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PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE GEORGIOU c. GRÈCE[*]
(Requête no 10691/04)
ARRÊT
Cette version a été rectifiée le 28 janvier 2010, conformément à l'article 81 du règlement de la Cour
STRASBOURG
1er juin 2006
DÉFINITIF
01/09/2006
Cet arrêt peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Georgiou c. Grèce[†],
La Cour européenne des Droits de l'Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
MM. L. Loucaides, président,
C.L. Rozakis,
Mmes F. Tulkens,
E. Steiner,
MM. K. Hajiyev,
D. Spielmann,
S.E. Jebens, juges,
et de M. S. Nielsen, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 11 mai 2006,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 10691/04) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant de cet Etat, M. Athanasios Georgiou[‡] (« le requérant »), a saisi la Cour le 3 mars 2004 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant est représenté par Mes I. Ktistakis et D. Yannopoulos, avocats aux barreaux de Thiva et Athènes respectivement. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») est représenté par la déléguée de son agent, Mme G. Skiani, assesseur auprès du Conseil juridique de l'Etat.
3. Le 21 mars 2005, la Cour a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant de l'article 29 § 3 de la Convention, elle a décidé qu'elle se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.
EN FAIT
4. Le requérant est né en 1929 et réside au Pirée.
5. Le 23 juin 1995, le requérant saisit le tribunal administratif d'Athènes d'une action contre l'Organisme de Sécurité Sociale (ci-après « l'IKA »), tendant à la condamnation de ce dernier au versement de dommages-intérêts. Le requérant alléguait qu'il avait indûment versé à l'IKA une somme à titre de cotisations.
6. Le 30 avril 1996, le tribunal rejeta son action (décision no 5632/1996).
7. Le 7 novembre 1996, le requérant interjeta appel.
8. Le 21 juin 2001, la cour administrative d'appel d'Athènes confirma la décision attaquée (décision no 3048/2001).
9. Le 21 juin 2002, le requérant se pourvut en cassation. L'audience fut fixée au 3 novembre 2003, date à laquelle celle-ci fut ajournée en raison de la grève des avocats au barreau d'Athènes et de l'absence du requérant. L'audience eut finalement lieu le 17 novembre 2003. Le 6 juillet 2004, le Conseil d'Etat débouta le requérant (arrêt no 1949/2004).
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
10. Le requérant allègue que la durée de la procédure a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l'article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
11. Le Gouvernement s'oppose à cette thèse. Il affirme que le tribunal administratif et la cour d'appel ont statué dans des délais raisonnables. De surcroît, il argue que le requérant était en partie responsable de l'unique ajournement de l'affaire devant le Conseil d'Etat.
12. La période à considérer a débuté le 23 juin 1995, avec la saisine du tribunal administratif d'Athènes et s'est terminée le 6 juillet 2004, avec l'arrêt no1949/2004 du Conseil d'Etat. Elle s'étala donc sur plus de neuf ans pour trois degrés de juridiction.
A. Sur la recevabilité
13. La Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention Elle relève en outre qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité.
B. Sur le fond
14. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d'une procédure s'apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l'affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes ainsi que l'enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d'autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII).
15. La Cour a traité à maintes reprises d'affaires soulevant des questions semblables à celle du cas d'espèce et a constaté la violation de l'article 6 § 1 de la Convention (voir, Tsaras c. Grèce, no 5085/03, §§ 15-17, 4 août 2005).
16. Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour considère que le Gouvernement n'a exposé aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu'en l'espèce la durée de la procédure litigieuse est excessive et ne répond pas à l'exigence du « délai raisonnable ».
Partant, il y a eu violation de l'article 6 § 1.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 13 DE LA CONVENTION
17. Le requérant se plaint également du fait qu'il n'existe en Grèce aucune juridiction à laquelle s'adresser pour se plaindre de la durée excessive de la procédure. Il invoque l'article 13 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles. »
A. Sur la recevabilité
18. La Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
19. Le Gouvernement affirme d'emblée que l'article 6 § 1 de la Convention est une lex specialis par rapport à l'article 13 et qu'il n'est pas nécessaire de se prononcer aussi sur ce grief. De toute façon, le Gouvernement soutient que le requérant aurait pu introduire contre les magistrats saisis de son dossier l'action prévue par l'article 105 de la loi d'accompagnement du code civil. Cet article établit le concept d'acte dommageable spécial de droit public, créant une responsabilité extracontractuelle de l'Etat, qui résulte d'actes ou omissions illégaux. Selon le Gouvernement, le requérant aurait pu également introduire une action de prise à partie (αγωγή κακοδικίας) contre lesdits magistrats ou demander au ministre de la Justice d'engager une procédure disciplinaire à leur encontre.
