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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
15.6.2006
Rozhodovací formace
Významnost
2
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE JURJEVS c. LETTONIE

(Requête no 70923/01)

ARRÊT

STRASBOURG

15 juin 2006

DÉFINITIF

15/09/2006

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la

Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Jurjevs c. Lettonie,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

M. C.L. Rozakis, président,
Mmes F. Tulkens,
N. Vajić,
M. A. Kovler,
Mme E. Steiner,
M. K. Hajiyev, juges,
Mme J. Briede, juge ad hoc,
et de M. S. Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 23 mai 2006,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 70923/01) dirigée contre la République de Lettonie et dont un ressortissant de cet État, M. Jurijs Jurjevs (« le requérant »), a saisi la Cour le 20 avril 2001 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant est représenté par Me J.-C. Pastille, avocat à Berlin (Allemagne), et par Me E. Rusanovs, avocat à Riga (Lettonie). Le gouvernement letton (« le Gouvernement ») est représenté par son agente, Mlle I. Reine.

3. Le requérant alléguait qu’une partie de sa détention provisoire n’était pas conforme aux exigences fondamentales de l’article 5 § 1 de la Convention. Il se plaignait également d’avoir été privé d’un contrôle juridictionnel effectif de sa détention pendant cette période, et ce, en violation de l’article 5 § 4 de sa Convention.

4. La requête a été attribuée à la première section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d’examiner l’affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l’article 26 § 1 du règlement.

5. Le siège du juge au titre de la Lettonie se trouvant vacant à l’époque, par une lettre du 15 septembre 2004, le Gouvernement a désigné Mme J. Briede pour siéger en qualité de juge ad hoc dans la présente affaire (article 27 § 2 de la Convention et article 29 § 1 du règlement).

6. Par une décision du 21 octobre 2004, la chambre a déclaré la requête recevable.

7. Le 1er novembre 2004, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête resta attribuée à la première section ainsi remaniée (article 52 § 1).

8. Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l’affaire (article 59 § 1 du règlement).

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

9. Le requérant est une ressortissant letton né en 1956. Domicilié à Riga (Lettonie), il est actuellement incarcéré.

10. Le 2 août 1999, le parquet compétent ouvrit une enquête préliminaire concernant un réseau clandestin de trafic de pornographie enfantine. Dans le cadre de cette enquête, le 10 août 1999, la police déclara le requérant suspect du chef d’« infractions aux dispositions régissant l’importation, la production ou la dissémination des œuvres à caractère pornographique », délit réprimé par l’article 166 §§ 2 et 3 du code pénal et passible, suivant le cas, de trois ou cinq ans d’emprisonnement ou d’une amende. Selon la police, le requérant pouvait être responsable non seulement de l’organisation d’une production d’œuvres pornographiques représentant des mineurs, mais également de la diffusion, par voie d’Internet, d’images montrant des actes de zoophilie, de pédophilie et de violence sexuelle.

11. Le même jour, le 10 août 1999, le requérant fut arrêté et placé en garde à vue. Le 13 août 1999, le parquet général (Ģenerālprokuratūra) le mit en examen du chef du délit précité. Le même jour, le juge compétent du tribunal de première instance de l’arrondissement de Ziemeļu de la ville de Riga ordonna sa détention provisoire. Cette détention, initialement ordonnée pour une durée de deux mois, fut, à plusieurs reprises, prolongée par des ordonnances du même tribunal. Contre ces ordonnances, le requérant forma des recours devant la cour régionale de Riga, qui furent tous rejetés.

Une autre personne, M. J.K., fut également mise en examen dans le cadre de la même affaire pénale ; il devint donc le coaccusé du requérant. Plus tard, le chef d’inculpation du requérant fut complété par d’autres infractions (violences sexuelles, actes pervers avec des mineurs de seize ans, incitation à la débauche et à la prostitution, proxénétisme, évasion fiscale, détention illicite de stupéfiants, etc.).

12. Par une ordonnance du 28 novembre 2000, le juge du tribunal de l’arrondissement de Ziemeļu prolongea la détention du requérant pour la dernière fois, et ce, jusqu’au 31 janvier 2001. Le 5 janvier 2001, le parquet annonça la clôture de l’instruction préliminaire et ordonna la transmission des pièces du dossier au requérant et à son avocat. A partir de ce moment, la libération du requérant fut « suspendue » en application de l’article 77, cinquième alinéa, de l’ancien code de procédure pénale alors en vigueur (Latvijas Kriminālprocesa kodekss, ci-après le « KPK »).

13. Le 8 janvier 2001, le procureur compétent du parquet général adressa au directeur de la prison centrale de Riga une lettre suivante :

« Compte tenu des [dispositions pertinentes] du KPK, le 5 janvier 2001, il a été annoncé au détenu Jurijs Jurjevs (...) que l’investigation préliminaire dans [son] affaire pénale (...) a été close et qu’il a le droit de prendre connaissance de toutes les pièces du dossier d’instruction.

Conformément à l’article 77, alinéa [5], du KPK, le temps utilisé par les deux accusés dans l’affaire (...) et par leurs défenseurs pour lecture du dossier, n’est pas inclus dans le délai de la détention provisoire appliquée en tant que mesure préventive. »

14. Entre-temps, le 8 ou 9 janvier 2001, M. A.R., reconnu victime dans l’affaire pénale en cause, demanda au parquet l’autorisation d’accéder aux pièces de l’instruction. Le 12 janvier 2001, le parquet y fit droit. Par conséquent, le même jour, une copie du dossier fut remise à A.R., qui en commença la lecture.

15. Par courrier du 15 janvier 2001, le requérant demanda au procureur chargé du dossier de lever la « suspension » du délai de sa détention. A cet égard, il fit valoir que c’était uniquement l’accès de l’inculpé et de son avocat, et non des autres parties, au dossier de l’instruction, qui pouvait entraîner une telle « suspension ». Le même jour, le procureur rejeta cette demande.

Le requérant tenta alors un recours hiérarchique devant le procureur en chef de la Division d’instruction des affaires d’importance majeure du Département du droit pénal du parquet général (Ģenerālprokuratūras Krimināltiesiskā departamenta Sevišķi svarīgu lietu izmeklēšanas nodaļas virsprokurors). Par lettre du 18 janvier 2001, le procureur en chef rejeta le recours, concluant à la légalité de la « suspension » opérée. Les recours hiérarchiques ultérieurs, exercés devant le procureur en chef du Département du droit pénal, puis devant le procureur général de la République (Ģenerālprokurors), furent également rejetés par des lettres datant respectivement du 24 janvier et du 8 février 2001.

