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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
15.6.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE PÂNTEA c. ROUMANIE

(Requête no 5050/02)

ARRÊT

STRASBOURG

15 juin 2006

DÉFINITIF

15/09/2006

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Pântea c. Roumanie,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

MM. B.M. Zupančič, président,
J. Hedigan,
L. Caflisch,
C. Bîrsan,
V. Zagrebelsky,
E. Myjer,
David Thór Björgvinsson, juges,
et de M. V. Berger, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 23 mai 2006,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 5050/02) dirigée contre la Roumanie et dont une ressortissante de cet Etat, Mme Elisabeta Pântea (« la requérante »), a saisi la Cour le 20 octobre 2001 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. La requérante, qui a été admise au bénéfice de l’assistance judiciaire, est représentée par Me N. Popescu, avocate à Bucarest. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme B. Rămăşcanu.

3. La requérante se plaignait, sous l’angle de l’article 6 de la Convention, de la nonexécution par l’administration d’une décision judiciaire définitive ordonnant l’inscription sur le registre agricole de son droit de propriété sur un immeuble et la radiation du droit de propriété de P.C.

4. La requête a été attribuée à la deuxième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d’examiner l’affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l’article 26 § 1 du règlement.

5. Le 1er novembre 2004, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la troisième section ainsi remaniée (article 52 § 1).

6. Par une décision du 1er septembre 2005, la Cour a déclaré la requête partiellement recevable.

7. Tant la requérante que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l’affaire (article 59 § 1 du règlement).

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

8. La requérante est née en 1962 et réside à Bârlad.

9. En 1982, la requérante acheta un immeuble situé à Griviţa par contrat sous seing privé. Dès ce moment, elle commença à payer les taxes foncières afférentes, mais elle n’entra pas en possession de l’immeuble, qui était habité par P.C., son beau-frère.

10. Le 24 janvier 1990, P.V., mandaté par P.C., acheta pour P.C. et au nom de celui-ci le même immeuble par un contrat de vente devant notaire et fit inscrire le droit de propriété de P.C. sur le registre agricole.

11. Par un jugement du 31 mars 1998, le tribunal de première instance de Bârlad fit droit à la demande de la requérante et confirma le contrat de 1982. Ce jugement fut confirmé par un arrêt définitif du 16 juillet 1999 de la cour d’appel d’Iaşi. Le jugement précité, revêtu de la formule exécutoire le 29 novembre 1999, remplaça le contrat d’achat notarié.

12. Par un arrêt définitif du 15 novembre 2000, la cour d’appel d’Iaşi fit droit à l’action de la requérante contre P.C. et P.V. en annulation du contrat de vente du 24 janvier 1990, en se fondant sur le jugement du 31 mars 1998 qui constatait son droit de propriété sur l’immeuble.

1. Démarches de la requérante pour faire inscrire son droit de propriété sur le registre agricole avant le 29 novembre 1999

13. Les 16 février et 20 mars 1998 et le 18 novembre 1999, la requérante demanda au conseil local de Griviţa d’inscrire sur le registre agricole son droit de propriété sur l’immeuble et d’annuler, par conséquent, l’inscription en faveur de P.C., au motif que, dès l’achat, en 1982, elle s’était manifestée comme propriétaire, en payant toutes les taxes foncières concernant l’immeuble, bien qu’elle n’en fût pas encore entrée en possession.

14. La mairie de Griviţa (« la mairie ») rejeta toutes ses demandes, au motif qu’elle n’avait pas prouvé l’annulation par une juridiction du contrat de vente de l’immeuble à P.C.

15. Par un jugement du 28 septembre 1998, le tribunal départemental de Vaslui rejeta une première action en contentieux administratif formée par la requérante en vue de condamner la mairie à inscrire son droit de propriété sur le registre agricole et d’annuler l’inscription de P.C. sur le même immeuble, au motif qu’elle n’avait pas prouvé son droit de propriété sur l’immeuble.

