Přehled
Rozsudek
PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE VLASIA GRIGORE VASILESCU c. ROUMANIE
(Requête no 60868/00)
ARRÊT
STRASBOURG
8 juin 2006
DÉFINITIF
08/09/2006
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Vlasia Grigore Vasilescu c. Roumanie,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
MM. C.L. Rozakis, président,
L. Loucaides,
C. Bîrsan,
Mme N. Vajić,
MM. A. Kovler,
D. Spielmann,
S.E. Jebens, juges,
et de M. S. Nielsen, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 18 mai 2006,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 60868/00) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Vlasia Grigore Vasilescu (« le requérant »), a saisi la Cour le 21 avril 2000 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. B. Aurescu, puis par Mme B. Rămăşcanu, du ministère des Affaires étrangères.
3. Le requérant alléguait, sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention, une atteinte à son droit d’accès à un tribunal en raison du rejet d’une action en revendication d’un immeuble. Il y voyait également une atteinte à son droit au respect de ses biens, sous l’angle de l’article 1 du Protocole no 1.
4. La requête a été attribuée à la deuxième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d’examiner l’affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l’article 26 § 1 du règlement.
5. Le 1er novembre 2004, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la première section ainsi remaniée (article 52 § 1).
6. Par une décision du 26 mai 2005, la chambre a déclaré la requête partiellement recevable.
7. Le Gouvernement a déposé des observations écrites complémentaires (article 59 § 1 du règlement), mais non le requérant.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
8. Le requérant est un ressortissant roumain, né en 1938 et résidant à Bucarest.
9. Par un contrat conclu en 1940, les parents du requérant achetèrent un bien immobilier composé d’un bâtiment et d’un terrain de 15 000 m2, situés dans le périmètre de la commune de Voluntari. L’immeuble fut occupé en 1945 par l’armée soviétique. Après le départ des troupes soviétiques, en 1958, l’immeuble fut repris par les autorités locales.
A. L’action en revendication de propriété
10. Après le changement de régime politique roumain en 1989, le requérant entreprit plusieurs démarches auprès des autorités locales pour obtenir la restitution du bien immobilier susmentionné. Il demanda à la mairie de Voluntari des précisions sur le régime juridique du bien et sur le titre de propriété de l’Etat.
11. Par une lettre du 24 février 1994, la mairie de Voluntari l’informa qu’entre 1958 et 1965, l’immeuble avait été en possession du ministère de la Défense, puis de l’école de la commune. Elle mentionnait aussi que « le 31 décembre 1966, en vertu d’un procès-verbal enregistré sous le no 6 002, le bâtiment et un terrain de 1 500 m2 étaient devenus, en application des décrets nos 218/1960 et 712/1966, propriété de la mairie ». En tout état de cause, la mairie estimait qu’elle était devenue propriétaire du bien par prescription acquisitive en raison d’une possession de plus de quarante ans.
12. A la suite de cette lettre, le requérant contesta l’existence du
procès-verbal no 6 002/1966 et déposa auprès du parquet une plainte contre le secrétaire de la mairie pour faux et abus. Au cours de l’enquête, le parquet rendit trois ordonnances de non-lieu qui furent ensuite annulées par le parquet près la Cour suprême de Justice à la suite de plaintes du requérant.
13. Par une lettre du 8 janvier 1997, la mairie de Voluntari informa le requérant qu’elle n’était en possession d’aucun document attestant de la modalité du transfert du bien litigieux dans le patrimoine de l’Etat.
14. Se prévalant de la loi no 112/1995 sur la situation juridique de certains biens immobiliers à usage d’habitation, le requérant demanda la restitution de l’immeuble. Par une décision du 18 juin 1997, la commission pour l’application de cette loi rejeta sa demande au motif que le bien était devenu propriété de l’Etat sans titre valable et que, dès lors, les dispositions de la loi précitée ne lui étaient pas applicables.
