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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
15.6.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE ABĂLUŢĂ c. ROUMANIE

(Requête no 77195/01)

ARRÊT

STRASBOURG

15 juin 2006

DÉFINITIF

15/09/2006

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Abăluţă c. Roumanie,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

MM. B.M. Zupančič, président,
L. Caflisch,
C. Bîrsan,
V. Zagrebelsky,
Mme A. Gyulumyan,
MM. E. Myjer,
David Thór Björgvinsson, juges,
et de M. V. Berger, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 23 mai 2006,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 77195/01) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Constantin Abăluţă (« le requérant »), a saisi la Cour le 20 octobre 2000 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant est représenté par Me E. Crângariu, avocate à Bucarest. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme B. Rămăşcanu.

3. Le requérant se plaignait en particulier, sous l’angle de l’article 6 de la Convention, de la non-exécution par l’administration d’une décision judiciaire définitive ordonnant sa mise en possession d’un terrain. Il y voyait également, de ce fait, une atteinte à son droit au respect de ses biens, tel que protégé par l’article 1 du Protocole no 1.

4. La requête a été attribuée à la deuxième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d’examiner l’affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l’article 26 § 1 du règlement.

5. Le 1er novembre 2004, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la troisième section ainsi remaniée (article 52 § 1).

6. Par une décision du 31 mars 2005, la Cour a déclaré la requête partiellement recevable.

7. Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l’affaire (article 59 § 1 du règlement).

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

8. Le requérant est né en 1938 et réside à Bucarest.

9. Le 2 avril 1984, la mère du requérant conclut avec la Coopérative agricole de Snagov un contrat d’échange de terrains portant conformément aux dispositions de la loi nº 59/1974, sur le fond foncier. En application du contrat, la mère du requérant entra en possession d’un terrain de 4 000 m² situé sur la rive du lac Snagov.

10. A une date non précisée, en 1986, l’Etat s’appropria ce terrain.

11. Par une décision administrative du 26 octobre 1995, la commission près la préfecture de Bucarest pour l’application de la loi no 18/1991 (« la commission départementale » et « la loi nº 18 ») ordonna à la commission locale de Snagov pour l’application de la loi nº 18 la commission locale ») de restituer au requérant le terrain ayant appartenu à sa mère et de le mettre en possession sur le même emplacement que celui déterminé dans le certificat d’héritier nº 1249 du 16 juin 1993, à savoir le terrain de 4 000 m² situé sur la rive du lac Snagov qui avait fait l’objet du contrat d’échange du 2 avril 1984.

1. Action en contentieux administratif en vue de faire exécuter la décision du 26 octobre 1995

12. A la suite du refus de la commission locale d’exécuter cette décision, le requérant l’assigna devant le tribunal départemental de Bucarest. Par un jugement du 25 septembre 1997, devenu définitif le 22 décembre 1997, le tribunal fit droit à son action et condamna la commission locale à mettre le requérant en possession du terrain conformément aux dispositions de la décision du 26 octobre 1995 et à lui délivrer le procès-verbal de mise en possession.

13. Le 3 octobre 1997, la commission départementale délivra au nom du requérant un titre de propriété sur un autre terrain que celui indiqué dans le jugement précité en date du 25 septembre 1997, situé sur l’emplacement détenu par la mère du requérant avant la conclusion du contrat d’échange de 1984. Le requérant refusa d’accepter ce titre et ne prit jamais possession de ce terrain.

14. Par des procès-verbaux des 1er août 1995, 26 mars 1998 et 19 juin 1998, la commission locale attribua à d’autres personnes le terrain litigieux de 4 000 m² situé sur la rive du lac Snagov.

2. Action en contentieux administratif en vue de faire exécuter le jugement du 25 septembre 1997

15. Le 19 octobre 1998, le requérant assigna la commission locale devant le tribunal départemental de Bucarest, afin de la contraindre à le mettre en possession de son terrain, comme prévu par le jugement du 25 septembre 1997.

