Přehled
Rozhodnutí
PREMIÈRE SECTION
DÉCISION PARTIELLE
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 9029/05
présentée par Grigorios KAMPANELLIS
contre la Grèce
La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant le 6 juillet 2006 en une chambre composée de :
MM. L. Loucaides, président,
C.L. Rozakis,
Mmes F. Tulkens,
E. Steiner,
MM. K. Hajiyev,
D. Spielmann,
S.E. Jebens, juges,
et de M. S. Nielsen, greffier de section
Vu la requête susmentionnée introduite le 7 mars 2005,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant, M. Grigorios Kampanellis, est un ressortissant grec, né en 1961 et résidant à Athènes. Il est représenté devant la Cour par Me I. Anagnostopoulos, avocat au barreau d’Athènes.
A. Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.
Le requérant fait l’objet d’une procédure pénale pour plusieurs infractions de nature financière. Le 10 juillet 2003, il fut placé en détention provisoire. Au cours de cette détention, le requérant demanda l’annulation de la procédure préliminaire, sa libération conditionnelle, ainsi que l’autorisation de comparaître devant les chambres d’accusation pour défendre sa cause. Ses demandes furent rejetées par les chambres d’accusation près le tribunal correctionnel et la cour d’appel d’Athènes, qui ont également décidé de son maintien en détention provisoire et de la prolongation de celle-ci (ordonnances nos 223/2004, 1660/2004, 1767/2004 et 2047/2004, rendues les 21 janvier, 8 et 15 juillet et 17 août 2004 respectivement).
Le 7 septembre 2004, le requérant demanda au juge d’instruction d’ordonner de nouveaux actes d’instruction qu’il estimait nécessaires pour l’établissement de la vérité.
Le 3 novembre 2004, le requérant demanda à la chambre d’accusation près la cour d’appel d’Athènes de l’autoriser à comparaître devant elle afin de défendre sa cause.
Le 2 décembre 2004, la chambre d’accusation ordonna sa mise en liberté sous contrôle judiciaire, avec obligation de verser une caution de 130 000 euros. La chambre d’accusation considéra en particulier qu’ « il a été établi que si le requérant est libéré, il est peu probable qu’il commette d’autres infractions ; quant à la période pendant laquelle il fut maintenu en détention, nous estimons qu’elle suffisait pour l’assagir (« αρκετός για να τον συνετίσει ») et le dissuader de commettre d’autres actes similaires ». Par ailleurs, la chambre d’accusation réserva sa décision quant à la demande du requérant de comparaître en personne devant elle (ordonnance no 2943/2004).
Le 7 décembre 2004, le requérant demanda à la chambre d’accusation de réduire le montant de sa caution. Le 9 décembre 2004, sa demande fut rejetée, au motif qu’il n’avait pas été établi qu’il était dans l’impossibilité financière de verser la caution en question (ordonnance no 3013/2004). Le requérant ne versa pas cette somme ; il demeura en détention jusqu’au 10 janvier 2005, date à laquelle il fut libéré d’office, sa détention ayant atteint la durée maximale autorisée par la Constitution (voir ci-dessous).
Le 19 janvier 2005, la chambre d’accusation rejeta la demande du requérant de comparaître en personne devant elle, au motif qu’il avait déjà suffisamment développé et étayé ses arguments par écrit. La chambre d’accusation rejeta en outre la demande du requérant en date du 7 septembre 2004, dans laquelle il réclamait de nouveaux actes d’instruction, au motif qu’il n’était pas nécessaire de recueillir des preuves supplémentaires et qu’il existait des indices suffisantes pour renvoyer le requérant en jugement (ordonnance no 26/2005).
Le requérant souligne que les ordonnances susmentionnées n’étaient susceptibles d’aucun recours.
B. Le droit interne pertinent
1. L’article 6 § 4 de la Constitution est ainsi libellé :
« La loi fixe la durée maximale de la détention provisoire, qui ne doit pas excéder un an pour les crimes et six mois pour les délits. Dans des cas tout à fait exceptionnels, ces durées maximales peuvent être prolongées de six et trois mois respectivement par décision de la chambre d’accusation compétente. »
2. Conformément à l’article 306 du code procédure pénale, les délibérations de la chambre d’accusation ne sont pas publiques ; les décisions sont prises à la majorité, après que le procureur a été entendu et se fut retiré (article 138).
