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DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE EBRU ET TAYFUN ENGİN ÇOLAK c. TURQUIE
(Requête no 60176/00)
ARRÊT
STRASBOURG
30 mai 2006
DÉFINITIF
30/08/2006
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Ebru et Tayfun Engin Çolak c. Turquie,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. J.-P. Costa, président,
I. Cabral Barreto,
R. Türmen,
M. Ugrekhelidze,
Mmes A. Mularoni,
E. Fura-Sandström,
D. Jočienė, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 22 mars 2005 et 9 mai 2006,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 60176/00) dirigée contre la République de Turquie et dont deux ressortissants de cet Etat, Mlle Ebru Çolak (la mère) et M. Tayfun Engin Çolak (l’enfant) (« les requérants »), ont saisi la Cour le 10 juillet 2000 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Les requérants sont représentés par Me F. Bakirci Efe, avocate à Istanbul. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») n’a pas désigné d’agent aux fins de la procédure devant la Cour.
3. La requête a été attribuée à la troisième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d’examiner l’affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l’article 26 § 1 du règlement.
4. Le 13 mars 2003, la Cour (troisième section) a décidé de communiquer au Gouvernement les griefs tirés de la durée de la procédure, de l’absence de recours pour contester celle-ci et d’une atteinte au droit au respect à la vie privée et familiale des requérants, et a déclaré la requête irrecevable pour le surplus.
5. Le 1er novembre 2004, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la deuxième section ainsi remaniée (article 52 § 1).
6. Le 22 mars 2005, la Cour (deuxième section) a déclaré le restant de la requête recevable.
7. Tant les requérants que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l’affaire (article 59 § 1 du règlement).
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
8. Les requérants sont nés respectivement en 1973 et 1991 et résident à Bursa.
9. Le 2 avril 1992, la requérante, agissant en son nom propre et en celui de son fils (requérant), assigna Emrah İpek, un chanteur populaire, devant le tribunal de grande instance d’Istanbul (« le tribunal ») afin de le faire déclarer le père naturel de son enfant.
10. Lors de la première audience tenue le 15 mai 1992, le tribunal accorda un délai à la requérante pour qu’elle puisse demander la nomination d’un tuteur à l’instance pour le requérant mineur.
11. Le 3 juillet 1992, le tribunal constata que la demande de nomination d’un tuteur avait été présentée devant le tribunal d’instance d’Istanbul et décida d’attendre l’issue de cette procédure, ce qu’il fit lors des trois audiences suivantes qui se tinrent entre le 28 septembre et le 28 décembre 1992.
12. Le 24 février 1993, le tribunal constata l’absence injustifiée de l’avocat des requérants. Le représentant de la partie défenderesse indiqua qu’il n’entendait pas poursuivre l’instance et demanda la radiation de l’affaire du rôle, ce que le tribunal décida en application de l’article 409 du code de procédure civile.
13. Le 25 février 1993, faisant suite à la demande de l’avocat des requérants, le tribunal inscrivit l’affaire à nouveau au rôle.
14. Le 9 avril 1993, le tribunal constata la nomination d’un tuteur à l’instance pour le requérant. Il décida de notifier des citations à comparaître aux témoins et d’envoyer une commission rogatoire au tribunal d’instance de Bursa aux fins d’audition d’un témoin.
15. Le 28 mai 1993, le tribunal releva que la commission rogatoire n’avait pas encore été effectuée et que les deux témoins de la requérante ne s’étaient pas conformés à la citation à comparaître et délivra un mandat d’amener les concernant.
16. Les 9 juillet et 1er octobre 1993, le tribunal accusa réception du témoignage recueilli sur commission rogatoire et entendit deux témoins des requérants. Il décida de signifier des citations à comparaître à deux autres témoins.
17. Le 15 novembre 1993, le tribunal accéda à la demande des requérants de signifier une nouvelle citation à comparaître à leur témoin et envoya une commission rogatoire au tribunal de grande instance de Çorlu aux fins d’audition d’un témoin de la partie défenderesse.