16. Le 31 janvier 2001, le mandat de détention du requérant vint à expiration. Le 10 février 2001, le délai maximum d’un an et six mois de détention, qui, selon le deuxième alinéa de l’article 77 du KPK, ne pouvait pas être dépassé au stade de l’investigation préliminaire, expira également. Toutefois, la libération du requérant ayant été « suspendue » en application du cinquième alinéa du même article, il ne fut pas libéré.

17. Par un jugement du 8 mai 2001, le tribunal de l’arrondissement de Kurzeme, statuant dans le cadre d’une autre affaire pénale dirigée contre le requérant, le reconnut coupable de violence sexuelle, de sodomie (pederastija) et de production d’œuvres pornographiques représentant un mineur, et le condamna à quatre ans et six mois d’emprisonnement ferme. Après le prononcé de l’arrêt, le tribunal ordonna « l’arrestation [du requérant] dans la salle d’audience » et sa mise en détention.

18. A une date non précisée, l’affaire visée par la présente requête fut déférée pour jugement à la cour régionale de Riga. Le 25 juin 2002, cette juridiction transféra l’affaire à la cour régionale de Vidzeme, à cause de la surcharge de son rôle. Par un arrêt du 22 avril 2003, cette dernière juridiction reconnut le requérant coupable des actes incriminés et le condamna à sept ans d’emprisonnement ferme.

Contre cet arrêt, le requérant interjeta appel devant la chambre des affaires pénales de la Cour suprême. Par un arrêt du 24 février 2005, la chambre l’acquitta des chefs d’évasion fiscale et de détention de stupéfiants et ramena sa peine à six ans et six mois d’emprisonnement. Pour le reste, l’appel fut rejeté. La Cour ignore si le requérant s’est pourvu en cassation.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. La Constitution et la jurisprudence de la Cour constitutionnelle

19. Aux termes de l’article 92 de la Constitution lettonne (Satversme),

« Chacun peut défendre ses droits et ses intérêts légitimes devant un tribunal équitable. Chacun doit être reconnu innocent tant que sa culpabilité n’a pas été établie conformément à la loi. En cas d’une atteinte injustifiée à ses droits, chacun a droit à une compensation adéquate. Chacun a droit d’être assisté par un avocat. »

20. Dans son arrêt du 5 décembre 2001, rendu dans l’affaire no 2001-07-0103 et concernant une loi spéciale sur l’indemnisation du préjudice subi du fait d’un acte irrégulier ou non fondé d’un tribunal, du parquet ou de la police, la Cour constitutionnelle (Satversmes tiesa) a donné une explication suivante :

« 1o (...) Au même titre que toute disposition en matière des droits de l’homme, la disposition contenue dans la troisième phrase de l’article 92 de la Constitution est d’applicabilité directe et immédiate. Par ailleurs, cette disposition ne stipule pas qu’elle devrait être concrétisée par une loi spéciale. L’inexistence d’une telle loi doit être liée à la possibilité d’appliquer directement la troisième phrase de l’article 92 de la Constitution ; elle ne peut pas servir de fondement au refus, par un tribunal, d’examiner une demande d’indemnisation émanant d’un individu.

Le fait que, en cas d’atteinte aux droits d’un individu, l’absence d’une loi concrète ne constitue pas un obstacle à la recevabilité et au constat de bien-fondé d’une demande présentée devant un tribunal, est attesté par la jurisprudence des juridictions ordinaires. Ainsi, par exemple, en 1996, [c’est-à-dire] avant l’adoption de la loi sur l’indemnisation, la cour régionale de Riga a enjoint à l’État de verser une compensation [pécuniaire] à une personne acquittée, en reconnaissant que la responsabilité de l’État envers l’individu ne peut pas être affectée par l’absence d’une loi spéciale fixant les modalités d’indemnisation d’une personne illégalement condamnée (...).

Lorsque le requérant estime que ses droits ont été injustement violés, il peut, invoquant directement la troisième phrase de l’article 92 de la Constitution, saisir une juridiction ordinaire d’une demande de réparation adéquate. Le tribunal doit alors évaluer la justification et la durée de la détention dans chaque cas individuel et, si une atteinte injustifiée aux droits de la personne est constatée, de déterminer le montant de réparation dans le jugement. L’absence d’une loi spéciale ne préjuge pas et ne restreint pas le droit constitutionnel du requérant à la protection de ses droits. (...) »

B. Dispositions législatives concernant la détention provisoire

21. L’ancien code de procédure pénale (le KPK), hérité de l’époque soviétique et maintes fois modifié, était applicable aux faits relatés dans la présente requête. Il est resté en vigueur jusqu’au 1er octobre 2005, date à laquelle il a été remplacé par la nouvelle loi sur la procédure pénale (Kriminālprocesa likums).

La plupart des dispositions du KPK et des autres lois pertinentes en l’espèce sont résumées dans l’arrêt Lavents c. Lettonie (no 58442/00, §§ 38-56, 28 novembre 2002). Les autres dispositions importantes dans la présente affaire sont exposées ci-après.

1. Les délais de détention provisoire

22. A l’époque des faits, l’article 77, deuxième alinéa du KPK était libellé en des termes suivants :

« Au stade de l’instruction préliminaire, la détention provisoire ne doit pas excéder deux mois. Lorsqu’il est impossible de terminer l’instruction et que le procureur n’a pas de raisons pour modifier la mesure préventive, le juge peut prolonger ce délai jusqu’à un an et six mois, et ce, sur la base d’une demande du procureur et des pièces du dossier qu’il présente, et en invitant, le cas échéant, de comparaître le détenu, son défenseur, ainsi que, lorsque la loi le prévoit, son représentant légal. La prolongation ultérieure du délai n’est pas autorisée ; après son écoulement, la personne détenue doit être immédiatement libérée. »

23. Quant à au cinquième alinéa du même article, il se lisait ainsi :

« Une fois l’instruction terminée, et avant l’écoulement du délai maximal fixé par la loi, les pièces du dossier doivent être immédiatement transmises à l’accusé et à son défenseur, afin qu’ils puissent en prendre connaissance. Dans ce cas, le temps pendant lequel tous les accusés prennent connaissance des pièces du dossier d’instruction, n’est pas pris en compte lors du calcul du délai de la détention provisoire (...). »

En pratique, le parquet et les tribunaux interprétaient la deuxième phrase de cette disposition comme autorisant le maintien de l’accusé en détention pendant toute la période au cours de laquelle lui-même et, éventuellement, ses coaccusés lisaient le dossier, et ce, même après l’expiration du dernier mandat de détention délivré par le juge.

