Přehled
Rozhodnutí
TROISIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 18281/02
présentée par Mehmet Ali AKYÜZ et autres
contre la Turquie
La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant le 22 juin 2006 en une chambre composée de :
MM. B.M. Zupančič, président,
J. Hedigan,
L. Caflisch,
R. Türmen,
C. Bîrsan,
V. Zagrebelsky,
Mme A. Gyulumyan, juges,
et de M. V. Berger, greffier de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 6 février 2002,
Vu la décision de la Cour de se prévaloir de l’article 29 § 3 de la Convention et d’examiner conjointement la recevabilité et le fond de l’affaire,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par les requérants,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Les requérants, Mehmet Ali Akyüz, Mustafa Narin, Fahri Narin, Mehmet Narin, Selahattin Yılmaz, Aziz Kaya, Maşuk Akdemir, Yusuf Erdoğan, Enver Erdoğan, Hasan Yılmaz, Hikmet Çiçek, Mehmet Can Çiçek, Salim Çiçek, et Saniye Polat, sont des ressortissants turcs, résidant à Diyarbakır. Ils sont représentés devant la Cour par Me F. Gümüş, avocat du barreau de la même ville.
Les requérants habitaient tous, à l’époque des faits dans le sud-est de la Turquie, dans une province soumise à l’état d’urgence. A partir de 1985 environ, de graves troubles entre les forces de sécurité et les membres de l’organisation illégale le PKK, ont fait rage dans cette région. Les événements et les affrontements qui s’y sont produits ont touché de nombreux villages ; certains furent évacués, d’autres, abandonnés par leurs habitants, les maisons étant détruites.
A. Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit :
1. La version des faits donnée par les requérants
Le 23 mai 1999 et le 21 juillet 2000, des soldats évacuèrent puis incendièrent une grande partie des maisons et des biens du village de Baharlı, dans le district de Lice où vivaient les requérants.
Le 29 août 2000, les requérants Salim, Hikmet et Mehmet Can Çiçek présentèrent, une requête devant le tribunal de grande instance de Diyarbakır dans le but de faire constater et évaluer leurs préjudices matériels. Après avoir procédé à une expertise sur le lieu de l’incident, le tribunal rendit son jugement, d’après lequel, le dommage subi par ces requérants s’élevait à plus de sept millions de livres turques. Le 3 septembre 2001, les requérants réclamèrent auprès du ministère de l’Intérieur des dommages et intérêts pour le préjudice ainsi établi.
Selon toute vraisemblance, une enquête fut ouverte par le procureur de Lice concernant les incidents. Il ressort d’une note d’information datée du 9 septembre 2001, adressée par le sous-préfet de Lice au maire de Baharlı, que le village en question ne figure pas parmi ceux où le retour définitif des villageois est autorisé ; d’après cette note, ces derniers peuvent s’y rendre uniquement dans la journée, et ce pendant la saison d’été, dans le but de travailler dans leurs champs, à condition d’en informer préalablement la gendarmerie locale.
2. La version des faits donnée par le Gouvernement
A l’époque des faits les requérants n’habitaient plus dans le village en question dans la mesure où ils l’avaient quitté en raison des activités terroristes intenses qui avaient lieu dans la région et des menaces proférées par le PKK à l’encontre des villageois. Les forces de sécurité n’ont pas contraint les requérants ou les autres habitants à quitter leur village.
Rien ne s’oppose actuellement au retour des villageois chez eux. Des personnes ayant quitté leur village à cause du terrorisme ont déjà commencé à y rentrer et à y reprendre leurs activités.
Le 14 juillet 2004, la Grande Assemblée nationale adopta la « loi sur l’indemnisation des dommages résultant d’actes de terrorisme ou de mesures de lutte contre le terrorisme », qui entra en vigueur le 27 juillet 2004. Cette loi offre un recours suffisant pour redresser les griefs fondés sur la Convention émanant de personnes qui se sont vu refuser l’accès à leurs biens dans leur village.
A cette fin, des commissions d’évaluation et d’indemnisation des dommages furent créées dans 76 départements. Les personnes victimes d’un préjudice en raison du terrorisme ou de mesures prises par les autorités pour combattre le terrorisme peuvent présenter une demande d’indemnisation auprès de la commission compétente.
