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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
20.6.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE JOYE c. FRANCE

(Requête no 5949/02)

ARRÊT

STRASBOURG

20 juin 2006

DÉFINITIF

20/09/2006

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Joye c. France,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

MM. A.B. Baka, président,
J.-P. Costa,
I. Cabral Barreto,
Mmes A. Mularoni,
E. Fura-Sandström,
D. Jočienė,
MM. D. Popović, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 23 mai 2006,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 5949/02) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet Etat, M. Jacques Joye (« le requérant »), a saisi la Cour le 1er décembre 2001 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par Mme Edwige Belliard, directrice des Affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

3. Le 3 mai 2005, la deuxième section a déclaré la requête partiellement irrecevable et a décidé de communiquer le grief tiré de l’absence d’équité de la procédure devant la Cour de cassation pour autant que ce grief concerne l’absence alléguée, d’une part, de communication des conclusions de l’avocat général et, d’autre part, d’information concernant la date de l’audience au Gouvernement. Se prévalant des dispositions de l’article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l’affaire.

EN FAIT

LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

4. Le requérant est né en 1948 et réside à Morainvilliers.

5. Par un courrier du 10 janvier 1997, le requérant fut licencié par la société J.B.I (James Burn International).

6. Il saisit le 27 février 1997 le conseil des prud’hommes d’Alençon pour que l’absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement soit reconnue. Par un jugement du 3 décembre 1997, le conseil des prud’hommes d’Alençon reconnut que le licenciement ne reposait sur aucune cause réelle et sérieuse et condamna la société JBI à lui verser 200 000 francs de dommages et intérêts.

7. Le 26 décembre 1997, la société JBI interjeta appel de ce jugement. Par voie d’appel incident, le requérant demanda à la cour d’appel de condamner la société JBI à lui payer 600 000 francs de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Par un arrêt du 8 juin 1998, la cour d’appel de Caen réforma le jugement et débouta le requérant de ses demandes. Elle estima que

« la plupart des griefs énoncés dans la lettre de licenciement se trouvent vérifiés. Ils caractérisent l’incapacité du salarié à assurer son rôle de chef d’une unité de travail et justifiaient la perte de confiance de l’employeur.

Le licenciement se trouve donc justifié par une cause réelle et sérieuse, exclusive de dommages et intérêts. »

8. Le 3 août 1998, le requérant déposa une demande d’aide juridictionnelle pour se pourvoir en cassation. Par une décision du 22 décembre 1998, le président du bureau d’aide juridictionnelle près la Cour de cassation rejeta la demande du requérant au motif que ses ressources excédaient « manifestement le plafond d’admission à l’aide juridictionnelle ».

9. Il se pourvut en cassation le 1er mars 1999 et chargea Maître Lyon-Caen de cette procédure. Par un courrier du 19 mai 1999, il informa son avocat qu’il avait décidé de se pourvoir seul en cassation et qu’il déposerait un mémoire ampliatif qu’il rédigerait lui même. Par un courrier du même jour, il informa la Cour de cassation de sa décision.

10. Le 26 mai 1999, le requérant adressa un mémoire ampliatif à la Cour de cassation contestant d’une part la motivation de l’arrêt d’appel, d’autre part la « dénaturation » des faits à laquelle a procédé la cour d’appel et enfin l’absence de condamnation de la société JBI à lui payer une indemnité pour irrégularité de procédure. Suite à une audience du 24 avril 2001, la Cour de cassation, par un arrêt du 5 juin 2001, notifié au requérant le 21 juin 2001, rejeta le pourvoi.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION

11. Le requérant allègue, d’une part, que le défaut de communication des conclusions de l’avocat général et, d’autre part, que l’absence d’information concernant la date de l’audience de la chambre sociale de la Cour de cassation ont méconnu l’équité de la procédure tel que prévue par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

12. Concernant l’absence de communication des conclusions de l’avocat général, le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Cour. Concernant l’absence de convocation à l’audience de la Cour de cassation, le Gouvernement considère qu’il n’y a pas lieu d’examiner spécifiquement cette branche du grief qui s’avère, en tout état de cause, irrecevable pour défaut manifeste de fondement.