24. En novembre 2004, la Cour constitutionnelle fut saisie d’un renvoi préjudiciel de la cour régionale de Latgale, qui avait des doutes quant à la constitutionnalité de la deuxième phrase de l’article 77, cinquième alinéa, du KPK (affaire no 2004-23-01). Par une loi du 20 janvier 2005, entrée en vigueur le 1er février 2005, le Parlement abrogea cette phrase. Par conséquent, par une ordonnance du 15 février 2005, la Cour constitutionnelle raya l’affaire de son rôle, celle-ci étant devenue sans objet.

25. L’article 83 du KPK était ainsi libellé :

« La mesure préventive est levée lorsqu’elle a été appliquée illégalement ou qu’elle n’est plus nécessaire ; elle est modifiée et remplacée par une mesure plus sévère ou plus légère, lorsque les circonstances de l’affaire l’exigent.

La mesure préventive est levée ou modifiée par une décision de l’enquêteur, du procureur ou du juge (du tribunal) chargé du dossier ; une mesure appliquée illégalement par un enquêteur ou un procureur peut également être levée par le procureur du rang supérieur.

Au stade de l’investigation préliminaire, une mesure préventive appliquée par un juge (un tribunal), [notamment] la détention [en prison] ou le confinement à domicile, ne peut être levée ou modifiée que par une décision motivée du procureur ; cependant, dans les cas visés par l’article 222-1 du présent code, elle peut également être levée par un tribunal. »

2. La présentation du dossier de l’instruction aux parties

26. Aux termes de l’article 202 du KPK, une fois l’instruction préliminaire terminée, le parquet devait en informer la victime et les parties civiles, ainsi que leurs représentants, tout en leur rappelant leur droit d’accès au dossier. S’ils le demandaient, les pièces de l’instruction devaient leur être présentées, et ils pouvaient adresser au procureur des demandes et des requêtes de caractère procédural.

27. L’article 203 du KPK disposait :

« Lorsque le procureur estime que les preuves qu’il a obtenues sont suffisantes pour rédiger un acte final d’accusation, et une fois les exigences de l’article 202 du présent code remplies, il doit annoncer à l’accusé que l’instruction de son affaire est terminée et qu’il a le droit de prendre connaissance de toutes les pièces du dossier lui-même et avec l’assistance d’un défenseur, ainsi que de formuler des demandes et des requêtes visant à compléter l’investigation préliminaire. Ensuite, l’accusé se voit présenter toutes les pièces du dossier, reliées et numérotées, afin qu’il les lise. Si, au cours de l’instruction, des enregistrements cinématographiques, vidéo ou sonores ont été effectués, ils sont visionnés ou reproduits devant l’accusé et son défenseur.

Lorsque plusieurs accusés sont mis en examen dans la même affaire, toutes les pièces de l’instruction doivent être portées à la connaissance de chacun d’entre eux.

(...)

Il est interdit de limiter le temps nécessaire à l’accusé et à son défenseur pour prendre connaissance des toutes les pièces du dossier. Toutefois, si l’accusé ou son défenseur retarde, d’une façon manifeste, la lecture des pièces, le procureur peut, par une décision motivée, fixer un délai dans lequel ils devront prendre connaissance du dossier. »

3. Le rôle du parquet et le recours contre ses décisions

28. Les dispositions pertinentes de la loi du 19 mai 1994 sur le parquet (Prokuratūras likums) sont ainsi libellées :

Article 1 §§ 1 et 2

« 1o Le parquet est un organe du pouvoir judiciaire qui surveille, d’une manière autonome, le respect de la légalité, et ce, dans les limites des compétences circonscrites par la présente loi.

2o La mission du parquet est de réagir à la violation de la loi et d’assurer l’examen de l’affaire selon les voies légales. (...) »

Article 2

« Le parquet :

1) surveille le travail des organes d’enquête et les mesures opérationnelles [d’enquête] prises par d’autres institutions ;

2) organise, dirige et effectue l’instruction préliminaire ;

3) engage et dirige les poursuites pénales ;

4) soutient l’accusation au nom de l’État [devant le tribunal] ;

5) surveille l’exécution des peines ;

6) défend, selon les voies légales, les droits et intérêts légitimes des particuliers et de l’État ;

7) saisit, selon les voies légales, le tribunal d’une demande ou d’une requête ;

8) participe à l’examen des affaires par un tribunal, dans les cas prévus par la loi. »

Article 6 §§ 3 et 4

« (...) 3o Les actes du procureur peuvent faire l’objet d’un recours dans les cas et selon les modalités définies dans la présente loi et dans les lois procédurales. Dans les domaines relevant de la compétence exclusive du parquet, les recours doivent être adressés au procureur en chef [virsprokurors] du parquet du rang supérieur [à celui ayant rendu la décision entreprise] ; les actes d’un procureur du parquet général peuvent faire l’objet d’un recours devant le procureur général. Les décisions prises par ces [procureurs supérieurs] sont définitives.

4o Un procureur d’un rang supérieur a le droit d’examiner toute affaire [relevant du procureur d’un rang inférieur], mais il n’a pas le droit d’enjoindre au procureur d’accomplir des actes à l’encontre de sa conscience. (...) »

Article 12

« Le procureur surveille le travail des organes d’enquête et les mesures opérationnelles [d’enquête] prises par d’autres institutions selon les modalités définies par la loi sur la procédure pénale et par d’autres lois. »

Article 13

« Selon les modalités définies par la loi sur la procédure pénale, le procureur organise, dirige et effectue l’instruction préliminaire, ainsi qu’ordonne aux organes d’enquête d’effectuer des mesures de recherche pénale et [d’autres] actes procéduraux. »

Article 14

« 1o Selon les modalités définies par la loi sur la procédure pénale, le procureur soutient l’accusation au nom de l’État devant toutes les juridictions de la République de Lettonie.

2o Le procureur a l’obligation de former une tierce opposition contre une décision illégale ou non justifiée, prise par un tribunal dans une affaire pénale. »

29. En outre, les articles pertinents du KPK se lisaient ainsi :

Article 221

« Le procureur chargé de superviser l’enquête prend la décision sur la plainte ou la requête dans les dix jours suivant la réception de celle-ci. Le procureur du rang supérieur prend la décision dans un délai de dix jours, ou, si une vérification supplémentaire ou des renseignements supplémentaires s’avèrent nécessaires, dans un délai de trente jours. Les résultats de l’examen de la plainte ou de la requête sont portés à la connaissance de son auteur. Si la plainte ou la requête est rejetée, le procureur expose les motifs de son rejet, tout en expliquant les modalités de recours contre sa décision.

