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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
22.6.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

TROISIÈME SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 48202/99
présentée par Hıdır TEMÜRLENK et autres
contre la Turquie

La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant le 22 juin 2006 en une chambre composée de :

MM. B.M. Zupančič, président,
J. Hedigan,
L. Caflisch,
R. Türmen,
C. Bîrsan,
V. Zagrebelsky,
Mme A. Gyulumyan, juges,
et de M. V. Berger, greffier de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 4 février 1999,

Vu la décision de la Cour de se prévaloir de l’article 29 § 3 de la Convention et d’examiner conjointement la recevabilité et le fond de l’affaire,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par les requérants,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Les requérants, MM. Hıdır Temürlenk, Mehmet Cançöte, Hasan Temürlenk, Hüseyin Temürlenk, Şahverdi Temürlenk et Pito Yağışan, sont des ressortissants turcs, nés respectivement en 1955, 1926, 1947, 1942, 1945 et 1937 et résidant à İzmir, Tunceli (Turquie) et Bocholt (Allemagne). Ils sont représentés devant la Cour par Me S. Güzel, avocat à Diyarbakır.

Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») est représenté par son agent.

A. Les circonstances de l’espèce

1. Décès d’un requérant survenu après l’introduction de la requête

M. Mehmet Cançöte décéda le 5 novembre 1999. Ses ayants droit, Mmes Yeter Öztan (Cançöte), Fatma Tümen (Cançöte), Selman Can (Cançöte), Melek Tüzün (Cançöte) Gülsün Bakır (Cançöte), Altun Yabatü (Cançöte) et M. Şıhali Cançöte, ont exprimé leur volonté de poursuivre l’affaire devant la Cour.

2. La version des faits exposée par les requérants

Les 17, 18 et 19 novembre 1995, des militaires firent une opération dans le village de Demirkapı (Tunceli) où se trouvaient les habitations des requérants. Lors de l’opération, les maisons ainsi que les jardins, arbres, ruches, meubles et des objets personnels appartenant aux requérants furent incendiés et détruits.

Par des requêtes introduites les 2 avril, 7 mai et 27 juin 1996 devant la chambre civile du tribunal de grande instance de Tunceli (« le tribunal »), les requérants énumérèrent les dégâts subis lors desdites opérations et demandèrent l’établissement d’un constat des dommages.

Par des décisions des 3 avril, 27 mai et 27 juin 1996, leurs demandes furent acceptées et les frais du constat encaissés par ledit tribunal.

Selon une vingtaine de procès-verbaux établis par le tribunal entre le 6 mai 1996 et le 27 avril 1999, le déplacement des experts pour le constat n’avait pu être effectué, faute de mesures de sécurité nécessaires et il fut décidé d’écrire au parquet de Tunceli afin que ces mesures soient prises. Le 27 avril 1999, soit environ trois ans après la première demande formulée devant le tribunal de première instance, les juridictions internes n’avaient encore effectué aucun constat.

3. La version des faits exposée par le Gouvernement

A l’époque des faits les requérants n’habitaient plus dans le village en question qu’ils avaient quitté en 1994.

Le 14 juillet 2004, la Grande Assemblée nationale adopta la « loi sur l’indemnisation des dommages résultant d’actes de terrorisme ou de mesures de lutte contre le terrorisme », qui entra en vigueur le 27 juillet 2004. Cette loi offre un recours suffisant pour redresser les griefs fondés sur la Convention émanant de personnes qui se sont vu refuser l’accès à leurs biens dans leur village.

A cette fin, des commissions d’évaluation et d’indemnisation des dommages furent créées dans 76 départements. Les personnes victimes d’un préjudice en raison du terrorisme ou de mesures prises par les autorités pour combattre le terrorisme peuvent présenter une demande d’indemnisation auprès de la commission compétente.

Le nombre de personnes qui se sont adressées à ces commissions s’élève déjà à 170 000 environ. De plus, 800 personnes dont les requêtes sont pendantes devant la Cour ont également saisi les commissions d’indemnisation. De nombreux villageois ont déjà reçu un dédommagement pour le préjudice qu’ils ont subi.

