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DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE ÇAĞIRICI c. TURQUIE
(Requête no 74325/01)
ARRÊT
STRASBOURG
27 juin 2006
DÉFINITIF
27/09/2006
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Çağırıcı c. Turquie,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. J.-P. Costa, président,
I. Cabral Barreto,
R. Türmen,
M. Ugrekhelidze,
Mmes A. Mularoni,
E. Fura-Sandström,
M. D. Popović, juges,
et de M. S. NAISMITH, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 30 mai 2006,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 74325/01) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Ömer Cağırıcı (« le requérant »), a saisi la Cour le 28 août 2001 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant est représenté par Mes Mesut et Meral Beştaş, avocats à Diyarbakır. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») n’a pas désigné d’agent aux fins de la procédure devant la Cour.
3. Le 15 mars 2005, la deuxième section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant de l’article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l’affaire.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
4. Le requérant est né en 1976 et réside à Batman.
5. Le 9 avril 2001 vers 22 heures, le requérant fut arrêté avec vingt autres personnes à la suite d’un appel anonyme, puis placé en garde à vue. Il lui était reproché de mener des activités de propagande en faveur du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan).
6. Le procès-verbal de perquisition établi le 10 avril 2001 vers 13 heures, signé par le requérant, précisa que plusieurs documents et cassettes audio avaient été saisis à son domicile, et que l’intéressé était soupçonné d’avoir fait de la propagande en faveur du PKK.
7. Le 11 avril 2001, le chef de la section de lutte contre le terrorisme de la direction de la sûreté de Diyarbakır demanda au procureur de la République près la cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakır la prorogation de la garde à vue du requérant au 13 avril 2001. La demande fut accueillie.
8. Le 13 avril 2001, statuant sur le dossier soumis à son examen et eu égard à la demande formulée par le procureur de la République, le juge assesseur près la cour de sûreté de l’Etat ordonna une prolongation de la garde à vue du requérant pour six jours à compter du 13 avril 2001.
9. Au terme de sa garde à vue, à savoir le 17 avril 2001, le requérant fut entendu par le procureur de la République. Puis, il fut traduit devant le juge assesseur près la cour de sûreté de l’Etat, qui ordonna sa mise en détention provisoire.
10. La procédure pénale diligentée contre le requérant demeure toujours pendante devant les juridictions internes.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
11. Le droit et la pratique internes pertinents sont décrits dans les arrêts Sakık et autres c. Turquie (26 novembre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997‑VII, pp. 2616-2617, §§ 23-24) et Öcalan c. Turquie ([GC], no 46221/99, §§ 55-56, CEDH 2005‑...).
EN DROIT
I. SUR LA RECEVABILITÉ
12. Le requérant allègue une violation de l’article 5 §§ 1 c), 2 et 3 de la Convention.
13. De même, invoquant l’article 13 de la Convention, il fait valoir que le contrôle de la durée de sa garde à vue effectué par le procureur et le juge sur la base du dossier soumis à leur examen ne constitue pas une procédure conforme à la garantie habeas corpus.
14. La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence constante, l’article 5 § 4 de la Convention constitue une lex specialis, pour le contrôle juridictionnel périodique de la légalité d’une détention, par rapport aux exigences plus générales de l’article 13 (Nikolova c. Bulgarie [GC], no 31195/96, § 69, CEDH 1999‑II). Par conséquent, elle examinera ce grief sous l’angle de l’article 5 § 4.
A. Sur les griefs tirés de l’article 5 §§ 1 c) et 2 de la Convention
15. La Cour observe que le requérant a été arrêté par la police le 9 avril 2001 à la suite d’une dénonciation par appel anonyme (paragraphe 5 ci-dessus). Dans le procès-verbal établi le 10 avril 2001 à 13 heures, il a été précisé qu’il était soupçonné d’avoir fait de la propagande en faveur du PKK (paragraphe 7 ci-dessus).
16. Au vu de ce qui précède, il y a lieu de conclure que les soupçons pesant sur le requérant atteignaient le niveau exigé car ils étaient fondés sur une base factuelle concrète. La privation de liberté avait ainsi pour finalité de confirmer ou dissiper les soupçons. D’autre part, rien dans le dossier ne permet de conclure que l’intéressé, lors de son arrestation ou de son placement en garde à vue dans les locaux de la police, n’avait pas été informé des raisons justifiant ces mesures (Güler c. Turquie (déc.), no 49391/99, 28 juin 2001).
Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
B. Sur le non-épuisement des voies de recours internes
17. Le Gouvernement invite la Cour à rejeter les griefs tirés de l’article 5 pour non-épuisement des voies de recours internes. Selon lui, le requérant aurait dû demander sa mise en liberté en formant un recours sur le fondement de l’article 128 § 4 du code de procédure pénale.
18. La Cour estime que, dans les circonstances particulières de la présente affaire, cette question est si étroitement liée au bien-fondé du grief formulé sous l’angle de l’article 5 § 4 qu’elle ne peut, à ce stade de la procédure, être dissociée de l’examen de ce dernier grief. Dès lors, la question de savoir si les voies de recours internes ont été épuisées quant à ces griefs doit être traitée lors de l’examen sur le fond (Kılıçoğlu c. Turquie (déc), no 41136/98, 28 septembre 2004).