L’enquêteur, ainsi que l’auteur de la plainte ou de la requête, peuvent attaquer la décision du procureur prise au sujet de [cette dernière] par voie de recours devant un procureur du rang supérieur. »

Article 222

« Les plaintes concernant les actes du procureur sont adressés au procureur du rang supérieur et examinées selon les voies prévues par les articles 220 et 221 du présent code. »

Article 222-1

« Une ordonnance du juge portant sur l’application (...) d’une détention provisoire (...), sur la prolongation de son application (...) peut être attaquée par voie de recours devant le tribunal par le suspect, l’accusé, leur représentant ou défenseur, ainsi que les autres personnes ayant fait l’objet des mesures coercitives prévues par le présent code, ainsi que par le (...) procureur, agissant par voie de tierce opposition.

La personne concernée peut former un tel recours dans un délai de sept jours à compter du jour où elle a pris connaissance de l’application des mesures préventives visées par le premier alinéa du présent article [ou] de la prolongation du délai de leur application (...).

Un tel recours ou opposition sont examinés par la juridiction supérieure qui prend la décision sur le maintien de l’ordonnance du juge ou de son annulation. La décision est prise dans un délai maximal de sept jours à compter de la réception du recours ou de l’opposition, en présence de l’auteur du recours ou de l’opposition et du procureur. La décision prise par la juridiction [supérieure] est définitive, et elle n’est pas susceptible de recours. »

EN DROIT

I. SUR L’EXCEPTION PRÉLIMINAIRE DU GOUVERNEMENT

A. Arguments des parties

30. Le Gouvernement soulève une exception préliminaire tirée du non-épuisement, par le requérant, des voies de recours internes au sens de l’article 35 § 1 de la Convention. A cet égard, il renvoie au jugement de la Cour constitutionnelle du 5 décembre 2001, reconnaissant l’effet direct de la troisième phrase de l’article 92 de la Constitution lettonne. Selon le Gouvernement, lue à la lumière de l’arrêt susmentionné, cette disposition constitutionnelle offre en elle-même un recours accessible et adéquat, susceptible de porter remède à la violation alléguée par le requérant. Les arrêts de la Cour constitutionnelle étant obligatoires pour toutes les institutions publiques, le requérant pouvait, après le 5 décembre 2001, saisir un tribunal d’une demande en indemnisation du fait de sa détention s’il l’estimait irrégulière.

31. En outre, le Gouvernement rappelle que, depuis le 1er juillet 2001, la Cour constitutionnelle lettonne est compétente pour examiner les recours individuels émanant de particuliers et mettant en cause la constitutionnalité ou la compatibilité hiérarchique des lois et des règlements (voir Grišankova et Grišankovs c. Lettonie (déc.), no 36117/02, CEDH 2003-II). Par ailleurs, c’est exactement à cause d’un recours pendant devant la Cour constitutionnelle que le Parlement a finalement décidé d’abroger la deuxième phrase de l’article 77, cinquième alinéa, du KPK. Le recours devant la Cour constitutionnelle est donc un recours à épuiser au sens de l’article 35 § 1 de la Convention, et le requérant n’y a pas recouru.

32. Le requérant rappelle d’emblée qu’au stade de recevabilité de la présente requête, le Gouvernement avait déjà soulevé une exception d’irrecevabilité tirée du non-épuisement des voies de recours internes, et que, par sa décision du 21 octobre 2004, la Cour a rejeté cette exception. Dans la mesure où le Gouvernement semble invoquer de nouveaux faits à l’appui de la même exception (et notamment l’application directe de l’article 92 de la Constitution pour fonder un recours en indemnisation), rien ne l’empêchait de le faire avant la décision sur la recevabilité de la requête ; ne l’ayant pas fait, il doit être déclaré forclos à cet égard. En tout état de cause, les voies procédurales suggérées par le Gouvernement ne sont pas des recours à épuiser au sens de l’article 35 § 1 de la Convention.

B. Appréciation de la Cour

33. En l’espèce, la Cour note que l’exception tirée du non-épuisement des voies de recours internes a été dûment examinée et rejetée par la décision sur la recevabilité de la présente requête du 21 octobre 2004. Aux termes de cette décision, « le Gouvernement n’a pas convaincu la Cour de l’existence, dans le système juridique letton, d’un recours effectif au sens de l’article 35 § 1 de la Convention que le requérant aurait pu épuiser afin d’obtenir le redressement de ses griefs ». A cet égard, la Cour rappelle qu’aux termes de l’article 55 de son règlement, si la partie défenderesse entend soulever une exception d’irrecevabilité, elle doit le faire dans ses observations écrites ou orales sur la recevabilité de la requête ; dans le cas contraire, il y a forclusion. (voir, mutatis mutandis, Hartman c. République tchèque, no 53341/99, §§ 53-54, CEDH 2003VIII, et Prodan c. Moldova, no 49806/99, § 36, CEDH 2004-III).

34. Dans ses dernières observations après la recevabilité, le Gouvernement soumet de nouveau une exception de non-épuisement des voies de recours internes. A cet égard, la Cour ne peut que réaffirmer que, lorsque est en jeu la légalité de la détention, une action en indemnisation dirigée a posteriori contre l’État ne constitue pas un recours à épuiser, le droit de faire examiner par un tribunal la légalité d’une détention et celui d’obtenir une réparation étant deux droits bien distincts. Le seul recours sur lequel le Gouvernement pourrait fonder le non-épuisement serait donc un recours accessible au requérant et susceptible d’aboutir à sa libération pendant la période litigieuse. Or, le Gouvernement n’a pas fait état d’un tel recours existant en droit letton à l’époque des faits. En résumé, la Cour ne voit aucune raison de modifier sa conclusion antérieure (voir Włoch c. Pologne, no 27785/95, §§ 89-93, CEDH 2000XI).

35. Eu égard à ce qui précède, il y a donc lieu de rejeter l’exception du Gouvernement.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 1 DE LA CONVENTION

36. Le requérant dénonce le caractère irrégulier de son maintien en détention pendant la période allant du 31 janvier au 8 mai 2001. À cet égard, il invoque l’article 5 § 1 de la Convention, dont les parties pertinentes sont ainsi libellées :

« Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

a) s’il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent ;

(...)

c) s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci ;

(...) »

37. Le Gouvernement n’avance aucun argument particulier sur le fond de ce grief. En revanche, le requérant fait valoir que son maintien en prison pendant la période en question a violé l’article 5 § 1. Il insiste notamment sur le fait que, pendant la période litigieuse, il était incarcéré sans aucune base légale et sans qu’une décision judiciaire l’autorisât. Le requérant souligne notamment que sa détention fut prolongée même au-delà du 10 février 2001, date à laquelle il devait impérativement être remis en liberté conformément au deuxième alinéa de l’article 77 du KPK.