15. En 1997, le requérant et sa mère saisirent en vertu des articles 480 et suivants du code civil le tribunal de première instance de Buftea d’une action en revendication à l’encontre de la mairie de Voluntari, du Conseil départemental d’Ilfov et d’autres personnes qui utilisaient diverses parcelles du terrain litigieux.
16. Par un jugement du 26 juin 1998, le tribunal estima que l’Etat avait pris possession du bien sans titre et ordonna sa restitution au requérant et à sa mère. La mairie de Voluntari fit appel de ce jugement, alléguant que le bien était devenu légalement propriété de l’Etat en vertu des décrets nos 218/1960 et 712/1966. Dans un mémoire en défense, le requérant, invoquant la décision du 13 juillet 1993 de la Cour suprême de Justice constatant l’inconstitutionnalité des décrets en cause, argua du fait que ceux-ci n’avaient pas opéré un transfert de propriété valable.
17. Par un arrêt du 8 février 1999, le tribunal départemental de Bucarest accueillit l’appel. Il jugea que la mairie était propriétaire du bien revendiqué, en considérant notamment que :
« Il ressort des pièces versées au dossier, ainsi que de la demande d’introduction de l’instance que le terrain et les constructions revendiqués sont administrés depuis 1965 par la mairie de Voluntari, une partie étant occupée par le siège de la mairie et d’autres par les autres parties défenderesses, en vertu de contrats de bail conclus avec la mairie.
D’après l’article 36 de la loi no 18/1991, les terrains appartenant à l’Etat, situés dans des localités et administrés par les mairies, ont été transférés dans le patrimoine des communes.
Au regard de cette disposition, le jugement du tribunal de première instance concluant que la mairie détenait l’immeuble sans titre valable, est mal fondé (...)
Un argument supplémentaire est tiré de l’article 3 § 4 de la loi no 213/1998 en vertu duquel (...) les biens qui sont mentionnés au troisième point de la liste annexe à la loi, à savoir les bâtiments utilisés comme siège du conseil local et de la mairie, ainsi que les terrains afférents, font partie du domaine public des communes, des villes et des chefs-lieux des départements (...) »
18. Le requérant et sa mère formèrent un recours contre cet arrêt. Ils firent valoir que le tribunal départemental avait rendu sa décision en s’appuyant sur une seule preuve, à savoir la lettre de la mairie de Voluntari du 24 février 1994. Or, les allégations contenues dans cette lettre avaient été infirmées par la lettre de 1997 de la même mairie. Ils affirmèrent aussi que le tribunal départemental avait commis de graves erreurs dans l’application et l’interprétation des deux lois précitées : bien que l’article 36 § 1 de la loi no 18/1991 attribuait à la commune les terrains qui avaient appartenu à l’Etat, le paragraphe 5 du même article précisait que les terrains qui étaient devenus propriété de l’Etat en vertu du décret no 712/1966, ce qui était le cas selon la mairie, devaient être restitués aux anciens propriétaires. Quant à la loi no 213/1998 sur le domaine public, ils soulignèrent que son article 6 disposait que le domaine public n’englobait que les immeubles qui étaient devenus propriété d’Etat en vertu d’un titre valable et que c’était aux tribunaux d’établir la validité du titre de l’Etat, ce que le tribunal départemental avait omis de faire.
19. Par un arrêt du 13 décembre 1999, la cour d’appel de Bucarest rejeta le recours et confirma le bien-fondé de la décision du tribunal départemental, dans les termes suivants :
« Les renvois aux dispositions de l’article 36 de la loi no 18/1991 et au troisième point de la liste annexe à la loi no 213/1998 sont corrects dès lors que le tribunal départemental a jugé que les biens litigieux se trouvent dans le patrimoine de l’Etat.
Le tribunal a examiné les pièces mentionnées par les plaignants dans leurs recours, mais il les a écartées à juste titre parce qu’une situation contraire résultait d’autres pièces.
