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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
1.6.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE TSIOTRAS c. GRÈCE

(Requête no 13464/04)

ARRÊT

STRASBOURG

1er juin 2006

DÉFINITIF

01/09/2006

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Tsiotras c. Grèce,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

MM. L. Loucaides, président,
C.L. Rozakis,
Mmes F. Tulkens,
E. Steiner,
MM. K. Hajiyev,
D. Spielmann,
S.E. Jebens, juges,
et de M. S. Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 11 mai 2006,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 13464/04) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant de cet Etat, M. Christos Tsiotras (« le requérant »), a saisi la Cour le 30 mars 2004 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant est représenté par Mes I. Ktistakis et D. Yannopoulos, avocats aux barreaux de Thiva et d’Athènes respectivement. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») est représenté par la déléguée de son agent, Mme G. Skiani, assesseur auprès du Conseil juridique de l’Etat.

3. Le 24 mars 2005, la Cour a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant de l’article 29 § 3 de la Convention, elle a décidé qu’elle se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.

EN FAIT

4. Le requérant réside à Thessaloniki et il est employé au ministère de l’Agriculture.

5. Le 10 novembre 1994, il saisit la cour administrative d’appel d’Athènes d’un recours en annulation d’une décision du ministre de l’Agriculture, qui rejetait sa demande d’augmentation de salaire pendant son congé sabbatique.

6. Suite à un ajournement, l’audience eut lieu le 7 juin 1996. Le 24 juin 1996, la cour administrative d’appel d’Athènes fit droit à sa demande (décision no 1440/1996).

7. Le 17 mars 1997, le ministre de l’Agriculture interjeta appel.

8. Suite à neuf ajournements, l’audience eut lieu le 14 avril 2003. Le 9 juin 2003, le Conseil d’Etat infirma la décision attaquée (arrêt no 1536/2003). Cet arrêt fut mis au net et certifié conforme le 11 décembre 2003.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

9. Le requérant allègue que la durée de la procédure a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

10. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse. Il affirme que les juridictions internes ont statué dans des délais raisonnables. De surcroît, il argue que le requérant n’a jamais cherché à accélérer la procédure devant la cour d’appel et le Conseil d’Etat.

11. La période à considérer a débuté le 10 novembre 1994, avec la saisine de la cour administrative d’appel d’Athènes, et s’est terminée le 9 juin 2003, avec l’arrêt no1536/2003 du Conseil d’Etat. Elle s’étala donc sur huit ans et sept mois environ pour deux degrés de juridiction.

A. Sur la recevabilité

12. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention Elle relève en outre qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité.

B. Sur le fond

13. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII).

14. La Cour a traité à maintes reprises d’affaires soulevant des questions semblables à celle du cas d’espèce et a constaté la violation de l’article 6 § 1 de la Convention (voir, Aggelopoulos c. Grèce, no 43848/02, §§ 12-18, 9 juin 2005).

15. Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour considère que le Gouvernement n’a exposé aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu’en l’espèce la durée de la procédure litigieuse est excessive et ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable ».

Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION

16. Le requérant se plaint également du fait qu’il n’existe en Grèce aucune juridiction à laquelle s’adresser pour se plaindre de la durée excessive de la procédure. Il invoque l’article 13 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

A. Sur la recevabilité

17. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

18. Le Gouvernement affirme d’emblée que l’article 6 § 1 de la Convention est une lex specialis par rapport à l’article 13 et qu’il n’est pas nécessaire de se prononcer aussi sur ce grief. De toute façon, le Gouvernement soutient que le requérant aurait pu introduire contre les magistrats saisis de son dossier l’action prévue par l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil. Cet article établit le concept d’acte dommageable spécial de droit public, créant une responsabilité extracontractuelle de l’Etat, qui résulte d’actes ou omissions illégaux. Selon le Gouvernement, le requérant aurait pu également introduire une action de prise à partie (αγωγή κακοδικίας) contre lesdits magistrats ou demander au ministre de la Justice d’engager une procédure disciplinaire à leur encontre.

19. Le requérant affirme que les recours proposés par le Gouvernement ne remplissent pas les conditions de l’article 13, car ils ne visent qu’à sanctionner le comportement personnel des juges et n’offrent pas un redressement direct de la situation incriminée. De plus, le requérant souligne que le Gouvernement ne produit aucun exemple jurisprudentiel d’application effective des recours proposés.

20. La Cour rappelle que l’article 13 garantit un recours effectif devant une instance nationale permettant de se plaindre d’une méconnaissance de l’obligation, imposée par l’article 6 § 1, d’entendre les causes dans un délai raisonnable (voir Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 156, CEDH 2000XI).

21. Par ailleurs, la Cour a déjà eu l’occasion de constater que l’ordre juridique hellénique n’offrait pas aux intéressés un recours effectif au sens de l’article 13 de la Convention leur permettant de se plaindre de la durée d’une procédure (Konti-Arvaniti c. Grèce, no 53401/99, §§ 29-30, 10 avril 2003 et Aggelopoulos c. Grèce, no 43848/02, §§ 21-25, 9 juin 2005). La Cour ne distingue en l’espèce aucune raison de s’écarter de cette jurisprudence, d’autant plus que le Gouvernement ne démontre pas que l’ordre juridique hellénique a été entre-temps doté d’une telle voie de recours.

22. Dès lors, la Cour estime qu’en l’espèce il y a eu violation de l’article 13 de la Convention en raison de l’absence en droit interne d’un recours qui eût permis au requérant d’obtenir la sanction de son droit à voir sa cause entendue dans un délai raisonnable, au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

23. Aux termes de larticle 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

24. Le requérant réclame 20 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il aurait subi.

25. Le Gouvernement estime qu’un constat de violation constituerait en soi une satisfaction équitable suffisante. A titre alternatif, le Gouvernement affirme que la somme allouée au titre du dommage moral ne saurait dépasser 2 000 EUR.

26. La Cour estime que le requérant a subi un tort moral certain. Statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, elle lui accorde 7 000 EUR à ce titre, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt.

B. Frais et dépens

27. Le requérant demande également 500 EUR pour les frais et dépens encourus devant les juridictions internes et la Cour.

28. Le Gouvernement affirme que les prétentions du requérant sont vagues et non justifiées.

29. La Cour rappelle que l’allocation de frais et dépens au titre de l’article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000-XI). S’agissant des frais et dépens encourus en Grèce, la Cour a déjà jugé que la longueur d’une procédure pouvait entraîner une augmentation des frais et dépens du requérant devant les juridictions internes et qu’il convient donc d’en tenir compte (voir, entre autres, Capuano c. Italie, arrêt du 25 juin 1987, série A no 119-A, p. 15, § 37). Toutefois, dans le cas d’espèce, la Cour note que le requérant ne produit aucune facture en ce qui concerne les frais engagés devant les juridictions saisies et la Cour. Il échet donc de rejeter ses prétentions au titre des frais et dépens.

C. Intérêts moratoires

30. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention ;

4. Dit

a) que lEtat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 7 000 EUR (sept mille euros) pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 1er juin 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Søren Nielsen Loukis Loucaides
Greffier Président