38. La Cour rappelle d’emblée que les termes « régulièrement » et « selon les voies légales » qui figurent à l’article 5 § 1 de la Convention renvoient pour l’essentiel à la législation nationale et consacrent l’obligation d’en observer les normes de fond comme de procédure. S’il incombe au premier chef aux autorités nationales, notamment aux tribunaux, d’interpréter et d’appliquer le droit interne, il en est autrement s’agissant d’affaires dans lesquelles, au regard de l’article 5 § 1, l’inobservation du droit interne emporte violation de la Convention. En pareil cas, la Cour peut et doit exercer un certain contrôle pour rechercher si le droit interne a bien été respecté (voir, parmi beaucoup d’autres, Douiyeb c. Pays-Bas [GC], no 31464/96, §§ 44-45, 4 août 1999, et Baranowski c. Pologne, no 28358/95, § 50, CEDH 2000III).

39. La « régularité » de la détention au regard du droit interne est un élément essentiel, mais non décisif. La Cour doit en outre être convaincue que la détention pendant la période en jeu est conforme au but de l’article 5 § 1, à savoir protéger l’individu de toute privation de liberté arbitraire. Elle doit donc s’assurer que le droit interne se conforme lui-même à la Convention, y compris aux principes énoncés ou impliqués par elle (voir, par exemple, Erkalo c. Pays-Bas, arrêt du 2 septembre 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998VI, p. 2477, § 52). En effet, lorsqu’il s’agit d’une privation de liberté, il est particulièrement important de satisfaire au principe général de la sécurité juridique. Par conséquent, il est essentiel que les conditions de la privation de liberté en vertu du droit interne soient clairement définies et que la loi elle-même soit prévisible dans son application, de façon à remplir le critère de « légalité » fixé par la Convention. Ce critère exige que toute loi soit suffisamment précise pour permettre au citoyen – en s’entourant au besoin de conseils éclairés – de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences de nature à dériver d’un acte déterminé (voir Steel et autres c. Royaume-Uni, arrêt du 23 septembre 1998, Recueil 1998-VII, p. 2735, § 54).

40. En tout état de cause, une détention provisoire prolongée ne peut être reconnue « régulière », au sens de l’article 5 § 1 c) de la Convention, que si elle a été ordonnée par un tribunal, par un juge ou par toute autre personne « habilitée à exercer des fonctions judiciaires ». Même si cette exigence n’est pas explicitement inscrite dans le texte de l’article 5 § 1, elle peut se déduire de l’article 5 pris dans sa globalité, en particulier du libellé du paragraphe 1 c) et du paragraphe 3 lus conjointement. En outre, la garantie d’habeas corpus que contient l’article 5 § 4 vient également appuyer l’idée que la détention qui est prolongée au-delà de la période initiale envisagée au paragraphe 3 appelle toujours l’intervention d’un « tribunal » comme garantie contre l’arbitraire (voir Baranowski, précité, § 57).

41. La Cour observe en particulier que le deuxième alinéa de l’article 77 du KPK fixait le délai maximal d’une détention provisoire à un an et six mois, tout en obligeant les autorités à libérer la personne dont l’incarcération avait atteint cette limite. Cette disposition était libellée en des termes suffisamment clairs et non équivoques ; si elle était appliquée telle qu’elle pouvait être comprise selon le sens habituel des termes la composant, le requérant aurait dû être remis en liberté le 10 février 2001, date de l’expiration dudit délai d’un an et six mois. Or, il n’en fut rien en l’occurrence. Dans ces conditions, la Cour conclut qu’après la date précitée, le requérant fut retenu en prison malgré l’existence d’une disposition législative suffisamment claire exigeant sa libération.

42. La Cour constate ensuite que, par une ordonnance du 28 novembre 2000, le juge compétent prolongea la détention du requérant jusqu’au 31 janvier 2001. A cette dernière date, ce mandat de dépôt vint à expiration sans être prolongé. Le 8 mai 2001, le requérant fut condamné à une peine de prison ferme dans une autre affaire pénale ; nul ne conteste qu’à partir de cette date, sa détention était couverte par l’exception prévue à article 5 § 1 a) de la Convention (voir, parmi beaucoup d’autres, Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 104, CEDH 2000XI, et Lavents, précité, § 66). Or, entre ces deux dates, c’est-à-dire pendant trois mois et huit jours, il demeura en prison sans qu’une décision judiciaire l’autorisât.

43. Il apparaît en l’occurrence que le requérant fut maintenu en détention sur la base de la deuxième phrase de l’article 77, cinquième alinéa, du KPK, disposant que « [l]e temps pendant lequel tous les accusés pren[aient] connaissance des pièces du dossier d’instruction, n’[était] pas pris en compte lors du calcul du délai de la détention provisoire ». Cependant, aux yeux de la Cour, ce libellé était suffisamment vague pour susciter des doutes quant à ses implications exactes et pour se prêter à plus d’une interprétation (voir, mutatis mutandis, Jėčius c. Lituanie, no 34578/97, §§ 57-59, CEDH 2000IX). En tout état de cause, il n’en ressortait avec clarté ni l’obligation de maintenir l’accusé en détention, ni, encore moins, la possibilité de le faire sans aucun mandat judiciaire. Cette disposition était donc incompatible avec les exigences de « légalité » posées par l’article 5 § 1 de la Convention. Dès lors, la Cour n’estime pas nécessaire de se pencher séparément sur la question de savoir si celle-ci été correctement appliquée, c’est-à-dire si seule la communication des pièces du dossier aux coaccusés, mais non aux victimes, pouvait suspendre le cours normal du délai d’une détention provisoire au sens de cette disposition.

Par ailleurs, il apparaît que le prolongement automatique de la détention provisoire du requérant résultait d’une pratique généralisée des autorités lettonnes, pratique n’ayant aucun fondement législatif précis et destinée, à l’évidence, à combler les lacunes du KPK. Or, dans une affaire portant sur un problème similaire, la Cour a déjà jugé qu’une telle pratique était contraire aux principes de la sécurité juridique et de la protection contre l’arbitraire, qui constituent des éléments fondamentaux à la fois de la Convention et de l’État de droit (voir Baranowski, précité, §§ 54-57).

44. La Cour note que, par une loi du 20 janvier 2005, entrée en vigueur le 1er février de la même année, la deuxième phrase du cinquième alinéa de l’article 77 du KPK fut abrogée. Toutefois, elle estime que ce changement législatif n’affecte en rien la situation du requérant, qui a pleinement subi les effets de la disposition en cause et qui reste donc « victime » de la violation alléguée.