2. Démarches de la requérante pour faire inscrire son droit de propriété après le 29 novembre 1999

16. Par un jugement du 19 décembre 2000, le tribunal départemental de Vaslui fit droit à la demande de la requérante et condamna la mairie à faire inscrire son droit de propriété sur le registre agricole ainsi qu’à annuler l’inscription du nom de P.C. Il retint que la requérante avait prouvé son droit de propriété par le jugement définitif du 31 mars 1998, ainsi que par l’arrêt définitif du 15 novembre 2000 annulant le contrat de vente de P.C. Le tribunal rejeta comme non étayée la demande de dommages-intérêts de la requérante.

17. Ce jugement devint définitif, sur recours des parties, à la suite d’un arrêt de la cour d’appel d’Iaşi du 2 avril 2001.

18. Le 28 juin 2001, la requérante envoya une nouvelle lettre à la mairie en exigeant l’inscription de son droit de propriété sur l’immeuble, comme ordonné par le jugement du 19 décembre 2000.

19. Faute de réponse, le 18 avril 2002, la requérante adressa une nouvelle demande à la mairie. Le 27 mai 2002, la mairie informa la requérante de l’inscription de son droit de propriété sur le registre agricole. Toutefois, elle signala que P.C. restait également inscrit sur le registre agricole en sa qualité de personne qui habitait effectivement l’immeuble et que la requérante devait demander son expulsion afin de pouvoir demander la radiation de son nom.

20. Par une lettre du 19 mars 2003, la requérante informa la Cour que le jugement du 19 décembre 2000 demeurait inexécuté dans sa partie concernant la radiation du nom de P.C. du registre agricole.

3. Autres démarches de la requérante pour faire exécuter le jugement du 19 décembre 2000

21. Par un jugement du 22 août 2003, le tribunal départemental de Vaslui fit droit à l’action de la requérante contre le maire et le conseil local de Griviţa tendant à condamner ces derniers à délivrer à la requérante une copie du registre agricole concernant l’inscription de son droit de propriété tel qu’ordonné par le jugement du 19 décembre 2000. Ce jugement fut confirmé, sur recours de la requérante, par un arrêt définitif de la cour d’appel d’Iaşi du 10 novembre 2003.

22. Par un jugement du 4 mai 2004, le tribunal départemental de Vaslui fit droit à l’action de la requérante contre le maire et le conseil local de Griviţa tendant à condamner ces derniers à exécuter le jugement définitif du 22 août 2003 précité et condamna les autorités locales au versement d’une astreinte pour le retard dans l’exécution ainsi qu’à des dommages-intérêts à la requérante. Ce jugement fut confirmé, sur recours de la requérante, par un arrêt définitif de la cour d’appel d’Iaşi du 13 septembre 2004.

23. Le 7 février 2005, la requérante adressa une notification à la mairie de Griviţa en vue de l’exécution du jugement du 4 mai 2004 du tribunal départemental de Vaslui, tel que confirmé par l’arrêt de la cour d’appel d’Iaşi du 13 septembre 2004.

24. Par un jugement avant dire droit du 16 novembre 2005 rendu en chambre du conseil, le tribunal de première instance de Bârlad, saisi par la requérante pour ordonner la saisie des comptes du débiteur, rejeta la demande, au motif que la requérante aurait dû mandater un huissier de justice et non pas saisir le tribunal.

4. Action de la requérante en revendication contre P.C.

25. Par un jugement du 23 octobre 2003, le tribunal de première instance de Bârlad fit droit à l’action de la requérante contre P.C. et P.V. en revendication de l’immeuble litigieux. L’appel de P.C. fut rejeté par un arrêt du 25 février 2004. Il ressort des pièces du dossier que cette action est encore pendante en recours devant les juridictions nationales.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

1. L’ordonnance du gouvernement no 1 du 13 mars 1992 sur le registre agricole

Article 1

« Le registre agricole est organisé et mis à jour par les conseils locaux des villages, des villes et des arrondissements de la municipalité de Bucarest afin d’assurer le recensement (evidenţa primară unitară) des terrains (...), le développement de l’agriculture et l’usage approprié des ressources locales. »

Article 2

« Le registre agricole est le document officiel de recensement sur lequel sont inscrites des informations concernant les fermes appartenant à la population, plus particulièrement :

a) le chef de famille (capul gospodăriei) et les membres de la famille ;

b) les terrains que ceux-ci détiennent, quel que soit leur titre, par catégorie d’usage, les surfaces cultivées avec les principales cultures et le nombre d’arbres ;

c) l’effectif du bétail existant au début de l’année, par espèce et par catégorie, et l’évolution annuelle des effectifs ;

d) les locaux d’habitation et les autres constructions de la ferme (...) »

2. L’ordre no 95 136-712-10/806 du ministère de l’Agriculture du 21 mars 2001 sur l’adoption des normes techniques nécessaires afin de compléter le registre agricole pour la période de 2001 à 2005

Cet ordre rassemble les règles à suivre par les autorités locales afin d’établir le registre agricole pour chaque localité.

