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TROISIÈME SECTION
AFFAIRE HÜSEYİN KARAKAŞ c. TURQUIE (No 2)
(Requête no 69988/01)
ARRÊT
STRASBOURG
22 juin 2006
DÉFINITIF
22/09/2006
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Hüseyin Karakaş c. Turquie (no 2),
La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. B.M. Zupančič, président,
J. Hedigan,
L. Caflisch,
R. Türmen,
C. Bîrsan,
Mme A. Gyulumyan,
M. E. Myjer, juges,
et de M. V. Berger, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 1er décembre 2005 et 1er juin 2006,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 69988/01) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet État, M. Hüseyin Karakaş (« le requérant »), a saisi la Cour le 24 avril 2001 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant, qui a été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire, est représenté par Me F. Karakaş, avocate à Istanbul. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») n’a pas désigné d’agent aux fins de la procédure devant la Cour.
3. La requête a pour objet d’obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l’État défendeur aux exigences des articles 3, 6 et 13 de la Convention.
4. La requête a été attribuée à la troisième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d’examiner l’affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l’article 26 § 1 du règlement.
5. Le 27 mai 2004, la Cour a ajourné l’examen des griefs du requérant tirés des mauvais traitements prétendument subis au cours de sa garde à vue ainsi que de l’absence d’enquête et de recours effectifs, et déclaré la requête irrecevable pour le surplus.
6. Le 1er novembre 2004, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la troisième section ainsi remaniée (article 52 § 1).
7. Par une décision du 1er décembre 2005, la Cour a déclaré le restant de la requête recevable.
8. Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l’affaire (article 59 § 1 du règlement).
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
9. Le requérant est né en 1968 et réside à Istanbul.
10. Le 10 avril 1996 à 20 h 30, au terme d’une opération menée contre le PKK, le requérant fut arrêté en possession d’une fausse pièce d’identité et placé en garde à vue par des policiers rattachés à la section de lutte contre le terrorisme près la direction de la sûreté d’Istanbul.
11. Le 15 avril 1996, le requérant fut soumis à un examen médical. Le rapport y afférent ne fut pas produit par les parties.
12. Le 19 avril 1996 fut dressé un procès-verbal de transport sur les lieux.
13. Le 20 avril 1996 fut dressé le procès-verbal de déposition du requérant, aux termes duquel celui-ci reconnaissait être membre du PKK et avoir participé aux activités de cette organisation.
14. Le Gouvernement soutient que, le 20 avril 1996, le requérant entama une grève de la faim.
15. Il ressort du dossier que, ce même jour, le requérant fut soumis à un examen médical à l’hôpital de Vakıf Gureba, à l’issue duquel aucune trace de violence ne fut décelée sur son corps.
16. Selon le requérant, pendant sa garde à vue, il aurait été soumis notamment aux formes de sévices suivantes : pendaison palestinienne, chocs électriques, bastonnades, menaces verbales, privation de sommeil et de nourriture.
17. Le 24 avril 1996 à 14 heures, le requérant fut examiné par un médecin légiste de l’institut médico-légal qui, dans son rapport, nota que l’intéressé avait fait l’objet de deux examens, les 15 et 20 avril 1996, au terme desquels aucune trace de coups ou violences n’avait été décelée. Il releva par ailleurs que celui-ci se plaignait de douleurs et d’engourdissements au niveau des bras et des épaules, et ordonna son transfert vers un hôpital pour un examen neurologique.
18. L’examen neurologique du requérant fut effectué le même jour à l’hôpital civil de Şişli et les conclusions communiquées à l’institut médico-légal d’Istanbul qui dressa un rapport définitif. Selon ce rapport, cet examen n’avait révélé aucune pathologie en dehors des douleurs subjectives dont se plaignait l’intéressé. Dès lors, aucun arrêt de travail ne fut ordonné.
19. Le même jour, le requérant fut entendu par le procureur de la République près la cour de sûreté de l’État d’Istanbul. Il reconnut appartenir à l’organisation en question mais nia les faits énoncés dans sa déposition en garde à vue, signée, selon ses dires, sous la menace et les pressions policières. Il allégua ainsi avoir été soumis à des mauvais traitements au cours de sa garde à vue et mener une grève de la faim pour protester contre les agissements des policiers.
20. Par la suite, le requérant fut déféré devant le juge assesseur près la cour de sûreté de l’État d’Istanbul qui procéda à son audition. Il reconnut appartenir au PKK mais nia le contenu de sa déposition enregistrée pendant sa garde à vue. Au terme de cette audition, le juge assesseur ordonna le placement du requérant en détention provisoire.