45. La Cour rappelle enfin que, dans une série d’affaires impliquant la Lituanie, elle a conclu à l’existence d’une violation de l’article 5 § 1 de la Convention du fait de l’application similaire d’une disposition du droit lituanien (voir, en sus de l’arrêt Jėčius précité, Grauslys c. Lituanie, no 36743/97, §§ 39-41, 10 octobre 2000, Butkevičius c. Lituanie, no 48297/99, §§ 36-39, CEDH 2002II, et Stašaitis c. Lituanie, no 47679/99, §§ 58-61, 21 mars 2002). Elle ne voit aucune raison de parvenir à une conclusion différente dans la présente affaire.

46. L’article 5 § 1 de la Convention a donc été violé en l’espèce.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 4 DE LA CONVENTION

47. Le requérant se plaint de l’absence d’un recours judiciaire effectif qui lui aurait permis de contrôler la légalité de sa détention pendant la période allant du 31 janvier au 8 mai 2001. Il allègue une violation de l’article 5 § 4 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »

A. Arguments des parties

1. Le Gouvernement

48. Le Gouvernement rappelle qu’« en l’absence de contrôle judiciaire périodique et automatique », l’intéressé doit au moins pouvoir « introduire à des intervalles raisonnables un recours devant un tribunal pour contester la « légalité » (...) de son internement » (voir X c. Royaume-Uni, arrêt du 5 novembre 1981, série A no 46, pp. 22-23, § 52). Or, dans le cas d’espèce, cette exigence a été remplie. En effet, au stade préliminaire de la procédure, la légalité de la détention du requérant était réexaminée par un tribunal une fois tous les deux mois, et parfois même tous les mois.

49. Quant à la période postérieure au 31 janvier 2001, c’est-à-dire après le renvoi du dossier devant le juge du fond, le requérant pouvait à tout moment saisir le procureur d’une demande d’élargissement ; le procureur examinerait alors si sa détention était toujours régulière et justifiée. Pour ce qui est de la question de savoir si le parquet letton constitue un « tribunal » au sens de l’article 5 § 4 de la Convention, le Gouvernement rappelle que l’article 1 § 1 de la loi sur le parquet le classe parmi les organes du pouvoir judiciaire ; il cite également un arrêt de la Cour constitutionnelle dans lequel le parquet a été reconnu comme étant « un organe indépendant offrant aux individus une protection effective au stade d’instruction préliminaire, en cas de violations alléguées de leurs droits procéduraux et constitutionnels ».

50. Au demeurant, le Gouvernement insiste sur le fait que la période en question n’a duré que trois mois et huit jours ; or, un tel intervalle ne saurait être reconnu excessif ou déraisonnable, vu notamment le fait que toutes les demandes d’élargissement présentées par le requérant lors de l’instruction préliminaire de son dossier par le parquet avaient été rejetées et que le requérant ne les avait pas attaquées par voie de recours. En résumé, il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention.

2. Le requérant

51. Tout en reconnaissant que l’article 222-1 du KPK lui conférait le droit de recours contre les ordonnances prolongeant sa détention provisoire, le requérant soutient néanmoins qu’aucun recours approprié ne s’ouvrait à lui pour contester son maintien en détention après l’expiration du mandat de sa détention, c’est-à-dire après le 31 janvier 2001. Selon lui, au sens du droit letton de l’époque, la présentation du dossier à la défense donnait lieu à une période éventuellement indéfinie dont la durée dépendait de la lecture des pièces de l’instruction par les accusés. Pendant toute cette période, l’accusé restait incarcéré sans disposer d’un mécanisme quelconque de contrôle judiciaire de sa détention. L’absence d’un tel contrôle résultait d’une lecture conjointe des dispositions de l’article 77 du KPK : en effet, la suspension opérée par son cinquième alinéa signifiait que le dernier mandat de dépôt délivré par le juge était réputé prolongé jusqu’à ce que tous les accusés eussent lu le dossier. Après le moment où le procureur annonçait la clôture de l’instruction, l’occasion suivante de réexaminer la légalité de la détention était la procédure préparatoire à l’issue de laquelle le juge ou les juges du fond prenaient la décision de « traduire l’accusé devant le tribunal » et décidaient s’il y a lieu de maintenir la mesure préventive appliquée à son égard.

52. Toutefois, la durée de lecture du dossier par les accusés pouvait être différente selon l’affaire, et elle dépendait essentiellement de deux facteurs : la vitesse de lecture du dossier, d’un côté, par l’intéressé lui-même, et, de l’autre côté, par les autres parties. Or, si le deuxième facteur était indépendant de la volonté de l’accusé, le premier créait une pression dangereuse le contraignant soit à renoncer à l’exercice de ses droits procéduraux, soit à ne pas les exercer pleinement et effectivement. En conclusion, pendant cette période, l’accessibilité du contrôle judiciaire au sens de l’article 5 § 4 de la Convention dépendait de la mesure dans laquelle l’accusé et les autres parties dans l’affaire souhaitaient exercer leurs droits procéduraux légitimes.

53. Le requérant combat la thèse du Gouvernement relative à la place du parquet dans la procédure pénale lettonne. A cet égard, il rappelle qu’en Lettonie, de même que dans certains autres États, le parquet remplit une double fonction : celle de l’instruction préliminaire et celle de l’accusation devant la juridiction de jugement. Cela étant, et même s’ils sont formellement rattachés au pouvoir judiciaire, les procureurs, selon lui, ne remplissent pas les conditions d’indépendance et d’impartialité, inhérentes à la notion d’un « tribunal », au sens de l’article 5 § 4 de la Convention. Quant à l’arrêt de la Cour constitutionnelle cité par le Gouvernement, il a été adopté au sujet d’une disposition complètement différente et ne démontre en rien le caractère « judiciaire » de la fonction du parquet. Par ailleurs, la procédure visée par l’article 5 § 4 de la Convention suppose la tenue d’une audience, qui, en revanche, n’est pas prévue dans le cadre de la procédure de recours devant le parquet. Enfin, cette procédure manque singulièrement de clarté, les dispositions pertinentes de la loi ne précisant ni le nombre exact des procureurs de divers degrés qui doivent être saisis, ni les délais de l’examen des recours.

54. En résumé, selon le requérant, il a été privé de recours voulu par l’article 5 § 4 de la Convention pendant plus de trois mois, et ce délai a dépassé les limites d’un « intervalle raisonnable » au sens de la jurisprudence constante de la Cour. La législation lettonne de l’époque ne prévoyant, à ce stade, aucune procédure d’habeas corpus permettant au détenu d’obtenir l’examen de la légalité de sa détention de sa propre initiative, le requérant est convaincu que son droit au titre de l’article 5 § 4 a été violé.

