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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
20.6.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

DEUXIÈME SECTION

DÉCISION PARTIELLE

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 30323/02
présentée par Artchil PANDJIKIDZE et six autres
contre la Géorgie

La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant le 20 juin 2006 en une chambre composée de :

MM. J.-P. Costa, président,
I. Cabral Barreto,
R. Türmen,
M. Ugrekhelidze,
Mmes A. Mularoni,
E. Fura-Sandström,
M. D. Popović, juges,
et de M. S. Naismith, greffier adjoint de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 24 juillet 2002,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Les requérants, M. Artchil Pandjikidzé et sa mère, Mme Zoïa Pandjikidzé, MM. Goudjar Kourachvili, Kakhaber Kantharia, Guiorgui Guiorgadzé, Othar Mélikidzé et Ioseb Nadiradzé, sont des ressortissants géorgiens, nés respectivement en 1967, (...), 1951, 1971, 1971, 1968 et 1966. La date de naissance de la deuxième requérante est inconnue. Tous les requérants, sauf M. Kourachvili, résident à Tbilissi. Celui-ci réside dans le district de Kaspi, Géorgie. Les requérants sont représentés devant la Cour par Mes Moukhachavria et Dzamoukachvili, avocates associées au sein de « l’Article 42 de la Constitution » à Tbilissi. M. et Mme Pandjikidzé sont par ailleurs représentés par Me Pandjikidzé et M. Kourachvili par Me Bédénachvili.

A. Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les requérants, peuvent se résumer comme suit.

1. Mise en mouvement de l’action publique et instruction préparatoire

Le 24 avril 1999, sur le fondement des informations du service du contreespionnage, le chef du service d’instruction du ministère de la Sécurité mit l’action publique en mouvement contre un groupement X du chef de préparation de complot visant au renversement du pouvoir en place. Le groupement en question aurait été animé par M. I.G., ex-ministre de la Sécurité géorgien résidant en Russie, et aurait eu pour but l’assassinat du Président de la Géorgie, du Président du Parlement, des ministres de la Sécurité, de la Défense et de l’Intérieur.

Le 22 mai 1999, le Procureur général ordonna la constitution du groupe d’instruction, composé de 33 instructeurs, dont ceux du ministère de la Sécurité (au nombre de 13), du ministère de l’Intérieur et du Parquet général, avec à la tête le directeur adjoint du service d’instruction du ministère de la Sécurité (« chef du groupe d’instruction »).

Par une ordonnance du 8 décembre 1999, le chef du groupe d’instruction reconnut au ministre de la Sécurité la qualité de partie civile en raison du dommage moral résultant du crime de complot susmentionné (article 315 du code pénal).

a) M. Pandjikidzé

Le 16 mars 1999, le tribunal de première instance du district de Mthatsminda à Tbilissi autorisa, pour la période du 22 mars au 19 mai 1999, les enregistrements audio et vidéo des conversations de M. Pandjikidzé, garde du corps de l’ex-ministre de la Sécurité. Le 24 mars 1999, la rencontre de M. Pandjikidzé avec M. Ramazachvili, un agent du ministère de la Sécurité, fit l’objet d’un enregistrement vidéo et audio en secret.

Le 6 avril 1999, la Cour suprême de Géorgie (« Cour suprême ») autorisa l’enregistrement audio et vidéo de la rencontre de M. Pandjikidzé le 7 avril 1999 avec M. P.G., chef du parti communiste géorgien et père de l’exministre de la Sécurité, ainsi que l’enregistrement de ses conversations téléphoniques avec l’ex-ministre lui-même.

M. Pandjikidzé fut arrêté le 22 mai 1999 à 14 h 30 à son domicile. Il fut procédé à une perquisition sans autorisation judiciaire préalable à cet effet. Un revolver Nagant avec six cartouches et une grenade à main furent saisis. Emmené au commissariat de police, M. Pandjikidzé ne connut pas les raisons de son arrestation jusqu’à 17 h 00. Il fut alors mis en examen des chefs de trahison sous forme de complot, de tentative et de préparation d’acte terroriste, d’organisation de groupement illégal armé, de participation à ce groupement et d’achat, de recel, de port et de transport illégal d’armes. Dès sa mise en examen, M. Pandjikidzé fut assisté par un avocat d’office qui participa à son premier interrogatoire en qualité de personne inculpée. A partir du 23 mai 1999, il fut représenté par un avocat choisi par sa famille.

Le 23 mai 1999, l’autorité d’instruction informa la Cour suprême « qu’en urgence », une perquisition avait eu lieu le 22 mai 1999 au domicile de M. Pandjikidzé et demanda que celle-ci soit légalisée (article 209 § 2 du code de procédure pénale (« CPP »). Le même jour, la Cour suprême fit droit à cette demande en concluant que la perquisition s’était déroulée dans le respect de la loi.

Le 24 mai 1999, un juge de la Cour suprême décida la mise en détention provisoire de M. Pandjikidzé pour trois mois. Il ne ressort pas du dossier que le requérant ou son avocat aient été présents devant le juge. Cette décision était susceptible d’un recours sous 48 heures devant la Chambre des affaires pénales de la même cour (article 243 § 1 b) du CPP).

Le 2 juin 1999, la demande de M. Pandjikidzé de faire interroger son épouse et son père fut rejetée, au motif prévu à l’article 95 § 1 g) du CPP. Le 8 octobre 1999, son avocat réitéra la même demande affirmant que les personnes concernées détenaient de « l’information importante pour la défense des intérêts de son client ». Cette demande fut à nouveau rejetée.

Le 27 décembre 1999, l’instructeur prononça un non-lieu à l’égard de MM. Ramazachvili (voir ci-dessus), Nadiradzé et Kartchaouli, agents du ministère de la Sécurité, au motif qu’ils avaient aussitôt alerté les autorités ministérielles du dessein de M. Pandjikidzé et, malgré ses demandes insistantes, n’étaient pas entrés en complot avec lui. Il figure au dossier le rapport adressé le 17 mai 1999 par M. Nadiradzé au ministre de la Sécurité ainsi qu’un document officiel faisant état du contenu de l’information portée à la connaissance du ministre les 4 et 20 mars 1999 par M. Ramazachvili.

Le 29 décembre 1999, M. Pandjikidzé demanda que le chef du groupe d’instruction se récuse en mettant en cause l’indépendance de cette personne vis-à-vis du ministre de la Sécurité, partie civile dans l’affaire.

Entre février et mai 2001, M. Pandjikidzé maintint une grève de la faim de 115 jours.

b) M. Kourachvili

Le 8 octobre 1998, le tribunal de première instance du district de Didoubé à Tbilissi autorisa « un contrôle audio » de M. Kourachvili, général major en fonction du ministère de la Défense. Les 8 janvier, 26 février et 7 mai 1999, la Cour suprême et le tribunal de première instance de Didoubé autorisèrent les écoutes téléphoniques, ainsi que l’enregistrement audio et vidéo à l’égard de la même personne. Le 12 juin 1999, l’instructeur reconnut la qualité de preuve aux enregistrements et information ainsi obtenus les 15 janvier, 3 et 13 mars et 22 mai 1999 et ordonna qu’ils soient versés au dossier. Lors des conversations téléphoniques avec un certain M. Tsithélachvili, enregistrées les 3 et 13 mars 1999, M. Kourachvili aurait fait part à son interlocuteur du plan d’un coup d’Etat militaire.

M. Kourachvili fut arrêté au ministère de la Sécurité le 22 mai 1999 dans la matinée. Après un interrogatoire de sept heures, conduit sans aucun procès-verbal et enregistré en secret, il fut menotté et conduit vers 18 h 00 à la prison d’instruction du ministère de l’Intérieur. Le requérant affirme avoir fait l’objet de menaces et de pression. Interrogé toute la nuit du 22 au 23 mai, le procès-verbal d’arrestation ne fut dressé que le 23 mai 1999 à 16 h 00. Le 23 mai 1999, M. Kourachvili fut mis en examen dans l’affaire de complot susmentionnée. Assisté de Me Tchikovani, avocat d’office, il fut alors interrogé en tant qu’inculpé entre 16 h 00 et 23 h 55.

Le 24 mai 1999, M. Kourachvili adressa au ministre de l’Intérieur un aveu écrit à la main en géorgien, dans lequel il fournit les détails relatifs à l’organisation du complot en question, inspiré par l’ex-ministre de la Sécurité. Il regretta de ne pas avoir alerté les autorités à temps et affirma avoir agi ainsi en raison des craintes de subir un règlement de comptes. Il dit avoir reçu une somme d’argent modique de la part de l’ex-ministre par l’intermédiaire de son père. Il aurait réparti cet argent entre les officiers du ministère de la Sécurité, connaissant des difficultés matérielles.

Le même jour, M. Kourachvili fut mis en accusation et interrogé en cette qualité. Il ressort du procès-verbal qu’au début de l’interrogatoire, le requérant fut informé du fait que sa famille avait choisi Me Goksadzé pour assurer sa défense. Il lui fut demandé s’il souhaitait faire convoquer cet avocat. Le requérant répondit qu’il était d’accord d’être interrogé en présence de Me Tchikovani, son avocat d’office. Lors de l’interrogatoire, il modifia certains faits contenus dans son aveu.

A partir du 25 mai 1999, M. Kourachvili fut assisté par Me Goksadzé.

Le 25 mai 1999, un juge de la Cour suprême, statuant dans les mêmes conditions que dans le cas de M. Pandjikidzé, décida la mise en détention provisoire de M. Kourachvili pour trois mois.

Suite à un interrogatoire du 4 juin 1999, réalisé en présence de son conseil, M. Kourachvili se sentit mal et ne fut pas en mesure de relire le procès-verbal pour le signer. Son avocat formula alors, à la fin du procèsverbal, une demande par laquelle il attira l’attention de l’instructeur sur le mauvais état de santé de son client et requit la prise de mesures médicales, « nécessaires à la sauvegarde de sa vie ».

