l’inaction constatée entre le mois d’octobre 2000 et le mois de novembre 2001. De surcroît, le Gouvernement souligne que le requérant n’a pas fait l’usage du recours en carence prévu par la disposition de l’article 37 de l’ancienne loi sur la Cour administrative et reprise par la disposition de l’article 3 § 2 de la nouvelle loi sur le fonctionnement des tribunaux administratifs.

49. Le requérant ne se prononce pas.

50. La Cour rappelle que la finalité de l’article 35 est de ménager aux États contractants l’occasion de prévenir ou redresser les violations alléguées contre eux avant que ces allégations ne soient soumises aux organes de la Convention. Cette disposition doit s’appliquer « avec une certaine souplesse et sans formalisme excessif » ; il suffit que l’intéressé ait soulevé devant les juridictions nationales « au moins en substance, et dans les conditions et délais prescrits par le droit interne » les griefs qu’il entend par la suite formuler devant la Cour » (voir, entre autres, Castells c. Espagne, arrêt du 23 avril 1992, série A no236, p. 19, § 27).

51. La Cour relève qu’à une reprise et concernant uniquement la procédure relative à la légalisation des travaux de construction entrepris par le voisin, le requérant a introduit le recours hiérarchique prévu par l’article 37 du code de procédure administrative. Cela étant, la Cour estime qu’au regard de sa jurisprudence précitée, il convient de considérer que le grief du requérant a été soulevé en substance devant les autorités nationales compétentes mais uniquement en ce qui concerne la durée de la procédure relative à la légalisation des travaux de construction.

En revanche, la Cour estime qu’il serait trop formaliste d’exiger du requérant qu’il se plaigne devant les autorités nationales de la longueur de la procédure visant l’obtention du certificat d’urbanisme ainsi que de celle portant sur la délivrance d’un permis de construire dans la mesure où leur durée était insignifiante. En fait, le premier litige a perdu son enjeu pour le requérant environ deux mois après l’introduction de son recours avec l’annulation du certificat d’urbanisme octroyé à son voisin. Quant à l’autre procédure, la décision critiquée par le requérant a été annulée d’office par le maire à peine quatre jours après son adoption.

En ce qui concerne la procédure en nullité des décisions administratives prononcées les 7 et 11 juin 1999, la Cour relève que celle-ci a duré environ une année et dix mois. Dans la mesure où il estime qu’il s’agit d’une période trop longue, la Cour considère que le requérant aurait pu tenter d’y remédier en formant les recours appropriés devant les autorités internes compétentes (paragraphes 37-40 ci-dessus). Or, en l’espèce, il n’a fait aucune démarche en ce sens.

52. Au vu de ce qui précède, la Cour décide d’accueillir l’exception tirée du non-épuisement des voies de recours internes en ce qui concerne la procédure en nullité, et de la rejeter, en ce qui concerne les trois autres procédures.

3. Sur la recevabilité des griefs relatifs à la procédure visant l’obtention du certificat d’urbanisme et à celle portant sur la délivrance d’un permis de construire

53. En ce qui concerne la procédure visant l’obtention d’un certificat d’urbanisme, la Cour note que celle-ci débuté le 27 mai 1999 et s’est terminée le 8 août 2001. Elle a donc duré plus de deux années et deux mois.

Le Gouvernement affirme que le requérant n’a subi aucun préjudice du fait de la durée de cette procédure dans la mesure où la décision par laquelle le maire avait octroyé à son voisin le certificat d’urbanisme a été annulée par l’autorité d’appel au bout d’un mois et deux semaines après l’introduction du recours par le requérant.

Le requérant ne se prononce pas.

La Cour relève que le litige a perdu son enjeu pour le requérant dès le 14 juillet 1999 avec l’annulation du certificat d’urbanisme octroyé à son voisin (paragraphe 8 ci-dessus). Il ne ressort d’ailleurs pas du dossier que le requérant ait par la suite montré un intérêt et ait fait preuve d’une diligence particulière pour voir avancer la procédure. Après l’annulation dudit certificat d’urbanisme, la procédure était en outre conditionnée par celle tendant à la légalisation des travaux entrepris par le voisin, dont la durée fait également l’objet d’un examen par la Cour (voir paragraphes 56 - 62 ci-dessous).

Dès lors, au vu de ce qui précède, la Cour constate que le grief tiré de la durée de cette procédure est manifestement mal fondé et décide de le rejeter en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

54. Quant à la procédure portant sur la délivrance d’un permis de construire, la Cour relève que la période à prendre en considération a débuté le 7 juin 1999 et s’est terminée le 11 juin 1999. Elle a donc duré quatre jours.

