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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
22.6.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

TROISIÈME SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

des requêtes nos 70316/01, 70318/01, 70319/01, 70321/01, 70322/01, 70323/01, 70324/01, 70325/01, 70326/01, 70327/01 et 70329/01
présentée par Kasım KUR et autres
contre la Turquie

La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant le 22 juin 2006 en une chambre composée de :

MM. B.M. Zupančič, président,
J. Hedigan,
L. Caflisch,
R. Türmen,
C. Bîrsan,
V. Zagrebelsky,
Mme A. Gyulumyan, juges,
et de M. V. Berger, greffier de section,

Vu les requêtes susmentionnées introduites les 26 et 28 janvier 2001,

Vu la décision de la Cour de se prévaloir de l’article 29 § 3 de la Convention et d’examiner conjointement la recevabilité et le fond de ces affaires,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par les requérants,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Les requérants (Kasım Kur, requête no 70316/01, Şakir Deniz, requête no 70318/01, Hüseyin Deniz, requête nº 70319/01, Ferzende Deniz, requête no 70321/01, Saliha, Aygül, Nesime, Mukades, Sakine, Hamdusena, Hanifi et Siracettin Bal, requête no 70322/01, Mustafa Bal, requête no 70323/01, Ahmet Biçer, requête no 70324/01, İsmail, Abdurahim, Abdulhadi et Nizamettin Aykanat, requête no 70325/01, İlhan, Nezir et İhsan Yavaş, requête no 70326/01, Abdulrazak et Seyithan Yaruk, requête no 70327/01, Hasan Nergiz, requête no 70329/01) sont des ressortissants turcs. Ils sont représentés devant la Cour par Me M. Vefa, avocat à Diyarbakır.

Les requérants habitaient tous, à l’époque des faits dans le sud-est de la Turquie, dans une province soumise à l’état d’urgence. A partir de 1985 environ, de graves troubles entre les forces de sécurité et les membres de l’organisation illégale le PKK, ont fait rage dans cette région. Les événements et les affrontements qui s’y sont produits ont touché de nombreux villages ; certains furent évacués, d’autres, abandonnés par leurs habitants, les maisons étant détruites.

A. Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

1. La version des faits donnée par les requérants

En mai 1994, des soldats évacuèrent et incendièrent une grande partie des maisons et des biens du village d’Ergeçit, dans le district de Dolapdere où vivaient les requérants.

Ceux-ci s’adressèrent plusieurs fois aux autorités administratives et militaires afin d’obtenir l’autorisation de retourner dans leur village, sinon, la permission de continuer à cultiver leurs terres. A la date d’introduction de leurs requêtes, les requérants vivaient dans les bidonvilles de Diyarbakır.

2. La version des faits donnée par le Gouvernement

A l’époque des faits les requérants n’habitaient plus dans le village en question dans la mesure où ils l’avaient déjà quitté en raison des activités terroristes intenses qui avaient lieu dans la région et des menaces proférées par le PKK à l’encontre des villageois. Les forces de sécurité n’ont pas contraint les requérants ou les autres habitants à quitter leur village.

Rien ne s’oppose actuellement au retour des villageois chez eux. Des personnes ayant quitté leur village à cause du terrorisme ont déjà commencé à y rentrer et à y reprendre leurs activités.

Le 14 juillet 2004, la Grande Assemblée nationale adopta la « loi sur l’indemnisation des dommages résultant d’actes de terrorisme ou de mesures de lutte contre le terrorisme », qui entra en vigueur le 27 juillet 2004. Cette loi offre un recours suffisant pour redresser les griefs fondés sur la Convention émanant de personnes qui se sont vu refuser l’accès à leurs biens dans leur village.

A cette fin, des commissions d’évaluation et d’indemnisation des dommages furent créées dans 76 départements. Les personnes victimes d’un préjudice en raison du terrorisme ou de mesures prises par les autorités pour combattre le terrorisme peuvent présenter une demande d’indemnisation auprès de la commission compétente.