3. Aux termes de l’article 309 § 2 du code de procédure pénale :
« La chambre saisie de la demande de l’une des parties doit ordonner leur comparution devant elle, afin qu’elles fournissent, en présence du procureur, toute précision. Elle peut de surcroît autoriser les conseils à présenter oralement leurs observations sur l’affaire (...) Elle ne peut rejeter une demande de comparution que pour des motifs précis qui doivent être expressément mentionnés dans son ordonnance (...). »
4. L’article 533 § 1 du code de procédure pénale est ainsi libellé :
Article 533 § 1
« Les personnes placées en détention provisoire puis acquittées (...) ont le droit de demander réparation (...) »
GRIEFS
Invoquant les articles 5 §§ 3 et 4 et 6 §§ 1, 2 et 3 c) et d) de la Convention, le requérant se plaint contre les ordonnances nos 223/2004, 1660/2004, 1767/2004, 2047/2004, 2943/2004, 3013/2004 et 26/2005. Il conteste notamment la légalité de sa détention et l’équité de la procédure préliminaire.
EN DROIT
Le requérant se plaint, sous l’angle des articles 5 §§ 3 et 4 et 6 §§ 1, 2 et 3 de la Convention, que sa détention provisoire n’était pas nécessaire, car elle ne s’appuyait sur aucune indice sérieux de culpabilité et qu’elle a été prolongée à plusieurs reprises sans tenir compte des éléments de preuve à sa décharge. Le requérant se plaint en outre d’une violation du principe de l’égalité des armes devant les chambres d’accusation, qui résulterait du refus qu’il a essuyé de comparaître en personne devant ces juridictions, alors que le procureur, lui, a été toujours entendu. Il se plaint également que la procédure préliminaire n’a pas été équitable et qu’elle porta atteinte au principe de la présomption d’innocence, ainsi qu’aux droits de la défense. Les parties pertinentes des dispositions invoquées par le requérant sont ainsi libellées :
Article 5
« 3. Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience.
4. Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »
Article 6
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...).
2. Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.
3. Tout accusé a droit notamment à :
(...)
c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ;
d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge. »
A. Pour autant que la requête se dirige contre les ordonnances nos 223/2004, 1660/2004, 1767/2004 et 2047/2004
Pour autant que le requérant tire ses griefs des ordonnances nos 223/2004, 1660/2004, 1767/2004 et 2047/2004, la Cour note que celles-ci ont été rendues les 21 janvier, 8 et 15 juillet et 17 août 2004 respectivement, donc plus de six mois avant le 7 mars 2005, date d’introduction de la requête. Le requérant, qui affirme que ces ordonnances n’étaient susceptibles d’aucun recours, n’invoque aucune raison de nature à le dispenser de saisir la Cour dans un délai de six mois à partir des dates auxquelles celles-ci ont été rendues.
Il s’ensuit que cette partie de la requête est tardive et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
B. Pour autant que la requête se dirige contre les ordonnances nos 2943/2004, 3013/2004 et 26/2005
1. Sur le grief tiré d’une violation du principe de l’égalité des armes
Le requérant se plaint, sous l’angle de l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention, d’une violation du principe de l’égalité des armes devant la chambre d’accusation de la cour d’appel d’Athènes, qui a rendu son ordonnance no 26/2005 sans l’avoir autorisé à comparaître en personne devant elle, alors que le procureur, lui, a été entendu.
La Cour estime que ce grief doit être examiné sous l’angle de l’article 5 § 4 de la Convention, disposition pertinente en l’espèce (voir, en ce sens, Kampanis c. Grèce, arrêt du 13 juillet 1995, série A no 318-B ; Kotsaridis c. Grèce, no 71498/01, 23 septembre 2004).
En l’état actuel du dossier, la Cour ne s’estime pas en mesure de se prononcer sur la recevabilité de ce grief et juge nécessaire de communiquer cette partie de la requête au gouvernement défendeur conformément à l’article 54 § 2 b) de son règlement.
2. Sur les griefs tirés de la légalité de la détention provisoire du requérant
Le requérant, invoquant l’article 5 §§ 3 et 4 de la Convention, conteste la légalité de sa détention, qui prit fin le 10 janvier 2005. Il estime qu’elle a été ordonnée sans aucune « raison légale » et que les instances saisies ont ignoré de façon systématique tous les arguments qu’il avait invoqués afin d’être libéré.
