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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
22.6.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

TROISIÈME SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 40075/98
présentée par Abdulkerim YANANER et autres
contre la Turquie

La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant le 22 juin 2006 en une chambre composée de :

MM. B.M. Zupančič, président,
J. Hedigan,
L. Caflisch,
R. Türmen,
C. Bîrsan,
V. Zagrebelsky,
Mme A. Gyulumyan, juges,
et de M. V. Berger, greffier de secton,

Vu la requête susmentionnée introduite le 14 août 1997,

Vu l’article 5 § 2 du Protocole no 11 à la Convention, qui a transféré à la Cour la compétence pour examiner la requête,

Vu la décision de la Cour de se prévaloir de l’article 29 § 3 de la Convention et d’examiner conjointement la recevabilité et le fond de l’affaire,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par les requérants,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Les requérants, M. Abdulkerim Yananer, Mme Besra Yananer, veuve du frère d’Abdulkerim, Selim et Kadri, fils de Besra Yananer, sont des ressortissants turcs, nés respectivement en 1933, 1939, 1966 et 1970. Ils résident actuellement à Mersin.

Devant la Cour, ils sont représentés par Me Abdulmenaf Kıran, avocat au barreau de Van.

A. Les circonstances de l’espèce

1. Introduction

Jusqu’en novembre 1993, les requérants Besra, Selim et Kadri Yananer habitaient le village de Gölağılı dans le district de Malazgirt, où ils vivaient notamment de l’agriculture. Quant à Abdulkerim Yananer – bien qu’ayant, lui aussi, une maison dans ledit village – il a résidé, jusqu’en juillet 1994, dans le centre-ville de Malazgirt, où il faisait, entre autre, le commerce de bouteille de gaz.

2. Version des faits donnée par les requérants

a) Besra, Kadri et Selim Yananer

En 1993, des incidents opposant les forces militaires au PKK eurent lieu aux environs du village de Gölağılı. Le 27 novembre 1993, des gendarmes firent irruption dans le village de Gölağılı, et y incendièrent une maison de 5 pièces et une étable d’une capacité de 35-150 bovidés, appartenant aux requérants. Menacés par les gendarmes, ceux-ci durent quitter non seulement leur village mais également leurs terres d’une superficie de 970 000 m² au total, sis à Gölağılı et à un autre village, Konakkuran.

A la suite du départ forcé des requérants, deux gardes de village, M. Y. et K.Y., se seraient emparés de ces terres qu’ils exploiteraient illégalement depuis 1994. Par ailleurs, lorsqu’il dut quitter le village, le requérant Selim Yananer aurait confié à son oncle son outillage agricole, sur lequel il y aurait également une mainmise de la part de des deux gardes.

b) Abdulkerim Yananer

En 1993, le requérant Abdulkerim Yananer se vit condamner du chef d’assistance à bande armée. Au cours de cette année, l’un des fils du requérant avait quitté le village de Gölağılı pour rejoindre le PKK.

Au mois de juillet 1994, Şerif, le fils d’Abdulkerim Yananer, qui tenait le magasin de son père à Malazgirt pendant la détention de celui-ci, reçut des menaces de mort, pour qu’il quitte, avec sa famille, le district en abandonnant leur commerce. Le 21 juillet 1994, Şerif porta plainte devant le procureur de Malazgirt. Celui-ci lui conseilla de quitter le district. La famille migra à Mersin, alors que Abdulkerim Yananer demeurait encore en prison.

Après leur départ, les gardes de village susmentionnés auraient mis le feu à leur maison, occupé leurs cinq magasins et commencé à exploiter ces derniers.

3. Version des faits donnée par le Gouvernement

Le Gouvernement s’appuie, pour sa part, notamment, sur les procèsverbaux, rédigés dans le cadre de l’enquête administrative, entamée par les autorités suite au recours formé par les requérants, le 14 mai 1997, auprès du ministère de l’Intérieur (voir ci-après).

4. Les démarches entamées par les requérants et les enquêtes menées par les autorités

Le requérant Selim Yananer, se plaignit le 11 février 1994, auprès du procureur de la République de Malazgirt (« le procureur ») de la destruction de leur habitation par les forces de l’ordre. Il adressa également au ministère de l’Intérieur une lettre, dans laquelle il réclamait une somme de 650 000 000 livres turques (TRL) à titre du préjudice matériel.

Le 27 septembre 1994, le procureur de Malazgirt rendit la décision d’incompétence et transmit le dossier au parquet près la Cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakır.

Par ailleurs, le 21 juillet 1994, Şerif Yananer porta plainte devant le procureur de Malazgirt au sujet des menaces de mort qu’il recevait.