16. Par un jugement du 17 juin 1999, le tribunal départemental fit droit à l’action du requérant, au motif qu’en le mettant en possession sur un autre emplacement, la commission locale avait méconnu le jugement du 25 septembre 1997 qui demeurait, en conséquence, non-exécuté. Il condamna la commission locale à verser au requérant des astreintes d’un montant de 100 000 lei roumains (ROL) par jour de retard dans l’exécution du jugement et infligea aussi une amende au maire de Snagov, en sa qualité de président de la commission locale, d’un montant de 500 ROL par jour de retard dans l’exécution du même jugement à partir du 22 décembre 1997 et jusqu’à l’exécution effective.

17. La commission locale forma un recours contre ce jugement, au motif que le terrain attribué au requérant le 3 octobre 1997 correspondait aux enregistrements fonciers de sa mère. Elle versa au dossier des documents certifiant la mise en possession des tiers sur le terrain en cause.

18. Par un arrêt définitif du 20 avril 2000, la cour d’appel de Bucarest fit droit au recours de la commission locale, au motif que des tiers avaient été mis en possession sur le même emplacement que celui octroyé au requérant le 25 septembre 1997. Jugeant qu’elle n’était pas compétente pour se prononcer sur la validité des titres en cause, la cour d’appel invita le requérant à former une action en revendication contre les tiers. Dans son arrêt, la cour d’appel ne fit pas référence aux motifs ayant amené la commission départementale à offrir au requérant un autre terrain que celui identifié par le jugement du 25 septembre 1997.

19. Le 15 février 2005, le requérant forma une nouvelle demande auprès de la mairie de Snagov pour qu’un titre de propriété lui soit délivré conformément au jugement du 25 septembre 1997 et pour être mis en possession du terrain de 4 000 m² situé sur la rive du lac Snagov. Par une lettre du 21 avril 2005, la mairie informa le requérant qu’un titre de propriété lui avait été offert pour le terrain qui avait appartenu à sa mère avant la conclusion du contrat d’échange du 2 avril 1984 et qu’il l’avait refusé, et qu’en tout état de cause, des titres de propriété avaient été délivrés aux tiers sur le terrain demandé.

20. Dans ses observations complémentaires du 14 juillet 2005, le Gouvernement a informé la Cour que les autorités locales étudient la possibilité d’entamer des procédures en annulation des titres de propriété délivrés aux tiers sur le terrain de 4 000 m² situé sur la rive du lac Snagov.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

21. La législation interne pertinente, à savoir des extraits des lois nos 18/1991 sur le fond foncier, 169/1997 portant modification de la loi nº 18/1991 et 29/1990 sur le contentieux administratif, est décrite dans l’affaire Sabin Popescu c. Roumanie (nº 48102/99, §§ 42-46, 2 mars 2004).

22. La décision du gouvernement no 131/1991, publiée au Moniteur Officiel no 43 du 4 mars 1991, est ainsi libellée dans sa partie pertinente :

Article 34

« § 1 (...) la commission départementale, après la validation des propositions faites par la commission locale, dresse les titres de propriété (...) »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

23. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant allègue que le refus des autorités compétentes de se conformer au jugement du 25 septembre 1997 du tribunal de première instance de Bucarest a méconnu son droit d’accès à un tribunal. L’article 6 § 1 de la Convention se lit ainsi dans sa partie pertinente :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

24. Selon le Gouvernement, le contrat d’échange conclu le 2 avril 1984 entre la mère du requérant et la Coopérative agricole de Snagov n’a pas été finalisé et n’a pas produit d’effets.

25. Le Gouvernement admet que le terrain attribué par les autorités en possession au requérant ne correspondait pas à l’emplacement fixé par le jugement du 25 septembre 1997. Toutefois, il fait valoir que la nonexécution du jugement précité n’est pas imputable aux autorités, mais résulte d’une impossibilité objective d’exécution due au manque de diligence du requérant pour demander l’annulation des titres de propriété délivrés aux tiers.

