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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
22.6.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE MAVROMATIS c. GRÈCE

(Requête no 6225/04)

ARRÊT

STRASBOURG

22 juin 2006

DÉFINITIF

22/09/2006

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Mavromatis c. Grèce,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

MM. L. Loucaides, président,
C.L. Rozakis,
Mmes F. Tulkens,
N. Vajić,
MM. A. Kovler,
D. Spielmann,
S.E. Jebens, juges,
et de M. S. Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 1er juin 2006,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 6225/04) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant de cet Etat, M. Christos Mavromatis (« le requérant »), a saisi la Cour le 4 février 2004 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant est représenté par Me I. Stamoulis, avocat au barreau d’Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») est représenté par les délégués de son agent, MM. V. Kyriazopoulos, assesseur auprès du Conseil Juridique de l’Etat et I. Bakopoulos, auditeur auprès du Conseil Juridique de l’Etat.

3. Le 25 février 2005, la première section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant des dispositions de l’article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l’affaire.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

4. Le requérant est né en 1959 et réside à Athènes.

5. Homme d’affaires, le requérant a fait l’objet des poursuites pénales pour émission de chèques sans provision. Condamné en première instance (décision no 93325/00 du tribunal correctionnel d’Athènes), il fut également condamné en appel à une peine de huit mois d’emprisonnement convertible en une amende de 4,40 euros par jour (arrêt no 81886/2001 de la cour d’appel d’Athènes).

6. Le 27 novembre 2001, le requérant se pourvut en cassation.

7. Le 30 octobre 2003, la Cour de cassation déclara le pourvoi irrecevable au motif que le requérant ne s’était pas constitué prisonnier (article 508 § 1 du code de procédure pénale) et n’avait également pas payé l’amende en contrepartie, alors qu’il en avait la possibilité et les moyens financiers. La Cour de cassation constata enfin que le requérant n’avait pas demandé que son pourvoi ait un effet suspensif, conformément aux termes de l’article 471 § 2 du code de procédure pénale. La haute juridiction considéra dès lors que la déclaration d’irrecevabilité du pourvoi était proportionnelle au but poursuivi et répondait aux critères définis par la jurisprudence de la CEDH en la matière (arrêt no 1984/2003).

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

8. Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale se lisent ainsi :

Article 508

« 1. Le pourvoi en cassation de celui qui a été condamné à une peine privative de liberté est recevable seulement si celui-ci prouve, par une attestation du directeur de la prison, au moment de l’introduction du pourvoi ou plus tard, mais en tout cas avant les débats, qu’il était détenu lorsqu’il a introduit le pourvoi. Cette attestation n’est pas requise s’il ressort du dossier que l’intéressé est détenu ou si l’exécution de la peine a été suspendue ou reportée ou si la peine a été convertie en sanction pécuniaire qui a été versée (...).

2. La disposition du paragraphe 1 n’est pas appliquée si (...) le pourvoi en cassation a été assorti dès le début ou plus tard d’un effet suspensif, conformément à l’article 471 § 2. »

Article 471 § 2

« (...) Le délai pour l’exercice du pourvoi en cassation et le pourvoi en cassation ne suspendent pas l’exécution de la décision attaquée. Toutefois, si le procureur ou l’accusé le demandent, le tribunal qui a rendu la décision frappée de pourvoi peut, en tout cas, décider de suspendre l’exécution de la décision attaquée (...) »

Selon la doctrine, il est toujours possible d’accorder la suspension, à savoir même si l’accusé est déjà détenu provisoirement.

Selon la jurisprudence, le tribunal ne peut pas décider d’office de suspendre l’exécution de la décision frappée d’un pourvoi en cassation. Il faut toujours que le procureur ou l’accusé en aient demandé la suspension (cour d’appel du Pirée, no 20/1978, Poinika Chronika 1978,824). Dans une autre affaire, la Cour de cassation déclara recevable un pourvoi en cassation introduit par un individu condamné à une peine privative de liberté, qui ne s’était pas constitué prisonnier, n’avait pas racheté sa peine et n’en avait pas obtenu la suspension, au motif que, par décision ultérieure, le tribunal qui avait statué en appel accorda au recours un effet suspensif (Cour de cassation (en chambre du conseil), no 957/1997, Poinika Chronika 1998,342).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

9. Le requérant se plaint que son pourvoi en cassation fut déclaré irrecevable, en vertu de l’article 508 § 1 du code de procédure pénale, faute pour celui-ci de s’être constitué prisonnier. Il invoque l’article 6 § 1 de la Convention, dont les parties pertinentes se lisent ainsi :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

A. Sur la recevabilité

10. Le Gouvernement affirme à titre principal que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes, car il a omis de demander la suspension de sa peine, conformément à l’article 471 § 2 du code de procédure pénale. S’il avait déposé une telle demande, il aurait disjoint la recevabilité de son pourvoi en cassation de l’obligation de se constituer prisonnier.

