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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
27.6.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

DEUXIÈME SECTION

DÉCISION FINALE

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 23937/03
présentée par Marc Didier MIJEA
contre la France

La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant le 27 juin 2006 en une chambre composée de :

MM. I. Cabral Barreto, président,
J.-P. Costa,
R. Türmen,
M. Ugrekhelidze,
Mmes A. Mularoni,
E. Fura-Sandström,
M. D. Popović, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 3 octobre 2000,

Vu la décision de la Cour de se prévaloir de l’article 29 § 3 de la Convention et d’examiner conjointement la recevabilité et le fond de l’affaire,

Vu la décision partielle du 5 juillet 2005,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Le requérant, M. Marc Didier Mijea, est un ressortissant français, né en 1936 et résidant à Toulouse. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par Mme Edwige Belliard, directrice des Affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

Le requérant est un ancien combattant ayant servi en Algérie du 1er avril 1957 au 21 décembre 1958.

Le 12 août 1993, il saisit le ministère des anciens combattants et victimes de guerre d’une demande de pension d’invalidité en raison de troubles psychiques.

Le Gouvernement affirme que le requérant n’a pas répondu aux demandes de renseignement, adressées les 1er octobre 1993, 20 janvier et 2 février 1994 par la direction des anciens combattants de Toulouse, sur les évènements précis de son service qui pourraient être à l’origine des troubles invoqués. Toutefois, à la suite d’un nouveau courrier adressé par l’administration le 21 décembre 1994, le requérant aurait confirmé par un courrier du 10 janvier 1995 son intention de maintenir sa requête et aurait fourni le 27 mars 1995 une notice sur les circonstances de son service. Celle-ci fut transmise au service historique de l’armée de terre, lequel demanda au requérant, le 23 mai 1995, de remplir un questionnaire spécifique. Le requérant retourna ce questionnaire le 26 juin 1995.

Les 9 octobre 1995, 6 novembre 1995 et 15 novembre 1996, il fut examiné par un expert psychiatre. Par une décision du 17 septembre 1996, prise sur proposition de la commission de réforme de Toulouse du 28 août 1996 et après avis de la commission consultative médicale du 14 juin 1996, le ministère rejeta sa demande au motif principal que le requérant n’atteignait pas le degré d’invalidité requis par l’article L. 4 du code des pensions d’invalidité et des victimes de guerre.

Par un courrier du 11 mars 1997, le requérant saisit le tribunal départemental des pensions militaires de la Haute Garonne en vue de l’obtention d’un droit à pension. Par un jugement avant dire droit du 10 mars 1998, le tribunal départemental des pensions militaires de la Haute Garonne ordonna une mesure d’expertise médicale afin de déterminer les troubles dont serait atteint le requérant et désigna à cet effet le docteur A. Le 19 mai 1998, le requérant s’entretint avec le docteur A. Le 20 juillet 1998, celui-ci rendit son rapport d’expertise et conclut à propos du syndrome du requérant que :

« son caractère traumatique en relation avec les évènements d’Algérie ne peut être affirmé en l’absence de preuves et par conséquent le lien de causalité ne peut être franchement prouvé ».

Par un jugement du 3 novembre 1998, notifié au requérant le 30 novembre 1998, le tribunal départemental des pensions militaires de la Haute Garonne homologua le rapport de l’expert et débouta le requérant de ses demandes.

Par une déclaration du 22 janvier 1999, le requérant interjeta appel. Par un arrêt du 8 décembre 1999, notifié au requérant le 28 janvier 2000, la cour régionale des pensions militaires de Toulouse confirma le jugement.

Le 2 mars 2000, le requérant se pourvut en cassation et sollicita l’aide juridictionnelle. Par une décision du 14 novembre 2000, notifiée au requérant le 14 décembre 2000, le bureau d’aide juridictionnelle près le Conseil d’Etat rejeta la demande du requérant en raison de l’ « absence de moyens sérieux susceptibles de convaincre le juge de cassation ». Par un arrêt du 29 mars 2002, notifié au requérant le 3 avril 2002, la commission spéciale de cassation des pensions du Conseil d’Etat constata que les conclusions déposées par le requérant étaient tardives et rejeta sa requête.

GRIEF

Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint de la durée de la procédure.