26. Le Gouvernement considère que le requérant aurait pu demander l’exécution forcée du jugement en cause et introduire des actions devant les juridictions nationales, soit pour obtenir l’exécution par équivalent, soit pour voir condamner les autorités administratives au versement d’astreintes ou d’une amende civile.

27. Dans ses observations complémentaires (postérieures au 31 mars 2005, date à laquelle la chambre a déclaré la requête partiellement recevable), le Gouvernement a informé la Cour que les autorités locales étudient la possibilité d’entamer des procédures en annulation des titres de propriété délivrés aux tiers sur le terrain de 4 000 m² situé sur la rive du lac Snagov afin de faire analyser les droits de propriété concurrents et qu’un projet de loi avait été élaboré afin de permettre aux commissions d’application de la loi no 18/1991 de révoquer elles-mêmes les titres de propriétés délivrés abusivement, à condition que lesdits titres ne soient pas encore entrés dans le « circuit civil ».

28. Le requérant combat la thèse du Gouvernement. Il estime que la nonexécution du jugement du 25 septembre 1997 est imputable exclusivement aux autorités et que les actions qu’il aurait dû introduire afin de voir exécuter la décision constituaient une charge excessive, contraire à l’article 6 § 1 de la Convention.

29. En réponse aux observations complémentaires du Gouvernement, le requérant fait valoir que le contrat d’échange du 2 avril 1984 a été considéré comme valide par les deux parties, l’Etat s’étant comporté en propriétaire de l’ancien terrain appartenant à sa mère en détruisant la maison ainsi que les vergers et vignobles qui s’y trouvaient.

30. En outre, le requérant considère que l’impossibilité objective invoquée par le Gouvernement est due aux propres faits de ce dernier, plus particulièrement à la délivrance illégale de titres de propriété à des tiers pendant et après la fin de la procédure qui a donné lieu au jugement du 25 septembre 1997. Or, personne ne peut se prévaloir de sa propre turpitude pour ne pas respecter des décisions définitives. Si tel était le cas, les Etats pourraient toujours créer des situations « d’impossibilité objective » et priver de toute force obligatoire les jugements revêtus de l’autorité de la chose jugée.

31. Le requérant fait valoir également qu’il a utilisé les moyens existant à l’époque des faits, à savoir l’action en contentieux administratif, pour contraindre les autorités à le mettre en possession du terrain. Par ailleurs, il note que la possibilité d’obtenir une réparation par équivalence dans le cadre d’une exécution forcée a été introduite dans la législation interne par l’ordonnance du Gouvernement no 138/2000 entrée en vigueur le 2 janvier 2001 ; or, à cette date, son droit prévu par le jugement du 25 septembre 1997 était déjà prescrit.

32. La Cour rappelle que le droit à un tribunal garanti par l’article 6 de la Convention protège également la mise en œuvre des décisions judiciaires définitives et obligatoires qui, dans un Etat qui respecte la prééminence du droit, ne peuvent rester inopérantes au détriment d’une partie (voir, entre autres, Hornsby c. Grèce, arrêt du 19 mars 1997, Recueil 1997II, pp. 510-511, § 40, Burdov c. Russie, no 59498/00, § 34, 7 mai 2002, et Ruianu c. Roumanie, no 34647/97, 17 juin 2003).

33. De surcroît, la Cour a considéré que, si l’on peut admettre que les Etats interviennent dans une procédure d’exécution d’une décision de justice, pareille intervention ne peut avoir comme conséquence d’empêcher, d’invalider ou encore de retarder de manière excessive l’exécution, ni, encore moins, de remettre en question le fond de cette décision (voir Immobiliare Saffi c. Italie, 28 juillet 1999, Recueil 1999-V §§ 63 et 66, et Satka et autres c. Grèce, no 55828/00, § 57, 27 mars 2003).