11. Le requérant ne répond pas à cette objection.

12. La Cour observe qu’ainsi formulée, l’exception soulevée par le Gouvernement est étroitement liée à la substance du grief énoncé par le requérant sur le terrain de l’article 6 § 1 de la Convention. Partant, la Cour estime opportun de joindre cette exception au fond.

13. Ceci étant, la Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

14. Le requérant affirme que la Cour a déjà condamné la Grèce dans une affaire similaire (Skondrianos c. Grèce, nos 63000/00, 74291/01 et 74292/01, 18 décembre 2003) et qu’à partir de cet arrêt, la Cour de cassation aurait dû ne plus appliquer l’article 508 § 1 du code de procédure pénale. Le requérant estime qu’en essayant de démontrer qu’il n’y pas eu en l’espèce violation de l’article 6 § 1 de la Convention, le Gouvernement méconnaît ses obligations découlant de l’article 46 de la Convention.

15. Le Gouvernement affirme que le délit pour lequel le requérant avait été condamné n’était pas particulièrement grave et que la peine privative de liberté imposée à celui-ci était minime. Dans ces conditions, le Gouvernement soutient que l’irrecevabilité du pourvoi en cassation du requérant n’a pas porté atteinte au droit de celui-ci d’avoir accès à un tribunal. Le Gouvernement souligne en outre qu’avant de prononcer l’irrecevabilité du pourvoi en cassation introduit par le requérant, la Cour de cassation a pris le soin de vérifier si la déchéance du pourvoi était proportionnelle au but légitime poursuivi.

2. Appréciation de la Cour

16. La Cour rappelle que le « droit à un tribunal », dont le droit d’accès constitue un aspect, n’est pas absolu ; il se prête à des limitations implicitement admises, notamment pour les conditions de recevabilité d’un recours, car il appelle de par sa nature même une réglementation par l’Etat qui jouit à cet égard d’une certaine marge d’appréciation (Ashingdane c. Royaume-Uni, arrêt du 28 mai 1985, série A no 93, pp. 24-25, § 57). Toutefois, ces limitations ne sauraient restreindre l’accès ouvert à un justiciable d’une manière ou à un point tels que son droit d’accès à un tribunal s’en trouve atteint dans sa substance même ; enfin, elles ne se concilient avec l’article 6 § 1 que si elles tendent à un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (voir notamment Fayed c. Royaume-Uni, arrêt du 21 septembre 1994, série A no 294-B, pp. 49-50, § 65, et Levages Prestations Services c. France, arrêt du 23 septembre 1996 Recueil des arrêts et décisions 1996-V, p. 1543, § 40).

17. La Cour rappelle en outre que l’article 6 de la Convention n’astreint pas les Etats contractants à créer des cours d’appel ou de cassation (voir, notamment, Delcourt c. Belgique, arrêt du 17 janvier 1970, série A no 11, pp. 13-15, §§ 25-26). Cependant, si de telles juridictions existent, les garanties de l’article 6 doivent être respectées, notamment en ce qu’il assure aux plaideurs un droit effectif d’accès aux tribunaux pour les décisions relatives à leurs « droits et obligations de caractère civil » (voir, parmi d’autres, Brualla Gómez de la Torre c. Espagne, arrêt du 19 décembre 1997, Recueil 1997-VIII, p. 2956, § 37). En outre, la compatibilité des limitations prévues par le droit interne avec le droit d’accès à un tribunal reconnu par l’article 6 § 1 de la Convention dépend des particularités de la procédure en cause et il faut prendre en compte l’ensemble du procès mené dans l’ordre juridique interne et le rôle qu’y a joué la Cour suprême, les conditions de recevabilité d’un pourvoi en cassation pouvant être plus rigoureuses que pour un appel (Khalfaoui c. France, no 34791/97, § 37, CEDH 1999-IX).

18. Dans ses arrêts Omar et Guérin, la Cour a estimé que « l’irrecevabilité d’un pourvoi en cassation, fondée uniquement (...) sur le fait que le demandeur ne s’est pas constitué prisonnier en exécution de la décision de justice faisant l’objet du pourvoi, contraint l’intéressé à s’infliger d’ores et déjà à lui-même la privation de liberté résultant de la décision attaquée, alors que cette décision ne peut être considérée comme définitive aussi longtemps qu’il n’a pas été statué sur le pourvoi ou que le délai de recours ne s’est pas écoulé ». La Cour a considéré qu’on portait ainsi « atteinte à la substance même du droit de recours, en imposant au demandeur une charge disproportionnée, rompant le juste équilibre qui doit exister entre, d’une part, le souci légitime d’assurer l’exécution des décisions de justice et, d’autre part, le droit d’accès au juge de cassation et l’exercice des droits de la défense » (Omar et Guérin c. France, arrêts du 29 juillet 1998, Recueil 1998–V, p. 1841, §§ 40 et 41, et p. 1868, § 43, respectivement).