Le 28 juin 1999, M. Kourachvili fut transféré à l’hôpital du ministère de l’Intérieur et y subit une opération chirurgicale lors de laquelle un éclat d’obus lui fut enlevé de la cheville gauche. Le 3 juillet 1999, il quitta l’hôpital. Or, le 25 janvier 2000, M. Kourachvili fut à nouveau hospitalisé. Un diagnostic d’hypertension artérielle, d’ischémie cardiaque, d’ulcère d’intestin grêle, d’athérosclérose et de spondylarthrite des vertèbres lombaires fut établi. Il y suivit différents traitements pendant un an environ avant de retourner, à une date indéterminée en 2001, en prison.

En juin 2000, M. Bédénachvili, membre de l’Union des avocats démocrates, sollicité par le requérant, saisit le chef du groupe d’instruction en demandant son admission à la procédure. Il présenta l’ordre de mission de l’Union ainsi que son document d’identité. Le 26 juin 2000, cette demande fut rejetée au motif que, conformément à la législation en vigueur, seuls les membres du Barreau de Géorgie pouvaient être admis à la procédure lors de l’instruction préparatoire. M. Bédénachvili contesta ce rejet auprès du Procureur général qui le débouta pour les mêmes motifs.

En été 2001, l’état de santé de M. Kourachvili s’aggrava de nouveau. Par une lettre du 10 juillet 2001, le Directeur d’application des peines du ministère de la Justice confirma ce fait et informa M. Bédénachvili, assurant alors la défense de M. Kourachvili, que son client allait être transféré à l’hôpital pénitentiaire.

c) M. Kantharia

Le chef du service du contre-espionnage militaire du ministère de la Sécurité autorisa le 18 avril 1999 l’enregistrement audio des conversations dans l’appartement d’un certain M. Chavgoulidzé à Kouthaïssi, M. Kantharia devant s’y présenter. Cette décision ne put pas être avalisée par un juge, le 18 avril 1999 étant un jour férié. Elle fut alors avalisée en urgence par le vice-procureur général de Géorgie. L’enregistrement eut lieu le même jour. Sa transcription fut versée au dossier. Le 19 avril 1999, la Cour suprême examina le bien-fondé de l’ordonnance du 18 avril 1999 et légalisa la mesure d’enregistrement qu’elle autorisait.

M. Kantharia fut arrêté à son domicile le 22 mai 1999 à 13 h 00. Il fut procédé à une perquisition sur le fondement de l’ordonnance de l’instructeur du 22 mai 1999 concluant à la nécessité urgente d’une telle mesure sans autorisation judiciaire préalable à cet effet. Un pistolet Tokarev, son chargeur avec huit cartouches et une cartouche de Kalachnikov furent saisis.

Le même jour vers 17 h 00, M. Kantharia fut mis en examen des mêmes chefs que M. Pandjikidzé. Le 22 mai 1999, l’instructeur sollicita le barreau du district de Krtsanissi à Tbilissi en vue de l’attribution au requérant d’un avocat d’office. Désigné à une heure indéterminée, l’avocat d’office assista à l’interrogatoire de M. Kantharia dans la nuit. Le 23 mai 1999, celui-ci fut transféré à la prison d’instruction du ministère de l’Intérieur où un médecin conclut à son bon état de santé.

Entre-temps, le 12 mai 1999, l’instructeur prononça un non-lieu à l’égard de MM. Dokhnadzé, Chavgoulidzé et Sébiskvéradzé, agents du ministère de la Sécurité, au motif qu’ils avaient aussitôt alerté les autorités des tentatives de M. Kantharia de les entraîner dans ses activités anti-étatiques et n’étaient pas entrés en complot avec lui.

Le 23 mai 1999, l’autorité d’instruction du ministère de la Sécurité informa la Cour suprême que, « vu l’urgence », une perquisition avait eu lieu le 22 mai 1999 au domicile de M. Kantharia et demanda que celle-ci soit légalisée. Le même jour, la Cour suprême fit droit à cette demande en concluant que la perquisition s’était déroulée dans le respect de la loi.

Le 24 mai 1999, un juge de la Cour suprême, statuant dans les mêmes conditions que dans le cas des requérants précédents, décida la mise en détention provisoire de M. Kantharia pour trois mois.

Le 24 mai 1999, certains hauts fonctionnaires déclarèrent sur la première chaîne nationale de télévision que des terroristes comme MM. Pandjikidzé, Kourachvili et Kantharia avaient été arrêtés, que, de la sorte, le renversement du régime constitutionnel avait été évité et que ces personnes risquaient une réclusion à perpétuité ainsi que la confiscation de biens.

d) MM. Guiorgadzé, Mélikidzé et Nadiradzé

Dans le cadre de la même affaire pénale, MM. Guiorgadzé, Mélikidzé et Nadiradzé furent arrêtés respectivement les 22, 27 et 31 mai 1999.

Avant son arrestation, M. Guiorgadzé fit l’objet d’écoutes téléphoniques. Après son arrestation le 22 mai 1999, il affirme avoir fait l’objet d’un passage à tabac au commissariat de police avec des bouteilles en plastique remplies d’eau, ainsi que de mauvais traitements à l’aide d’un téléphone électrique. Le même jour, il fut mis en examen et interrogé en qualité d’inculpé en présence d’un avocat d’office. Le 23 mai 1999, M. Guiorgadzé fut examiné par un médecin de la prison d’instruction qui conclut à son bon état de santé. Le même jour, il fut mis en accusation. Le 24 mai 1999, un juge de la Cour suprême décida, dans les mêmes conditions que dans le cas des requérants précédents, sa mise en détention provisoire pour trois mois.

En mai 1999, M. Mélikidzé fut également mis en examen. Passant aux aveux lors de l’instruction, il désavoua ses dires après son renvoi en jugement.

Dans la nuit du 31 mai au 1er juin 1999, M. Nadiradzé fut également mis en examen. Il fut alors interrogé en qualité d’inculpé entre 0 h 20 et 3 h 30 en présence d’un avocat d’office. Ce n’est qu’à partir du 19 juillet 1999 qu’il bénéficia de l’assistance de deux avocats de son choix. Il désavoua alors les aveux auxquels il était passé antérieurement.

2. Clôture de l’instruction préparatoire

Le 30 décembre 1999, l’instruction préparatoire fut close. Les requérants furent invités à prendre connaissance du dossier. Toutefois, suite au décès d’un des coaccusés (non partie à la présente requête), le 8 février 2000, l’instruction fut rouverte en vue de « la conduite de certains procédés » pour être à nouveau close le même jour. Les parties furent invitées à prendre connaissance du dossier à partir du 9 février 2000. A une date indéterminée, les dix coaccusés, dont les six requérants susmentionnés, furent traduits devant le collège des affaires pénales de la Cour suprême (« le collège ») pour être jugés.

3. Quant à la phase judiciaire

Devant le collège, M. Guiorgadzé se plaignit d’avoir fait l’objet de menaces et de mauvais traitements lors de son interrogatoire du 22 mai 1999 au commissariat de police. Il ne ressort ni du jugement de condamnation ni d’un autre document du dossier que le collège ait répondu à cette plainte.

Le 8 novembre 2001, siégeant en une formation d’un juge et de deux magistrats non professionnels, le collège prononça un jugement d’acquittement partiel. Reconnus coupables de trahison sous forme de complot contre l’ordre constitutionnel (article 315 § 1 du code pénal), MM. Pandjikidzé, Kourachvili et Kantharia furent condamnés à des peines d’emprisonnement de trois ans chacun, et MM. Guiorgadzé, Mélikidzé et Nadiradzé à des peines d’emprisonnement de deux ans et cinq mois chacun. Ces trois derniers requérants furent libérés sur-le-champ, la durée de la détention provisoire ayant été imputée sur celle de leurs peines.

A la différence de MM. Pandjikidzé, Kourachvili et Kantharia, MM. Guiorgadzé, Mélikidzé et Nadiradzé ne se pourvurent pas en cassation. Les trois premiers requérants contestèrent le bien-fondé de leur condamnation devant la chambre des affaires pénales de la Cour suprême (« la chambre ») et, dans leurs pourvois, se plaignirent du fait que l’instruction de leur affaire avait été conduite par le ministère de la Sécurité, alors que le ministre lui-même était partie civile dans l’affaire.

Le 25 janvier 2002, la chambre confirma le jugement du 8 novembre 2001, relevant que les requérants concernés n’avaient été condamnés que dans la partie de l’accusation étayée par des éléments de preuve solides et que, pour le reste, le bénéfice du doute leur avait été accordé. Concernant le moyen tiré de l’absence d’indépendance de l’organe d’instruction, la chambre nota que le groupe d’instruction avait été constitué par le Procureur général et que celui-ci avait « dirigé » l’instruction « du point de vue procédural ». Elle rappela également que l’instruction des affaires relatives au crime, dont la commission était reprochée aux requérants (article 315 du code pénal), incombait au ministère de la Sécurité en vertu de l’article 62 § 6 du CPP. Or, les requérants ayant été acquittés pour les chefs d’accusation y afférant, la qualité de partie civile du ministre de la Sécurité n’entraînait pas l’annulation du jugement de condamnation.

4. Quant à Mme Pandjikidzé

Selon Mme Pandjikidzé, le décès le 8 mars 2002 de son mari, père du premier requérant, fut le résultat de l’arrestation et de la détention illégales de leur fils, ainsi que des déclarations publiques de culpabilité faites à son sujet par des hauts fonctionnaires. Mme Pandjikidzé produit le certificat de décès de son mari, selon lequel le décès survint en raison d’une ischémie cardiaque. Selon le certificat médical du 5 mars 2001, M. Pandjikidzé tomba malade en 1999 suite à des tensions artérielles très élevées, et il souffrait d’athérosclérose cérébrale et d’hydrocéphalie atrophique.