19. La Cour estime, à la lumière de l’ensemble des arguments des parties, que ces griefs posent de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de l’examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond ; il s’ensuit que ces griefs ne sauraient être déclarés manifestement mal fondés, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Aucun autre motif d’irrecevabilité n’a été relevé.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 §§ 3 ET 4 DE LA CONVENTION
20. Le requérant se plaint de la durée de la garde à vue et de l’absence d’un recours pour contester la légalité de cette privation de liberté.
L’article 5 §§ 3 et 4 est ainsi libellé :
« 3. Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience.
4. Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »
A. Durée de la garde à vue
21. Le Gouvernement fait valoir que la durée de la garde à vue du requérant était conforme à la législation en vigueur à l’époque des faits. Il ajoute que, depuis l’amendement constitutionnel intervenu le 17 octobre 2001, la durée de la garde à vue ne peut en aucun cas dépasser quatre jours.
22. La Cour note que la garde à vue du requérant a débuté le 9 avril 2001, date de son arrestation, et s’est terminée le 17 avril 2001, date de sa comparution devant le juge assesseur qui a ordonné sa mise en détention provisoire, et a ainsi duré huit jours.
23. La Cour rappelle que dans l’affaire Brogan et autres c. Royaume-Uni (arrêt du 29 novembre 1988, série A no 145‑B, p. 33, § 62), elle a jugé qu’une période de garde à vue de quatre jours et six heures sans que l’intéressé ait été traduit devant un juge allait au-delà des strictes limites de temps fixées par l’article 5 § 3, même quand elle a pour but de prémunir la collectivité dans son ensemble contre le terrorisme.
24. La Cour ne saurait donc admettre qu’il ait été nécessaire de détenir le requérant pendant huit jours avant qu’il ne soit « traduit devant un juge » (Ataoğlu c. Turquie, 77111/01, § 25, 20 octobre 2005).
25. Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention.
B. Garantie de l’habeas corpus
26. Le requérant se plaint de l’absence d’une voie de recours lui permettant de mettre en cause la légalité de sa garde à vue.
27. Le Gouvernement fait observer que le requérant a omis de saisir le juge d’instance pour faire contrôler la légalité de la garde à vue, recours prévu par l’article 128 § 4 du code de procédure pénale.
28. La Cour rappelle d’abord que dans son arrêt Öcalan précité (§§ 64‑72), elle a considéré que, dans les circonstances particulières de l’affaire, le contrôle effectué par le juge national sur la légalité de la détention en vertu de l’article 128 § 4 du code de procédure pénale ne respectait pas les exigences de l’article 5 § 4. En outre, soulignant notamment que les accusations portées contre le requérant revêtaient une certaine gravité et que la durée de sa garde à vue était conforme à la législation nationale, elle a jugé qu’une opposition sur ce point devant un juge d’instance était loin de présenter des chances d’aboutir à une remise en liberté (ibidem, § 70).
29. Ces considérations valent également pour la présente espèce. La Cour rejette donc l’exception préliminaire du Gouvernement tirée du non-épuisement des voies de recours internes et conclut, pour les mêmes motifs, qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention.
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
30. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
31. Le requérant réclame respectivement 16 200 et 20 000 euros (EUR) au titre des préjudices matériel et moral.
32. Le Gouvernement considère que la demande du requérant est excessive et conteste en conséquence le montant réclamé.
33. La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué, et rejette cette demande. En revanche, elle relève que le requérant a été placé en garde à vue pendant huit jours sans une intervention judiciaire. Les circonstances dans lesquelles l’intéressé a été privé de sa liberté ont dû, sans aucun doute, lui causer un préjudice moral pour lequel les tribunaux internes ne lui ont accordé aucune réparation. Eu égard aux circonstances de la cause et statuant en équité, conformément à l’article 41 de la Convention, la Cour décide d’octroyer au requérant 1 500 EUR au titre du préjudice moral (Coban c. Turquie, no 48069/99, § 32, 21 février 2006).
B. Frais et dépens
34. Le requérant demande également 5 400 EUR pour les frais et dépens encourus devant la Cour.
35. Le Gouvernement considère que cette demande est excessive.
36. La Cour rappelle qu’au regard de l’article 41 de la Convention, seuls peuvent être remboursés les frais dont il est établi qu’ils ont été réellement et nécessairement exposés et sont d’un montant raisonnable (voir Nikolova, précité, § 79). A cet égard, elle note que l’intéressé n’a produit aucune pièce justificative relative aux frais et dépens encourus. Cependant, il n’en reste pas moins qu’aux fins de la préparation de la requête introduite au nom du requérant, l’avocat a dû exposer certains frais. Dès lors, sur la base des éléments en sa possession et statuant en équité, la Cour alloue la somme 1 000 EUR au requérant.
C. Intérêts moratoires
37. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Joint au fond l’exception du Gouvernement et la rejette ;
2. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés de l’article 5 §§ 3 et 4 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;
3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention ;
4. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention ;
5. Dit
a) que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir en nouvelles livres turques au taux applicable à la date du règlement :
i. 1 500 EUR (mille cinq cents euros) pour dommage moral ;
ii. 1 000 EUR (mille euros) pour frais et dépens ;
iii. tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur lesdites sommes ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
6. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 27 juin 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
S.NAISMITH J.-P. Costa
Greffier adjoint Président