19. La Cour ne voit en l’occurrence aucune raison de s’écarter de la jurisprudence précitée. Cela est d’autant plus vrai qu’elle a déjà jugé que la possibilité de demander la suspension de la peine n’est pas de nature à retirer à la sanction de la déchéance du pourvoi son caractère disproportionné (Khalfaoui c. France, précité, § 53). De plus, la Cour ne perd pas de vue que dans une autre affaire contre la Grèce, l’affaire Skondrianos invoquée par le requérant, bien que l’accusé eût bénéficié d’une suspension de peine lors de la saisine de la Cour de cassation, cette dernière déclara son pourvoi irrecevable au motif que lors de son examen, celui-ci n’avait plus d’effet suspensif. Cette situation amena la Cour à affirmer que l’intéressé « pouvait légitimement croire que l’article 508 ne saurait servir de base à une décision d’irrecevabilité » et à conclure à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention en tenant aussi compte du fait que la Cour de cassation avait retenu d’office ce motif d’irrecevabilité, en ne donnant à aucun stade à l’accusé la possibilité de le réfuter (Skondrianos c. Grèce, précité, §§ 30-31). Dans ces conditions, la Cour considère que la possibilité d’assortir le pourvoi en cassation d’un effet suspensif, possibilité prévue au paragraphe 2 de l’article 508 du code de procédure pénale, relève non seulement du pouvoir discrétionnaire du tribunal, mais aussi, même si elle est accordée, n’offre aucune certitude à l’intéressé de ne pas se voir opposer la déchéance de son pourvoi. Le Gouvernement ne saurait donc soutenir que la demande tendant à la suspension de la peine constitue un recours adéquat et efficace que le requérant aurait dû exercer avant de saisir la Cour ; partant, l’exception soulevée à cet égard par le Gouvernement ne saurait être retenue.

20. En conclusion, eu égard à l’ensemble des circonstances de la cause, la Cour estime que le requérant a subi une entrave excessive à son droit d’accès à un tribunal et, donc, à son droit à un procès équitable.

Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

21. Aux termes de larticle 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

22. Le requérant réclame 2 193 euros (EUR) au titre du préjudice matériel qu’il aurait subi. Cette somme correspond à la somme qu’il a dû verser pour racheter sa peine lorsque sa condamnation devint définitive, plus les frais judiciaires y relatifs. Le requérant réclame en outre 25 000 EUR au titre du préjudice moral qu’il aurait subi.

23. Le Gouvernement estime que la Cour doit écarter la demande au titre du préjudice matériel. Il considère en outre qu’un constat de violation constituerait en soi une satisfaction équitable suffisante au titre du dommage moral prétendument subi.

24. La Cour note qu’en l’espèce, la seule base à retenir pour l’octroi d’une satisfaction équitable réside dans le fait que le requérant n’a pas bénéficié d’un droit d’accès à un tribunal, en violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

25. En ce qui concerne le dommage matériel allégué, la Cour estime qu’elle ne saurait spéculer sur la décision de la Cour de cassation si celle-ci avait examiné le bien-fondé du pourvoi en cassation du requérant. Il n’y a donc pas lieu d’accorder à celui-ci une indemnité à ce titre. Par ailleurs, la Cour estime le préjudice moral suffisamment réparé par le constat de violation du présent arrêt (Skondrianos c. Grèce, précité, § 36).

B. Frais et dépens

26. Le requérant demande également, facture à l’appui, 3 315 EUR pour les frais et dépens encourus devant les juridictions internes et 5 000 EUR pour les frais et dépens encourus devant la Cour.

27. Le Gouvernement affirme qu’il n’existe pas de lien de causalité entre les frais et dépens encourus devant les juridictions internes et la violation alléguée et estime qu’il convient d’écarter cette demande. En ce qui concerne les frais exposés devant la Cour, le Gouvernement affirme qu’ils ne sont aucunement justifiés.

28. Selon la jurisprudence constante de la Cour, l’allocation de frais et dépens au titre de l’article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000-XI).

29. S’agissant des frais et dépens encourus en Grèce, la Cour note que les frais réclamés n’ont pas été engendrés pour tenter de faire corriger la violation dans l’ordre juridique interne, mais sont des frais normalement encourus dans le cadre de la procédure litigieuse. Il y a donc lieu de rejeter cette partie des prétentions du requérant. En ce qui concerne les frais exposés pour la procédure devant elle, la Cour estime raisonnable de lui allouer 1 500 EUR à ce titre, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt.

C. Intérêts moratoires

30. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Joint au fond l’exception du Gouvernement et déclare la requête recevable ;

2. Rejette l’exception de non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

4. Dit que le constat de violation de la Convention constitue en l’espèce une satisfaction équitable suffisante pour tout préjudice moral éventuellement subi par le requérant ;

5. Dit

a) que lEtat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 1 500 EUR (mille cinq cents euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

6. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 22 juin 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Søren Nielsen Loukis Loucaides
Greffier Président