34. La Cour remarque qu’en l’espèce, il n’est pas contesté que le jugement du 25 septembre 1997 condamnant la commission locale à mettre le requérant en possession du terrain de 4 000 m² situé sur la rive du lac Snagov, n’a été ni exécuté tel quel, ni annulé ou modifié à la suite de l’exercice d’une voie de recours prévue par la loi interne. La commission locale avait seule compétence pour mettre le requérant en possession de son terrain conformément au jugement précité.

35. Dès lors, la Cour considère que le requérant a subi une restriction dans son droit à l’exécution d’une décision de justice. Il reste à déterminer si cette restriction est compatible avec l’article 6 de la Convention.

36. A cet égard, la Cour note que la commission locale a refusé de se conformer aux termes du jugement du 25 septembre 1997 et qu’elle a délivré au requérant un titre de propriété sur un autre terrain que celui indiqué dans ledit jugement. Or, l’octroi d’un terrain différent par rapport à celui indiqué dans le jugement du 25 septembre 1997 n’a été motivé par aucune décision administrative formelle.

37. Par la suite, la cour d’appel de Bucarest, dans son arrêt du 20 avril 2000, a considéré que, la commission locale n’était pas tenue d’exécuter le jugement en cause, en retenant que la délivrance des titres de propriété à des tiers exonérait la commission de son obligation imposée par le jugement du 25 septembre 1997. La cour d’appel n’a pourtant fait référence ni aux motifs qui ont justifié l’octroi d’un autre terrain que celui indiqué dans le jugement du 25 septembre 1997, ni à la base légale qui aurait permis un tel écart (paragraphe 17 cidessus). Or, cette motivation sommaire de la part d’une juridiction qui se bornait à constater l’existence des titres délivrés aux tiers ne peut constituer une « impossibilité objective » qui pourrait exonérer la commission locale de l’obligation prévue par le jugement définitif précité.

38. En outre, une fois qu’une décision interne définitive est rendue par les juridictions nationales, elle doit être mise en œuvre avec une clarté et une cohérence raisonnables par les autorités publiques afin d’éviter autant que possible l’insécurité juridique et l’incertitude pour les sujets de droit concernés par son application (voir, mutatis mutandis, Păduraru c. Roumanie, no 63252/00, § 92, CEDH 2005...).

39. En tout état de cause, il n’est pas opportun de demander à un individu qui a obtenu une créance contre l’Etat à l’issue d’une procédure judiciaire de devoir par la suite engager une procédure d’exécution forcée afin d’obtenir satisfaction (Metaxas c. Grèce, no 8415/02, § 19, 27 mai 2004). Il convient de rappeler que l’obligation pour le requérant d’introduire des actions en annulation des titres de propriété des tiers est excessive et que l’obligation d’agir pèse sur les autorités (Sabin Popescu c. Roumanie, no 48102/99, §§ 58-60, 2 mars 2004).

40. Or, en l’espèce, la commission locale a délivré des titres de propriété à des tiers sur le terrain de 4 000 m² situé sur la rive du lac de Snagov, sans faire diligence pour déterminer la situation juridique de ce terrain. Par ailleurs, la Cour ne peut s’empêcher d’observer que deux des titres de propriété délivrés aux tiers sur le terrain litigieux ont été dressés après que la commission locale eut été condamnée par le jugement du 25 septembre 1997 à mettre le requérant en possession du même terrain (paragraphe 13 cidessus). Néanmoins, la Cour note que dans ses observations complémentaires, le Gouvernement a indiqué qu’à présent, les autorités administratives étudient la possibilité d’entamer des procédures judiciaires en annulation des titres de propriété délivrés aux tiers.

41. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que, dans la présente affaire, en refusant d’exécuter le jugement du 25 septembre 1997 ordonnant la mise en possession du requérant d’un terrain identifié et en s’abstenant à lui avancer une justification valable pour cette abstention ou pour l’écart par rapport au jugement, les autorités nationales l’ont privé d’un accès effectif à un tribunal.

42. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1

43. Le requérant se plaint de ce que la non-exécution du jugement du 25 septembre 1997 a méconnu son droit au respect de ses biens. Il invoque l’article 1 du Protocole nº 1, qui est ainsi libellé :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

44. Le Gouvernement conteste cette allégation. Il considère que le requérant se prévalait d’un contrat d’échange dont la validité n’a pas été confirmée.

45. Selon le Gouvernement, le jugement du 25 septembre 1997, rendu à la suite d’une action en contentieux administratif tendant à contraindre les autorités à mettre le requérant en possession d’un terrain, n’a fait naître dans le patrimoine de ce dernier ni un droit de propriété ni une créance certaine portant sur le terrain litigieux. Seule une action fondée sur les dispositions de la loi nº 18 aurait constitué un recours qui aurait pu permettre au requérant de voir reconstituer son droit de propriété sur le terrain. En outre, le Gouvernement considère que, pour la même raison, le requérant n’était titulaire ni d’une créance ni d’une espérance légitime de voir reconstituer son droit de propriété sur le terrain, d’autant plus que la mise en possession constituait, selon la loi, une étape antérieure à la reconstitution du droit de propriété sur un terrain et peut faire l’objet de contestations en justice.

46. La décision du 25 septembre 1997 n’a condamné la commission locale qu’à mettre le requérant en possession d’un terrain et à lui délivrer le procès-verbal de mise en possession. Le requérant ne pourrait donc prétendre n’avoir qu’une « espérance légitime » d’être mis en possession sur le terrain qu’il utiliserait à titre de possesseur et non pas de propriétaire.

47. En outre, l’éventuelle ingérence dans le droit du requérant de se voir mettre en possession du terrain en cause et résultant de la non-exécution du jugement du 25 septembre 1997 n’est pas imputable aux autorités mais au requérant qui, selon le Gouvernement, n’a pas engagé de procédure afin de demander l’annulation des titres de propriété des tiers. En tout état de cause, l’éventuelle ingérence était prévue par la loi, poursuivait un but légitime, à savoir la protection des droits d’autrui, en vertu du principe de la sécurité des rapports juridiques, et était proportionnée au but poursuivi. Par ailleurs, le requérant aurait pu demander l’exécution par équivalence du jugement du 25 septembre 1997.

48. Dans ses observations complémentaires, le Gouvernement met l’accent sur le fait que le requérant ne peut pas prétendre avoir un droit de propriété sur le terrain en litige, dans la mesure où il n’a pas parcouru toutes les étapes prévues par la loi no 18 pour la reconstitution du droit de propriété. Ainsi, la décision d’une commission départementale validant ou invalidant les propositions des commissions locales, n’est pas constitutive du droit de propriété, dans la mesure où elle ne représente pas le point final de la procédure de reconstitution de ce droit. Pour que le requérant puisse se prévaloir d’un droit de propriété, il aurait fallu que la commission locale le mette en possession du terrain et que la commission départementale dresse un titre de propriété en sa faveur. Or, en l’espèce, la commission locale n’a pas mis le requérant en possession du terrain litigieux. En outre, à la différence des affaires Dragne et Croitoru c. Roumanie où les commissions locale et départementale ont été condamnées à mettre les requérants en possession d’un terrain et à leur délivrer des titres de propriété, dans la présente affaire, le jugement du 25 septembre 1997 se limitait à condamner la commission locale à mettre le requérant en possession du terrain.

49. Le Gouvernement tient à souligner que l’arrêt du 20 avril 2000 de la cour d’appel de Bucarest a informé le requérant des circonstances qui empêchaient la commission locale de le mettre en possession du terrain demandé, à savoir la délivrance de titres de propriété à des tiers, faisant ainsi en sorte que la non-exécution du jugement du 25 septembre 1997 s’analyse en une « limitation compatible » avec le droit à un procès équitable (Sabin Popescu, précité, § 76).