Le 14 mai 1997, Me Kıran adressa une lettre au ministère de l’Intérieur au nom des quatre requérants. Invoquant le Protocole no1, il réclama la restitution des biens et matériels illégalement exploités par les frères Yıldırım ainsi que la réparation du préjudice matériel subi par ses clients du fait de la destruction de leurs propriétés. Il demanda également que les autorités prennent des mesures nécessaires pour le retour de ses clients dans leur village.

Une enquête fut ouverte sous la direction du bureau d’état d’urgence de la préfecture de Muş. Dans le cadre de cette enquête, deux sous-officiers instructeurs du Commandement provincial entendirent les gardes de villages accusés ainsi que trois villageois. Le procès-verbal dressé en conséquence le 23 juin 1997, constatait les points suivants : la famille Yananer était sympathisante du PKK et Abdulkerim Yananer était – avant 1994 – l’un des dirigeants du PKK à Malazgirt ; il existait 5 fiches de sûreté établies relatifs aux délits commis par ce dernier et 2 autres concernant Kadri Yananer ; si les intéressés ont quitté le village de Gölağılı c’était parce qu’ils ne pouvaient plus y vivre à cause de leurs crimes ; la maison des Yananer et les dépendances situées à Gölağılı n’étaient pas incendiées mais ruinées du fait de la rigueur des intempéries hivernales ; quant aux terrains litigieux, ceuxci demeuraient abandonnés et n’étaient exploités par personne ; il s’est également avéré que l’outillage agricole – confié, au début, à A. Söylemez – avait été volé en 1994, et qu’aucune plainte n’avait été déposé à cette égard ; quant aux magasins dans le centre-ville de Malazgirt, il s’agissait là d’un litige qui ressortait des tribunaux civils puisque Mehmet Yıldırım prétendait avoir acheté ces magasins à Abdulkerim Yananer. Le procèsverbal concluait ainsi :

« Les intéressés peuvent retourner, s’ils veulent, au centre-ville de Malazgirt et/ou au village de Gölağılı. En tant que citoyens de la République de Turquie des droits légaux, nul ne peut les en empêcher. Notre Commandement est à même de prendre les mesures nécessaires à cet égard. Il s’ensuit des dépositions recueillies que mêmes les personnes dénoncées comme étant hostiles veulent le retour de la famille Yananer et qu’ils n’interviendront pas ».

Le 10 juillet 1997, le bureau d’état d’urgence de la préfecture de Muş communiqua à Me Kıran les conclusions de ce procès-verbal.

Par ailleurs, le 24 avril 1998, le procureur de Malazgirt rendit une décision d’incompétence au sujet de la plainte du 11 février 1994 de Selim Yananer et transmit le dossier au comité administratif local de Malazgirt. La Cour ne dispose pas de renseignements sur l’issue de cette procédure.

B. Le droit et la pratique internes pertinents

Le droit et la pratique internes pertinents sont décrits dans l’arrêt Doğan et autres c. Turquie (nos 8803-8811/02, 8813/02 et 8815-8819/02, §§ 3135, CEDH 2004VI) et dans la décision İçyer c. Turquie (no 18888/02, 12 janvier 2006).

GRIEFS

Invoquant l’article 1 du Protocole no 1, les requérants allèguent qu’ils ont dû quitter leur village à cause des forces de l’ordre et que pendant leur absence leur bien ont été détériorés ou exploités par d’autres. Ils se plaignent par ailleurs de l’impossibilité, pour eux, de retourner dans leur village et d’exploiter leurs terres depuis leur évacuation forcée.

EN DROIT

Les requérants allèguent que leur éviction forcée à de leur village et le refus des autorités de les laisser accéder à leurs biens et l’utilisation illégale de leurs biens a emporté la violation de l’article 1 du Protocole no 1, qui se lit ainsi :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

Le Gouvernement conteste les allégations des requérants.

La Cour observe que, selon la loi no 5233 sur l’indemnisation du 27 juillet 2004, il est possible pour les personnes telles que les requérants dont les requêtes sont pendantes devant la Cour de saisir jusqu’au 3 janvier 2007 les commissions d’indemnisation pour demander réparation du dommage qu’ils ont subi en raison de leur éviction forcée, de la destruction de leurs biens et de l’impossibilité d’accéder à ceux-ci.

La Cour a déjà examiné ce recours et a conclu qu’il était effectif pour présenter les griefs fondés sur le déplacement forcé, la destruction des biens et le refus des autorités de laisser accéder à ceux-ci dans les villages du sudest de la Turquie. En particulier, elle a considéré que le nouveau recours prévu par la loi no 5233 était accessible aux particuliers et offrait des chances raisonnables de succès pour redresser les griefs des plaignants (İçyer, précitée, §§ 7387).

A la lumière de ce qui précède, la Cour considère qu’il n’y a aucune circonstance exceptionnelle de nature à dispenser les requérants de l’obligation d’épuiser les voies de recours internes.

Il s’ensuit que ces griefs doivent être rejetés pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Vincent Berger Boštjan M. Zupančič
Greffier Président