Přehled
Rozhodnutí
TROISIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 51393/99
présentée par Abdullah GÜL
contre la Turquie
La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant le 22 juin 2006 en une chambre composée de :
MM. B.M. Zupančič, président,
J. Hedigan,
L. Caflisch,
R. Türmen,
C. Bîrsan,
V. Zagrebelsky,
Mme A. Gyulumyan, juges,
et de M. V. Berger, greffier de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 1er juillet 1999,
Vu la décision de la Cour de se prévaloir de l’article 29 § 3 de la Convention et d’examiner conjointement la recevabilité et le fond de l’affaire,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant, M. Abdullah Gül, est un ressortissant turc, né en 1945 et résidant à Diyarbakır. Il est représenté devant la Cour par Me M. Vefa, avocat du barreau de la même ville.
Le requérant habitait, à l’époque des faits dans le sud-est de la Turquie, dans une province soumise à l’état d’urgence. A partir de 1985 environ, de graves troubles entre les forces de sécurité et les membres de l’organisation illégale le PKK, ont fait rage dans cette région. Les événements et les affrontements qui s’y sont produits ont touché de nombreux villages; certains furent évacués, d’autres, abandonnés par leurs habitants, les maisons étant détruites.
A. Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
1. La version des faits donnée par le requérant
Le 15 septembre 1995, les forces armées firent évacuer le village d’Akdiken, dans le district de Kocaköy, où vivait le requérant.
D’après un titre de propriété versé au dossier, le requérant était propriétaire d’un terrain agricole de 6150 ares. Ce terrain abritait également l’habitation du requérant, une dépendance ainsi qu’une centaine d’arbres fruitiers.
Par des lettres du 7 mai 1996, 2 avril et 3 décembre 1997, M. Gül s’adressa à la préfecture de Diyarbakır pour pouvoir retourner à son village.
Le 17 février 1998, le requérant introduisit les mêmes demandes devant la sous-préfecture de Kocaköy. Cette requête fut transmise au commandement sous-préfectoral de la gendarmerie, lequel l’accueillit, en apposant sur la requête l’observation suivante : « Il n’y pas d’inconvénients à ce qu’il laboure son champ ». Tel qu’il ressort du dossier, par un arrêté no HRK 0621 – 1126 – 98 / Asyş.Ks. (1871) (4152) du 22 juin 1998, le Commandement départemental de la gendarmerie acquiesça à cette observation et autorisa le requérant « (...) à labourer et exploiter ses terres, à condition de ne pas rester dans le village pour des raisons de sécurité (...) ». A une date non précisée, cette autorisation fut notifiée à l’épouse du requérant. Or, le 10 novembre 1998, le requérant s’est derechef adressé à la Préfecture en alléguant que le commandant de la gendarmerie du district de Kocaköy lui interdisait d’exploiter ses terrains. Aucune suite ne semble avoir été donnée à ces deux dernières demandes. A la date de l’introduction de sa requête, M. Gül vivait encore à Diyarbakır avec sa famille, alors que sa maison dans le hameau était encore habitable, malgré que les fenêtres et la porte étaient détruites.
2. La version des faits donnée par le Gouvernement
A l’époque des faits le requérant n’habitait plus dans le village en question dans la mesure où il l’avait quitté en raison des activités terroristes intenses qui avaient lieu dans la région et des menaces proférées par le PKK à l’encontre des villageois. Les forces de sécurité ne l’ont pas contraint à quitter son village. Rien ne s’oppose actuellement à son retour chez lui. Des personnes ayant quitté leur village à cause du terrorisme ont déjà commencé à y rentrer et à y reprendre leurs activités.
Le 14 juillet 2004, la Grande Assemblée nationale adopta la « loi sur l’indemnisation des dommages résultant d’actes de terrorisme ou de mesures de lutte contre le terrorisme », qui entra en vigueur le 27 juillet 2004. Cette loi offre un recours suffisant pour redresser les griefs fondés sur la Convention émanant de personnes qui se sont vu refuser l’accès à leurs biens dans leur village.