18. Le 22 décembre 1993, le tribunal décida d’attendre le retour de la commission rogatoire et de délivrer à nouveau un mandat d’amener à l’encontre d’un témoin.
19. Le 18 février 1994, la requérante et le tuteur à l’instance renoncèrent à l’audition de leur témoin qui restait introuvable. Ils demandèrent la désignation d’experts, ce que le tribunal fit en renvoyant les parties à l’institut de médecine légale de l’université d’Istanbul pour analyse et fixa le rendez-vous au 16 mars 1994. A cette date, les requérants ne se présentèrent pas.
20. Au deuxième rendez-vous fixé au 28 mars 1994, la partie défenderesse ne se présenta pas.
21. Lors de l’audience du 4 avril 1994, le tribunal fixa la date du rendez-vous suivant au 14 avril 1994.
22. Le 16 juillet 1994, après avoir relevé que les parties n’avaient pas justifié leur absence à l’audience, le tribunal considéra qu’elles n’entendaient plus poursuivre l’instance et raya l’affaire du rôle.
23. Le 21 juillet 1997, le tribunal décida de reprendre l’examen de l’affaire sur requête des requérants.
24. Le rapport établi le 24 octobre 1994 par l’Institut médico-légal du ministère de la Justice (« l’Institut »), après examen sanguin et expertise génétique, indiqua que la paternité d’Emrah İpek était certaine à 99,77 %.
25. Le 19 décembre 1994, statuant à la lumière des résultats des analyses et de l’ensemble des éléments du dossier, le tribunal conclut à la paternité d’Emrah İpek et ordonna à l’officier d’état-civil de modifier l’acte de naissance de l’enfant afin d’y substituer le nom d’Emrah İpek à celui de la mère.
26. Le 30 mai 1995, la Cour de cassation confirma ce jugement.
27. Le 7 février 1996, la Cour de cassation, saisie d’une demande en rectification de l’arrêt, infirma le jugement du 19 décembre 1994 au motif que les juges du fond s’étaient fondés sur un rapport d’expertise établi par un autre institut que celui désigné, à savoir l’institut de médecine légale de l’université d’Istanbul, et qu’il était nécessaire de procéder à des examens complémentaires. Elle renvoya l’affaire devant la juridiction de première instance.
28. Le 24 avril 1996, le tribunal décida de consulter l’Institut concernant les modalités de l’expertise et reporta l’audience.
29. Le 3 juin 1996, le tribunal accorda un délai aux représentants des parties pour consulter leurs clients respectifs quant à la date de l’expertise et prononça le report de l’audience.
30. Le 1er juillet 1996, le tribunal invita les parties à se rendre à l’Institut le 24 juillet 1996 afin de se soumettre aux tests et ordonna à la partie défenderesse de régler les frais d’expertise.
31. Le 23 septembre 1996, le tribunal constata que la partie défenderesse ne s’était pas acquittée des frais d’expertise et fixa un nouveau rendez-vous au 28 octobre 1996. La partie défenderesse ne s’y rendit pas.
32. Le 20 novembre 1996, le tribunal fixa le rendez-vous suivant au 16 décembre 1996 et informa l’Institut que la partie défenderesse avait réglé les frais d’expertise.
33. Les 23 décembre 1996, le tribunal releva que l’Institut n’avait pas répondu à sa correspondance et reporta l’audience.
34. Le 19 février 1997, le tribunal décida de rayer l’affaire du rôle au motif que les parties ne s’étaient pas présentées à l’audience.
35. Le 26 février 1997, faisant suite à la demande de la requérante, le tribunal décida de reprendre l’examen de l’affaire.
36. Les 24 mars, 1er mai et 30 mai 1997, le tribunal décida d’attendre la réponse de l’Institut.
37. Le 2 juin 1997, l’Institut informa le tribunal que les équipements nécessaires pour procéder aux tests complémentaires seraient disponibles fin août et que les parties pouvaient se présenter pendant le mois d’octobre pour se soumettre aux tests.
