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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
22.6.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE AYAZ ET AUTRES c. TURQUIE

(Requête no 11804/02)

ARRÊT

STRASBOURG

22 juin 2006

DÉFINITIF

22/09/2006

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Ayaz et autres c. Turquie,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

MM. B.M. Zupančič, président,
J. Hedigan,
L. Caflisch,
R. Türmen,
C. Bîrsan,
V. Zagrebelsky,
Mme A. Gyulumyan, juges,
et de M. V. Berger, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 1er juin 2006,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 11804/02) dirigée contre la République de Turquie et dont treize ressortissants de cet Etat, MM. Cevdet Ayaz, Necat Özbey, Ramazan Şahin, Ziya Uçar, Harun Uçar Mahir Korkmaz, Nuri Temel, Şeref Yalçın, Nadir Yıldız, Salih Özkan, Şenay Yıldız, Filiz Artuk et Enver Gündüz (« les requérants »), ont saisi la Cour le 15 août 2001 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Les requérants sont représentés par Me M. S Tanrıkulu, avocat à Diyarbakır. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») n’a pas désigné d’agent aux fins de la procédure devant la Cour.

3. La requête a été attribuée à la troisième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d’examiner l’affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l’article 26 § 1 du règlement.

4. Par une décision du 27 mai 2004, la Cour a déclaré la requête partiellement irrecevable et communiqué au Gouvernement les griefs tirés de la durée de la garde à vue et de l’absence de voie de recours pour contester celle-ci concernant tous les requérants hormis Enver Gündüz.

5. Le 1er novembre 2004, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la troisième section ainsi remaniée (article 52 § 1).

6. Le 30 juin 2005, se prévalant de l’article 29 § 3 de la Convention, la Cour a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l’affaire.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

7. Les requérants MM. Cevdet Ayaz, Necat Özbey, Ramazan Şahin, Ziya Uçar, Harun Uçar Mahir Korkmaz, Nuri Temel, Şeref Yalçın, Nadir Yıldız, Salih Özkan, Şenay Yıldız et Filiz Artuk sont nés respectivement en 1973, 1972, 1973, 1968, 1964, 1978, 1968, 1949, 1978, 1968, 1973 et 1970. Ils résident à Muş, Diyarbakır, Ergani, Kulp, Yaylak, Çınar, Mardin, Yeniköy, Mardin, Bismil, Muş, Şırnak et Diyarbakır.

8. Dans le cadre d’une opération menée par des agents de la direction de la sûreté de Muş, section de lutte contre le terrorisme, le 9 avril 2001, Cevdet Ayaz fut arrêté et placé en garde à vue.

9. Le même jour, Necat Özbey, Ramazan Şahin, Ziya Uçar, Harun Uçar et Mahir Korkmaz furent arrêtés et placés en garde à vue par des agents de la direction de la sûreté de Diyarbakır, section de lutte contre le terrorisme.

10. Le 11 avril 2001, Nuri Temel fut arrêté et placé en garde à vue par des agents de la direction de la sûreté de Mardin, section de lutte contre le terrorisme.

11. Le 12 avril 2001, Şeref Yalçın et Nadir Yıldız furent arrêtés et placés en garde à vue par des agents de la direction de la sûreté de Diyarbakır, section de lutte contre le terrorisme.

12. Le 13 avril 2001, Salih Özkan fut arrêté et placé en garde à vue par des agents de la direction de la sûreté d’Erzincan, section de lutte contre le terrorisme.

13. Le même jour, Şenay Yıldız et Filiz Artuk furent arrêtés et placés en garde à vue par des agents de la direction de la sûreté de Diyarbakır, section de lutte contre le terrorisme.

14. Les requérants étaient soupçonnés d’appartenir à l’organisation illégale PSK-KDP (Parti révolutionnaire du Kurdistan).

15. A la demande de chaque direction de la sûreté, la garde à vue de Ziya Uçar, Harun Uçar, Ramazan Şahin, Mahir Korkmaz, Necat Özbey et Cevdet Ayaz fut prolongée de six jours. Celle des autres de deux jours.

16. Le 17 avril 2001, les agents de la direction de la sûreté de Silopi prirent les dépositions des requérants.

17. Le 18 avril 2001, après avoir été entendus par le procureur, les requérants furent traduits devant le juge assesseur de la cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakır.

18. Le même jour, la cour de sûreté de l’Etat ordonna la mise en détention provisoire de Cevdet Ayaz, Mahir Korkmaz, Ramazan Şahin, Ziya Uçar et Necat Özbey. Elle libéra Harun Uçar, Nuri Temel, Şeref Yalçın, Salih Özkan, Şenay Yıldız, Filiz Artuk et Nadir Yıldız.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

19. Le droit et la pratique internes pertinents sont décrits dans les arrêts Öcalan c. Turquie ([GC], no 46221/99, CEDH 2005...) et Sakık et autres c. Turquie (26 novembre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-VII).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 §§ 3 ET 4 DE LA CONVENTION

20. Les requérants se plaignent d’une atteinte à leurs droits garantis par l’article 5 §§ 3 et 4 de la Convention, ainsi libellé :

« 3. Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience.

4. Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »

A. Sur la recevabilité

21. Le Gouvernement invite la Cour à rejeter la requête pour non-épuisement des voies de recours internes. Il soutient que les requérants n’ont, à aucun moment, saisi les instances nationales compétentes pour contester la légalité et la durée de leur garde à vue.

22. Les requérants soutiennent que toute démarche judiciaire se serait avérée vaine dès lors qu’en l’espèce, les mesures litigieuses avaient été prises en conformité avec la législation en vigueur de l’époque.

23. La Cour rappelle qu’elle a rejeté une exception semblable dans l’affaire Öcalan c. Turquie précitée. Elle n’aperçoit aucun motif de déroger à sa précédente conclusion et rejette donc l’exception du Gouvernement.

24. La Cour estime, à la lumière des critères qui se dégagent de sa jurisprudence et compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, que le restant de la requête doit faire l’objet d’un examen au fond. Elle constate en effet que celui-ci ne se heurte à aucun motif d’irrecevabilité.

B. Sur le fond

1. Grief tiré de l’article 5 § 3

25. Les requérants se plaignent de la durée de leur garde à vue.

26. Le Gouvernement souligne la régularité de la garde à vue imposée aux requérants, dont la durée n’a pas dépassé la limite prévue par la législation en vigueur de l’époque.

27. La Cour relève que la garde à vue de Cevdet Ayaz, Ziya Uçar, Ramazan Şahin, Harun Uçar, Mahir Korkmaz et Necat Özbey a atteint neuf jours, celle de Nuri Temel sept jours, celle de Şeref Yalçın et Nadir Yıldız six jours, et celle de Salih Özkan, Şenay Yıldız et Filiz Arturk cinq jours.

28. Elle rappelle que, dans l’affaire Brogan et autres c. Royaume-Uni (arrêt du 29 novembre 1988, série A no 145B, p. 33, § 62), elle a jugé qu’une période de garde à vue de quatre jours et six heures sans contrôle judiciaire allait au-delà des strictes limites de temps fixées par l’article 5 § 3, même quand elle a pour but de prémunir la collectivité dans son ensemble contre le terrorisme.

29. La Cour ne saurait donc admettre qu’il était nécessaire de détenir les requérants aussi longtemps avant de les traduire devant un juge.

30. Par conséquent, il y a eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention.

2. Grief tiré de l’article 5 § 4

31. Les requérants se plaignent de ne pas avoir disposé d’une voie de recours effective au travers de laquelle ils pouvaient contester la durée de leur garde à vue.

32. La Cour a traité à maintes reprises d’affaires soulevant des questions semblables à celles du cas d’espèce et constaté la violation de l’article 5 § 4 (voir, entre autres, Öcalan, précité, et Sakık et autres, précité).

33. La Cour a examiné la présente affaire et considère que le Gouvernement n’a fourni aucun fait ni argument convaincant pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent. Elle constate que l’absence de jurisprudence révèle l’incertitude actuelle dudit recours en pratique.

34. Par conséquent, il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

35. Aux termes de larticle 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

36. Chacun des requérants demande 15 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il a subi.

37. Le Gouvernement conteste ces prétentions, les estimant excessives.

38. La Cour admet que les requérants ont subi un préjudice moral que ne compense pas suffisamment le constat de violation. Dès lors, statuant en équité, conformément à sa jurisprudence, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer aux requérants à ce titre la somme totale de 20 000 EUR, répartie comme suit :

2 500 EUR à chacun des requérants Cevdet Ayaz, Ziya Uçar, Ramazan Şahin, Harun Uçar, Mahir Korkmaz et Necat Özbey ;

1 500 EUR à Nuri Temel ;

1 000 EUR à chacun des requérants Şeref Yalçın et Nadir Yıldız ;

500 EUR à chacun des requérants Salih Özkan, Şenay Yıldız et Filiz Arturk.

B. Frais et dépens

39. Les requérants demandent 7 680 EUR au titre des frais d’instance et honoraires d’avocats. Ils fournissent pour ce faire un décompte de frais et un décompte horaire de travail.

40. Le Gouvernement juge ces prétentions excessives.

41. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des éléments en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour estime raisonnable la somme de 3 000 EUR et l’accorde aux requérants conjointement.

C. Intérêts moratoires

42. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare le restant de la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 §§ 3 et 4 de la Convention ;

3. Dit

a) que lEtat défendeur doit verser aux requérants, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes à convertir en nouvelles livres turques au taux applicable à la date du règlement :

i. pour dommage moral :

2 500 EUR (deux mille cinq cents euros) à chacun des requérants Cevdet Ayaz, Ziya Uçar, Ramazan Şahin, Harun Uçar, Mahir Korkmaz et Necat Özbey ;

1 500 EUR (mille cinq cents euros) à Nuri Temel ;

1 000 EUR (mille euros) à chacun des requérants Şeref Yalçın et Nadir Yıldız ;

500 EUR (cinq cents euros) à chacun des requérants Salih Özkan, Şenay Yıldız et Filiz Arturk ;

ii. pour frais et dépens 3 000 EUR (trois mille euros) aux requérants conjointement ;

iii. tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur lesdites sommes ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 22 juin 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Vincent Berger Boštjan M. Zupančič
Greffier Président