A cette fin, des commissions d’évaluation et d’indemnisation des dommages furent créées dans 76 départements. Les personnes victimes d’un préjudice en raison du terrorisme ou de mesures prises par les autorités pour combattre le terrorisme peuvent présenter une demande d’indemnisation auprès de la commission compétente.
Le nombre de personnes qui se sont adressées à ces commissions s’élève déjà à 170 000 environ. De plus, 800 personnes dont les requêtes sont pendantes devant la Cour ont également saisi les commissions d’indemnisation. De nombreux villageois ont déjà reçu un dédommagement pour le préjudice qu’ils ont subi.
B. Le droit et la pratique internes pertinents
Le droit et la pratique interne pertinents sont décrits dans l’arrêt Doğan et autres c. Turquie (nos 8803-8811/02, 8813/02 et 8815-8819/02, §§ 31‑35, CEDH 2004‑VI) et dans la décision İçyer c. Turquie (no 18888/02, 12 janvier 2006).
GRIEFS
Invoquant l’article 1 du Protocole no 1 combiné avec l’article 13 de la Convention, le requérant se plaint de ne pas avoir accès à ses biens et de l’impossibilité d’en faire usage.
Invoquant l’article 13, il se plaint de s’être vu dénier un recours effectif, judiciaire ou autre, qui lui aurait permis de contester la destruction de ses biens par les forces de l’ordre.
EN DROIT
A. Griefs tirés de l’article 1 du Protocole no 1
Le requérant allègue que son éviction forcée et le refus des autorités de le laisser retourner à son village et sur ses terres emporte violation de l’article 1 du Protocol no 1, ainsi libellé :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »
Le Gouvernement affirme que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes instauré par la loi d’indemnisation du 27 juillet 2004. A cet égard, il soutient que le mécanisme mis en place à la suite de l’arrêt Doğan et autres du 29 juin 2004 est de nature à redresser les griefs du requérant et présente des perspectives raisonnables de succès.
Le requérant conteste les arguments du Gouvernement. Selon lui, le nouveau recours créé par la loi d’indemnisation ne saurait passer pour effectif.
La Cour observe que selon la loi sur l’indemnisation du 27 juillet 2004, il est possible pour les personnes telles que le requérant de saisir jusqu’au 3 janvier 2007 les commissions d’indemnisation pour demander réparation du dommage qu’il a subi en raison de son éviction forcée, de la destruction de ses biens ou de l’impossibilité d’accéder à ceux-ci.
La Cour a déjà examiné ce recours et a conclu qu’il était effectif pour présenter les griefs fondés sur le déplacement forcé, la destruction des biens et le refus des autorités de laisser accéder à ceux-ci dans les villages du sud-est de la Turquie. En particulier, elle a considéré que le nouveau recours était accessible et offrait des chances raisonnables de succès (İçyer, précitée, §§ 73‑87).
A la lumière de ce qui précède, la Cour considère qu’il n’y a aucune circonstance exceptionnelle de nature à dispenser le requérant de l’obligation d’épuiser ce recours.
Il s’ensuit que ces griefs doivent être rejetés pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
B. Grief tiré de l’article 13 de la Convention
Le requérant se plaint de s’être vu dénier un recours effectif, judiciaire ou autre, qui lui aurait permis de se plaindre de la destruction de ses biens par les forces de l’ordre et invoque l’articles 13 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
Le Gouvernement combat cette allégation en soulignant qu’il existe des recours internes effectifs dont le requérant n’a pas usé.
La Cour a déjà constaté que la loi d’indemnisation offre bien au requérant un recours effectif qu’il peut utiliser pour se plaindre de la destruction de ses biens ou du fait qu’on lui aurait refusé l’accès à ceux-ci. Cette conclusion vaut également dans le contexte du grief tiré de l’article 13 de la Convention.
Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et qu’il y a lieu de le rejeter en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
Vincent Berger Boštjan M. Zupančič
Greffier Président