21. Toujours le 24 avril 1996, le requérant fut incarcéré à la maison d’arrêt de Bayrampaşa où il fut examiné par un médecin. Les passages pertinents du rapport peuvent se lire comme suit :
« (...) une lésion de type hyperémie sous le bras droit; une lésion de type hyperémie sous le bras gauche, une trace de plaie avec croûte de 1 x 1 cm sur le côté droit du ventre, une ecchymose de 2 x 3 cm derrière la jambe droite, des plaintes relatives à des douleurs aux orteils des deux pieds, douleurs subjectives à la palpation aux deux épaules et au bras : des plaintes relatives à des douleurs, le mouvement est douloureux et réduit, des plaintes relatives à des douleurs sur le côté droit du ventre, douleurs à la palpation, plaintes relatives à des engourdissements aux deux mains, des plaintes relatives à des douleurs aux deux scapulaires, sur la cuisse et la jambe droite, au cuir chevelu (...) »
22. Au vu des constats précités, le médecin conclut qu’un rapport définitif devait être établi par l’institut médico-légal. Le dossier ne contient aucune information concernant le sort de cet examen ordonné par ledit médecin.
23. Le 2 mai 1996, le requérant déposa une plainte pour mauvais traitements auprès du procureur de la République d’Istanbul qui la transmit au procureur de la République de Fatih.
24. Le même jour, le procureur de la République inculpa le requérant pour assistance au PKK et activités séparatistes.
25. Le 8 mai 1996, se fondant sur le rapport d’expertise médico-légale du 24 avril 1996 et constatant qu’aucun élément de preuve ne permettait d’établir les allégations de mauvais traitements du requérant, le procureur de la République de Fatih estima qu’il n’y avait pas lieu à poursuivre.
26. Le Gouvernement soutient que ce non-lieu a été notifié au requérant le 14 mai 1996. A l’appui de sa thèse, il produit le registre du parquet de Fatih relatif aux notifications.
27. Le 27 décembre 1996, la cour de sûreté de l’État entendit le requérant dans sa défense, lequel nia le contenu des dépositions recueillies au cours de sa garde à vue et devant le procureur de la République, sous la contrainte et les pressions policières. Il allégua en outre avoir fait l’objet de mauvais traitements au cours de sa garde à vue. A l’appui de ses allégations, il soutint avoir été examiné le 21 avril 1996 à l’hôpital de Vakıf Gureba où des traces de violences avaient été décelées. De même, il se référa au certificat médical du 24 avril 1996 établi par le médecin de la maison d’arrêt. Au terme de cette audience, la cour de sûreté de l’État ordonna le maintien du requérant en détention provisoire et décida de demander à l’hôpital de Vakif Gureba une copie du rapport médical du 21 avril 1996.
28. Le 4 février 1997, le médecin chef de cet hôpital informa la cour de l’inexistence d’un tel rapport et lui transmit uniquement une copie de la fiche d’admission du requérant au service des urgences le 20 avril 1996, laquelle stipule l’absence de toutes traces de coups et de violences.
29. Le 1er avril 1997, l’hôpital précisa à la cour de sûreté de l’État que, si un tel rapport médical avait été établi et ne se trouvait pas en sa possession, il avait dû être remis aux policiers rattachés à la section de lutte contre le terrorisme, auprès desquels le procureur pouvait se le procurer.
30. Le 23 juin 1999, la cour de sûreté de l’État entendit les avocats du requérant en leur plaidoirie et rejeta leur demande tendant à un complément d’enquête.
31. Le 28 août 1999, le médecin près la maison d’arrêt de Bayrampaşa rédigea un rapport médical, aux termes duquel il apparaît que le requérant se plaignait régulièrement de douleurs persistantes et d’engourdissements aux lombes et à la jambe droite, pour lesquels il fut examiné le 21 août 1998 par un neurochirurgien qui prescrivit des médicaments et un alitement forcé de trois semaines. Les douleurs persistant malgré ce traitement, le requérant fit l’objet d’un examen lombaire concluant à un renflement au niveau des disques lombaires.
32. Le 10 septembre 1999, sur demande des avocats du requérant, un rapport médico-légal fut rédigé par des médecins près la faculté de médecine d’Istanbul, lesquels, eu égard aux allégations du requérant et de ses douleurs physiques, estimèrent insuffisants les examens médicaux antérieurs et conclurent à un arrêt de travail de quinze jours.
33. Le 22 juin 2000, le requérant porta de nouveau plainte pour mauvais traitements auprès du procureur de la République de Fatih contre les policiers rattachés à la section de lutte contre le terrorisme.
34. Le 26 juin 2000, après avoir observé que le requérant n’avait pas formé opposition contre le non-lieu du 8 mai 1996, le procureur de la République estima que le rapport médical du 10 septembre 1999, établi par la faculté de médecine d’Istanbul sur demande du requérant, n’apportait aucun élément de preuve supplémentaire permettant l’ouverture d’une information judiciaire, et, partant, ordonna à nouveau un non-lieu.