B. Appréciation de la Cour

1. Principes généraux établis par la jurisprudence de la Cour

55. La Cour rappelle tout d’abord que l’article 5 § 4 de la Convention exige expressément l’intervention d’un « tribunal ». Afin d’être qualifié de « tribunal », l’autorité en question doit remplir certaines conditions permettant de s’assurer de son caractère « judiciaire ». Ainsi, cette autorité doit être indépendante tant du pouvoir exécutif que des parties en cause. En revanche, s’il s’avère qu’elle peut intervenir à un stade subséquent à titre de représentant de l’autorité de poursuite, l’indépendance et l’impartialité de ce organe sont susceptibles d’être gravement mises en cause (voir Weeks c. Royaume-Uni, arrêt du 2 mars 1987, série A no 114, p. 30, § 61, et, sur le terrain de l’article 5 § 3, Niedbała c. Pologne, no 27915/95, § 49, 4 juillet 2000). En outre, l’autorité en question doit disposer de pouvoirs suffisants pour prendre une décision judiciaire et juridiquement contraignante mettant fin à la détention si elle se révèle illégale (voir Baranowski, précité, § 68).

56. La Cour rappelle ensuite que l’article 5 § 4 de la Convention impose aux autorités nationales certaines obligations quant à la procédure à suivre. Ainsi, si cette procédure ne doit pas toujours s’accompagner de garanties identiques à celles que l’article 6 § 1 de la Convention prescrit pour les litiges civils ou pénaux, elle doit cependant revêtir un caractère judiciaire et offrir à l’individu en cause des garanties adaptées à la nature de la privation de liberté dont il se plaint (voir, entre autres, D.N. c. Suisse [GC], no 27154/95, § 41, CEDH 2001III). En tout état de cause, cette procédure doit respecter, autant que possible, les exigences fondamentales d’un procès équitable. Cela implique notamment la tenue d’une audience contradictoire, durant laquelle il y a lieu d’observer l’égalité des armes entre les parties, c’est-à-dire entre le ministère public et le détenu (voir Nikolova c. Bulgarie [GC], no 31195/96, § 58, CEDH 1999II, et Włoch, précité, § 126).

57. De même, la Cour rappelle que l’article 5 § 4 de la Convention ne vise pas uniquement le contrôle judiciaire de la décision initiale appliquant une détention provisoire. Bien au contraire, il confère au détenu le droit de faire réexaminer la régularité de cette détention « à des intervalles raisonnables » et avec une célérité suffisante ; en effet, un détenu ne doit pas courir le risque de rester en détention longtemps après le moment où sa privation de liberté a éventuellement perdu toute justification (voir Bezicheri c. Italie, arrêt du 25 octobre 1989, série A no 164, série A no 114, et Chichkov c. Bulgarie, no 38822/97, § 88, CEDH 2003I).

58. Enfin, la Cour tient à rappeler qu’une voie de recours, au sens de l’article 5 § 4 de la Convention, doit toujours exister à un degré suffisant de certitude, sans quoi lui manquent l’accessibilité et l’efficacité requises par cette disposition (voir, par exemple, E. c. Norvège, arrêt du 29 août 1990, série A no 181-A, pp. 25-26, § 60).

2. Application de ces principes au cas d’espèce

59. Dans la présente affaire, il ressort des observations du Gouvernement qu’après le 31 janvier 2001, et jusqu’à sa condamnation prononcée le 8 mai 2001, le requérant pouvait saisir le procureur d’une demande d’élargissement ; selon le Gouvernement, le parquet letton appartient à la fonction judiciaire et, partant, remplit les exigences de l’article 5 § 4. A cet égard, la Cour relève qu’aux termes de la loi sur le parquet, cette institution et les procureurs la composant organisent et effectuent l’instruction préliminaire, engagent et dirigent les poursuites pénales et soutiennent l’accusation au nom de l’État devant la juridiction de jugement. Cela étant, leur place dans la procédure pénale est celle d’une partie, opposée à l’accusé. La Cour ne nie pas que le droit letton, du moins en son état applicable à l’époque des faits, permettait au procureur de prendre une décision relative à une demande d’élargissement émanant d’un détenu. Toutefois, ce droit ne prévoyait aucune garantie contre le risque de voir ce même procureur participer, dans la même affaire et à un stade ultérieur de la procédure, à l’accusation devant le juge du fond.

60. Par ailleurs, dans plusieurs arrêts rendus contre d’autres États Parties à la Convention, la Cour a jugé qu’un procureur dont les fonctions étaient définies d’une manière similaire à celle des procureurs en Lettonie, ne correspondait pas à la notion de « juge ou (...) autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires », au sens de l’article 5 § 3 de la Convention (voir, par exemple, Niedbała, précité, §§ 48-57, Dacewicz c. Pologne, no 34611/97, § 21, 2 juillet 2002, et Nevmerjitsky c. Ukraine, no 54825/00, § 125, CEDH 2005...). Examinant la situation de l’espèce, elle n’a trouvé de raison de parvenir à une conclusion différente sur le terrain de l’article 5 § 4 au regard du parquet letton. En résumé, même si la loi le rattache à la branche du pouvoir judiciaire, le parquet en Lettonie ne correspond manifestement pas à la notion de « tribunal », au sens de l’article 5 § 4 de la Convention.

61. La Cour rappelle que, dans le KPK, les principes régissant les délais de détention provisoire et le système de recours étaient différents selon qu’il s’agisse du stade d’investigation préliminaire du dossier ou du stade de jugement. Pendant l’investigation préliminaire, la détention provisoire initiale était prolongée par des ordonnances successives, prises par le tribunal compétent à la demande du ministère public, précédées d’une audience contradictoire et susceptibles de recours (voir Lavents, précité, §§ 41-42). Le contrôle judiciaire de la légalité de la détention était donc constant, régulier et automatique. En revanche, aucune disposition ne garantissait expressément au détenu le droit de saisir le juge d’une demande spontanée d’élargissement en dehors de cette procédure ordinaire.

62. En l’espèce, la Cour relève que la dernière prolongation de la détention provisoire du requérant fut ordonnée par le juge compétent le 28 novembre 2000, que ce mandat de dépôt expira le 31 janvier 2001 sans être prolongé, et que l’intéressé fut maintenu en prison en application de la seconde phrase de l’article 77, cinquième alinéa, du KPK. La Cour vient de constater que cette disposition ne remplissait pas les exigences fondamentales de « légalité », et que la pratique de « suspension » du délai de la détention provisoire sur la base de cette deuxième phrase était contraire à l’article 5 § 1 de la Convention. Or, pendant toute cette période de « suspension », aucune disposition du droit letton ne conférait au détenu la possibilité de saisir un tribunal d’un recours permettant de contrôler la légalité de sa détention.