B. Le droit interne pertinent

1. Quant à l’organe d’instruction

Code de procédure pénale (« CPP »), tel qu’en vigueur à l’époque des faits

Article 60 §§ 1 et 3

« Le chef de l’autorité d’instruction effectue le contrôle institutionnel de la diligence des instructeurs (...) et prend des mesures nécessaires à une information préparatoire exhaustive et objective (...).

[Il] donne des indications écrites à l’instructeur qui est tenu de les exécuter. (...) »

Article 61

« L’instruction préparatoire (...) est réalisée par les instructeurs du parquet, du ministère de l’Intérieur et du ministère de la Sécurité.

Les instructeurs militaires sont des instructeurs du parquet.

Les instructeurs, nonobstant leur appartenance institutionnelle, sont égaux dans leurs droits et obligations. »

Article 62 §§ 3, 4, 5 et 6

« L’instructeur militaire réalise l’instruction des affaires pénales diligentées à l’encontre des (...) agents du ministère de la Sécurité, (...)

Les instructeurs du ministère de la Sécurité réalisent l’instruction dans les affaires pénales relatives aux crimes prévus aux articles (...), 65[1], (...) de [l’ancien] code pénal.

Si une affaire pénale réunit plusieurs chefs d’accusation (...), l’instruction est réalisée par l’instructeur dont relève l’instruction du crime le plus lourd.

En cas de concurrence des compétences (...), la priorité est accordée à la compétence institutionnelle. »

Article 68 §§ 3 et 8

« Lorsqu’il s’agit d’une préparation ou d’une tentative de crime, peut être reconnue partie civile dans l’affaire la personne physique qui aurait pu subir un dommage en résultant.

S’il s’avère, après l’adoption de la décision reconnaissant la qualité de partie civile à une personne, que cette décision n’est plus fondée, l’autorité chargée de l’instruction est tenue de la rapporter. »

Article 275

« Le procureur ou le chef de l’autorité d’instruction peuvent charger un groupe d’instruction, permanent ou spécialement constitué, de l’information dans une affaire pénale particulièrement complexe ou extrêmement importante. Il est alors indiqué dans l’ordonnance les noms du chef et des membres du groupe d’instruction. (...) »

Article 276 §§ 1 et 2

« Le chef du groupe d’instruction (...) est responsable de l’avancement général et des résultats finals de l’information, ainsi que du bien-fondé et de la légalité de chaque acte réalisé et de chaque décision prise lors de l’instruction.

[Il] a) répartit le travail entre différents instructeurs, définit pour chacun d’eux (...) la direction à suivre lors de l’information, les charge d’accomplir des actes d’instruction pour lesquels il leur fixe des délais ; (...) ; c) décide des questions qui surgissent lors de l’information (...) ; d) garantit l’exécution des indications du chef de l’autorité d’instruction (...) ; e) diligente des commissions rogatoires (...) »

Article 277

« 1. Les membres du groupe d’instruction exécutent les missions et indications émanant du chef du groupe d’instruction et lui rendent compte de leur exécution.

2. Si le membre du groupe d’instruction considère une telle mission ou indication mal fondée ou illégale, il en informe le chef du groupe d’instruction (...) En cas de désaccord (...), le membre du groupe s’adresse au procureur qui décidera (...) »

2. Quant aux magistrats non professionnels

a) CPP, tel qu’en vigueur à l’époque des faits

Article 8 § 3

« Le pouvoir judiciaire n’est responsable ni devant le législatif ni devant l’exécutif. Le juge et le magistrat non professionnel sont indépendants et ne se conforment qu’à la Constitution de la Géorgie et à la Loi. »

Article 44 §§ 1 et 2

« [Au sens du présent code], (...) le terme de juge [désigne] l’organe qui, en sa capacité individuelle, examine sur le fond les affaires pénales ainsi que les pièces relatives à l’application de mesures procédurales de restriction.

Le terme de magistrat non professionnel [désigne] le ressortissant géorgien qui, conformément aux règles définies par la loi, est autorisé à participer à l’examen de l’affaire par les tribunaux de droit commun. »

Article 51

« Tous les juges faisant partie d’un collège judiciaire, ainsi que le juge et les magistrats non professionnels, bénéficient des pouvoirs égaux de participation à l’examen des éléments de preuve et de prise de décision. »

Article 105 § 1

« Le juge, le magistrat non professionnel, le procureur, (...), ne peut pas participer à la procédure relative à une affaire pénale si :

a) il n’a pas été désigné ou élu à ce poste selon les règles définies par la loi ;

b) son mandat a expiré ; (...) »

Article 108 § 1

« S’il existe des motifs prévus aux articles 105-107, le juge, le magistrat non professionnel, le procureur, l’instructeur, (...), ont l’obligation de se déporter. S’ils ne se sont pas déportés, la personne mise en examen, l’accusé, (...), peuvent les récuser. »

Article 434 § 1

« En fonction de leur compétence, les tribunaux examinent les affaires pénales en premier ressort comme suit : (...) le collège des affaires pénales de la Cour suprême siégeant en une formation composée d’un juge et de deux magistrats non professionnels. »

Article 438 §§ 1 et 2

« 1. Le juge et les magistrats non professionnels constituent ensemble un collège qui, avec la majorité des voix, décide de toute question soulevée lors de l’examen de l’affaire et prend la décision finale.

2. Lors de l’examen des éléments de preuve et de la prise de décision, le magistrat non professionnel bénéficie des droits égaux à ceux du juge. »

b) Loi organique du 13 juin 1997, relative aux tribunaux de droit commun

Article 46 § 1 – « Exigences pour être candidat au poste de magistrat »

« Peut être magistrat tout ressortissant géorgien capable à partir de l’âge de 30 ans, s’il a un diplôme d’études supérieures en droit, a une expérience professionnelle de cinq ans au moins, maîtrise la langue officielle d’Etat et a passé l’examen de qualification. »

c) Loi organique du 12 mai 1999, relative à la Cour suprême de Géorgie, tel qu’en vigueur à l’époque des faits

Article 8 (aboli le 20 avril 2005)

« 1. Le collège des affaires pénales de la Cour suprême examine en premier ressort les affaires pénales qui, conformément au droit de procédure pénale, relèvent de la compétence de la Cour suprême.

2. En examinant les affaires, le collège des affaires pénales de la Cour suprême siège en une formation composée d’un juge et de deux magistrats non professionnels. »

Article 20

« 1. Peut être juge à la Cour suprême tout ressortissant géorgien à partir de l’âge de 30 ans, s’il a un diplôme d’études supérieures en droit, a une expérience professionnelle de cinq ans au moins, maîtrise la langue officielle d’Etat et a passé l’examen de qualification conformément [aux exigences] de la loi relative aux tribunaux de droit commun.

2. Le Président de la Géorgie peut présenter la candidature d’un spécialiste éminent en droit au Parlement géorgien en vue de son élection au poste de juge à la Cour suprême sans que cette personne ait passé l’examen de qualification. La personne portée candidat à l’élection au poste du président de la Cour suprême est également dispensée de cet examen. »

Article 21 § 1

« Le président et les juges de la Cour suprême sont élus pour une durée de dix ans, sur proposition du Président, par le Parlement de la Géorgie avec la majorité des voix de ses membres. »

d) Code du travail

Article 110 § 3 (toujours en vigueur)

« L’employé conserve son salaire, lorsqu’il remplit, pendant son temps de travail, l’une des obligations publiques ou civiques suivantes : (...) ; participe au procès en tant que magistrat non professionnel (...) »

e) Loi du 12 juin 1998, relative à la prolongation du mandat des magistrats non professionnels, abolie le 25 mars 2005

Article 1

« Le mandat des magistrats non professionnels de la Cour suprême de Géorgie est prolongé jusqu’au 1er juillet. »

Suite aux amendements subséquents des 28 mai 1999, 13 juin et 5 décembre 2000, 7 décembre 2001, 28 décembre 2002 et 29 décembre 2004, ce mandat fut prolongé respectivement jusqu’aux 1er juillet 2000, 1er janvier 2001, 1er janvier et 31 décembre 2002, 31 décembre 2004 et 31 décembre 2005. L’institution des magistrats non professionnels fut abolie avec les amendements apportés au CPP le 25 mars 2005.

3. Quant aux enregistrements secrets

Article 65 § 2, 3 et 4 du CPP (avant l’amendement du 13 mai 1999)

« Les mesures opérationnelles d’enquête qui restreignent les droits de l’homme (...), tels l’enregistrement audio et vidéo en secret, (...), le contrôle des conversations téléphoniques (...), ne peuvent avoir lieu avant la mise en mouvement de l’action publique que sur le fondement d’une décision judiciaire. (...) Lors de la mise en œuvre de la mesure concernée, il est dressé un procès-verbal qui doit faire état des conditions dans lesquelles les moyens techniques furent utilisés et doit être conservé avec les résultats obtenus selon les règles établies par la loi.

(...) Lorsqu’il est impossible d’obtenir la décision judiciaire susmentionnée, en particulier en raison de l’absence du juge, les mesures opérationnelles d’enquête visées au paragraphe précédent peuvent avoir lieu suite à l’aval du procureur (...) qui est tenu d’en informer le juge compétent dans les 24 heures suivant en lui soumettant les documents pertinents. (...) le juge vérifie si la mesure en cause fut réalisée dans le respect de la loi et a) prend une décision de sa légalisation ou, b) déclarant la mesure illégale, ordonne l’annulation de ses résultats et la destruction des données obtenues.