38. Le 14 juillet 1997, le tribunal accusa réception de la réponse de l’Institut. A la lumière des informations contenues dans cette lettre, il fixa un nouveau rendez-vous au 6 octobre 1997. Emrah İpek informa le tribunal qu’il serait absent ce jour-là.
39. Le 23 octobre 1997, le tribunal fixa un rendez-vous au 10 décembre 1997 conformément à l’accord des parties. Emrah İpek négligea à nouveau de s’y rendre.
40. Le 24 décembre 1997, faisant suite à la demande du représentant de la requérante, le tribunal délivra un mandat d’amener à l’encontre d’Emrah İpek et fixa le prochain rendez-vous au 21 janvier 1998. Emrah İpek omit à nouveau de se présenter.
41. Le 7 janvier 1998, le tribunal transmit le mandat d’amener à la direction de la sûreté d’Istanbul en y mentionnant les trois adresses de l’intéressé, toutes situées à Istanbul.
42. Le 3 février 1998, la direction de la sûreté d’Istanbul transmit au tribunal la copie de la lettre du 16 janvier 1998 par laquelle le commissariat du quartier de Kızıltoprak informait la direction de la sûreté de Kadıköy qu’Emrah İpek ne résidait pas à l’adresse indiquée et que sa nouvelle adresse était inconnue.
43. Le 18 février 1998, le tribunal renouvela le mandat d’amener délivré à l’encontre d’Emrah İpek et fixa un nouveau rendez-vous au 12 mars 1998. L’intéressé négligea à nouveau de s’y rendre.
44. Le 25 mars 1998, le commissariat du quartier d’Etiler informa la direction de la sûreté de Beşiktaş qu’Emrah İpek avait déménagé dans le quartier de Levent.
45. Le 25 mars 1998, le tribunal fixa un nouveau rendez-vous au 15 mai 1998 conformément à l’accord des représentants des parties et renouvela le mandat d’amener. Emrah İpek informa le tribunal qu’il serait absent ce jour-là.
46. Le 13 avril 1998, le commissariat du quartier d’Ortaköy informa la direction de la sûreté de Beşiktaş qu’Emrah İpek ne résidait pas à l’adresse indiquée.
47. Le 20 mai 1998, le commissariat du quartier de Levent informa la direction de la sûreté de Beşiktaş que le mandat d’amener concernant le rendez-vous du 12 mars 1998 n’avait pas été exécuté en raison d’une transmission tardive, à savoir le 26 mars 1998.
48. Le 27 mai 1998, le tribunal accusa réception de la réponse de la direction de la sûreté et fixa un nouveau rendez-vous au 30 juin 1998. Il réitéra le mandat d’amener.
49. Le 30 juin 1998, Emrah İpek omit à nouveau de se présenter au rendez-vous.
50. Le 16 juillet 1998, la requérante déposa une plainte contre les agents de police chargés d’exécuter le mandat d’amener pour négligence dans l’exercice de leur fonction.
51. Le 16 septembre 1998, le tribunal fixa un nouveau rendez-vous au 2 novembre 1998. Emrah İpek ne s’y présenta pas.
52. Le 5 novembre 1998, le tribunal constata qu’il n’avait pas reçu de réponse à ses demandes faites auprès de la direction de la sûreté et demanda à être informé à ce sujet. Il décida en outre de notifier aux policiers chargés d’exécuter le mandat d’amener qu’ils verraient leur responsabilité engagée pour manquement à leur fonction si le mandat n’était pas exécuté. Il fixa un nouveau rendez-vous au 12 novembre 1998 et reporta l’audience. L’avocate de la requérante souligna qu’Emrah İpek ne s’était présenté à aucune des convocations du tribunal et qu’il demeurait introuvable. Elle demanda en conséquence au tribunal de statuer sur la paternité d’Emrah İpek en l’absence de réaction de celui-ci à une dernière injonction.
