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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
4.7.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

DEUXIEME SECTION

DÉCISION PARTIELLE

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 20583/02
présentée par Şakir AKKURT
contre la Turquie

La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant le 4 juillet 2006 en une chambre composée de :

MM. J.-P. Costa, président,
I. Cabral Barreto,
R. Türmen,
M. Ugrekhelidze,
Mmes A. Mularoni,
E. Fura-Sandström,
M. D. Popović, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 30 janvier 2002,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Le requérant, ressortissant turc, né en 1970, est actuellement détenu à la prison de Diyarbakır. Devant la Cour, il est représenté par Me Fethi Gümüş, avocat au barreau de Diyarbakır.

A. Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.

Le 2 mai 1994, soupçonné d’appartenance au PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), le requérant fut placé en garde à vue dans les locaux du commandement de la gendarmerie de Beşiri (district de Batman). Il y fut interrogé jusqu’au 1er juin 1994, date à laquelle il signa une déposition et reconnut avoir participé à certains actes de violence au nom de ladite organisation.

Le même jour, le requérant fut d’abord entendu par le procureur de la République de Beşiri, puis traduit devant le juge de paix du même district, lequel ordonna sa mise en détention provisoire. Devant le procureur ainsi que le juge, le requérant contesta les accusations ainsi qu’une grande partie de ses déclarations faites à la police.

Le 28 juin 1994, le procureur de la République près la cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakır (« la cour de sûreté ») mit le requérant en accusation pour atteinte à l’intégrité territoriale de l’Etat. Il requit l’application à son encontre de l’article 125 du code pénal.

Les débats furent ouverts devant la 4ème Chambre de la cour de sûreté. Toutefois, à une date non indiquée en 1995, le dossier no 1994/683 du requérant fut joint à l’affaire no 1994/61, pendante devant la 3ème Chambre de la même juridiction.

En 1996, la cour de sûreté rendit un jugement dont le contenu demeure inconnu, faute de versement de ce document dans le dossier. Le 15 octobre 1997, la Cour de cassation infirma ledit jugement et renvoya l’affaire devant la cour de sûreté, où le dossier fut réinscrit au rôle sous le no 1997/426.

Le 18 juin 1999, l’article 143 de la Constitution fut réformé de manière à exclure les magistrats militaires de la composition des cours de sûreté de l’Etat. Suite aux modifications apportées en conséquence le 22 juin 1999 à la loi portant instauration desdites juridictions, le juge militaire siégeant au sein de la cour de sûreté fut remplacé par un magistrat civil.

A une date non indiquée en 2001, le nouveau collège, composé de trois juges civils, décida de disjoindre le dossier du requérant ainsi que de cinq coaccusés. Celui-ci fut enregistré sous un nouveau numéro 2001/99.

Le 6 décembre 2001, la cour de sûreté déclara le requérant coupable d’infraction à l’article 125 du code pénal et le condamna à la peine capitale, peine qui fut commuée en une réclusion à perpétuité. Pour ce faire, elle se fonda notamment sur la déposition du requérant faite à la police, les rapports médicaux constatant l’absence de mauvais traitements pendant la garde à vue, les témoignages à charge des coaccusés A.G., S.F., M.D. et M.G., et enfin l’ensemble des preuves recueillis dans le cadre des enquêtes concernant les actes de violence reprochés au requérant, dont le meurtre de deux personnes et deux attentats à la bombe.

Le 14 octobre 2002, la Cour de cassation infirma ce jugement au motif que la cour de sûreté avait omis de recueillir la défense du requérant sur le témoignage à charge de M.G. ainsi que sur un procès-verbal d’autopsie versé au dossier.

L’affaire fut renvoyée devant la cour de sûreté et réinscrit à son rôle sous le numéro 2002/273.

A la suite de l’entrée en vigueur le 16 juin 2004, de la loi no 5190 abolissant les cours de sûreté de l’Etat, l’affaire du requérant fut transférée à la cour d’assises de Diyarbakır. Le 23 décembre 2004, celle-ci déclara le requérant coupable d’infraction à l’article 125 du code pénal et le condamna à une réclusion à perpétuité.

Le 7 juin 2005, la Cour de cassation infirma ce jugement au motif que l’entrée en vigueur du nouveau code pénal nécessitait un réexamen de la situation juridique des prévenus.

L’affaire demeure pendante devant la cour d’assises de Diyarbakır.

B. Le droit et la pratique internes pertinents

A l’époque des faits, l’article 30 de la loi no 3842 du 18 novembre 1992 portant modification de la législation relative aux procédures pénales prévoyait, quant aux infractions relevant de la compétence des cours de sûreté de l’Etat, que toute personne arrêtée devait être traduite devant un juge au plus tard dans les quarante-huit heures ou, en cas de délit collectif, dans les quinze jours. Dans les provinces où l’état d’urgence était en vigueur, ces délais étaient susceptibles d’être prolongés jusqu’à quatre et trente jours respectivement.