Les décisions judiciaires visées aux paragraphes 2 et 3 précédents sont définitives et ne sont pas susceptibles de recours. »

4. Quant à la représentation dans un procès pénal

a) Constitution

Article 18 § 5

« La personne arrêtée ou mise en détention provisoire (...) a le droit de demander l’assistance d’un avocat dès son arrestation ou sa mise en détention provisoire et cette demande doit être accueillie. »

b) CPP, tel qu’en vigueur à l’époque des faits

Article 44 §§ 23 et 39 (44 § 39, tel qu’amendé le 28 mai 1999)

« [Au sens du présent code], le terme de personne à défendre [désigne] la personne mise en examen ou l’accusé qui est représenté(e) par un défenseur.

[Les termes] de cabinet, bureau ou firme d’avocats [désignent] les organisations où travaillent les membres des Barreaux de la Géorgie et des Républiques autonomes d’Abkhazie et d’Adjarie, ainsi que d’autres personnes qui, conformément à la loi, sont autorisés à exercer le métier d’avocat. »

Article 72 §§ 3 et 5

« Si la personne est arrêtée, l’ordonnance de mise en mouvement de l’action publique à son encontre et celle de sa mise en examen doivent être prises au commissariat de police ou dans un autre organe d’enquête dans les 12 heures suivant sa présentation devant cette autorité. Les droits de garder le silence, de ne pas s’incriminer et d’inviter un avocat doivent être aussitôt explicités à la personne mise en examen qui fait l’objet de l’arrestation. (...)

Le défenseur est admis à la procédure avant le premier interrogatoire de la personne mise en examen. (...) »

Article 73 § 1 c)

« La personne mise en examen a le droit à l’assistance d’un avocat (...) »

Article 78 §§ 2, 3 et 6

« Le défenseur peut être une personne diplômée en droit qui, conformément à la loi, a le droit d’exercer le métier d’avocat.

L’autorité chargée de la procédure n’a pas le droit de restreindre la personne mise en examen ou en accusation dans son choix de défenseur.

La personne mise en examen, l’accusé ou le prévenu a le droit, tout au long de la procédure, de renoncer au droit de désigner un avocat, de bénéficier de l’assistance d’un avocat d’office, de désigner un avocat ou de se défendre lui-même. Ce renoncement n’est acceptable que s’il est formulé suite à sa propre initiative. »

Article 82

« En vue de son admission à la procédure, l’avocat doit présenter à l’autorité chargée de la procédure l’ordre de mission de son Barreau, de sa firme ou de son bureau, ainsi que son document d’identité. »

Article 146 § 5

« La personne mise en examen doit être aussitôt informée de l’ordonnance de mise en mouvement de l’action publique à son encontre ou de l’ordonnance de sa mise en examen et de son arrestation, ce qu’elle doit confirmer par sa signature. Simultanément, ses droits prévus à l’article 73 du présent code lui doivent être explicités. (...) »

5. Quant aux témoins

Aux termes de l’article 95 § 1 g) du CPP, ne peuvent être témoins les membres de famille proche de la personne mise en examen, à moins que ceux-ci donnent leur accord pour être interrogés comme témoins à charge.

Selon l’article 455 §§ 1 et 2 du CPP, les parties disposent d’un délai de cinq jours à partir de la signature du procès-verbal de l’audience pour déposer leurs demandes en rectification. Leurs remarques sont examinées par la formation ayant siégé dans l’affaire qui les accepte ou les écarte.

GRIEFS

1. M. Pandjikidzé

M. Pandjikidzé estime que sa grève de la faim de 115 jours sans que les autorités fassent droit à ses nombreuses demandes de procédure, et son isolement pendant les premiers trois mois de détention, emportent violation des articles 2 et 3 de la Convention.

Invoquant l’article 5 §§ 1 c), 2, 3 et 4, M. Pandjikidzé affirme qu’il n’existait pas de « raisons plausibles » de soupçonner qu’il avait commis une infraction et se plaint d’avoir ignoré, pendant plus de trois heures, les raisons de son arrestation. M. Pandjikidzé dénonce en outre le fait que sa mise en détention provisoire fut décidée le 24 mai 1999 sans sa présence et estime que la durée de cette détention fut excessive. Il se plaint qu’il n’eut pas la possibilité de contester devant un tribunal les aspects illégaux de son arrestation. Sur le terrain des articles 5 § 5 et 13, M. Pandjikidzé se plaint qu’il n’existe en droit interne aucune voie de recours lui permettant d’obtenir une compensation pour sa détention illégale de trois ans.

Sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention, M. Pandjikidzé se plaint d’abord de la durée de la procédure. Il souligne que, l’instruction préparatoire ayant été réellement terminée le 9 décembre 1999, l’examen judiciaire de l’affaire ne débuta qu’en mai 2001.

M. Pandjikidzé se plaint ensuite que, contrairement à l’article 62 du CPP, le parquet militaire ne fut pas chargé de l’instruction de son affaire. Celle-ci ayant été conduite par le ministère de la Sécurité, alors que le ministre luimême était partie civile dans l’affaire, il estime que son droit à un procès équitable fut méconnu.

M. Pandjikidzé conteste également la compétence des magistrats non professionnels de la Cour suprême qui, remplissant le rôle également important que le juge du siège, n’avaient aucune formation ni expérience nécessaire. Participant au jugement du prévenu dans des affaires pénales importantes examinées en premier ressort par cette juridiction, ces magistrats seraient exemptés, en violation de l’article 46 § 1 de la loi relative aux tribunaux de droit commun, des exigences de professionnalisme et d’accession au poste par concours. Le requérant en déduit que le collège composé d’un juge professionnel et de deux magistrats non professionnels n’était pas compétent pour décider du bien-fondé de l’accusation portée contre lui. Il n’aurait donc pas été jugé par un tribunal « établi par la loi ».

Invoquant l’article 6 § 2 de la Convention, M. Pandjikidzé se plaint des déclarations de certains hauts fonctionnaires, faites le 24 mai 1999 sur la première chaîne nationale de télévision.

Invoquant l’article 6 § 3 a) de la Convention, M. Pandjikidzé se plaint qu’arrêté le 22 mai 1999 à 14 h 30, il ne fut informé des charges portées contre lui que vers 17 h 00. Invoquant l’article 6 § 3 c), il affirme que la prétendue découverte des armes dans son appartement, l’absence d’information au sujet des raisons de son arrestation, ainsi que son interrogatoire pendant la nuit, furent possibles faute d’avoir aussitôt accès à un avocat. En lui attribuant un avocat d’office, l’instructeur ne l’aurait pas d’abord invité à choisir son défenseur. M. Pandjikidzé estime que l’article 44 § 23 du CPP n’est pas conforme à l’article 6 § 3 c), vu qu’il n’autorise la personne arrêtée à avoir l’assistance d’un avocat qu’après sa mise en examen. La mise en examen devant intervenir, aux termes des articles 72 § 3 et 146 du CPP, dans les 12 heures suivant l’arrestation, les autorités disposeraient, selon lui, de ce laps de temps pour agir en toute impunité.

M. Pandjikidzé se plaint qu’en méconnaissance de l’article 6 § 3 d), à aucun moment de la procédure, il n’eut la possibilité de faire interroger les membres de sa famille. Il affirme par ailleurs que MM. Ramazachvili, Nadiradzé et Kartchaouli bénéficièrent d’un non-lieu le 27 décembre 1999 pour avoir déposé contre lui. Interrogés en première instance comme témoins à charge, ils auraient subi la pression de la part du ministère public.

M. Pandjikidzé affirme que les enregistrements audio et vidéo dont il fit l’objet les 22 mars-24 avril 1999 ne furent pas versés au dossier ni ne furent publiés et débattus lors de l’examen judiciaire de l’affaire. Il conteste le fait que ces enregistrements aient été autorisés et aient eu lieu avant la mise en mouvement de l’action publique. Exprimant des craintes quant à l’utilisation à son encontre de ces enregistrements en dehors de la procédure pénale en question, il invoque l’article 8 de la Convention. Invoquant l’article 13 en combinaison avec l’article 8, M. Pandjikidzé se plaint de l’absence de voies de recours internes contre l’utilisation dans une affaire pénale des enregistrements audio et vidéo effectués illégalement.

Invoquant l’article 10, M. Pandjikidzé affirme avoir été poursuivi pour avoir exprimé son mécontentement envers le pouvoir en place.

2. M. Kourachvili

M. Kourachvili se plaint qu’en méconnaissance de l’article 3 de la Convention, il fut interrogé pendant la nuit les 22 et 23 mai et 4 juin 1999 et, soumis à « des pressions de caractère physique et psychologique » lors de l’instruction, il fut obligé de passer aux aveux. Se référant aux certificats médicaux figurant au dossier, M. Kourachvili affirme avoir été délibérément exposé à un danger de mort en violation de l’article 2 de la Convention.

Invoquant les articles 5 §§ 1 c), 2 et 3, 6 §§ 1, 2 et 3 c) de la Convention, M. Kourachvili soulève les mêmes griefs que M. Pandjikidzé. Il se plaint de surcroît du refus de l’instructeur d’admettre Me Bédénachvili à la procédure.

M. Kourachvili fait valoir qu’ayant effectué ses études supérieures en Russie, et pour avoir habité ce pays pendant 29 ans, il aurait dû être assisté par un interprète du russe pendant l’instruction.

M. Kourachvili soutient que le fait d’avoir versé au dossier et d’avoir rendu publics, lors de la phase du jugement, les enregistrements illégaux des 3 et 13 mars 1999, effectués avant la mise en mouvement de l’action publique, emporte violation de l’article 8 de la Convention. Sur le terrain de cette disposition, ainsi qu’en invoquant l’article 13 de la Convention, M. Kourachvili formule par ailleurs les mêmes griefs que M. Pandjikidzé.