Le registre agricole constitue le document officiel de recensement sur lequel sont inscrites des informations sur les terrains par catégorie d’exploitation, ainsi que sur les fermes appartenant à la population quant à leur structure et à l’évolution des effectifs d’animaux. Par ailleurs, le registre agricole constitue une source de données pour l’accomplissement au niveau local des politiques de l’administration publique centrale.

Le terme « ferme » ou « famille » signifie le groupe de deux ou plusieurs personnes qui habitent ensemble et qui organisent leur travail ensemble, en prenant part de façon totale ou partielle aux revenus et aux dépenses de la ferme.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION

26. La requérante allègue que l’inexécution par la mairie de l’arrêt de la cour d’appel d’Iaşi du 2 avril 2001 ordonnant l’inscription sur le registre agricole de son droit de propriété portant sur l’immeuble et la radiation du droit de P.C. portant sur le même immeuble, a enfreint son droit d’accès à un tribunal, prévu par l’article 6 § 1 de la Convention, qui est ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

27. Le Gouvernement rappelle la jurisprudence de la Cour selon laquelle l’exécution d’un arrêt doit être considérée comme faisant partie intégrante du « procès » au sens de l’article 6 de la Convention (Hornsby c. Grèce, arrêt du 19 mars 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997II, p. 510-511, § 40). Toutefois, il considère qu’en l’espèce, les autorités compétentes ont exécuté l’arrêt du 2 avril 2001 le 27 mai 2002, à savoir un mois après la demande que la requérante leur a adressée le 18 avril 2002. Dès lors, aucun retard ne peut leur être imputé dans l’exécution de l’arrêt précité.

28. La requérante conteste la thèse du Gouvernement. Elle considère que, dans la mesure où l’arrêt du 2 avril 2001 n’a pas été exécuté conformément à son dispositif, à savoir que le nom de P.C. n’a pas été rayé du registre agricole, on ne peut considérer qu’il a été exécuté. Elle estime que la mairie retarde de mauvaise foi l’exécution de l’arrêt précité.

29. Dans ses observations complémentaires (postérieures au 1er septembre 2005, date à laquelle la chambre a déclaré la requête partiellement recevable), la requérante a informé la Cour que, malgré ses démarches pour obtenir l’exécution du jugement du 19 décembre 2000, les autorités administratives compétentes pour l’exécution continuaient à s’abstenir d’exécuter le jugement précité conformément à son dispositif. Plus particulièrement, elle souligne que les autorités refusent de rayer le nom de P.C. du registre, bien que le jugement du 19 décembre 2000 ait expressément reconnu le défaut de qualité de ce dernier pour figurer sur le registre agricole.

30. Par ailleurs, la requérante note qu’en raison de la législation nationale et de la pratique administrative selon laquelle une copie du registre agricole doit être présentée pour faire inscrire son droit de propriété sur le livre foncier, elle se trouve dans l’impossibilité de faire cette dernière inscription et de rendre ainsi son droit de propriété opposable aux tiers.

31. La Cour rappelle que, selon une jurisprudence constante, l’exécution d’un jugement ou d’un arrêt, de quelque juridiction que ce soit, doit être considérée comme faisant partie intégrante du « procès » au sens de l’article 6 de la Convention. Le droit à un tribunal serait illusoire si l’ordre juridique interne d’un Etat contractant permettait qu’une décision judiciaire définitive et obligatoire reste inopérante au détriment d’une partie (Immobiliare Saffi c. Italie [GC], no 22774/93, § 63, CEDH 1999V).

32. Dans la présente affaire, la requérante a obtenu un arrêt définitif du 2 avril 2001 ordonnant à la mairie de Griviţa d’inscrire son droit de propriété sur le registre agricole et de rayer le nom de P.C. Or, cet arrêt n’a été ni exécuté intégralement, ni annulé ou modifié à la suite de l’exercice d’une voie de recours prévue par la loi interne.