Le Gouvernement souligne que le requérant n’a subi en l’espèce aucun préjudice compte tenu du fait que la décision qu’il critiquait a été annulée d’office par le maire à peine quatre jours après son adoption. Par la suite, la procédure, tout comme celle visant l’obtention d’un certificat d’urbanisme, a perdu son intérêt du fait de l’avancement des travaux effectués par le voisin du requérant.

Le requérant ne se prononce pas.

Au vu de ce qui précède, la Cour ne peut que constater que le grief est manifestement mal fondé et décide de le rejeter en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

4. Sur la recevabilité du grief relatif à la procédure tendant à la légalisation des travaux entrepris par le voisin du requérant

55. La Cour estime que le grief tiré de la procédure tendant à la légalisation des travaux entrepris par le voisin du requérant n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. De surcroît, la Cour relève qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

56. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII).

57. La Cour considère que la période à prendre en considération a débuté le 10 août 1999 (paragraphe 13 ci-dessus) et s’est terminée le 11 mai 2005 (paragraphe 26 ci-dessus). Elle a donc duré environ cinq années et neuf mois.

58. Le Gouvernement considère que les questions sur lesquelles portait la procédure étaient complexes. En particulier, il souligne les difficultés rencontrées par les autorités dans l’évaluation de la légalité du chantier entrepris sur le fondement du permis de construire, qui a ensuite été annulé. En plus, les autorités ont dû s’interroger sur la validité du permis de construire, celui-ci ayant été délivré alors que le certificat d’urbanisme préalable nécessaire à sa délivrance n’était pas encore définitif. Il leur a fallu également examiner la conformité du chantier au plan d’occupation des sols et ensuite répondre à la question de savoir si, malgré les irrégularités constatées, il était tout de même possible de légaliser le chantier.

Le Gouvernement estime que le requérant a contribué à la durée de la procédure. En particulier, il relève que le fait pour le requérant d’avoir contesté devant la Cour administrative suprême la décision de l’inspecteur régional prononcée le 23 novembre 1999, bien qu’en réalité celle-ci lui ait été favorable, a entraîné un retard d’environ 7 mois. Le Gouvernement souligne que la plupart du temps, le requérant est demeuré passif et qu’il n’a pas utilisé en temps utile les moyens légaux à sa disposition pour accélérer la marche de la procédure.

Le Gouvernement souligne que malgré la complexité des questions juridiques faisant l’objet de la procédure litigieuse, l’affaire a été examinée de façon rapide et sans retard. Il fait valoir qu’entre le mois de janvier 2002 et le mois de mars 2004, la procédure n’a pas été poursuivie dans l’attente de l’issue d’une procédure en nullité engagée par le préfet, cette dernière étant décisive pour la solution à adopter dans le présent litige. Il s’ensuit que la période d’environ deux années et deux mois entraînée par cette suspension ne saurait entrer en ligne de compte.

59. Le requérant ne se prononce pas.

60. La Cour relève que si la durée de la procédure litigieuse s’étend sur environ cinq années et neuf mois, son appréciation doit particulièrement porter sur les trois années et sept mois de procédure effective puisqu’il y a lieu de tenir compte du fait que la procédure a été suspendue pendant environ deux années et deux mois dans l’attente de la solution donnée à la procédure en nullité engagée par le préfet, qui fait ci-dessus l’objet d’un examen par la Cour (paragraphe 51 ci-dessus).

61. La Cour observe qu’au vu des questions juridiques posées, l’affaire présentait une certaine complexité. Elle rappelle que seuls les retards imputables à l’État peuvent amener à conclure à l’inobservation du délai raisonnable (voir, notamment, Proszak c. Pologne, arrêt du 16 décembre 1997, Recueil 1997-VII, p. 2774, §40).

La Cour note que le Gouvernement n’a fourni aucune explication quant à la période d’inactivité qui s’est écoulée entre le 10 octobre 2000, date du prononcé de la décision par la Cour administrative, et le 9 novembre 2001, jour où l’inspection a été effectuée par l’inspecteur des constructions sur le chantier. Toutefois, à l’exception de ce manquement à la célérité de la procédure, les étapes se sont suivies à un rythme régulier et qu’ainsi les autorités ne sont pas restées inactives et se sont acquittées de leurs devoirs de façon satisfaisante.