50. Le requérant souligne que le Gouvernement remet en question le bienfondé du jugement du 25 septembre 1997 rendu à la suite d’une action en contentieux administratif et revêtu de l’autorité de la chose jugée. L’impossibilité objective d’exécuter le jugement précité est, selon le requérant, imputable aux autorités qui ont délivré des titres de propriété illégaux à des tiers, après que ce jugement est devenu définitif.

51. Le requérant fait valoir que l’ingérence dans son droit de propriété n’était pas prévue par la loi et qu’en tout état de cause, elle n’était aucunement proportionnée au but poursuivi. Il considère que la voie de l’exécution forcée du jugement était inefficace.

52. En réponse aux observations complémentaires du Gouvernement, le requérant soutient qu’il a un droit de propriété sur le terrain en litige, en vertu du contrat d’échange du 2 avril 1984 et de la décision de la commission départementale du 26 octobre 1995. Selon lui, la procédure de reconstitution du droit de propriété, telle qu’en vigueur au moment où la décision du 26 octobre 1995 a été rendue, prévoyait, comme étapes la validation du droit par la commission départementale, la délivrance du titre de propriété et la mise en possession par la commission locale.

53. La Cour rappelle que pour déterminer si le requérant disposait d’un « bien » aux fins de l’article 1 du Protocole no 1, elle doit rechercher si le jugement du 25 septembre 1997 avait fait naître dans son chef une créance suffisamment établie pour être exigible (voir Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis c. Grèce, arrêt du 9 décembre 1994, série A no 301B, p. 84, § 59).

54. D’après l’article 1 du Protocole no 1 tel qu’interprété par la jurisprudence de la Cour, la notion de « bien » peut recouvrir tant des « biens actuels » que des valeurs patrimoniales, y compris des créances, en vertu desquelles le requérant peut prétendre avoir au moins une « espérance légitime » d’obtenir la jouissance effective d’un droit de propriété (Kopecky c. Slovaquie [GC], no 44912/98, § 35, 28 septembre 2004). La Cour a déjà affirmé qu’une créance peut être considérée comme une « valeur patrimoniale » dès lors qu’elle a une base suffisante en droit interne, par exemple lorsqu’elle est confirmée par une jurisprudence bien établie des tribunaux (Kopecky, précité, § 48). En outre, peut également revêtir une certaine pertinence à cet égard la question de savoir si, dans le contexte de la procédure incriminée, le requérant pouvait prétendre avoir une « espérance légitime » d’obtenir la jouissance effective de son bien (Kopecky, précité, § 42).

55. La Cour constate qu’en l’espèce le jugement définitif du 25 septembre 1997 a créé au bénéfice du requérant « l’espérance légitime » de se voir effectivement mis en possession du terrain identifié par la décision administrative du 26 octobre 1995 et d’obtenir, par la suite, le titre administratif de propriété. Dans ces conditions, sa créance est suffisamment établie pour constituer une « valeur patrimoniale » qui entraîne l’application des garanties de l’article 1 du Protocole no 1.

56. Cependant, le jugement du 25 septembre 1997 n’a pas été exécuté conformément à son dispositif et sa non-exécution est imputable exclusivement aux autorités administratives compétentes. Il s’ensuit que l’impossibilité pour le requérant d’obtenir l’exécution de ce jugement s’analyse en une ingérence dans son droit au respect de ses biens, qui relève de la première phrase du premier alinéa de l’article 1 précité (Sabin Popescu, précité, § 80).

57. En refusant d’exécuter conformément à son dispositif ce jugement, les autorités nationales ont privé le requérant de la jouissance de son droit de propriété sur le terrain litigieux sans lui fournir de justification.

