Přehled
Rozhodnutí
DEUXIÈME SECTION
DÉCISION PARTIELLE
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 27709/02
présentée par Şemsettin BAŞTIMAR et autres
contre la Turquie
La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant le 4 juillet 2006 en une chambre composée de :
MM. J.-P. Costa, président,
A.B. Baka,
I. Cabral Barreto,
R. Türmen,
M. Ugrekhelidze,
Mmes A. Mularoni,
D. Jočienė, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 5 juin 2002,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Les requérants, MM. Şemsettin Baştımar, Ali Şahindal, Kenan Aygören, Tekin Gencer et Şükrü Demirtaş, sont des ressortissants turcs, nés respectivement en 1969, 1972, 1971, 1971 et 1967. Ils sont représentés devant la Cour par Me F. Karakaş, avocate à Istanbul.
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les requérants, peuvent se résumer comme suit.
1. La procédure pénale concernant Şemsettin Baştımar, Ali Şahindal, Kenan Aygören et Tekin Gencer
Les requérants, soupçonnés d’être membres du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), furent arrêtés entre les 5 et 7 mai 1995 par des agents de la direction de la sûreté d’Istanbul.
Au cours des perquisitions menées suivant les indications des requérants, la police retrouva de nombreuses armes, des engins explosifs et du matériel pour la fabrication de ceux-ci. Elle procéda à des reconstitutions des faits ainsi qu’à des séances d’identification et de confrontation.
Le rapport de l’institut médicolégal d’Istanbul du 17 mai 1995 ne mentionna aucune trace de coups et blessures sur les corps des requérants.
Le 17 mai 1995, les requérants furent entendus par le procureur de la République près la cour de sûreté de l’État d’Istanbul, puis traduits devant le juge assesseur de cette juridiction, lequel ordonna leur mise en détention provisoire. À l’exception du requérant Tekin Gencer, ils contestèrent en partie ou totalement leurs aveux faits devant la police.
Le 30 octobre 1995, le procureur de la République inculpa Şemsettin Baştımar du chef d’appartenance à une organisation illégale et les autres requérants du chef d’atteinte à l’intégrité territoriale de l’État.
Lors des sept audiences qui se tinrent entre le 26 décembre 1995 et le 28 janvier 1998, les trois plaignants entendus, en l’absence d’un ou plusieurs requérants, ne purent identifier ces derniers. La cour entendit deux policiers signataires de procès-verbaux d’actes d’instruction en l’absence des requérants mais en présence de leurs avocats. Lors des trois dernières audiences tenues en présence des requérants, elle entendit trois policiers et accusa réception des dépositions de quatre policiers recueillies sur commission rogatoire. Les requérants n’opposèrent aucune contestation aux dépositions recueillies sur commission rogatoire. Seul l’avocat de Şemsettin Baştımar et Kenan Aygören les contesta.
2. La procédure pénale concernant Şükrü Demirtaş
Le requérant fut placé en garde à vue le 10 mars 1996 par des agents de la direction de la sûreté d’Istanbul dans le cadre d’opérations menées contre le PKK. La police dressa des procès-verbaux de perquisition, de reconstitution des faits et de confrontation.
Le 22 mars 1996, le requérant fut examiné par un médecin de l’institut médicolégal d’Istanbul. Celui-ci recommanda des examens neurologique et oto-rhino-laryngologique dans la mesure où l’intéressé se plaignait de troubles auditifs et de maux de tête. Les examens effectués le même jour ne révélèrent aucune anomalie.
Le même jour, le requérant comparut devant le procureur de la République. Puis il fut traduit devant le juge assesseur qui ordonna sa mise en détention provisoire.
Le 27 mars 1996, le procureur de la République inculpa le requérant du chef d’atteinte à l’unité territorial de l’État.
Entre le 19 juin 1996 et le 2 décembre 1997, la cour de sûreté de l’État tint quatre audiences. Le 2 octobre 1996, elle constata que le requérant avait refusé de comparaître et entendit l’un des policiers signataires des procès-verbaux établis lors de l’instruction préliminaire.
Le 17 février 1997, la cour releva la connexité de la procédure devant elle avec celle concernant les autres requérants, et prononça leur jonction.
3. Jonction des deux procédures
Lors de l’audience du 25 mars 1997 tenue en l’absence des requérants, la cour de sûreté de l’État entendit l’un des policiers signataire des procès-verbaux dressés au stade de l’instruction. Elle releva que les requérants, à l’exception de Tekin Gencer, avaient refusé de comparaître.
Les 22 mai et 22 juillet 1997, la cour entendit huit plaignants qui déclarèrent ne pas pouvoir identifier les requérants.
Le 30 septembre 1997, la cour entendit, en présence des requérants, trois plaignants qui identifièrent Şükrü Demirtaş et Tekin Gencer. Elle entendit également cinq policiers, parmi lesquels figurait le policier interrogé lors de l’audience du 2 octobre 1996 dans le cadre de la procédure concernant Şükrü Demirtaş.
Le 18 juin 1999, la Grande Assemblée nationale de Turquie modifia l’article 143 de la Constitution et exclut les magistrats militaires (du siège comme du parquet) de la composition des cours de sûreté de l’État. Des modifications dans le même sens furent apportées le 22 juin 1999 à la loi sur les cours de sûreté de l’État.