20. Le requérant affirme que les recours proposés par le Gouvernement ne remplissent pas les conditions de l'article 13, car ils ne visent qu'à sanctionner le comportement personnel des juges et n'offrent pas un redressement direct de la situation incriminée. De plus, le requérant souligne que le Gouvernement ne produit aucun exemple jurisprudentiel d'application effective des recours proposés.
21. La Cour rappelle que l'article 13 garantit un recours effectif devant une instance nationale permettant de se plaindre d'une méconnaissance de l'obligation, imposée par l'article 6 § 1, d'entendre les causes dans un délai raisonnable (voir Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 156, CEDH 2000‑XI).
22. Par ailleurs, la Cour a déjà eu l'occasion de constater que l'ordre juridique hellénique n'offrait pas aux intéressés un recours effectif au sens de l'article 13 de la Convention leur permettant de se plaindre de la durée d'une procédure (Konti-Arvaniti c. Grèce, no 53401/99, §§ 29-30, 10 avril 2003 et Aggelopoulos c. Grèce, no 43848/02, §§ 21-25, 9 juin 2005). La Cour ne distingue en l'espèce aucune raison de s'écarter de cette jurisprudence, d'autant plus que le Gouvernement ne démontre pas que l'ordre juridique hellénique a été entre-temps doté d'une telle voie de recours.
23. Dès lors, la Cour estime qu'en l'espèce il y a eu violation de l'article 13 de la Convention en raison de l'absence en droit interne d'un recours qui aurait permis au requérant d'obtenir la sanction de son droit à voir sa cause entendue dans un délai raisonnable, au sens de l'article 6 § 1 de la Convention.
III. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
24. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
25. Le requérant réclame 20 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu'il aurait subi.
26. Le Gouvernement estime qu'un constat de violation constituerait en soi une satisfaction équitable suffisante. A titre alternatif, le Gouvernement affirme que la somme allouée au titre du dommage moral ne saurait dépasser 2 000 EUR.
27. La Cour estime que le requérant a subi un tort moral certain. Statuant en équité, comme le veut l'article 41 de la Convention, elle lui accorde 6 000 EUR à ce titre, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt.
B. Frais et dépens
28. Le requérant demande également 500 EUR pour les frais et dépens encourus devant les juridictions internes et la Cour.
29. Le Gouvernement affirme que les prétentions du requérant sont vagues et non justifiées.
30. La Cour rappelle que l'allocation de frais et dépens au titre de l'article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000-XI). S'agissant des frais et dépens encourus en Grèce, la Cour a déjà jugé que la longueur d'une procédure pouvait entraîner une augmentation des frais et dépens du requérant devant les juridictions internes et qu'il convient donc d'en tenir compte (voir, entre autres, Capuano c. Italie, arrêt du 25 juin 1987, série A no 119-A, p. 15, § 37). Toutefois, dans le cas d'espèce, la Cour note que le requérant ne produit aucune facture en ce qui concerne les frais engagés devant les juridictions saisies et la Cour. Il échet donc de rejeter ses prétentions au titre des frais et dépens.
C. Intérêts moratoires
31. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention ;
3. Dit qu'il y a eu violation de l'article 13 de la Convention ;
4. Dit
a) que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 6 000 EUR (six mille euros) pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt ;
b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 1er juin 2006 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Søren Nielsen Loukis Loucaides
Greffier Président
[*] L’arrêt était précédemment intitulé Athanasiou c. Grèce.
[†] Rectifié le 28/1/2010 : au lieu de « En l’affaire Athanasiou c. Grèce ».
[‡] Rectifié le 28/1/2010 : au lieu de « Georgios Athanasiou ».