Les faits ont été correctement établis par la juridiction d’appel, en tenant compte de la lettre du 24 février 1994 qui attestait qu’entre 1958 et 1965 le terrain était la possession de l’école locale qui l’avait reçu du ministère de la Défense ; par un procès-verbal du 26 avril 1965, l’immeuble a été repris par le Conseil local de Voluntari et, par le procès-verbal no 6002 du 31 décembre 1966, le bien composé de constructions d’une superficie de 588 m2 et d’un terrain de 1500 m2 a été transféré dans le patrimoine du conseil local de Voluntari, en vertu de l’article III du décret no 218/1960 et du décret no 712/1966.
Le fait que par la lettre du 8 janvier 1997 la mairie de Voluntari affirmait qu’elle n’était en possession d’aucun document concernant la modalité du transfert du bien dans le patrimoine de l’Etat ne signifie pas que ce transfert n’avait pas eu lieu (...)
S’agissant de la décision de la commission d’application de la loi no 112/1995, (...) elle ne peut pas être investie de l’autorité de la chose jugée à l’égard du régime juridique de l’immeuble. »
20. A une date non précisée, se fondant sur une lettre du 6 octobre 2000 par laquelle le parquet local l’informait que le procès-verbal no 6 002 du 31 décembre 1966 n’existait pas, le requérant introduisit une action en révision de l’arrêt du 13 décembre 1999. Son action fut rejetée par la cour d’appel de Bucarest, au motif que la décision du parquet était postérieure à l’arrêt de la cour d’appel de Bucarest du 13 décembre 1999.
B. L’action en restitution de la propriété fondée sur la loi no 10/2001
21. Les 10 août 2001 et 20 janvier 2004, le requérant et sa mère demandèrent la restitution du bien immobilier litigieux auprès de la commission locale d’application de la loi no 10/2001 sur la situation juridique de certains immeubles abusivement nationalisés.
22. Sur proposition de la commission, par une décision du 24 mai 2004, le maire de la commune de Voluntari restitua au requérant une partie du bien, à savoir un terrain de 5 425 m2 et les constructions qui s’y trouvaient.
23. Par un contrat du 10 mars 2005, le requérant vendit à la mairie de Voluntari le terrain et les constructions afférentes pour un prix total de 488 913 euros.
24. Pour le reste du terrain litigieux, à savoir la différence jusqu’à 15 000 m2, une procédure administrative de restitution est en cours.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. Code civil
Art 480
« La propriété est le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements. »
Art 481
« Nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité. »
B. Décret no 218/1960 sur la prescription extinctive
Article III
« Le droit à la restitution d’un bien entré, avant la publication du présent décret, en possession de l’Etat (...) en l’absence de titre (...) est prescrit après une période de deux ans courant à partir de la date de l’entrée en possession (...) »
C. Décret no 712/1966 sur les biens concernés par l’article III du décret 218/1960
« Les biens qui entrent dans la catégorie prévue à l’article III du décret no 218/1960 (...) et qui se trouvent en possession d’une organisation socialiste, sont considérés comme propriété de l’Etat à partir de la date de leur entrée en possession de l’Etat ou d’une autre organisation socialiste (...) »
D. Loi no 18/1991 sur les terrains agricoles
Article 36
« 1. Les terrains propriété de l’Etat, situés dans des localités et qui se trouvent au moment de la promulgation de cette loi sous l’administration des mairies, deviennent propriété des communes ou des villes (...)
5. Les terrains non construits (...) qui se trouvent sous administration des mairies et qui sont considérés propriété de l’Etat par application des dispositions du décret no 712/1966, seront restitués aux anciens propriétaires ou à leurs héritiers, selon le cas, sur demande (...) »
E. Loi no 213 du 24 novembre 1998 sur le domaine public et son régime juridique
Article 3 § 4
« Les biens mentionnés au troisième point de la liste annexe à la loi [les terrains et les bâtiments constituant le siège du Conseil local et de la mairie], ainsi que ceux déclarés d’usage ou d’intérêt public par le Conseil local constituent le domaine public des communes, des villes et des chefs-lieux des départements. »
Article 6
« 1. Font également partie du domaine public ou privé de l’Etat ou des autres structures administratives, les biens acquis par l’Etat entre le 6 mars 1945 et le 22 décembre 1989, pour autant qu’ils sont entrés dans le patrimoine de l’Etat en vertu d’un titre, c’est-à-dire dans le respect de la Constitution, des traités internationaux auxquels la Roumanie était partie et des lois en vigueur à la date à laquelle les biens en question sont entrés dans le patrimoine de l’Etat.