53. Le 12 novembre 1998, le tribunal releva qu’Emrah İpek se trouvait à l’étranger en raison d’une tournée et versa au dossier les justificatifs présentés à cet effet par son représentant.
54. Le 10 décembre 1998, le tribunal décida de porter plainte devant le procureur de la République à l’encontre des agents chargés d’exécuter le mandat d’amener pour abus de pouvoir. Il décida également de notifier à Emrah İpek que le fait de se soustraire aux tests ADN serait interprété comme un aveu de paternité.
55. Le 11 février 1999, le tribunal tint une audience en présence des deux parties. Emrah İpek fit valoir qu’il avait été empêché d’assister aux précédentes audiences en raison d’une tournée à l’étranger.
56. Le 3 mars 1999, le procureur de la République d’Istanbul rendit une ordonnance de non-lieu concernant la plainte déposée pour non-exécution du mandat d’amener.
57. Le 13 avril 1999, le tribunal décida d’attendre le retour du dossier de l’Institut et prononça le report de l’audience.
58. Le 17 juin 1999, le tribunal accusa réception du courrier de l’Institut demandant aux parties de se présenter à nouveau pour subir les examens nécessaires. Il fixa un rendez-vous définitif au 15 juillet 1999.
59. Les 14 septembre et 27 octobre 1999, le tribunal constata que le dossier n’était pas revenu de l’Institut et décida de l’interroger à ce sujet.
60. Le 8 novembre 1999, l’Institut indiqua qu’il devait procéder à une nouvelle prise de sang pour effectuer les tests demandés.
61. Le 16 décembre 1999, le tribunal fixa un nouveau rendez-vous au 17 janvier 2000. Il décida de notifier à l’Institut que le dossier était dans l’attente de son rapport depuis environ un an, que la présentation des parties avait été requise à plusieurs reprises et que, cette fois, tous les tests devaient être effectués de manière définitive. Dans le cas contraire, les membres concernés de l’Institut seraient dénoncés au procureur de la République pour manquement à leur mission judiciaire et au ministère de la Justice en vue d’engager des poursuites administratives.
62. Le rapport établi le 28 février 2000 par l’Institut à la suite d’examens complémentaires conclut à la paternité d’Emrah İpek à 99,99 %.
63. Le 17 mai 2000, le tribunal statua sur la paternité.
64. Le 18 janvier 2001, la Cour de cassation confirma le jugement de première instance. Le 3 mai 2001, elle rejeta la demande de rectification de cet arrêt après avoir relevé le désistement des parties.
65. Pendant toute la durée de la procédure, le procès fut couvert par la presse eu égard à la célébrité d’Emrah İpek.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
66. L’article 284 du code civil est ainsi libellé :
« Dans les affaires de filiation, les dispositions du code de procédure civile s’appliquent, à l’exception des règles énoncées ci-dessous :
1. Le juge examine d’office les faits matériels et apprécie librement les preuves.
2. Les parties et les tierces personnes sont tenues de consentir aux analyses et examens nécessaires pour l’établissement de la filiation et ne présentant pas de danger pour leur santé. Si le défendeur ne consent pas à l’analyse et à l’examen ordonnés par le juge, le juge peut considérer, selon les circonstances et les conditions, que le résultat attendu est présumé établi contre lui. »
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
67. Les requérants allèguent que la durée de la procédure a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
68. Le Gouvernement soutient que la longueur de la procédure n’est pas imputable aux autorités judiciaires et s’explique essentiellement par le comportement des parties et des autorités non judiciaires.
69. Selon lui, la durée de la première partie de la procédure s’explique d’abord par la désignation d’un tuteur à l’instance pour le requérant, ensuite par l’absence injustifiée de la requérante et de son avocat à des audiences, circonstance qui a conduit le tribunal à radier l’affaire du rôle. En outre, la requérante a insisté sur l’audition d’un témoin qui est resté introuvable. Le Gouvernement fait également remarquer que les requérants ne se sont pas présentés à l’Institut pour le rendez-vous du 16 mars 1994. La procédure a également été prolongée par l’utilisation de plusieurs voies de recours par la partie défenderesse.