58. La Cour réitère cependant qu’il n’est pas contesté que le requérant s’est vu offrir un autre terrain que celui prévu dans le dispositif du jugement et qu’il le refuse toujours, même si les autorités lui ont délivré un titre administratif de propriété sur ce terrain. Par ailleurs, les parties sont en désaccord sur la question de savoir si le terrain offert au requérant est d’une valeur équivalente à celui auquel il avait droit en vertu du jugement du 27 septembre 1997 (voir, a contrario, Sabin Popescu, précité, § 82).

59. La Cour considère que l’attribution en propriété d’un autre terrain, n’est pas de nature à pallier l’absence de justification de l’ingérence (Sabin Popescu, précité, § 84) et ne constitue pas non plus un acte de nature à enlever la qualité de victime au requérant puisqu’« une décision ou une mesure favorable au requérant ne suffit en principe à lui retirer la qualité de « victime » que si les autorités nationales ont reconnu, explicitement ou en substance, puis réparé, la violation de la Convention » (Dalban v. Romania [GC], no 28114/95, § 44, ECHR 1999VI). Or, en l’espèce, la violation n’a jamais été reconnue. Par ailleurs, la Cour rappelle que les autorités nationales étudient la possibilité d’entamer des procédures civiles en annulation des titres délivrés aux tiers, afin d’établir la situation juridique du terrain litigieux.

60. Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

61. Aux termes de larticle 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

62. Le requérant sollicite, au titre du préjudice matériel, soit la mise en possession de la partie libre du terrain litigieux (à savoir 3 000 m²) et le versement de 149 945 euros (EUR) représentant la contrevaleur de la partie du terrain qui ne peut pas être restituée en nature, soit le versement de 194 158 EUR représentant la valeur de l’intégralité du terrain selon une expertise qu’il a fait pratiquer. Il demande également la somme de 1 560 EUR représentant la valeur d’une maison que ses parents ont construite sur le terrain en cause pendant la période où ils en avaient la possession. Il estime également que la nationalisation du terrain et le déroulement des procédures ont eu des conséquences sur sa carrière, ce qui lui a causé un préjudice matériel de 20 000 EUR.

Le requérant réclame également 30 000 EUR au titre du préjudice moral qu’il estime lié au préjudice matériel.

63. Le Gouvernement considère que la demande au titre du préjudice matériel est disproportionnée, dans la mesure où le requérant est titulaire d’un droit de propriété sur un autre terrain de même superficie et situé à Snagov. Il fait valoir que le terrain offert au requérant par la commission départementale correspond à celui qui avait appartenu à ses parents avant la conclusion du contrat d’échange du 2 avril 1984 et qu’il est situé également dans la commune de Snagov. Par ailleurs, le Gouvernement soutient que la valeur du terrain revendiqué (entre 15 et 25 EUR le m²) par le requérant est moindre que celle du terrain offert par la commission locale (entre 20 et 25 EUR le m²).

64. Le Gouvernement admet que la restitutio in integrum est la meilleure modalité pour réparer un préjudice. Toutefois, la prémisse pour pouvoir procéder à la restitution est l’existence d’un droit de propriété dans le chef du requérant, suivie d’une privation de propriété injustifiée. Or, selon le Gouvernement, dans le cas d’espèce et à la différence des affaires Croitoru et Dragne précitées, le requérant n’a pas de « bien » au sens de la Convention (paragraphe 49 ci-dessus).

65. De plus, le Gouvernement tient à préciser que la restitutio in integrum n’est pas la seule modalité de réparation d’un éventuel préjudice, le versement d’une indemnité pouvant parfois être envisagé.

66. Quant au préjudice moral invoqué par le requérant, le Gouvernement considère qu’il serait suffisamment compensé par le simple constat de violation des articles 6 de la Convention et 1 du Protocole no 1.

67. La Cour rappelle qu’un arrêt constatant une violation entraîne pour l’Etat défendeur l’obligation juridique au regard de la Convention de mettre un terme à la violation et d’en effacer les conséquences. Si le droit interne ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, l’article 41 de la Convention confère à la Cour le pouvoir d’accorder une réparation à la partie lésée par l’acte ou l’omission à propos desquels une violation de la Convention a été constatée. Dans l’exercice de ce pouvoir, elle dispose d’une certaine latitude ; l’adjectif « équitable » et le membre de phrase « s’il y a lieu » en témoignent.