La Cour estime que ce grief doit également être examiné sous l’angle du paragraphe 1 c) de l’article 5, qui se réfère à la privation de liberté décidée dans un contexte pénal.
La Cour rappelle qu’elle a déjà jugé que les griefs dirigés contre les ordonnances prolongeant la détention provisoire du requérant ou rejetant ses demandes tendant à sa libération conditionnelle étaient tardifs. Quoi qu’il en soit, la Cour ne décèle en l’occurrence aucun élément qui aurait pu mettre en doute la légalité ou la régularité de la détention du requérant. Par ailleurs, si le requérant est acquitté et considère que la privation de sa liberté a été ordonnée dans des conditions contraires aux dispositions de l’article 5, la Cour estime qu’il doit d’abord demander réparation en se fondant sur l’article 533 § 1 du code de procédure pénale (Mohd c. Grèce (déc.), no 11919/03, 19 mai 2005).
Il s’ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 1, 3 et 4 de la Convention.
3. Sur le grief tiré d’une violation du principe de la présomption d’innocence
Le requérant se plaint, sous l’angle de l’article 6 § 2 de la Convention, de la motivation adoptée par la chambre d’accusation dans son ordonnance no 2943/2004 statuant sur sa libération sous caution, qui aurait reflété le sentiment qu’il est coupable, alors que la procédure est encore pendante.
En l’état actuel du dossier, la Cour ne s’estime pas en mesure de se prononcer sur la recevabilité de ce grief et juge nécessaire de communiquer cette partie de la requête au gouvernement défendeur conformément à l’article 54 § 2 b) de son règlement.
4. Sur les griefs tirés d’une violation des droits de la défense
Le requérant se plaint, sous l’angle de l’article 6 §§ 1 et 3 c) et d) de la Convention, d’une violation des droits de la défense. En particulier, il affirme que la chambre d’accusation rejeta de façon arbitraire sa demande par laquelle il réclamait de nouveaux actes d’instruction, le privant ainsi de la possibilité de prouver son innocence.
Etant donné que les exigences du paragraphe 3 représentent des aspects particuliers du droit à un procès équitable garanti par le paragraphe 1 de l’article 6, la Cour examinera les doléances du requérant sous l’angle de ces deux textes combinés (voir, parmi beaucoup d’autres, Van Geyseghem c. Belgique [GC], no 26103/95, § 27, CEDH 1999-I).
La Cour observe que, selon sa jurisprudence, les garanties de l’article 6 s’appliquent à l’ensemble de la procédure, y compris aux phases de l’information préliminaire et de l’instruction judiciaire, mais seulement dans la mesure où leur inobservation initiale risque de compromettre gravement le caractère équitable du procès (voir, par exemple, Imbrioscia c. Suisse, arrêt du 24 novembre 1993, série A no 275, p. 13, § 36).
En effet, selon une jurisprudence constante des organes de la Convention, la conformité d’un procès aux exigences de l’article 6 § 1 de la Convention doit en principe être examinée sur la base de la procédure pénale dans son ensemble, à savoir une fois celle-ci terminée (voir, par exemple, Bernard c. France, arrêt du 23 avril 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-II, p. 879, § 37). Toutefois, dans certains cas exceptionnels, on ne peut exclure qu’un élément déterminé soit à ce point décisif qu’il permette à la Cour de juger de l’équité du procès à un stade plus précoce, avant même que les juridictions nationales aient rendu un jugement définitif dans l’affaire (voir parmi d’autres, Deligiannis c. Grèce, (déc.), no 5074/03, 5 juin 2003). La Cour, notant que la procédure pénale diligentée contre le requérant est actuellement pendante en première instance, ne saurait admettre que le refus de la chambre d’accusation d’ordonner d’actes d’instruction supplémentaires constitue une circonstance de ce genre.
Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Ajourne l’examen du grief dirigé contre l’ordonnance no 26/2005 de la chambre d’accusation près la cour d’appel d’Athènes, dans la mesure où elle rejeta la demande du requérant de comparaître en personne devant elle (article 5 § 4 de la Convention), ainsi que le grief tiré de la prétendue violation du principe de la présomption d’innocence par l’ordonnance no 2943/2004 de la même juridiction (article 6 § 2 de la Convention) ;
Déclare la requête irrecevable pour le surplus.
Søren Nielsen Loukis Loucaides
Greffier Président