63. Eu égard à ce qui précède, la Cour conclut que, pendant la période litigieuse, c’est-à-dire pendant trois mois et huit jours, le requérant était privé de tout recours effectif de nature judiciaire permettant de contrôler la légalité de sa détention. Contrairement au Gouvernement, elle estime que ce délai était suffisamment long pour être constitutif d’une infraction à l’article 5 § 4 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Sulaoja c. Estonie, no 55939/00, § 74, 15 février 2005).

64. Partant, il y a eu violation de cette disposition.

IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

65. Aux termes de larticle 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

1. Dommage matériel

66. Le requérant réclame une réparation pécuniaire du préjudice matériel qu’il a subi du fait des violations de ses droits au titre de la Convention. Ces violations ayant résulté non seulement du comportement des autorités, mais également des lacunes dans la législation interne, il estime qu’il devrait recevoir la compensation « du préjudice matériel pour les souffrances et la détresse » qu’il a subi. Quant au montant exact de l’indemnisation, le requérant s’en remet à la sagesse de la Cour ; cependant, selon lui, ce dommage devrait être évalué à 3 000 euros (EUR) au moins.

67. Le Gouvernement invite la Cour à rejeter cette demande, aucun lien de causalité n’ayant été établi entre les violations constatées et le préjudice matériel allégué.

68. La Cour rappelle que la condition sine qua non à l’octroi d’une réparation d’un dommage matériel au titre de l’article 41 de la Convention est l’existence d’un lien de causalité entre le préjudice allégué et la violation constatée (voir Nikolova, précité, § 73, ainsi que Podkolzina c. Lettonie, no 46726/99, § 49, CEDH 2002II). Toutefois, en l’espèce, aucun lien direct de cette sorte ne se trouve établi dans la présente affaire. S’agissant en particulier des « souffrances » et de la « détresse » mentionnées par le requérant, il s’agit là plutôt d’éléments d’un préjudice moral (voir, par exemple, Lavents, précité, § 149) ; or, le requérant a expressément déclaré qu’il considérait le constat d’une violation comme une réparation adéquate de tout tort moral qu’il aurait subi.

Partant, la Cour rejette les prétentions du requérant à ce titre.

2. Dommage moral

69. Le requérant déclare que le constat des violations de ses droits au titre de la Convention constituerait en lui-même une réparation adéquate du préjudice moral qu’il a subi. La Cour ne voit aucune raison d’en juger autrement (voir Lavents, précité, § 151).

B. Frais et dépens

70. Le requérant demande le remboursement des frais exposés pour la préparation et la présentation de son affaire devant la Cour. Selon lui, ses deux conseils, Mes Rusanovs et Pastille, ont initialement travaillé pour une rémunération déterminée par heure (100 EUR par heure pour Me Rusanovs, 125 EUR pour Me Pastille). Cependant, compte tenu de la situation financière délicate du requérant, ils ont finalement consenti à un schéma de rémunération fixe. Aux termes du contrat d’assistance juridique daté du 28 décembre 2004 et expédié à la Cour le 3 janvier 2005, le requérant s’engageait à verser aux deux avocats une première somme de 5 000 EUR, payable dans le délai de six mois à compter de l’adoption, par la Cour, d’une décision dans l’affaire. Ensuite, le requérant s’engagea à leur payer une somme supplémentaire de 3 000 EUR « au titre de tout travail supplémentaire d’avocat après la décision sur la recevabilité ». Ces sommes couvrent toutes les heures de travail des ses deux conseils, ainsi que les frais administratifs. La somme totale des frais et dépens s’élèverait donc à 8 000 EUR.

71. Selon le Gouvernement, la demande de remboursement des frais et dépens présentée par le requérant ne remplit pas les exigences fondamentales posées par la jurisprudence de la Cour en la matière. En effet, le seul justificatif présenté à cet effet est le contrat précité ; toutefois, ne chiffrant pas avec précision toutes les dépenses prétendument encourues par le requérant, il est manifestement insuffisant pour démontrer la réalité desdites dépenses. Par ailleurs, la deuxième somme indiquée dans ce contrat, celle de 3 000 EUR, était destinée, entre autres, à couvrir les frais de participation des avocats à une audience de la Cour ; or, aucune audience n’eut lieu en l’occurrence. En tout état de cause, le Gouvernement est d’avis que l’affaire n’est pas particulièrement compliquée, et que, par conséquent, la somme indiquée par le requérant est excessive. En résumé, si la Cour décide d’allouer au requérant un montant quelconque, celui-ci ne devrait pas dépasser 1 000 EUR.

72. La Cour rappelle que, pour avoir droit à l’allocation des frais et dépens en vertu de l’article 41 de la Convention, la partie lésée doit les avoir réellement « engagés » ou « supportés ». Pour être remboursés, les frais doivent se rapporter à la violation ou aux violations constatées et être d’un montant raisonnable. En particulier, l’article 60 § 2 du règlement de la Cour prévoit que toute prétention présentée au titre de l’article 41 de la Convention doit être chiffrée, ventilée par rubrique et accompagnée des justificatifs nécessaires, faute de quoi la Cour peut rejeter la demande, en tout ou en partie (voir Lavents, précité, § 154).

73. Dans la présente affaire, la Cour constate que le seul document fourni par le requérant à l’appui de ses prétentions est un contrat d’assistance juridique, lequel ne précise ni la nature exacte des services effectivement rendus par les deux avocats, ni le coût de chacun de leurs services pris isolément. En toute hypothèse, le montant global réclamé par le requérant au titre des frais et des dépens est quelque peu excessif. D’autre part, la Cour ne conteste pas que l’affaire revêtait une certaine complexité qui n’était pas sans incidence sur les frais de préparation de la requête. Dans ces conditions, la Cour, statuant en équité comme le veut l’article 41, décide d’allouer au requérant 2 000 EUR, tous frais confondus. Cette somme est à compléter de tout montant éventuellement dû au titre de la taxe sur la valeur ajoutée (voir Lavents, précité, loc.cit.).

C. Intérêts moratoires

74. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À l’UNANIMITÉ,

1. Rejette l’exception du Gouvernement ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention ;

4. Dit que le constat d’une violation fournit en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par le requérant ;

5. Dit

a) que lÉtat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 2 000 EUR (deux mille euros) pour frais et dépens, à convertir en lati lettons au taux applicable à la date du versement, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

6. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 15 juin 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Søren Nielsen Christos Rozakis
Greffier Président