2. Hormis le cas où leur situation se trouve régie par les lois spéciales de réparation, les biens détenus par l’Etat sans titre valable, y compris ceux qui ont été acquis par suite d’un vice du consentement, peuvent être revendiqués par les anciens propriétaires ou leurs héritiers.
3. Les tribunaux sont compétents pour apprécier la validité du titre. »
F. Jurisprudence de la Cour suprême de Justice
1. Arrêts des 8 juin et 13 juillet 1993
25. Dans des affaires ayant pour objet la revendication des immeubles nationalisés pendant le régime communiste, la Cour suprême devait examiner les recours en annulation introduits par le procureur général contre des décisions définitives constatant l’illégalité de la nationalisation de ces immeubles. Le procureur faisait valoir que les immeubles litigieux étaient devenus propriété de l’Etat en vertu des décrets nos 218/1960 et 712/1966 et que les juridictions n’étaient pas compétentes pour trancher les actions en revendication.
26. Tout en rejetant les recours du procureur, la Cour suprême a constaté l’inconstitutionnalité des décrets en cause par rapport aux Constitutions de 1952, 1965 et 1991. Par conséquent, elle a estimé que ces décrets ne pouvaient pas transférer valablement la propriété privée dans le patrimoine de l’Etat et que, dès lors, les propriétaires des immeubles nationalisés en vertu de ces décrets n’en avaient jamais perdu la propriété. Quant à l’impossibilité pour les juridictions de trancher les actions en revendication, la Cour a estimé qu’un tel refus constituait un déni de justice.
2. Arrêt du 28 septembre 1998
27. Le 28 septembre 1998, la Cour suprême de justice, statuant toutes chambres réunies, a décidé à l’unanimité que les tribunaux étaient compétents pour trancher les litiges concernant les atteintes au droit de propriété commises entre 1944 et 1989.
3. Arrêt du 10 novembre 1999
28. Dans une affaire ayant également pour objet la revendication d’un immeuble nationalisé pendant le régime communiste, la Cour suprême a confirmé de nouveau sa jurisprudence en vertu de laquelle l’Etat ne pouvait pas se fonder sur les décrets nos 218/1960 et 712/1966 pour alléguer un transfert de propriété valable d’un immeuble dans son patrimoine.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
29. Le requérant allègue une méconnaissance de son droit d’accès à un tribunal en raison du rejet de son action en revendication sans que les tribunaux analysent la validité du titre de propriété dont l’État se prévalait. Il invoque l’article 6 § 1 de la Convention, qui se lit ainsi dans sa partie pertinente :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...), par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
A. Arguments des parties
30. Le Gouvernement rappelle d’emblée la jurisprudence constante de la Cour selon laquelle, lorsqu’elle vérifie la conformité d’une procédure interne à l’article 6 § 1 de la Convention, la Cour n’est pas compétente pour connaître des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par une juridiction nationale.
31. En l’espèce, il considère que la procédure a offert au requérant l’occasion de présenter sa cause dans des conditions qui ne l’ont pas placé dans une situation désavantageuse par rapport aux autres parties et que les juridictions internes ont examiné toutes les questions essentielles pour la cause, prononçant des solutions en conformité avec la loi roumaine applicable.
32. A cet égard, le Gouvernement souligne que la cour d’appel a jugé que l’immeuble litigieux était devenu propriété de l’Etat par le biais de la loi, à savoir les décrets nos 218/1960 et 712/1966.
33. Le Gouvernement relève que les juridictions internes, examinant les arguments des parties, ont constaté qu’à la suite des deux décrets susmentionnés, le requérant avait perdu son droit de propriété sur l’immeuble litigieux et ont par conséquent rejeté son action.