B. Le droit et la pratique internes pertinents

Le droit et la pratique interne pertinents sont décrits dans l’arrêt Doğan et autres c. Turquie (nos 8803-8811/02, 8813/02 et 8815-8819/02, §§ 3135, CEDH 2004VI) et dans la décision İçyer c. Turquie (no 18888/02, 12 janvier 2006).

GRIEFS

Invoquant l’article 8 de la Convention les requérants se plaignent d’une violation de leur droit au respect de leur vie privée et familiale, ainsi que de leur domicile.

Les requérants invoquent par ailleurs l’article 1 du Protocole no 1 et se plaignent d’une violation de leur droit au respect de leurs biens, du fait de la destruction de leurs maisons, meubles et objets personnels lors d’une opération militaire.

Les requérants invoquent par ailleurs l’article 13 de la Convention et se plaignent de n’avoir disposé d’aucun recours effectif en droit interne pour faire valoir leurs griefs, dans la mesure où le constat qui leur aurait permis d’établir les faits n’a pu être réalisé au motif d’absence de mesures de sécurité.

EN DROIT

A. Griefs tirés de l’article 8 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1

Les requérants allèguent que la destruction de leurs biens immobiliers et mobiliers a emporté violation des articles 8 de la Convention et 1 du Protocole no 1, ainsi libellés en leurs parties pertinentes :

Article 8

«1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile (...).

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bienêtre économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

Article 1 du Protocole no 1

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

Le Gouvernement affirme, entre autres, que les requérants n’ont pas épuisé les voies de recours internes instauré par la loi d’indemnisation du 27juillet 2004. A cet égard, il soutient que le mécanisme mis en place à la suite de l’arrêt Doğan et autres du 29 juin 2004 est de nature à redresser les griefs des requérants et présente des perspectives raisonnables de succès.

Les requérants contestent les arguments du Gouvernement. Selon eux, le nouveau recours créé par la loi d’indemnisation ne saurait passer pour effectif.

La Cour observe que selon la loi sur l’indemnisation du 27 juillet 2004, il est possible pour les personnes telles que les requérants de saisir jusqu’au 3 janvier 2007 les commissions d’indemnisation pour demander réparation du dommage qu’ils ont subi en raison de leurs évictions forcées, de la destruction de leurs biens ou de l’impossibilité d’accéder à ceux-ci.

La Cour a déjà examiné ce recours et a conclu qu’il était effectif pour présenter les griefs fondés sur le déplacement forcé, la destruction des biens et le refus des autorités de laisser accéder à ceux-ci dans les villages du sud-est de la Turquie. En particulier, elle a considéré que le nouveau recours était accessible et offrait des chances raisonnables de succès (İçyer, précitée, §§ 7387).

A la lumière de ce qui précède, la Cour considère qu’il n’y a aucune circonstance exceptionnelle de nature à dispenser les requérants de l’obligation d’épuiser ce recours.

Il s’ensuit que ces griefs doivent être rejetés pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

B. Grief tiré de l’article 13 de la Convention

Les requérants se plaignent de n’avoir disposé d’aucun recours effectif en droit interne pour faire valoir leurs griefs, dans la mesure où le constat qui leur aurait permis d’établir les faits n’a pu être réalisé au motif d’absence de mesures de sécurité. Ils invoquent l’article 13 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

Le Gouvernement conteste l’exactitude de cette allégation, en soulignant qu’il existe des recours internes effectifs dont les requérants n’ont pas fait usage.

La Cour a déjà constaté que la loi d’indemnisation offre bien aux requérants un recours effectif qu’ils peuvent utiliser pour se plaindre de la destruction de leurs biens ou du fait qu’on leur aurait refusé l’accès à ceux-ci. Cette conclusion vaut également dans le contexte du grief tiré de l’article 13.

Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et qu’il y a lieu de le rejeter en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Vincent Berger Boštjan M. Zupančič
Greffier Président