EN DROIT

Le requérant se plaint de la durée de la procédure et invoque l’article 6 § 1 de la Convention, aux termes duquel :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

Le Gouvernement soulève à titre principal une question de recevabilité en raison de « l’incertitude qui entoure la date d’introduction de la requête ». Il relève que la requête a été introduite « le 3 octobre 2000, soit sept mois après la formation d’un pourvoi en cassation, sans en attendre la décision », « s’étonne que le requérant envoie un formulaire de requête près de trois ans après avoir introduit sa requête, et s’interroge sur l’origine du délai de près d’un an qui sépare la date apposée au document [du requérant] (15 juin 2002) et sa date d’enregistrement par la Cour (22 juillet 2003) ». Le Gouvernement rappelle que, si la Cour retenait la date du 22 juillet 2003 comme celle de l’introduction de la requête, et compte tenu de l’arrêt Broca et Texier-Micault c. France (nos 27928/02 et 31694/02, 21 octobre 2003), ayant constaté qu’il existait, à compter du 1er janvier 2003, un recours effectif, que le requérant n’a pas exercé, pour se plaindre de la durée déraisonnable d’une procédure devant les juridictions administratives, il conclurait au rejet de la requête pour non épuisement des voies de recours internes. A titre subsidiaire, le Gouvernement conclut au rejet du grief pour défaut manifeste de fondement considérant que la durée globale de la procédure ne saurait être considérée comme « déraisonnable » au sens de l’article 6 § 1 de la Convention. Il insiste notamment sur le manque de précision et de disponibilité du requérant durant la phase administrative, ce qui n’aurait pas permis un traitement rapide de sa demande.

La Cour rappelle que la date d’introduction d’une requête est celle de la première lettre par laquelle le requérant formule, ne serait ce que sommairement, les griefs qu’il entend soulever. Or, la Cour constate qu’en l’espèce, le requérant s’est plaint en substance de la durée de la procédure dans le premier courrier qu’il a adressé à la Cour le 3 octobre 2000.

La Cour rappelle également que, concernant un grief relatif à la durée de la procédure, le requérant n’avait pas à attendre la décision de la Cour de cassation pour la saisir. Une requête portant sur la durée de la procédure pouvait être introduite avant la décision mettant fin à cette procédure, pour autant que le requérant n’avait pas à exercer, à l’époque des faits, le recours en responsabilité de l’Etat pour fonctionnement défectueux du service public de la justice ayant pour objet exclusif la durée de la procédure (Broca et Texier-Micault c. France précité).

Reste, enfin, l’envoi relativement tardif par le requérant de son formulaire de requête le 18 juin 2003 (la date apposée sur le formulaire de requête le 15 juin 2002 est manifestement une erreur involontaire de la part du requérant) soit onze mois après son envoi par le greffe le 19 juillet 2002.

La Cour rappelle à cet égard que « lorsqu’un intervalle de temps important s’écoule avant qu’un requérant ne donne les informations complémentaires nécessaires à l’examen de la requête, il y a lieu d’examiner les circonstances particulières de l’affaire pour décider de la date à considérer comme date d’introduction de la requête » (Gaillard c. France, déc., no47337/99, 11 juillet 2000).

En l’espèce, cependant, la Cour n’estime pas nécessaire d’examiner la question de la recevabilité de la requête sur ce point dès lors que le grief tiré de la durée excessive de la procédure est manifestement mal fondé pour les raisons suivantes.

La Cour constate que la période à considérer a débuté le 12 août 1993, par la demande de pension au ministère des anciens combattants, et s’est terminée le 29 mars 2002, par l’arrêt du Conseil d’Etat. Elle a donc duré huit années et sept mois pour un recours préalable et trois instances. Quant à la phase administrative, qui a débuté le 12 août 1993, par la demande de pension au ministère des anciens combattants, et a pris fin le 17 septembre 1996 par la décision de rejet du ministre, sa durée de trois années s’explique notamment par les trois examens du requérant par un expert psychiatre, l’intervention de la commission de réforme de Toulouse et celle de la commission consultative médicale. La Cour constate également le manque de diligence du requérant durant cette phase. En effet, elle observe notamment qu’il n’aurait répondu à la demande d’information adressée par la direction des anciens combattants de Toulouse que le 27 mars 1995, soit plus d’une année et demi après l’envoi de la première demande en ce sens le 1er octobre 1993. Il ressort ainsi clairement des observations du Gouvernement, que le requérant n’a par ailleurs pas contestées, que celui ci a été régulièrement sollicité par l’administration durant cette phase et que les retards éventuels de cette phase de la procédure lui sont imputables. La Cour constate en conséquence que cette phase de la procédure n’a connu aucune période de latence imputable à l’Etat et que sa durée n’est par conséquent pas « déraisonnable » au sens de l’article 6 § 1 de la Convention. Concernant la phase juridictionnelle, et au vu des éléments dont elle dispose, la Cour n’observe pas de délai « déraisonnable » au sens de l’article 6 § 1 de la Convention au cours de cette phase qui a duré cinq années pour trois instances, dont l’une a nécessité un jugement avant dire droit.

Partant, la Cour conclut que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention, après avoir mis fin à l’application de l’article 29 § 3 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare le restant de la requête irrecevable.

S. Dollé I. Cabral Barreto
Greffière Président