Le nombre de personnes qui se sont adressées à ces commissions s’élève déjà à 170 000 environ. De plus, 800 personnes dont les requêtes sont pendantes devant la Cour ont également saisi les commissions d’indemnisation. De nombreux villageois ont déjà reçu un dédommagement pour le préjudice qu’ils ont subi.
B. Le droit et la pratique internes pertinents
Le droit et la pratique interne pertinents sont décrits dans l’arrêt Doğan et autres c. Turquie (nos 8803-8811/02, 8813/02 et 8815-8819/02, §§ 31‑35, CEDH 2004‑VI) et dans la décision İçyer c. Turquie (no 18888/02, 12 janvier 2006).
GRIEFS
Invoquant l’article 1 du Protocole no 1 combiné avec l’article 13 de la Convention, les requérants se plaignent de ne pas avoir accès à leurs biens et de l’impossibilité d’en faire usage.
Invoquant l’article 6 de la Convention combiné avec l’article 13, les requérants se plaignent de s’être vu dénier un recours effectif, judiciaire ou autre, qui leur aurait permis de contester la destruction de leurs biens par les forces de l’ordre.
Les requérants soutiennent aussi que leur éviction forcée de leur village et l’impossibilité pour eux d’y retourner emporte violation de l’article 8 de la Convention combiné avec l’article 13.
EN DROIT
A. Griefs tirés des articles 8 de la Convention et 1 du Protocole no 1
Les requérants allèguent que leurs évictions forcées et le refus des autorités de les laisser retourner dans leur village et sur leurs terres ont emporté violation des articles 8 de la Convention et 1 du Protocole no 1, qui sont ainsi libellés en leurs parties pertinentes :
Article 8 de la Convention
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale [et] de son domicile (...)
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
Article 1 du Protocole no 1
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »
Le Gouvernement affirme que les requérants n’ont pas épuisé les voies de recours internes instauré par la loi d’indemnisation du 27 juillet 2004. A cet égard, il soutient que le mécanisme mis en place à la suite de l’arrêt Doğan et autres du 29 juin 2004 est de nature à redresser les griefs des requérants et présente des perspectives raisonnables de succès.
Les requérants contestent les arguments du Gouvernement. Selon eux, le nouveau recours créé par la loi d’indemnisation ne saurait passer pour effectif.
La Cour observe que selon la loi sur l’indemnisation du 27 juillet 2004, il est possible pour les personnes telles que les requérants de saisir jusqu’au 3 janvier 2007 les commissions d’indemnisation pour demander réparation du dommage qu’ils ont subi en raison de leurs évictions forcées, de la destruction de leurs biens ou de l’impossibilité d’accéder à ceux-ci.
La Cour a déjà examiné ce recours et a conclu qu’il était effectif pour présenter les griefs fondés sur le déplacement forcé, la destruction des biens et le refus des autorités de laisser accéder à ceux-ci dans les villages du sud-est de la Turquie. En particulier, elle a considéré que le nouveau recours était accessible et offrait des chances raisonnables de succès (İçyer, précitée, §§ 73‑87).
A la lumière de ce qui précède, la Cour considère qu’il n’y a aucune circonstance exceptionnelle de nature à dispenser les requérants de l’obligation d’épuiser ce recours.
Il s’ensuit que ces griefs doivent être rejetés pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
B. Grief tiré des articles 6 et 13 de la Convention
Les requérants se plaignent de s’être vu dénier un recours effectif, judiciaire ou autre, qui leur aurait permis de se plaindre de la destruction de leurs biens par les forces de l’ordre et invoquent les articles 6 et 13 de la Convention.
La Cour estime opportun d’examiner ce grief sous l’angle de l’article 13, ainsi libellé :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
Le Gouvernement combat cette allégation en soulignant qu’il existe des recours internes effectifs dont les requérants n’ont pas usé.
La Cour a déjà constaté que la loi d’indemnisation offre bien aux requérants un recours effectif qu’ils peuvent utiliser pour se plaindre de la destruction de leurs biens ou du fait qu’on leur aurait refusé l’accès à ceux-ci. Cette conclusion vaut également dans le contexte du grief tiré de l’article 13.
Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et qu’il y a lieu de le rejeter en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
Vincent Berger Boštjan M. Zupančič
Greffier Président