34. Enfin, s’agissant de la caducité des décrets nos 218/1960 et 712/1966, le Gouvernement considère que le tribunal départemental et la cour d’appel de Bucarest n’étaient pas tenus de suivre la jurisprudence de la Cour suprême de Justice qui avait constaté l’inconstitutionnalité de ces décrets dès lors qu’elle n’était pas opposable erga omnes.
35. Le requérant souligne que les décrets nos 218/1960 et 712/1966 mentionnés dans la lettre de 1994 de la mairie de Voluntari comme base légale du transfert du bien dans le patrimoine de l’Etat, avaient été déclarés inconstitutionnels par l’arrêt du 13 juillet 1993 de la Cour suprême de Justice. Dès lors, il estime qu’en rejetant son action, le tribunal départemental et la cour d’appel de Bucarest ont arbitrairement méconnu cette jurisprudence, ainsi que d’autres pièces du dossier qui prouvaient l’absence de titre de propriété valable de l’Etat.
36. En outre, il allègue que c’est à tort que les juridictions internes ont considéré que le titre de l’Etat sur l’immeuble litigieux se trouvait confirmé par les dispositions des lois nos 18/1991 et 213/1998, dès lors que le paragraphe 5 de l’article 36 de la loi no 18/1991 et l’article 6 de la loi no 213/1998 prévoient respectivement la restitution des biens nationalisés en vertu du décret no 712/1966 et la compétence des tribunaux internes pour vérifier la validité du titre de propriété de l’Etat.
B. Appréciation de la Cour
37. La Cour rappelle d’emblée que s’il ne lui appartient pas de connaître des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par des juridictions nationales, elle doit s’assurer que leur interprétation de la législation interne et des preuves n’est pas entachée d’arbitraire, ce qui serait de nature à porter atteinte à l’équité de la procédure (voir, entre autres, Tejedor García c. Espagne, arrêt du 16 décembre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997‑VIII, p. 2796, § 31 ; Brualla Gómez de la Torre c. Espagne, arrêt du 19 décembre 1997, Recueil 1997‑VIII, p. 2796, §§ 31 et 32 ;
Prince Hans-Adam II de Liechtenstein c. Allemagne [GC], no 42527/98, §§ 49 et 50 , CEDH 2001‑VIII).
38. Par ailleurs, bien que l’article 6 § 1 de la Convention ne réglemente pas l’admissibilité et la force probante des moyens, arguments et offres de preuve des parties, il institue à la charge des tribunaux une obligation de se livrer à leur examen effectif, sauf à en apprécier la pertinence (Van de Hurk c. Pays-Bas, arrêt du 19 avril 1994, série A no 288, p. 19, § 59).
39. Sans exiger une réponse détaillée à chaque argument du plaignant, cette obligation présuppose, tout de même, que la partie lésée puisse s’attendre à une réponse spécifique et explicite aux moyens décisifs pour l’issue de la procédure en cause (voir, Ruiz Torija et Hiro Balani c. Espagne, arrêts du 9 décembre 1994, série A nos 303-A et 303-B, p. 12, §§ 29 et 30, et pp. 29 et 30, §§ 27 et 28).
40. En l’espèce, la Cour observe que le requérant a opposé à l’argument de la mairie de Voluntari, qui invoquait les décrets nos 218/1960 et 712/1966 pour justifier la validité de son titre de propriété, le moyen tiré de l’inconstitutionnalité de ces décrets, constatée par la Cour suprême de Justice dans un arrêt de 1993. A cet égard, la Cour relève que selon la jurisprudence constante de la Cour suprême de Justice, l’État ne pouvait pas invoquer les décrets nos 218/1960 et 712/1966 pour valider un transfert de propriété.
41. Toutefois, le tribunal départemental et la cour d’appel ont accueilli la thèse de la mairie et, sans se prononcer quant à l’inconstitutionnalité des décrets précités, ont jugé qu’après la confiscation du bien en 1945, l’Etat en était devenu propriétaire en vertu de ces décrets et que les dispositions des lois nos 18/1991 et 213/1998 confirmaient son titre de propriété.