A. Sur la recevabilité

13. La Cour constate que ces griefs ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs que le restant de la requête ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

14. Le Gouvernement expose qu’ « à la suite des arrêts Reinhardt et Slimane Kaïd du 31 mars 1998, Slimane Kaïd du 25 janvier 2000, Voisine du 8 février 2000 et Meftah et autres du 26 juillet 2002, des mesures ont été prises au sein de la Cour de cassation pour modifier les modalités d’instruction et de jugement des affaires ». Il ajoute cependant qu’à l’époque où la Cour de cassation a examiné le pourvoi du requérant, le sens des conclusions de l’avocat général n’était pas transmis aux parties non représentées par un avocat aux Conseils. Il constate que le requérant, qui se trouvait dans cette situation, n’a par conséquent pas eu communication du sens des conclusions de l’avocat général et n’a pas été mis en mesure d’y répondre.

15. La Cour rappelle que dans l’arrêt Reinhardt et Slimane-Kaïd c. France (arrêt du 31 mars 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-II, § 105), elle a jugé que l’ « absence de communication des conclusions de l’avocat général aux requérants est pareillement sujette à caution ». Elle a cependant relevé que, lorsque les parties sont représentées par un avocat aux Conseils, l’avocat général informe celui-ci avant le jour de l’audience du sens de ses propres conclusions, de sorte que lorsque, à la demande dudit avocat aux Conseils, l’affaire est plaidée, ce dernier a la possibilité de répliquer aux conclusions oralement ou par une note en délibéré ; elle a jugé que cette pratique était « de nature à offrir [aux parties] la possibilité de prendre connaissance des conclusions litigieuse et de les commenter dans des conditions satisfaisantes » (§ 106). Par la suite, dans l’arrêt Voisine c. France (no 27362/95, 8 février 2000, §§ 25 et suivants), la Cour a constaté que, les parties qui – comme le requérant – ont choisi de se défendre sans la représentation d’un avocat aux Conseils ne bénéficient pas de cette pratique, et a jugé que cela n’était pas compatible avec les exigences de l’article 6 § 1 ; cette jurisprudence a été confirmée par la Grande Chambre (Meftah et autres, ([GC], nos 32911/96, 35237/97 et 34595/97, §§ 49 et suivants, CEDH 2002-VII).

Relevant que le Gouvernement ne prétend pas que la procédure s’est déroulée autrement en l’espèce, la Cour ne voit pas de raison de parvenir à une conclusion différente.

Partant, il y eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention du fait de l’absence de communication au requérant des conclusions de l’avocat général.

Vu cette conclusion, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément la branche du grief relative à l’absence de convocation du requérant à l’audience (voir Coorbanally c. France, no 67114/01, § 12, 1 avril 2004).

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

16. Aux termes de larticle 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

17. Le requérant réclame 31 100 euros (EUR) au titre du préjudice matériel et 17 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il aurait subi. Il réclame également 7 000 EUR au titre d’une violation des règles du code civil.

18. Le Gouvernement, constatant qu’aucun lien n’est établi entre les préjudices invoqués et le grief allégué, conclut au rejet des demandes du requérant. A titre subsidiaire, et si la Cour concluait à une violation de l’équité de la procédure, il lui demande de considérer que le seul constat de la violation constitue une satisfaction équitable.

19. La Cour rappelle que le constat de violation de la Convention auquel elle parvient résulte exclusivement d’une méconnaissance de l’article 6 § 1 devant la chambre sociale de la Cour de cassation du fait de l’absence de communication au requérant des conclusions de l’avocat général. Dans ces circonstances, elle n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et un quelconque dommage matériel dont le requérant aurait eu à souffrir ; il y a donc lieu de rejeter cet aspect de ses prétentions (voir, par exemple, Arvois c. France, no 38249/97, §18, 23 novembre 1999).

Quant au préjudice moral, la Cour l’estime suffisamment réparé par le constat de violation de la Convention auquel elle parvient (voir Coorbanally c. France précité § 16).

B. Frais et dépens

20. Le requérant demande également 5 883, 31 EUR pour les frais et dépens encourus devant les juridictions internes.

21. Le Gouvernement ne se prononce pas sur ce point.

22. La Cour rappelle que, lorsqu’elle constate une violation de la Convention, elle peut accorder le paiement des frais et dépens exposés devant les juridictions internes, mais uniquement lorsqu’ils ont été engagés « pour prévenir ou faire corriger par celles-ci ladite violation » (voir, notamment, l’arrêt Zimmermann et Steiner c. Suisse du 13 juillet 1983, série A no 66, § 36). Tel n’est à l’évidence pas le cas en l’espèce s’agissant des frais et dépens engagés par le requérant devant les juridictions internes. Il y a donc lieu de rejeter ses prétentions.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare, le restant de la requête recevable ;

2. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

3. Rejette, la demande de satisfaction équitable du requérant.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 20 juin 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

S. Dollé A.B. Baka              Greffière              Président