Invoquant l’article 10, il estime qu’il fut poursuivi pour avoir dénoncé le 30 avril 1999 des problèmes sérieux dans l’Armée géorgienne.

3. M. Kantharia

Invoquant l’article 3 de la Convention, M. Kantharia se plaint qu’il fut maintenu en détention dans des conditions d’isolement pendant les premiers huit mois et que, suivant son arrestation, il fut interrogé pendant la nuit sous « pression physique et psychologique ». Invoquant les articles 5 §§ 1 c), 2 et 3, 6 §§ 1, 2 et 3 a) et c) de la Convention, il soulève des griefs similaires à ceux de M. Pandjikidzé.

M. Kantharia affirme qu’en violation de l’article 6 § 3 d), MM. Dokhnadzé, Chavgoulidzé et Sébiskvéradzé bénéficièrent d’un non-lieu le 12 mai 1999 pour avoir déposé contre lui. Interrogés en tant que témoins à charge en première instance, ces personnes auraient subi la pression du ministère public.

M. Kantharia se plaint que l’enregistrement du 18 avril 1999 est illégal, parce qu’effectué avant la mise en mouvement de l’action publique. Cet enregistrement fut versé au dossier et rendu public dans le cadre de l’examen judiciaire de l’affaire, ce qui emporterait violation de l’article 8 de la Convention. Invoquant à cet égard l’article 13 de la Convention, M. Kantharia soulève les mêmes griefs que M. Pandjikidzé.

4. MM. Guiorgadzé, Mélikidzé et Nadiradzé

Invoquant l’article 3 de la Convention, M. Guiorgadzé se plaint que, lors de l’interrogatoire après son arrestation, il fit l’objet de menaces et de mauvais traitements et qu’il fut maintenu à l’isolement pendant trois mois. Sous l’angle des articles 5 §§ 1 c), 2, 3 et 5, 6 §§ 1 et 3 a) et c), 8 et 13 de la Convention, il soulève les mêmes griefs que M. Pandjikidzé. M. Guiorgadzé se plaint de surcroît que le fait d’avoir divulgué le contenu de ses conversations téléphoniques, enregistrées illégalement, devant toute sa famille et un large public lors du procès emporte violation de l’article 8 de la Convention.

Invoquant les articles 6 et 13 de la Convention, MM. Mélikidzé et Nadiradzé se plaignent que l’instruction préparatoire fut conduite par le ministère de la Sécurité, que la durée de la procédure pénale fut excessive et qu’en première instance, ils ne furent pas jugés par un tribunal « établi par la loi ». Invoquant l’article 6 § 3 b) et c), M. Nadiradzé se plaint de ne pas avoir eu accès à l’avocat de son choix avant le 19 juillet 1999.

5. Mme Pandjikidzé

La requérante affirme que la manière dont la procédure pénale, diligentée à l’encontre de son fils, fut gérée par les autorités, causa de vives souffrances à son mari et provoqua son décès, en violation des articles 2 et 3 de la Convention.


EN DROIT

1. Quant à la violation alléguée des articles 2 et 3 de la Convention

MM. Pandjikidzé, Kourachvili, Kantharia et Guiorgadzé se plaignent de violations de l’article 3, les deux premiers requérants invoquant également l’article 2 de la Convention. Par ailleurs, Mme Pandjikidzé se plaint que son mari fut victime de violations des articles 2 et 3 de la Convention, dont les dispositions pertinentes sont ainsi libellées :

Article 2 § 1

« Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d’une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi. »

Article 3

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

a) Quant à M. Pandjikidzé

M. Pandjikidzé dénonce l’absence de réaction des autorités compétentes face à sa grève de la faim de 115 jours entre février et mai 2001 et se plaint de son isolement pendant trois mois suite à son arrestation.

Pour ce qui est de la grève de la faim, la Cour relève d’emblée que M. Pandjikidzé ne saisit jamais les autorités supérieures pour dénoncer l’attitude de l’administration pénitentiaire envers son refus de se nourrir. Aucune décision interne n’étant intervenue à ce sujet, la fin de la situation incriminée se situe en dehors du délai de six mois prévu à l’article 35 § 1 de la Convention (Agaoglu c. Turquie (déc.), no 27310/95, 28 août 2001). En tout état de cause, il est à noter que M. Pandjikidzé ne fut jamais nourri de force (a contrario, Nevmerzhitsky c. Ukraine, no 54825/00, §§ 82-106, 5 avril 2005) et qu’à aucun moment, il ne se plaignit devant la Cour que les autorités compétentes auraient dû procéder ainsi au titre de leurs obligations positives découlant de l’article 2 de la Convention. En outre, même si la santé de l’intéressé a dû se détériorer, il ne ressort pas du dossier qu’en raison de l’attitude des autorités, qualifiée d’absence de réaction par le requérant, sa vie fut exposée à un danger apparent (X c. Allemagne (1984) 7 EHRR 152) et que, par conséquent, un « impératif médical » justifiait qu’il soit nourri de force (Nevmerzhitsky, précite, § 94 ; mutatis mutandis, Herczegfalvy c. Autriche, arrêt du 24 septembre 1992, série A no 244, p. 26, § 83).

Au vu des éléments en sa possession, la Cour constate que M. Pandjikidzé entama la grève de la faim qu’il maintint pendant 115 jours afin de marquer son désaccord avec la procédure pénale diligentée à son encontre et pour que les autorités fassent droit à ses différentes demandes de procédure, dont il ne précise d’ailleurs ni la nature ni le contenu. Le requérant ne fournit aucune preuve permettant de conclure que sa grève de la faim était autrement justifiée (cf., Valašinas c. Lituanie, no 44558/98, §§ 36, 37 et 124, CEDH 2001VIII). Par ailleurs, il ne ressort pas du dossier que les soins médicaux adaptés à son état de santé ne lui aient pas été octroyés pendant la durée de sa grève, ou qu’il ait été médicalement inapte à endurer la mesure préventive d’incarcération (cf., Uyan c. Turquie, no 7454/04, §§ 49, 51 et 53, 10 novembre 2005). En effet, rien dans le dossier ne permet de conclure que la détention de M. Pandjikidzé pendant les 115 jours litigieux atteignit un niveau suffisant de gravité pour rentrer dans le champ d’application de l’article 3 de la Convention.

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, la Cour estime que les griefs de M. Pandjikidzé tirés des articles 2 et 3 de la Convention quant à la grève de la faim sont manifestement mal fondés et doivent être rejetés en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

Pour ce qui est des conditions d’isolement, rien dans le dossier ne permet de conclure que M. Pandjikidzé saisit les autorités compétentes de ce grief avant de le soulever devant la Cour (a contrario, Davtian c. Géorgie (déc.), no 73241/01, 6 septembre 2005). En tout état de cause, il ne précise pas en quoi consista concrètement le caractère contraire à l’article 3 de ses conditions de détention pendant la période litigieuse. Il s’ensuit que son grief manque en fait et doit dès lors être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

b) Quant à MM. Kourachvili et Kantharia

Invoquant l’article 3 de la Convention, MM. Kourachvili et Kantharia se plaignent qu’au stade initial de l’instruction, ils furent interrogés dans la nuit et firent l’objet de pressions physique et psychologique. M. Kantharia se plaint en outre de son isolement de huit mois, alors que M. Kourachvili considère avoir été exposé à un danger de mort, en violation de l’article 2.

Rien dans le dossier ne permet de conclure que MM. Kourachvili et Kantharia aient formé un recours hiérarchique ou judiciaire, ou qu’ils aient autrement alerté les autorités compétentes, pour dénoncer la pression subie lors des interrogatoires litigieux ou les modalités de déroulement de ceux-ci, dont ils se plaignent devant la Cour (voir, parmi beaucoup d’autres, Yaşa c. Turquie, arrêt du 2 septembre 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998VI, p. 2431, § 71 ; a contrario, Danelia c. Géorgie (déc.), no 68622/01, 6 septembre 2005, et Davtian, décision précitée). De surcroît, les affirmations d’ordre général de ces requérants, ainsi que l’absence totale d’indices factuels quant au traitement prétendument contraire à l’article 3, ne donnent pas lieu, en l’espèce, à un doute fondé sur des faits, ou de présomptions non réfutées, suffisamment graves, précis et concordants (Chamaïev et 12 autres c. Géorgie et Russie, no 36378/02, § 338, 12 avril 2005). Il s’agit donc là de simples affirmations auxquelles la Cour ne saurait attacher « un caractère de preuve déterminant » (Absandzé c. Géorgie (déc.), no 57861/00, 15 octobre 2002). Quant au reste, M. Kantharia ne précise pas en quoi consista concrètement le caractère contraire à l’article 3 de ses conditions de détention pendant les huit mois litigieux.

La Cour conclut par conséquent que les griefs de MM. Kourachvili et Kantharia, tirés de l’article 3 de la Convention, sont dans l’ensemble manifestement mal fondés et doivent dès lors être rejetés en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

Pour ce qui est du grief de M. Kourachvili affirmant avoir été délibérément exposé à un danger de mort, la Cour note que, alertées le 4 juin 1999 de son mauvais état de santé et invitées par son avocat à prendre des mesures médicales nécessaires à la sauvegarde de sa vie, les autorités décidèrent de transférer le requérant le 28 juin 1999 à l’hôpital du ministère de l’Intérieur où il subit une opération. Le 3 juillet 1999, il quitta l’hôpital. En raison d’autres problèmes de santé, le 25 janvier 2000, M. Kourachvili fut à nouveau hospitalisé et suivit, pendant un an, différents traitements médicaux avant de pouvoir retourner en prison. Le 10 juillet 2001, concluant à la détérioration de son état de santé, le Directeur d’application des peines du ministère de la Justice informa Me Bédénachvili que son client allait être hospitalisé. Le requérant n’informe pas la Cour des détails de cette dernière hospitalisation.