33. La Cour admet, avec le Gouvernement, que le droit d’accès à un tribunal ne peut obliger un Etat à faire exécuter chaque jugement de caractère civil quel qu’il soit et quelles que soient les circonstances (Sanglier c. France, no 50342/99, § 39, 27 mai 2003). Cependant, elle note que si l’administration refuse ou omet de s’exécuter, ou encore tarde à le faire, les garanties de l’article 6 dont a bénéficié le justiciable pendant la phase judiciaire de la procédure perdent toute raison d’être (Hornsby précité, § 41). En l’espèce, la mairie avait seule compétence pour faire respecter l’arrêt du 2 avril 2001, à savoir pour inscrire le droit de propriété de la requérante sur le registre agricole et pour rayer le nom de P.C.

34. La Cour constate que l’arrêt du 2 avril 2001 a été exécuté par la mairie pour sa partie ordonnant l’inscription du nom de la requérante sur le registre. S’agissant de la radiation du nom de P.C., l’arrêt précité n’a pas été exécuté par la mairie au motif que ce dernier utilise l’immeuble et que selon les dispositions légales, le registre agricole doit comporter un recensement de tous les utilisateurs des immeubles et non pas seulement des propriétaires.

35. Toutefois, la Cour note que, bien qu’il paraisse que selon les dispositions nationales le rôle du registre agricole était de recenser la population, les juridictions nationales saisies par la requérante de l’action tendant à condamner la mairie à rayer le nom de P.C. du registre agricole ont jugé, en se fondant sur les preuves présentées par les parties, que P.C. n’avait pas le droit de figurer sur le registre agricole et ont condamné la mairie à rayer son nom de ce document. Dès lors, la Cour estime que la décision définitive des juridictions nationales prévaut et que les autorités administratives étaient tenues de se conformer entièrement à l’arrêt du 2 avril 2001. Par ailleurs, elle note que ni les autorités administratives ni P.C. n’ont considéré nécessaire de faire prévaloir ces dispositions légales dans le cadre d’une voie de recours extraordinaire.

36. En outre, la Cour considère que la simple lettre envoyée par la mairie à la requérante pour l’informer de son refus d’exécuter intégralement l’arrêt du 2 avril 2001 en invoquant des éléments de fait alors que les autorités judiciaires s’était prononcées sur le sujet, ne peut constituer une « impossibilité objective » qui pourrait l’exonérer de l’obligation prévue par ledit arrêt.

37. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que, dans les circonstances concrètes de l’espèce, l’Etat, par le biais de ses organes spécialisés, n’a pas déployé tous les efforts nécessaires afin de faire exécuter intégralement la décision judiciaire favorable à la requérante.

38. Par conséquent, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

39. Aux termes de larticle 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

40. La requérante demande la somme de 98 723 euros (EUR) au titre du préjudice matériel direct, en soutenant qu’en raison de l’inexécution par les autorités compétentes de l’arrêt du 2 avril 2001, elle n’a pas pu exercer son droit de propriété sur l’immeuble en cause et que la valeur de ce dernier a diminué. Elle demande également 3 650 EUR à titre d’intérêts moratoires et 500 000 EUR à titre de « sanctions indirectes ».

41. La requérante réclame également 25 000 EUR au titre du préjudice moral, invoquant sa frustration en raison de l’impossibilité d’obtenir l’exécution de l’arrêt précité, ce qui a mis en doute à l’égard des tiers sa qualité de propriétaire de l’immeuble en cause.

42. Le Gouvernement considère que les dédommagements sollicités par la requérante au titre du dommage matériel direct ne sont pas en lien étroit avec la prétendue violation de la Convention. A cet égard, il fait valoir que l’inscription du droit de propriété de la requérante sur le registre agricole n’a aucune incidence sur son droit de propriété sur l’immeuble en cause et note qu’aucune disposition légale ou pratique administrative ne subordonne l’inscription de son droit de propriété sur le livre foncier de l’inscription de son droit sur le registre agricole.