42. La Cour relève qu’il ne lui appartient pas d’examiner le bien-fondé du moyen tiré de l’inconstitutionnalité des décrets nos 218/1960 et 712/1966, une telle tâche incombant aux juridictions nationales. Cependant, elle note que pareil examen était décisif pour l’issue de la procédure. En effet, si le tribunal départemental ou la cour d’appel avaient jugé ce moyen fondé, ils auraient nécessairement dû constater l’absence d’un transfert de propriété valable et condamner l’Etat à restituer au requérant le bien litigieux.
43. L’examen de ce moyen était d’autant plus justifié que l’article 36 § 5 de la loi no 18/1991 dispose la restitution des biens nationalisés en vertu du décret no 712/1966. De plus, l’article 6 de la loi no 213/1998 exige un contrôle judiciaire de la constitutionnalité des transferts des biens dans le patrimoine de l’Etat intervenus entre le 6 mars 1945 et le 22 décembre 1989. Or, force est de constater qu’un tel contrôle n’a pas eu lieu en l’espèce.
44. Compte tenu de l’incidence décisive du moyen tiré de l’inconstitutionnalité des décrets nos 218/1960 et 712/1966, la Cour estime qu’il exigeait de la part du tribunal départemental et de la cour d’appel une réponse spécifique et explicite. Faute de cette dernière, il est impossible de savoir si ces juridictions l’ont simplement négligé ou bien si elles ont voulu le rejeter et dans cette dernière hypothèse, pour quelles raisons (voir, mutatis mutandis, Ruiz Torija et Hiro Balani, précités, p. 12, § 30 et p. 30, § 28).
45. A la lumière de ce qui précède, la Cour conclut que la cause du requérant dans la procédure de revendication n’a pas été entendue équitablement.
46. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1
47. Le requérant s’estime victime d’une violation continue de son droit de propriété depuis 1945, date de l’occupation illégale par l’Etat de l’immeuble appartenant à ses parents. Il invoque l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, aux termes duquel :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. »
48. Le Gouvernement fait valoir que l’article 1 du Protocole no 1 n’est pas applicable en l’espèce, le requérant n’ayant ni un « bien actuel » ni « une espérance légitime », au sens de la jurisprudence constante des organes de la Convention, d’obtenir la restitution du bien.
49. Le requérant maintient qu’il n’a jamais perdu son droit de propriété sur l’immeuble litigieux car l’État a exercé une possession fondée sur la violence.
50. La Cour relève que ce grief est directement lié au grief examiné sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention. Eu égard à ses conclusions sur le terrain de ce dernier article, la Cour ne saurait spéculer sur ce qu’eût été l’issue de l’action en revendication si les exigences du droit à un procès équitable avait été respectées devant les tribunaux internes.
51. Dès lors, elle estime qu’il n’y a lieu de statuer ni sur l’existence d’un « bien » au sens de l’article 1 du Protocole no 1 ni sur le bien-fondé du grief tiré de cet article (voir, mutatis mutandis, entre autres, Glod c. Roumanie, no 41134/98, § 46, 16 septembre 2003 et Albina c. Roumanie, no 57808/00, § 42, 28 avril 2005).
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
52. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
53. Le requérant n’a présenté, après la décision sur la recevabilité, aucune demande de satisfaction équitable dans le délai imparti bien que, par deux lettres des 31 mai et 7 septembre 2005, son attention fût attirée sur l’article 60 du règlement de la Cour qui dispose que toute demande de satisfaction équitable au titre de l’article 41 de la Convention doit être exposée dans les observations écrites sur le fond.
54. Partant, étant donné l’absence de réponse dans les délais fixés, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’octroyer de somme au titre de l’article 41 de la Convention.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
2. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner s’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 ;
3. Dit qu’il n’y a pas lieu d’octroyer de somme au titre de l’article 41 de la Convention.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 8 juin 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Søren Nielsen Christos Rozakis
Greffier Président