35. Le 22 août 2000, le requérant fit opposition à ce non-lieu. D’une part, il soutint que le rapport médical du 10 septembre 1999 constituait une nouvelle preuve nécessitant l’ouverture d’une enquête. D’autre part, il contesta les conclusions de l’enquête initiale qui avait abouti à un non-lieu rendu le 8 mai 1996, lequel ne lui avait jamais été communiqué.
36. Le 29 novembre 2000, la cour d’assise de Beyoğlu rejeta l’opposition du requérant au vu des pièces du dossier en sa possession.
37. Dans le cadre de l’action pénale engagée contre le requérant, le 30 mai 2001, la cour de sûreté de l’État d’Istanbul déclara le requérant coupable d’appartenance à une bande armée terroriste et le condamna à une peine d’emprisonnement de quinze ans. L’affaire est toujours pendante devant les instances nationales.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
38. L’article 19 de la loi no 7201 sur la notification (Tebligat Kanunu) est ainsi libellé :
« La notification aux détenus ou aux condamnés purgeant leur peine d’emprisonnement est faite par le directeur ou par un fonctionnaire de l’établissement où ils se trouvent. »
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION
39. Le requérant allègue une violation de l’article 3 de la Convention, libellé comme suit :
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
40. Le Gouvernement conteste les allégations du requérant. Se référant à l’ensemble des rapports médicaux présentés par l’intéressé, il met l’accent sur l’absence d’un élément susceptible de confirmer ses allégations. De même, il souligne l’inertie du requérant pendant plus de trois ans après le non-lieu pris par le procureur de la République le 8 mai 1996 (paragraphe 25 ci-dessus).
41. La Cour rappelle que lorsqu’une personne est blessée au cours d’une garde à vue, alors qu’elle se trouve entièrement sous le contrôle de fonctionnaires de police, toute blessure survenue pendant cette période donne lieu à de fortes présomptions de fait. Il incombe donc au Gouvernement de fournir une explication plausible sur les origines des blessures en question et de produire des preuves établissant des faits qui font peser un doute sur les allégations de la victime, notamment si celles-ci sont étayées par des pièces médicales (voir, en dernier lieu, Nazif Yavuz Turquie, no 69912/01, § 40, 12 janvier 2006).
42. La Cour observe que le requérant, qui a été placé en garde à vue le 10 avril 1996, a fait l’objet de plusieurs examens médicaux les 15, 20 et 24 avril 1996. Alors que les trois premiers examens n’ont permis de déceler aucune trace de violence à l’exception de douleurs subjectives (paragraphes 11, 15, 17 et 18 ci-dessus), dans son rapport du 24 avril 1996, le médecin de la maison d’arrêt de Bayrampaşa a constaté que l’intéressé présentait plusieurs lésions sur les ses bras, une trace de plaie avec croûte sur le côté droit du ventre et une ecchymose sur la jambe droite (paragraphe 21 ci-dessus). De même, il a été constaté que l’intéressé éprouvait des douleurs aux orteils des deux pieds, aux deux épaules et au bras et sentait des engourdissements dans les deux mains.
43. La Cour note par ailleurs que les séquelles observées (plusieurs lésions sur les ses bras, une trace de plaie avec croûte sur le côté droit du ventre, une ecchymose sur la jambe droite, douleurs aux orteils des deux pieds, aux deux épaules et au bras et des engourdissements dans les deux mains) correspondent à celles qu’auraient laissées les mauvais traitements décrits par l’intéressé (notamment coups et blessures).
44. Nul ne conteste devant la Cour que ces séquelles ne remontaient pas à une période antérieure à la garde à vue du requérant.
45. Au vu de l’ensemble des éléments soumis à son appréciation, la Cour juge établi en l’espèce que les séquelles relevées dans le rapport médical du 24 avril 1996, établi par le médecin de la maison d’arrêt de Bayrampaşa, ont pour origine un traitement dont l’État défendeur porte la responsabilité.
46. La Cour conclut donc que le traitement subi en l’espèce par le requérant était inhumain et dégradant, et qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 6 ET 13 DE LA CONVENTION
47. Le requérant allègue que les autorités n’ont pas réagi d’une façon effective à ses allégations de mauvais traitements. Il invoque les articles 6 et 13 de la Convention.
48. A la lumière de sa jurisprudence établie (Batı et autres c. Turquie, nos 33097/96 et 57834/00, § 127, CEDH 2004‑IV (extraits)), la Cour examinera ce grief sur le terrain de l’article 13 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
49. Sur la base des preuves produites devant elle, la Cour a jugé l’État défendeur responsable au regard de l’article 3 (paragraphe 46 ci-dessus). Le grief énoncé par l’intéressé est dès lors « défendable » aux fins de l’article 13. Les autorités avaient donc l’obligation d’ouvrir et de mener une enquête effective répondant aux exigences de cette disposition (Batı et autres, précité, §§ 133-137).