Le nombre de personnes qui se sont adressées à ces commissions s’élève déjà à 170 000 environ. De plus, 800 personnes dont les requêtes sont pendantes devant la Cour ont également saisi les commissions d’indemnisation. De nombreux villageois ont déjà reçu un dédommagement pour le préjudice qu’ils ont subi.

B. Le droit et la pratique internes pertinents

Le droit et la pratique interne pertinents sont décrits dans l’arrêt Doğan et autres c. Turquie (nos 8803-8811/02, 8813/02 et 8815-8819/02, §§ 3135, CEDH 2004VI) et dans la décision İçyer c. Turquie (no 18888/02, 12 janvier 2006).

GRIEFS

Invoquant l’article 1 du Protocole no 1, les requérants se plaignent de ne pas avoir accès à leurs biens et de l’impossibilité d’en faire usage.

Invoquant l’article 6 de la Convention combiné avec l’article 13, les requérants se plaignent de s’être vu dénier un recours effectif, judiciaire ou autre, qui leur aurait permis de contester la destruction de leurs biens par les forces de l’ordre.

EN DROIT

A. Griefs tirés de l’article 1 du Protocole no 1

Les requérants allèguent que leurs évictions forcées et le refus des autorités de les laisser retourner dans leur village et sur leurs terres ont emporté violation de l’article 1 du Protocole no 1, qui est ainsi libellé :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

Le Gouvernement affirme que les requérants n’ont pas épuisé les voies de recours internes instauré par la loi d’indemnisation du 27 juillet 2004. A cet égard, il soutient que le mécanisme mis en place à la suite de l’arrêt Doğan et autres du 29 juin 2004 est de nature à redresser les griefs des requérants et présente des perspectives raisonnables de succès.

Les requérants contestent les arguments du Gouvernement. Selon eux, le nouveau recours créé par la loi d’indemnisation ne saurait passer pour effectif.

La Cour observe que selon la loi sur l’indemnisation du 27 juillet 2004, il est possible pour les personnes telles que les requérants de saisir jusqu’au 3 janvier 2007 les commissions d’indemnisation pour demander réparation du dommage qu’ils ont subi en raison de leurs évictions forcées, de la destruction de leurs biens ou de l’impossibilité d’accéder à ceux-ci.

La Cour a déjà examiné ce recours et a conclu qu’il était effectif pour présenter les griefs fondés sur le déplacement forcé, la destruction des biens et le refus des autorités de laisser accéder à ceux-ci dans les villages du sud-est de la Turquie. En particulier, elle a considéré que le nouveau recours était accessible et offrait des chances raisonnables de succès (İçyer, précitée, §§ 7387).

A la lumière de ce qui précède, la Cour considère qu’il n’y a aucune circonstance exceptionnelle de nature à dispenser les requérants de l’obligation d’épuiser ce recours.

Il s’ensuit que ces griefs doivent être rejetés pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

B. Grief tiré des articles 6 et 13 de la Convention

Les requérants se plaignent de s’être vu dénier un recours effectif, judiciaire ou autre, qui leur aurait permis de se plaindre de la destruction de leurs biens par les forces de l’ordre et invoquent les articles 6 et 13 de la Convention.

La Cour estime opportun d’examiner ce grief sous l’angle de l’article 13, ainsi libellé :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

Le Gouvernement combat cette allégation en soulignant qu’il existe des recours internes effectifs dont les requérants n’ont pas usé.

La Cour a déjà constaté que la loi d’indemnisation offre bien aux requérants un recours effectif qu’ils peuvent utiliser pour se plaindre de la destruction de leurs biens ou du fait qu’on leur aurait refusé l’accès à ceux-ci. Cette conclusion vaut également dans le contexte du grief tiré de l’article 13.

Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et qu’il y a lieu de le rejeter en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Décide de joindre les requêtes ;

Déclare les requêtes irrecevables.

Vincent Berger Boštjan M. Zupančič
Greffier Président