43. S’agissant de la demande d’intérêts moratoires, le Gouvernement souligne que ceux-ci ont été ordonnés dans le cadre d’une autre procédure que celle qui a pris fin par l’arrêt du 2 avril 2001 et qu’en tout état de cause, la requérante n’a pas suivi la procédure interne pour solliciter leur paiement. Quant à la somme de 500 000 EUR sollicitée par la requérante à titre de « sanctions indirectes », le Gouvernement rappelle que cette catégorie n’est pas prévue par l’article 41 de la Convention et qu’en tout état de cause ce montant est excessif.

44. Le Gouvernement considère que le montant demandé au titre du préjudice moral est également excessif. Selon lui, l’indemnisation du préjudice moral subi doit être déterminée en tenant compte de la violation de la Convention constatée par la Cour et de sa jurisprudence en matière de nonexécution d’une décision judiciaire (Burdov c. Russie, no 59498/00, § 47, ECHR 2002III).

45. La Cour note qu’en l’espèce, la seule base à retenir pour l’octroi d’une satisfaction équitable réside dans le fait que la requérante n’a pas bénéficié d’un droit d’accès à un tribunal en violation de l’article 6 de la Convention. Néanmoins, il convient de tenir compte de ce qu’il s’agit d’une non-exécution partielle du jugement du 19 décembre 2000.

46. La Cour rappelle également sa jurisprudence bien établie selon laquelle en cas de violation de l’article 6 de la Convention il faut placer la requérante, le plus possible, dans une situation équivalant à celle dans laquelle elle se trouverait s’il n’y avait pas eu manquement aux exigences de cette disposition (Piersack c. Belgique (article 50), arrêt du 26 octobre 1984, série A no 85, p. 16, § 12). Un arrêt constatant une violation entraîne pour l’Etat défendeur l’obligation juridique, non seulement de verser à l’intéressé les sommes allouées à titre de satisfaction équitable, mais aussi à choisir, sous le contrôle du Comité des Ministres, les mesures générales et/ou, le cas échéant, individuelles à adopter dans son ordre juridique interne afin de mettre un terme à la violation constatée par la Cour et d’en effacer dans la mesure du possible les conséquences, de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Ilaşcu et autres c. Moldova et Russie [GC], no 48787/99, § 487, CEDH 2004VII).

47. De plus, la Cour estime que la requérante a subi un préjudice moral du fait notamment de la frustration provoquée par l’impossibilité de voir exécuter les décisions rendues en sa faveur et que ce préjudice n’est pas suffisamment compensé par un constat de violation.

48. Dans ces circonstances, eu égard à l’ensemble des éléments se trouvant en sa possession et statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, la Cour alloue à la requérante 1 000 EUR au titre du préjudice moral.

B. Frais et dépens

49. La requérante demande la somme de 22 000 EUR à titre de frais et dépens dont 350 EUR représentent les frais et dépens encourus dans la procédure devant la Cour.

50. Le Gouvernement considère que les frais de la procédure ne peuvent être octroyés que s’ils ont été vraiment subis par la requérante et s’ils sont raisonnables et en relation avec la violation trouvée (Cvijetic c. Croatie, no 71549/01, 26 février 2004 § 63, et Jasiuniene c. Lituanie, no 41510/98, 6 mars 2003, § 55). En outre, il fait valoir que certains frais sollicités ont été encourus par la requérante dans des procédures internes qui n’avaient pas de rapport avec la procédure qui a pris fin par l’arrêt du 2 avril 2001 et qu’en tout état de cause, la somme demandée à ce titre est excessive.

51. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. La Cour note que la requérante a bénéficié de l’assistance judiciaire et que la somme de 569 EUR a été versée à ce titre à son avocate. En outre, compte tenu des éléments en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour estime raisonnable la somme de 100 EUR au titre des frais et dépens de la procédure nationale et l’accorde à la requérante.

C. Intérêts moratoires

52. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

2. Dit

a) que lEtat défendeur, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, doit garantir, par des mesures appropriées, l’exécution intégrale de l’arrêt du 2 avril 2001 de la cour d’appel d’Iaşi et doit, de plus, verser à la requérante 1 000 EUR (mille euros) pour dommage moral et 100 EUR (cent euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

3. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 15 juin 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Vincent Berger Boštjan M. Zupančič
Greffier Président