Eu égard aux éléments en sa possession, la Cour n’estime pas que les autorités aient négligé ou n’aient pas prêté suffisamment d’attention aux problèmes de santé de M. Kourachvili. Au contraire, les pièces du dossier montrent qu’à chaque alerte, elles prirent les mesures nécessaires pour octroyer au requérant des soins médicaux appropriés dans un milieu hospitalier. Dans ces conditions, le grief de M. Kourachvili affirmant que les autorités l’exposèrent à un danger de mort est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

c) Quant à M. Guiorgadzé

M. Guiorgadzé se plaint que, lors de l’interrogatoire suivant son arrestation le 22 mai 1999, il fut menacé d’extermination de sa famille et fit l’objet d’un passage à tabac avec des bouteilles en plastique remplies d’eau et d’un mauvais traitement à l’aide d’un téléphone électrique. Ensuite, pendant trois mois, il fut détenu dans des conditions d’isolement.

La Cour note d’emblée que cette dernière branche du grief est non étayée, le requérant ne précisant pas en quoi consista concrètement le caractère contraire à l’article 3 de la Convention de ses conditions d’isolement lors de la période litigieuse. Il ne ressort pas d’ailleurs du dossier que le requérant ait saisi les autorités compétentes de ce grief avant de le soulever devant la Cour. Dans ces conditions, il convient de rejeter cette partie du grief comme manifestement mal fondée en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

Pour ce qui est du mauvais traitement allégué, en l’état actuel du dossier, la Cour ne s’estime pas en mesure de se prononcer sur la recevabilité de cette partie du grief et juge nécessaire de la communiquer au gouvernement défendeur conformément à l’article 54 § 2 b) de son règlement.

d) Quant à Mme Pandjikidzé

La requérante estime que l’arrestation de son fils, et la manière dont la procédure pénale à son encontre fut conduite, causa des souffrances à son mari et provoqua, en fin de compte, son décès.

Eu égard aux éléments figurant au dossier, rien ne permet de penser qu’envers l’époux de la requérante, l’Etat se rendit responsable des méfaits répréhensibles au regard des articles 2 et 3 de la Convention. Ces griefs de la requérante sont dès lors manifestement mal fondés et doivent être rejetés en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

2. Griefs tirés de l’article 5 de la Convention

MM. Pandjikidzé, Kourachvili, Kantharia et Guiorgadzé dénoncent différents aspects de leur détention provisoire au regard de l’article 5 §§ 1, 2 et 3 de la Convention. M. Pandjikidzé invoque à cet égard l’article 5 § 4 également. En outre, MM. Pandjikidzé et Guiorgadzé se plaignent qu’ils ne disposèrent pas de voies de recours pour obtenir une réparation conformément aux articles 5 § 5 et 13 de la Convention.

Ces dispositions sont ainsi libellées :

Article 5

« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales : (...) ;

c) s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci ; (...).

2. Toute personne arrêtée doit être informée, dans le plus court délai et dans une langue qu’elle comprend, des raisons de son arrestation et de toute accusation portée contre elle.

3. Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience.

4. Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale.

5. Toute personne victime d’une arrestation ou d’une détention dans des conditions contraires aux dispositions de cet article a droit à réparation. »

Article 13

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

La Cour note que, les 24 et 25 mai 1999, un juge de la Cour suprême décida la mise en détention provisoire des quatre requérants précités. Il ne ressort pas du dossier que ceux-ci aient recouru contre cette décision devant la Chambre des affaires pénales de la même cour en vertu de l’article 243 § 1 b) du CPP. Ils n’ont dès lors pas épuisé les voies de recours internes conformément à l’article 35 § 1 de la Convention. En tout état de cause, la détention provisoire litigieuse prit fin le 8 novembre 2001, date de leur condamnation en premier ressort (Wemhoff c. Allemagne, arrêt du 27 juin 1968, série A no 7, p. 23, § 9 ; Assanidzé c. Géorgie [GC], no 71503/01, § 190, CEDH 2004...; Davtian, décision précitée), soit plus de six mois avant la saisine de la Cour le 24 juillet 2002.

Il s’ensuit que les différents griefs de M. Pandjikidzé, Kourachvili, Kantharia et Guiorgadzé, tirés de l’article 5 §§ 1, 2, 3 et 4, sont tardifs et doivent dès lors être rejetés en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

Pour ce qui est des griefs de MM. Pandjikidzé et Guiorgadzé, tirés des articles 5 § 5 et 13 de la Convention, la Cour rappelle que l’article 5 constitue lex specialis en matière de détention (voir, entres autres, Chamaïev et 12 autres, précité, § 435). Il n’est donc pas nécessaire d’examiner ces griefs au regard de l’article 13 également.

Pour ce qui est du grief fondé sur l’article 5 § 5 de la Convention, la Cour rappelle qu’au sens de cette disposition, le droit à réparation suppose qu’une violation de l’un des autres paragraphes de l’article 5 de la Convention ait préalablement été établie, soit par un organe interne, soit par les organes de la Convention (Cherakrak c. France (déc.), no 34075/96, 6 janvier 2000 ; N.C. c. Italie [GC], no 24952/94, § 49, CEDH 2002X).

En l’espèce, aucun organe interne n’a constaté que la détention de MM. Pandjikidzé et Guiorgadzé n’était pas conforme à l’article 5 de la Convention. Le contrôle conventionnel de la légalité de cette détention échappant cependant à la compétence de la Cour (voir ci-dessus), l’article
5 § 5 ne trouve pas à s’appliquer en l’espèce. Il s’ensuit que ces griefs sont incompatibles ratione materiae avec les dispositions de la Convention et doivent être rejetés en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de celle-ci.

3. Griefs tirés de l’article 6 § 1 quant aux trois premiers requérants

MM. Pandjikidzé, Kourachvili et Kantharia se plaignent de différentes violations de l’article 6 § 1 de la Convention qui est ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...) »

Les requérants se plaignent également de l’utilisation dans leur affaire pénale des enregistrements audio et vidéo, réalisés en secret et illégalement, et invoquent à cet égard les articles 8 et 13 de la Convention.

a) La durée de la procédure, l’indépendance de l’organe d’instruction et la composition du collège des affaires pénales

En l’état actuel du dossier, la Cour ne s’estime pas en mesure de se prononcer sur la recevabilité de ces griefs et juge nécessaire de les communiquer au gouvernement défendeur conformément à l’article 54 § 2 b) de son règlement.

b) Concernant l’utilisation des enregistrements

La Cour estime que le grief que les requérants tirent de l’utilisation à leur encontre des enregistrements litigieux relève, en substance, de l’article 6 de la Convention (voir le point 7 ci-dessous).

i) Quant à M. Pandjikidzé

M. Pandjikidzé affirme que les enregistrements audio et vidéo dont il fit l’objet les 22 mars-24 avril 1999, considérés comme pièces à conviction lors de l’instruction, ne furent pas débattus lors de la phase du jugement et qu’il ne disposa pas de recours contre leur utilisation à son encontre.

En l’état actuel du dossier, la Cour ne s’estime pas en mesure de se prononcer sur la recevabilité de ce grief et juge nécessaire de le communiquer au gouvernement défendeur sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention, conformément à l’article 54 § 2 b) de son règlement.

ii) Quant à MM. Kourachvili et Kantharia

MM. Kourachvili et Kantharia se plaignent que les enregistrements dont ils firent l’objet (les 3 et 13 mars 1999 et le 18 avril 1999, respectivement) furent illégaux, parce que réalisés avant la mise en mouvement de l’action publique, mais qu’ils furent néanmoins versés au dossier et rendus publics lors de l’examen judiciaire de l’affaire pour fonder leur condamnation.

La Cour rappelle d’emblée que, si la Convention garantit en son article 6 le droit à un procès équitable, elle ne réglemente pas pour autant l’admissibilité des preuves en tant que telle, matière qui dès lors relève au premier chef du droit interne (Bracci c. Italie, no 36822/02, § 50, 13 octobre 2005). La mission de la Cour consiste uniquement à rechercher si la procédure considérée dans son ensemble, y compris le mode de présentation des moyens de preuve, a revêtu un caractère équitable et si les droits de la défense ont été respectés (De Lorenzo c. Italie (déc.), no 69264/01, 12 février 2004). Elle ne saurait donc exclure par principe et in abstracto l’admissibilité d’une preuve recueillie de manière illégale, notamment du genre de celle dont il s’agit en l’espèce (Schenk c. Suisse, arrêt du 12 juillet 1988, série A no 140, §§ 45 et 46).

La Cour note qu’en l’espèce, contrairement à l’affirmation des requérants, l’autorisation et la réalisation des enregistrements avant la mise en mouvement de l’action publique n’étaient pas contraires à la loi en vigueur à l’époque des faits (article 65 §§ 2 et 3 du CPP). Il ne s’agissait donc pas de preuves illégalement obtenues. Or, les requérants fondent leur grief essentiellement sur la prétendue illégalité des enregistrements litigieux et ne précisent pas en quoi concrètement les modalités de leur utilisation lors de la phase du jugement portèrent atteinte à leur droit à un procès équitable. Tout au moins, contrairement à M. Pandjikidzé, ils ne nient pas que ces enregistrements furent versés au dossier et publiés lors de l’examen judiciaire de l’affaire. Etant alors assistés par des avocats de leur choix, il leur était dès lors loisible de contester leurs contenu et pertinence dans le cadre d’un débat contradictoire. Aucun des deux requérants en question ne soutient le contraire.

Dans ces conditions, la Cour estime que le grief de MM. Kourachvili et Kantharia, tiré de l’article 6 manque en fait et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention. Aux yeux de la Cour, aucune question ne se pose séparément sous l’angle des articles 8 et 13 de la Convention.