Avant la loi du 22 juin 1999, l’article 5 de la loi no 2845 prévoyait que l’un des trois juges siégeant au sein des cours de sûreté de l’Etat devait être un juge militaire (pour la législation en vigueur à l’époque, voir l’arrêt Incal c. Turquie du 9 juin 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-IV, §§ 2629). Après la loi no 4390, entrée en vigueur à la date précitée, aucun magistrat militaire ne siégea dans les juridictions en question, lesquelles furent finalement abolies par la loi no 5190 du 16 juin 2004.

GRIEFS

Invoquant l’article 5 § 3 de la Convention, le requérant dénonce la durée excessive de sa garde à vue sans contrôle judiciaire.

Le requérant se plaint encore de ce que sa cause n’a pas été entendue équitablement par un tribunal indépendant et impartial, d’une part, du fait de la participation d’un magistrat militaire à une partie de son procès et, d’autre part, parce que les juges civils ayant participé à son procès étaient désignés par le Conseil supérieur de la magistrature pêchant par marque d’indépendance vis-à-vis de l’exécutif. Enfin, il fait grief de la durée excessive de la procédure pénale engagée à son encontre, laquelle demeure pendante depuis douze ans. A ces égards, il invoque une violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

EN DROIT

1. Invoquant l’article 5 § 3 de la Convention, le requérant se plaint d’avoir été gardé à vue pendant trente jours, sans contrôle judiciaire.

La Cour observe qu’à l’époque des faits, la garde à vue de trente jours imposée au requérant était conforme à la législation en vigueur et que celuici ne disposait en droit turc d’aucune voie de recours pour contester cette mesure (voir, Sakık et autres c. Turquie, arrêt du 26 novembre 1997, Recueil 1997VII, p. 2625, § 53).

A cet égard, elle rappelle qu’en l’absence de voies de recours internes, le délai de six mois inscrit à l’article 35 § 1 de la Convention court à partir de l’acte incriminé dans la requête (voir, parmi beaucoup d’autres, Özyol c. Turquie (déc.), no 48617/99, 30 mai 2000).

La Cour constate qu’en l’espèce, la garde à vue du requérant a pris fin le 1er juin 1994 avec sa mise en détention provisoire, alors que la requête a été introduite le 30 juin 2002.

L’examen de l’affaire ne permettant de discerner aucune circonstance particulière qui ait pu interrompre ou suspendre le cours dudit délai, cette partie de la requête est tardive et doit être rejetée conformément à l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

2. Le requérant se plaint de l’iniquité de la procédure pénale diligentée à son encontre dans la mesure où un juge militaire a siégé au sein de la cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakır, pendant une partie du procès. Il soutient en outre que les juges civils de ladite juridiction ne peuvent passer pour indépendants. A ces égards, il allègue une violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

La Cour observe que le procès du requérant demeure pendant devant la cour d’assises de Diyarbakır. Toutefois, elle n’estime pas devoir se pencher sur la question de la qualité de victime ni sur celle du non-épuisement. Elle considère, en effet, que ce grief est dénué de fondement pour les motifs suivants.

S’agissant en premier lieu du statut des juges civils, la Cour rappelle qu’elle a déjà rejeté un grief similaire dans l’affaire İmrek c. Turquie ((déc.), no 57175/00, 28 janvier 2003). Elle n’aperçoit aucun motif de déroger à sa précédente conclusion.

Quant au grief tiré de la présence du juge militaire à une partie du procès, la Cour constate que le premier jugement rendu en 1996 avec la participation du juge militaire a été infirmé par la Cour de cassation.

Appelée à réexaminer l’affaire, la cour de sûreté a rendu son deuxième jugement le 6 décembre 2001, soit environ deux ans et demi après l’exclusion du juge militaire de son collège. Toutefois, la Haute Cour a recassé ce jugement pour méconnaissance des droits de la défense. Ainsi, la cour de sûreté, composée de trois juges civils, a eu la possibilité de procéder à un réexamen au fond de l’affaire.

Par ailleurs, par un amendement législatif intervenu en 2004, les cours de sûretés ont été abolies et l’affaire du requérant, transférée à la cour d’assises de Diyarbakır. Le jugement de condamnation rendu par celle-ci a été de nouveau infirmé par la Cour de cassation, au motif que l’entrée en vigueur du nouveau code pénal nécessitait « un réexamen de la situation juridique des prévenus », dont le requérant.

Au vu de l’ensemble de la procédure, la Cour peut admettre qu’en l’espèce le lien de causalité entre la participation du juge militaire à une partie du procès du requérant et l’iniquité éventuelle de ce dernier qui, du reste, demeure pendant, a été totalement rompu.

Il s’ensuit que le grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

3. Sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint également de la durée excessive de son procès, encore pendant.

En l’état actuel du dossier devant elle, la Cour n’estime pas être en mesure de se prononcer sur la recevabilité de ce grief et juge nécessaire de les porter à la connaissance du Gouvernement défendeur, en application de l’article 54 § 3 b) de son Règlement.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Ajourne l’examen du grief du requérant tiré de l’article 6 § 1 quant à la durée excessive de la procédure pénale ;

Déclare la requête irrecevable pour le surplus.

S. Dollé J.-P. Costa
Greffière Président