68. Parmi les éléments pris en considération par la Cour, lorsqu’elle statue en la matière, figurent le dommage matériel, c’est-à-dire les pertes effectivement subies en conséquence directe de la violation alléguée, et le dommage moral, c’est-à-dire la réparation de l’état d’angoisse, des désagréments et des incertitudes résultant de cette violation, ainsi que d’autres dommages non matériels (voir, parmi d’autres, Ernestina Zullo c. Italie, no 64897/01, § 25, 10 novembre 2004).

69. La Cour note que la commission départementale a dressé un titre de propriété en faveur du requérant pour un autre terrain. Toutefois, les parties sont en désaccord quant à la valeur de ce terrain par rapport à la valeur du terrain de 4000 m² situé sur la rive du lac Snagov. Dès lors, la Cour ne peut, dans le cas d’espèce, considérer que le requérant s’est vu octroyer un bien équivalent à celui auquel il avait droit et qu’ainsi son préjudice se trouve réparé (voir, a contrario, Sabin Popescu, précité, § 91).

70. La Cour estime, dans les circonstances de l’espèce, que la mise en possession du requérant du bien litigieux, telle qu’ordonnée par le jugement du 25 septembre 1997 du tribunal départemental de Bucarest, le placerait autant que possible dans une situation équivalant à celle où il se trouverait si les exigences des articles 6 § 1 de la Convention et 1 du Protocole no 1 n’avaient pas été méconnues.

71. A défaut pour l’Etat défendeur de procéder à pareille restitution dans un délai de trois mois à compter du jour où le présent arrêt sera devenu définitif, la Cour décide qu’il devra verser à l’intéressé, pour dommage matériel, une somme correspondant à la valeur actuelle du bien, à savoir 120 000 EUR.

72. De plus, la Cour estime que le requérant a subi un préjudice moral du fait notamment de la frustration provoquée par l’impossibilité de voir exécuter la décision rendue en sa faveur et que ce préjudice n’est pas suffisamment compensé par un constat de violation.

73. Dans ces circonstances, eu égard à l’ensemble des éléments se trouvant en sa possession et statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, la Cour alloue au requérant 4 000 EUR au titre du préjudice moral.

B. Frais et dépens

74. Le requérant demande également 2 000 EUR pour les frais et dépens encourus devant les juridictions internes et devant la Cour. Il fournit comme justificatifs des copies des reçus attestant le versement des honoraires d’avocat d’un montant de 5 300 000 lei roumains (ROL) et ceux de l’expertise réalisée pour évaluer la valeur du terrain d’un montant de 15 000 000 ROL.

75. Le Gouvernement ne s’oppose pas au remboursement des frais et dépens liés aux procédures devant les juridictions internes et devant la Cour pour autant qu’ils soient justifiés, réels, nécessaires et raisonnables.

76. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des éléments en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour estime raisonnable la somme de 640 EUR au titre des frais et dépens de la procédure nationale et de ceux devant la Cour, et l’accorde au requérant.

C. Intérêts moratoires

77. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 ;

3. Dit

a) que l’État défendeur doit exécuter le jugement du 25 septembre 1997 du tribunal de première instance de Bucarest, dans les trois mois à compter du jour où le présent arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention ; qu’à défaut, lÉtat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 120 000 EUR (cent vingt mille euros) ; qu’en tout état de cause, l’Etat défendeur doit verser au requérant 4 000 EUR (quatre mille euros) pour préjudice moral et 640 EUR (six cent quarante euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, à convertir en lei roumains au taux applicable à la date du règlement ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 15 juin 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Vincent Berger Boštjan M. Zupančič
Greffier Président