4. Griefs tirés de l’article 6 § 2 de la Convention

MM. Pandjikidzé, Kourachvili et Kantharia affirment que, le 24 mai 1999, certains hauts fonctionnaires firent, sur la première chaîne nationale de télévision, des déclarations contraires à l’article 6 § 2 de la Convention qui se lit ainsi :

« Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. »

En l’état actuel du dossier, la Cour ne s’estime pas en mesure de se prononcer sur la recevabilité de ce grief et juge nécessaire de le communiquer au gouvernement défendeur conformément à l’article 54 § 2 b) de son règlement.

5. Griefs des trois premiers requérants, tirés de l’article 6 § 3 a), c), d) et e) de la Convention

Les trois premiers requérants se plaignent de différentes violations de l’article 6 § 3 de la Convention, dont les dispositions pertinentes sont ainsi rédigées :

« 3. Tout accusé a droit notamment à :

a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ; (...) ;

c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ;

d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;

e) se faire assister gratuitement d’un interprète, s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience. »

Les exigences du paragraphe 3 de l’article 6 représentant des éléments de la notion générale de procès équitable consacrée par le paragraphe 1, la Cour examinera les griefs des requérants au regard des deux textes combinés (voir, parmi beaucoup d’autres, Lucà c. Italie, no 33354/96, § 37, CEDH 2001II).

a) Griefs de MM. Pandjikidzé et Kantharia, tirés de l’article 6 § 3 a)

MM. Pandjikidzé et Kantharia se plaignent du délai dans lequel ils furent informés des charges portées contre eux.

La Cour rappelle que les dispositions de l’article 6 § 3 a) de la Convention reconnaissent à l’accusé le droit d’être informé non seulement de la cause de l’accusation, c’est-à-dire des faits matériels qui sont mis à sa charge et sur lesquels se fonde l’accusation, mais aussi de la qualification juridique donnée à ces faits et ce, « dans le plus court délai » et « d’une manière détaillée ». En matière pénale, une information précise et complète des charges pesant contre un accusé est une condition essentielle de l’équité de la procédure. Toutefois, les dispositions de l’article 6 § 3 a) n’imposent aucune forme particulière quant à la manière dont l’accusé doit être informé de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui (Mattoccia c. Italie, no 23969/94, § 59, CEDH 2000IX).

En l’espèce, la Cour note que MM. Pandjikidzé et Kantharia furent arrêtés le 22 mai 1999, à 14 h 30 et à 13 h 00 respectivement. Vers 17 h 00, M. Pandjikidzé fut mis en examen des chefs de trahison sous forme de complot, de tentative et de préparation d’acte terroriste, d’organisation de groupement illégal armé, de participation à ce groupement et d’achat, de recel, de port et de transport illégal d’armes, et fit alors l’objet du premier interrogatoire en qualité d’inculpé en présence d’un avocat d’office. Quant à M. Kantharia, il fut mis en examen des mêmes chefs suite à sa présentation au commissariat à 17 h 00. Il fit l’objet de son premier interrogatoire en tant qu’inculpé dans la nuit du 22 au 23 mai 1999. La Cour constate que c’est lors de leurs mises en examen respectives que MM. Pandjikidzé et Kantharia furent officiellement informés de l’ouverture de poursuites pénales à leur encontre et de la base juridique et factuelle des charges portées contre eux. M. Pandjikidzé ne nie d’ailleurs pas que cette information fut mise à sa disposition vers 17 h 00 le jour de son arrestation, alors que M. Kantharia se plaint de ne pas avoir obtenu cette information dès son arrestation. Mise à part la question que cette plainte puisse par ailleurs soulever sur le terrain de l’article 5 § 2 de la Convention (voir le point 2 ci-dessus), la Cour note que MM. Pandjikidzé et Kantharia furent informés des charges pesant contre eux dès que ces charges furent retenues, définies et formulées par les autorités compétentes, soit quelques heures après leur arrestation. Ces requérants ne sont dès lors pas fondés à soutenir qu’ils ne disposèrent pas de cette information dans « un court délai ». Il ne ressort par ailleurs pas du dossier que l’information fournie par les autorités n’ait pas été suffisamment claire et détaillée en vue de la préparation de leur défense (Pélissier et Sassi c. France [GC], no 25444/94, § 54, CEDH 1999II), ou que les modalités de sa notification aient autrement compromis (Kamasinski c. Autriche, arrêt du 19 décembre 1989, série A no 168, pp. 3637, § 79), avant même la saisine du juge du fond, le caractère équitable du procès au sens de l’article 6 § 1 de la Convention (Mamaç et autres c. Turquie, nos 29486/95, 29487/95 et 29853/96, § 46, 20 avril 2004).

Dans ces conditions, la Cour conclut au défaut de fondement des griefs de MM. Pandjikidzé et Kantharia, tirés de l’article 6 § 1 a), et les rejette en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

b) Griefs des trois premiers requérants, tirés de l’article 6 § 3 c)

Les trois premiers requérants se plaignent du fait que, conformément à la législation interne telle qu’en vigueur à l’époque des faits, ils ne pouvaient pas avoir accès à un avocat avant la mise en examen. Par ailleurs, ils auraient été contraints à accepter par la suite l’assistance des avocats commis d’office. M. Kourachvili se plaint de surcroît du refus de l’instructeur d’admettre Me Bédénachvili à la procédure.

En l’état actuel du dossier, la Cour ne s’estime pas en mesure de se prononcer sur la recevabilité de ces griefs et juge nécessaire de les communiquer au gouvernement défendeur conformément à l’article 54 § 2 b) de son règlement.

c) Griefs de MM. Pandjikidzé et Kantharia, tirés de l’article 6 § 3 d)

M. Pandjikidzé se plaint de ne pas avoir pu faire interroger les membres de sa famille. Soumettant les procès-verbaux des audiences lors desquelles MM. Nadiradzé, Sébiskvéradzé, Chavgoulidzé et Dokhnadzé, témoins à charge, furent interrogés en première instance, MM. Pandjikidzé et Kantharia soutiennent que le procureur leur posa des questions incitatives en leur dictant parfois les réponses. En outre, les requérants estiment que le non-lieu fut prononcé à l’égard de ces personnes, ainsi qu’à celui de MM. Ramazachvili et Kartchaouli, parce qu’ils déposèrent à leur encontre.

i) Quant à M. Pandjikidzé

En l’état actuel du dossier, la Cour ne s’estime pas en mesure de se prononcer sur la recevabilité du grief de M. Pandjikidzé, tiré de l’article 6 § 3 d) (quant aux membres de famille), et juge nécessaire de le communiquer au gouvernement défendeur conformément à l’article 54 § 2 b) de son règlement.

ii) Quant à MM. Pandjikidzé et Kantharia

La Cour note d’emblée que les requérants ne fournissent aucun commencement de preuve tangible du fait que MM. Ramazachvili, Nadiradzé, Kartchaouli, Dokhnadzé, Chavgoulidzé et Sébiskvéradzé, fonctionnaires du ministère de la Sécurité, bénéficièrent d’un non-lieu au stade initial de la procédure parce qu’ils fournirent des témoignages à l’encontre des requérants. Au contraire, il ressort clairement du dossier qu’interrogés par les autorités d’instruction, parce que soupçonnés d’être entrés en complot avec MM. Pandjikidzé et Kantharia, ces personnes bénéficièrent d’un non-lieu les 12 mai et 27 décembre 1999, au motif qu’ils avaient alerté les autorités ministérielles à temps sans se laisser entraîner dans des activités anti-étatiques. Les requérants ne contestent d’ailleurs pas le fondement des décisions de non-lieu et ne nient pas le fait que ces personnes informèrent en effet sans délai leurs supérieurs hiérarchiques de leurs contacts avec les requérants. Par exemple, figurent au dossier copies des rapports adressés au ministre de la Sécurité par M. Chavgoulidzé les 1er et 19 avril 1999, par M. Sébiskvéradzé le 19 avril 1999 et par M. Nadiradzé le 17 mai 1999, soit avant l’arrestation des requérants le 22 mai 1999. Il ressort d’autres pièces du dossier que M. Ramazachvili dénonça les 4 et 20 mars 1999 les activités des requérants auprès des autorités ministérielles.

Dans ces conditions, la Cour n’estime pas établi que les personnes précitées bénéficièrent d’un non-lieu pour avoir déposé contre les requérants.

Quant aux conditions dans lesquelles les mêmes personnes furent interrogées en première instance en tant que témoins à charge, la Cour relève que M. Pandjikidzé ne produit pas de procès-verbal pertinent ni aucune autre pièce à l’appui de sa plainte relative à MM. Kartchaouli et Ramazachvili et se limite à affirmer qu’ils furent influencés par le ministère public lors de l’audition.

En revanche, il ressort des procès-verbaux des audiences devant le collège des affaires pénales que, lors de l’audition de MM. Sébiskvéradzé et Chavgoulidzé, les avocats des requérants soulevèrent des objections contre deux questions du ministère public, dont l’une seulement fut considérée comme incitative par le président de la formation. Les deux questions du procureur furent écartées. Une fois, l’un des prévenus protesta contre l’attitude du procureur qui, selon lui, aurait approuvé d’un signe de tête la réponse de M. Sébiskvéradzé à une question posée par un avocat. M. Sébiskvéradzé protesta alors en affirmant qu’il n’avait même pas remarqué le signe litigieux. Le procureur expliqua qu’il s’agissait de l’acquiescement adressé à l’un des avocats et non pas au témoin. Le procèsverbal d’audition de M. Chavgoulidzé fait ressortir une remarque de M. Pandjikidzé affirmant qu’étrangement, le témoin répondait avec plus de facilité aux questions du procureur qu’à celles des avocats. Le procureur rétorqua qu’il n’était nullement responsable de ce fait.