50. La Cour observe qu’une enquête pénale a été menée par le parquet de Fatih à la suite de la plainte déposée par le requérant. Puis, le 8 mai 1996, se fondant sur le rapport d’expertise médico-légale du 24 avril 1996 et constatant qu’aucun élément de preuve ne permettait d’établir les allégations de mauvais traitements, le procureur de la République de Fatih estima qu’il n’y avait pas lieu à poursuivre. Pour ce faire, selon le dossier, il n’a pas jugé nécessaire de recourir à la déposition du requérant, alors que pourtant, dans le rapport établi le même jour par le médecin de la maison d’arrêt, plusieurs séquelles avaient été constatées.
51. La Cour relève par ailleurs que le non-lieu du procureur n’a, semble-t-il, jamais été notifié au requérant qui se trouvait en détention dans la maison d’arrêt de Bayrampaşa. Elle se réfère à cet égard à l’article 19 de la loi no 7201 (paragraphe 38 ci-dessus) en vertu duquel il incombe, au premier chef, aux autorités de notifier un tel acte à une personne détenue par le biais de l’administration de l’établissement de la maison d’arrêt concernée (voir, dans le même sens, Büyükdağ c. Turquie, no 28340/95, § 67, 21 décembre 2000).
52. De surcroît, la procédure ultérieure concernant la plainte du requérant, laquelle a été bloquée par l’existence d’un non-lieu, n’a pas non plus donné lieu à la réouverture d’une enquête sur le fond de ses allégations, bien que l’intéressé ait dénoncé devant le président de la cour d’assises l’absence d’une notification régulière du non-lieu initial Il est regrettable que la cour d’assises ait rejeté l’opposition sans répondre à cet argument (paragraphe 36 ci-dessus).
53. La Cour trouve également regrettable qu’alors que le médecin ayant examiné l’intéressé le 24 avril 1996 avait ordonné un examen complémentaire en vue de déterminer les origines des traces qu’il avait constatées (paragraphes 21 et 22 ci-dessus), cet examen complémentaire n’a jamais eu lieu, et que ni le procureur de la République ni la cour d’assises d’Istanbul n’ont cherché à combler cette lacune. Elle constate que l’absence d’examens médicaux complémentaires en l’espèce ont privé le requérant des garanties fondamentales des personnes placées en détention, ce qui constitue non seulement un manquement dans l’enquête, mais dans certaines circonstances, pourrait constituer également un « traitement inhumain et dégradant » (Algür c. Turquie, no 32574/96, § 44, 22 octobre 2002, et Bati et autres, précité, § 143).
54. Au vu de ce qui précède, la Cour ne considère pas que cette enquête puisse valablement être qualifiée d’approfondie et effective de façon à répondre aux exigences de l’article 13.
Partant, il y a eu violation de l’article 13 de la Convention.
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
55. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
56. Le requérant demande 5 000 euros (EUR) à titre de dommage matériel et 40 000 EUR pour préjudice moral.
57. Le Gouvernement conteste ces montants, qu’il juge aussi exorbitants qu’injustifiés. Il estime qu’une satisfaction équitable éventuelle ne doit en aucun cas dépasser les limites du raisonnable ou conduire à un enrichissement sans cause.
58. Le requérant n’ayant pas précisé la nature du dommage matériel subi consécutivement aux traitements qu’il dénonce, la Cour ne peut que rejeter la demande y relative. En revanche, elle estime qu’il y a lieu de lui octroyer, en équité, 10 000 EUR pour le préjudice moral.
B. Frais et dépens
59. Le requérant demande 9 800 EUR pour les frais et dépens exposés devant la Cour. Cette somme s’analyserait comme suit : 7 800 EUR pour les honoraires d’avocat et 2 000 EUR pour les frais de traduction et dépenses diverses. Il fournit des justificatifs concernant les frais postaux, de traduction et de déplacement.
60. Le Gouvernement conteste ces prétentions.
61. Compte tenu des éléments en sa possession et de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime raisonnable d’allouer au requérant la somme de 2 500 EUR, tous frais confondus, moins les 715 EUR versés par le Conseil de l’Europe au titre de l’assistance judiciaire.
C. Intérêts moratoires
62. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention ;
3. Dit
a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes à convertir en nouvelles livres turques au taux applicable à la date du règlement :
i. 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral ;
ii. 2 500 EUR (deux mille cinq cents euros) pour frais et dépens, moins les 715 EUR (sept cent quinze euros) perçus au titre de l’assistance judiciaire ;
iii. plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 22 juin 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Vincent Berger Boštjan M. Zupančič
Greffier Président