62. En conclusion, au vu de ce qui précède, la Cour constate qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

1. Déclare, à l’unanimité, la requête recevable quant au grief tiré de la durée excessive de la procédure portant sur la légalisation des travaux et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit, par 6 voix contre 1, qu’il n’y pas a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention,

Fait en français, puis communiqué par écrit le 27 juin 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

T.L. Early Nicolas Bratza
Greffier Président

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion dissidente de M. J. Casadevall.

N.B.
T.L.E.


OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE CASADEVALL

1. J’ai voté contre l’opinion majoritaire au point 2 du dispositif, car à mon avis il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention. Je tiens à préciser cependant que, au-delà du fait que je ne décèle pas de violation à raison de la longueur de la procédure, mon désaccord vise surtout la façon dont la majorité a analysé le problème soulevé par le requérant et a découpé la procédure en plusieurs procédures, ce qui lui a permis de conclure que la durée avait été raisonnable.

2. En effet, l’arrêt distingue quatre procédures. A mon avis, les quatre forment un tout. Le requérant, estimant que le projet de construction de son voisin était susceptible de nuire à sa propriété, forma le 27 mai 1999 – en vertu de la loi sur l’urbanisme – un recours contre le certificat d’urbanisme délivré à son voisin par le maire ; ce litige prit fin le 11 mai 2005, avec la décision de l’inspecteur de district. Cette procédure (1), entamée par le requérant, a donc duré cinq ans, onze mois et onze jours.

3. Les procédures portant sur la délivrance d’un permis de construire (2) et tendant à la légalisation des travaux entrepris par le voisin du requérant sur la base d’un permis de construire ensuite annulé (3) ne sont que la conséquence et la simple suite de la première (1) et elles ont été entamées par le voisin en question. Finalement, l’action en nullité de la décision du 11 juin 1999 a été intro­duite par le préfet à la demande de l’inspecteur de district, et celle en nullité de la décision du 7 juin 1999 (4) a été engagée par le requérant, les deux concernant toutefois le permis de construire que le voisin s’était vu octroyer par la mairie (2).

A partir de ce morcellement, la Cour décide que le seul grief qui mérite d’être déclaré recevable est celui relatif à la procédure tendant à la légalisation des travaux entre­pris par le voisin (3).

4. Sur le fond de ce grief, la majorité constate que cette procédure a duré environ cinq ans et neuf mois, mais que son appréciation doit porter sur les trois ans et sept mois effectifs « puisqu’il y a lieu de tenir compte du fait que la procédure a été suspendue pendant environ deux années et deux mois dans l’attente de la solution (...) » qui devait être donnée par le préfet (paragraphes 57 et 60 de l’arrêt). C’est là que réside le point fort de ma dissidence.

L’approche de la majorité permet à la Cour de conclure que le délai n’a pas été déraisonnable. Je ne puis accepter cette analyse. L’administration n’est qu’une. Les imbrications – malheureusement inévitables – qu’il peut y avoir dans certaines procédures administra­tives entre différents organes ou institutions de l’Etat, pour des raisons de hiérarchie ou de compétence, ne


sauraient justifier une division artificielle de l’Admi­nistration en « administrations ».

5. La jurisprudence de la Cour est formelle sur ce point : « (...) les diverses institutions que l’insuffisance de leurs ressources, ou leur surcharge de travail, empêchèrent de donner suite aux demandes du juge (...) étaient toutes publiques. Leur caractère non judiciaire ne tire pas ici à conséquence » (Martins Moreira c. Portugal, arrêt du 26 octobre 1988, série A no 143, § 60) ; « (...) la Cour souligne qu’elle ne saurait accueillir l’argumentation par laquelle le Gouvernement tend à nier la responsabilité du tribunal d’instance pour le retard causé par l’expert » (Volkwein c. Allemagne, no 45181/99, § 39, 4 avril 2002) ; « Dans ces circonstances, et eu égard au fait que les services de sécurité sociale font partie de l’administration nationale, la Cour estime que le gouvernement défendeur peut être tenu pour responsable (...) » (Beumer c. Pays Bas, no 48086/99, § 51, 29 juillet 2003).

Les mairies, les préfectures, les ins­pections de district, les services sanitai­res et sociaux, la sécurité sociale, et j’en passe, font tous partie de l’Administration, et lorsqu’une procédure pâtit de délais excessifs dus à des appels, renvois, interventions nécessaires, décisions pendantes ou délivran­ce tardi­ve de rapports, informa­tions ou expertises, la responsabilité globale et définitive en revient à l’Admi­nistration de l’Etat.