La Cour constate ainsi que la seule question jugée incitative par le président de la formation fut écartée. Après avoir examiné les procès-verbaux pertinents, elle ne discerne aucune autre question susceptible d’être qualifiée d’incitative et contre laquelle les requérants auraient protesté. Elle n’estime pas non plus établi que le signe de tête du procureur incita M. Sébiskvéradzé à fournir une réponse que l’accusation souhaitait ou que ce signe litigieux porta préjudice à l’égalité des armes en l’espèce. Enfin, aux yeux de la Cour, le fait qu’un témoin réponde plus rapidement aux questions du ministère public ne démontre pas, en l’absence de preuve du contraire, que les réponses furent dictées par le procureur.

Quant aux interrogatoires de MM. Nadiradzé et Dokhnadzé, il ne ressort pas des procès-verbaux des audiences pertinentes que ceux-ci aient subi une pression quelconque de la part du ministère public ou que celui-ci leur ait posé des questions incitatives. Les requérants et leurs avocats participant à ces interrogatoires, ils ne soulevèrent à aucun moment des objections pour protester contre le caractère prétendument incitatif des questions litigieuses.

En outre, il ne ressort pas du dossier que MM. Pandjikidzé et Kantharia aient fait l’usage de leur droit prévu à l’article 455 du CPP pour demander la rectification des informations contenues dans les procès-verbaux précités. A aucun moment, ils ne contestèrent non plus leur véracité devant la Cour.

Eu égard à ce qui précède, la Cour estime que les griefs de MM. Pandjikidzé et Kantharia, tirés de l’article 6 § 3 d) de la Convention, sont manifestement mal fondés dans leur ensemble et doivent dès lors être rejetés en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

d) Grief de M. Kourachvili, tiré de l’article 6 § 3 e) de la Convention

M. Kourachvili estime qu’il aurait dû être assisté par un interprète de langue russe, vu qu’il effectua ses études et habita en Russie pendant 29 ans.

La Cour note d’emblée que le dossier ne fait pas état d’une demande par laquelle le requérant aurait sollicité les autorités compétentes en vue de l’attribution d’un interprète. Par ailleurs, rien ne laisse penser que l’absence de maîtrise du géorgien de M. Kourachvili, fonctionnaire au service de l’Etat géorgien et général de l’Armée géorgienne, aurait pu être manifeste aux yeux des autorités saisies de l’affaire (mutatis mutandis, Kamasinski, précité, § 65). En effet, l’aveu que M. Kourachvili adressa le 24 mai 1999 au ministre de l’Intérieur fut rédigé en géorgien par l’intéressé personnellement. Le texte de ce document manuscrit ne fait point ressortir que son auteur rencontrât des difficultés dans la formulation des pensées, ou dans la rédaction des phrases qui apparaissent d’ailleurs parfaitement intelligibles. Il ne ressort par ailleurs pas du dossier que M. Kourachvili ait eu des difficultés à suivre ses interrogatoires en géorgien, réalisés en présence de Me Goksadzé, conseil de son choix, qui l’assista à partir du 25 mai 1999 (voir, par exemple, le procès-verbal de l’interrogatoire du 4 juin 1999). De toute évidence, Me Goksadzé, ainsi que Me Bédénachvili qui assista le requérant lors de la phase judiciaire, assurèrent la défense de M. Kourachvili dans cette langue tout au long de la procédure. Il ne ressort pas du dossier que le requérant s’y opposât ou souhaitât désigner un autre avocat qui aurait conduit la procédure en russe.

Eu égard à ce qui précède, la Cour estime que le grief de M. Kourachvili, tiré de l’article 6 § 3 e), est mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

6. Griefs de MM. Guiorgadzé, Mélikidzé et Nadiradzé, tirés de l’article 6 de la Convention

La Cour rappelle que la question de savoir si une procédure s’est déroulée conformément aux exigences du procès équitable doit être tranchée sur la base d’une appréciation de la procédure en cause considérée dans sa globalité (Berkouche c. France, no 71047/01, § 53, 24 mai 2005). Elle rappelle ensuite que l’article 35 § 1 de la Convention a pour finalité de ménager aux Etats contractants l’occasion de prévenir ou redresser les violations alléguées contre eux avant que ces allégations ne soient soumises à la Cour. Ainsi, le grief dont on entend la saisir doit d’abord être soulevé, au moins en substance, dans les formes et délais prescrits par le droit interne, devant les juridictions nationales appropriées (voir, entre autres, Yahiaoui c. France, no 30962/96, § 31, 20 janvier 2000).

En l’espèce, les requérants susmentionnés ne se pourvurent pas en cassation, tel que cela est prévu à l’article 547 du CPP, contre leur condamnation en premier ressort le 8 novembre 2001. Il s’ensuit qu’ils n’ont pas épuisé les voies de recours internes. L’ensemble de leurs différents griefs tirés de l’article 6 de la Convention, y compris le grief de M. Guiorgadzé concernant l’utilisation à son encontre des enregistrements audio dont il fit l’objet, doit dès lors être rejeté en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

7. Griefs tirés de l’article 8 de la Convention

MM. Pandjikidzé, Kourachvili, Kantharia et Guiorgadzé allèguent différentes violations de l’article 8 de la Convention dont les dispositions pertinentes se lisent ainsi :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, (...).

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, (...), à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, (...) »

Premièrement, MM. Pandjikidzé, Kourachvili, Kantharia et Guiorgadzé mettent en cause les modalités d’utilisation, lors de l’examen judiciaire de l’affaire, des enregistrements dont ils firent l’objet ainsi que l’absence de voies de recours à cet égard. La Cour estime que la substance de ces griefs relève de l’article 6 de la Convention et décide de les examiner sous l’angle de cette disposition (voir les points 3 et 6 in fine ci-dessus).

Deuxièmement, MM. Pandjikidzé, Kourachvili et Kantharia contestent le fait qu’une partie des enregistrements litigieux (des 22 mars-24 avril 1999 ; 3 et 13 mars 1999 ; 18 avril 1999, respectivement) aient eu lieu avant la mise en mouvement de l’action publique.

La Cour réitère d’abord que l’autorisation de tels enregistrements avant la mise en mouvement de l’action publique n’était pas contraire à la loi en vigueur à l’époque des faits (article 65 §§ 2 et 3 du CPP). Quoi qu’il en soit, les décisions d’autorisation des enregistrements furent prises, dans le cas de M. Pandjikidzé, les 16 mars et 6 avril 1999 et, dans le cas de M. Kourachvili, les 8 octobre 1998, 8 janvier, 26 février et 7 mai 1999. Dans le cas de M. Kantharia, la décision judiciaire de légalisation a posteriori de l’enregistrement du 18 avril 1999, fut rendue le 19 avril 1999. Ces décisions n’étaient pas susceptibles de recours en droit interne (article 65 § 4 du CPP). La Cour se réfère à sa jurisprudence bien établie selon laquelle, en l’absence de voies de recours internes, le délai de six mois court à partir de l’acte incriminé dans la requête (Onder c. Turquie (déc.), no 39813/98, 10 juillet 2001). La Cour ayant été saisie le 24 juillet 2002, soit plus de six mois après la prise des décisions précitées, ainsi que la réalisation des enregistrements que ces décisions autorisaient, ces griefs sont tardifs et doivent dès lors être rejetés en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

Troisièmement, MM. Pandjikidzé, Kourachvili, Kantharia et Guiorgadzé expriment des doutes quant à l’utilisation à leur détriment, en dehors de la procédure pénale litigieuse, des enregistrements dont ils firent l’objet. Toutefois, à aucun moment, ils n’indiquèrent le fondement de leurs craintes et se limitèrent à invoquer la potentialité d’une telle utilisation. Quoi qu’il en soit, tout en admettant que l’interception des conversations privées et la sauvegarde de leurs enregistrements puissent en règle générale soulever des doutes au regard du respect de l’article 8 de la Convention (Novak c. Tchéquie (déc.), no 56525/00, 13 novembre 2003), la Cour relève que les requérants concernés omirent d’invoquer, expressément ainsi qu’en substance, leur grief tiré de cette disposition devant les juridictions internes (Azinas c. Chypre [GC], no 56679/00, §§ 38 et 41, CEDH 2004...).

Il s’ensuit que cette partie de la requête se heurte au non-épuisement des voies de recours internes et doit dès lors être rejetée en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

Il en va de même du grief de MM. Kourachvili, Kantharia et Guiorgadzé qui se plaignent que le contenu des enregistrements litigieux fut dévoilé au public lors des audiences. Cette partie de la requête doit dès lors être également rejetée en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

8. Griefs tirés de l’article 10 de la Convention

Invoquant l’article 10 de la Convention, MM. Pandjikidzé et Kourachvili affirment avoir été poursuivis pénalement en raison de leur mécontentement, exprimé sous différentes formes, envers le pouvoir en place à l’époque des faits.

La Cour réitère son raisonnement ci-dessus et note que les requérants concernés n’ont pas satisfait à la condition d’épuisement des voies de recours internes. Leur grief fondé sur l’article 10 doit dès lors être rejeté en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Ajourne l’examen du grief de M. Guiorgadzé, tiré de l’article 3 de la Convention (quant aux mauvais traitements), des griefs de M. Pandjikidzé, tirés de l’article 6 §§ 1, 2 et 3 c) et d) (quant aux membres de famille) de la Convention, ainsi que des griefs de MM. Kourachvili et Kantharia, tirés de l’article 6 §§ 1 (à l’exception de l’utilisation des enregistrements), 2 et 3 c) de la Convention ;

Déclare la requête irrecevable pour le surplus.

S. Naismith J.-P. Costa
Greffier adjoint Président


[1] Le crime prévu à l’article 65 de l’ancien code pénal correspond à l’article 315 du nouveau code pénal.