Lors de l’audience du 15 mars 2001, Kenan Aygören indiqua que les documents nécessaires à la préparation de sa défense étaient restés à la prison de Bayrampaşa à la suite de son transfert et qu’en dépit de la réponse positive donnée par l’administration pénitentiaire, ceux-ci n’avaient toujours pas été envoyés. Il ajouta qu’il ne s’était pas entretenu avec son avocat depuis plusieurs audiences et demanda la nomination d’un avocat d’office. La cour écarta cette demande au motif que les conditions requises pour la nomination d’un avocat d’office n’étaient pas réunies et lui accorda un dernier délai pour la préparation de sa défense.
Le 19 avril 2001, Kenan Aygören réitéra qu’il n’avait toujours pas obtenu les documents nécessaires à la préparation de sa défense et obtint un délai supplémentaire.
Lors de l’audience du 17 mai 2001, Kenan Aygören déclara avoir partiellement préparé sa défense et demanda un nouveau délai pour sa défense additionnelle, demande qui fut écartée au motif qu’il avait déjà présenté sa défense oralement. Au terme de cette audience, la cour condamna Şemsettin Baştımar à douze ans et six mois d’emprisonnement sur la base de l’article 168 § 2 du code pénal et, tenant compte de la durée de sa détention provisoire, ordonna sa libération. Elle condamna les autres requérants à la peine capitale en application de l’article 125 du code pénal, commuée en une peine à perpétuité.
Au cours de la procédure, la composition de la cour changea à plusieurs reprises.
Le 11 février 2002, la Cour de cassation confirma l’arrêt de première instance.
GRIEFS
Invoquant l’article 6 §§ 1 et 3 de la Convention, les requérants se plaignent du manque d’indépendance et d’impartialité de la cour de sûreté de l’État dans la mesure où un juge militaire y a siégé dans la première partie de la procédure.
Les requérants soutiennent que leur cause n’a pas été entendue équitablement dans la mesure où ils n’ont pas été assistés par un avocat lors de l’instruction préliminaire. Şükrü Demirtaş allègue qu’il n’a bénéficié d’une telle assistance à aucun stade de la procédure et Kenan Aygören se plaint du refus de la cour de nommer un avocat d’office. Şükrü Demirtaş se plaint de ne pas avoir pu assister aux deux premières audiences tenues après la jonction des procédures.
Les requérants se plaignent que les dépositions de certains témoins ont été recueillies sur commission rogatoire, et que d’autres ont été entendus par la cour en leur absence. Enfin, ils dénoncent les nombreux changements intervenus dans la composition de la cour.
Les requérants se plaignent que l’avis du procureur général près la Cour de cassation ne leur a pas été communiqué pour commentaire.
Les requérants soutiennent que la durée de la procédure a dépassé le délai raisonnable.
Invoquant l’article 13 de la Convention, les requérants se plaignent de ne pas disposer de recours en droit interne pour présenter les griefs ci-dessus.
Invoquant l’article 14 de la Convention, les requérants se plaignent que la procédure devant les cours de sûreté de l’État est différente de celle devant les juridictions de droit commun.
EN DROIT
1. Invoquant l’article 6 de la Convention, les requérants allèguent que leur cause n’a pas été entendue par un tribunal indépendant et impartial du fait de la participation d’un magistrat militaire à une partie du procès. Ils se plaignent aussi de l’iniquité de la procédure devant la cour de sûreté de l’État ainsi que de la non-communication de l’avis du procureur général près la Cour de cassation.
Invoquant l’article 13 de la Convention, ils se plaignent de ne pas disposer d’un recours efficace pour présenter ces griefs.
La Cour juge opportun d’examiner ces griefs sous l’angle de l’article 6 de la Convention.
En l’état actuel du dossier, elle ne s’estime pas en mesure de se prononcer sur la recevabilité de ces griefs et juge nécessaire de communiquer cette partie de la requête au gouvernement défendeur conformément à l’article 54 § 2 b) de son règlement.
2. Invoquant l’article 6 de la Convention, les requérants se plaignent que leur cause n’a pas été entendue dans un délai raisonnable.
La Cour note que, le 30 août 2001, les requérants ont introduit une requête (no 74337/01) comportant le même grief, lequel a été communiqué au Gouvernement pour observations le 3 juin 2003. Dès lors, ce grief doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 2 b) et 4 de la Convention.
3. Invoquant l’article 14 de la Convention, les requérants se plaignent d’une discrimination dans la mesure où les personnes jugées devant les cours de sûreté de l’État sont soumises à un traitement particulier.
La Cour constate que le fait d’appartenir à une organisation illégale a été considéré par le législateur turc comme une infraction particulièrement grave, qualifiée d’acte de « terrorisme ». La loi no 2845 relative à la structure et à la procédure des cours de sûreté de l’État prévoyait que toute personne accusée d’une infraction « terroriste » était soumise à un traitement moins favorable que celui du droit commun, notamment pour ce qui est du régime de l’exécution des peines, de la garde à vue ainsi que des limitations qui en découlent. La distinction litigieuse n’était pas faite entre différents groupes de personnes mais entre différents types d’infractions, selon la gravité que leur reconnaissait le législateur. Il n’existe dès lors aucun élément de nature à conclure qu’il y ait eu, en l’espèce, une « discrimination » contraire à la Convention (voir Gerger c. Turquie [GC], no 24919/94, § 69, 8 juillet 1999).
Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et doit être rejetée en application de l’article 35 § 4.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Ajourne l’examen des griefs des requérants tirés du manque d’indépendance et d’impartialité de la cour de sûreté de l’État d’Istanbul, de l’iniquité de la procédure devant celle-ci ainsi que de la non-communication de l’avis du procureur général près la Cour de cassation ;
Déclare la requête irrecevable pour le surplus.
S. Dollé J.-P. Costa
Greffière Président