70. Le Gouvernement reconnaît que la deuxième partie de la procédure est incontestablement longue ; mais ceci est essentiellement imputable au comportement de la partie défenderesse qui s’est soustraite pendant plusieurs années aux tests. Les juges ont averti Emrah İpek sur les conséquences de son refus et tenté d’assurer sa présence par des mandats d’amener. Les juges ont également déposé une plainte à l’encontre des policiers défaillant pour exécuter les mandats en question.
71. Toujours selon le Gouvernement, la durée de la procédure s’explique également par le comportement des autorités médicales. Il fait observer que l’Institut a mis plus d’un an à faire parvenir les résultats de l’analyse sanguine et a demandé la présentation des parties à trois reprises. Le tribunal a pris les mesures nécessaires en vue d’accélérer la procédure et enjoint les autorités médicales à cette fin.
72. Les requérants contestent ces arguments.
73. La Cour note que la période à considérer a débuté le 2 avril 1992 avec l’introduction de l’action en recherche de paternité devant le tribunal de grande instance d’Istanbul, et s’est terminée le 18 janvier 2001 avec l’arrêt de la Cour de cassation. Elle a donc duré plus de huit ans et neuf mois pour cinq instances.
74. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement des requérants et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi d’autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000‑VII).
75. Dans les affaires relatives à l’état et à la capacité des personnes, une diligence particulière s’impose (Bock c. Allemagne, arrêt du 29 mars 1989, série A no 150, p. 23, § 49). Eu égard à l’enjeu de cette affaire pour le requérant, à savoir son droit de voir établir ou réfuter la paternité d’Emrah İpek et donc de mettre un terme à son incertitude quant à l’identité de son géniteur, la Cour estime que l’article 6 § 1 faisait obligation aux autorités internes compétentes d’agir avec une diligence particulière afin de garantir un déroulement rapide de la procédure (Mikulić c. Croatie, no 53176/99, § 44, CEDH 2002‑I).
76. La Cour note que l’affaire ne présentait pas de difficulté particulière. S’agissant du comportement des autorités judiciaires, elle observe que lorsque le tribunal de grande instance a connu l’affaire la première fois, il a mis plus de deux ans et huit mois à statuer. Il a procédé aux différents actes de procédure successivement alors que ceux-ci pouvaient être effectués simultanément. Le tribunal a ainsi attendu la nomination d’un tuteur à l’instance pour procéder à l’audition des témoins, et n’a ordonné l’expertise médicale que le 18 février 1994 et sur demande des requérants, soit environ deux ans après l’acte introductif d’instance. La durée de la procédure devant la Cour de cassation lorsqu’elle a examiné le pourvoi ou la demande de rectification de l’arrêt ne prête pas à critique.
77. C’est essentiellement la deuxième partie de la procédure qui ne répond pas à l’exigence de célérité. Alors que le premier rendez-vous à l’Institut avait été fixé au 24 juillet 1996, la présence de la partie défenderesse n’a pu être assurée que le 11 février 1999. Pendant cette période, le tribunal de grande instance a fixé onze rendez-vous pour les tests ADN et le défendeur ne s’est rendu à aucun d’entre eux. L’argument du Gouvernement selon lequel le comportement de la partie défenderesse a empêché de faire avancer la procédure en se pliant tardivement aux injonctions ne convainc pas. A cet égard, la Cour rappelle qu’il appartient aux Etats d’organiser leur système judiciaire de telle sorte que leurs juridictions puissent garantir à chacun le droit d’obtenir, dans un délai raisonnable, une décision définitive sur une contestation relative à ses droits et obligations de caractère civil (Comingersoll c. Portugal [GC], no 35382/97, § 24, CEDH 2000‑IV et Mikulić, précité, § 45 in fine).
78. La Cour note également la défaillance de la police pour signifier à la partie défenderesse les citations à comparaître ou exécuter les mandats d’amener, circonstance qui a conduit les requérants puis le tribunal à porter plainte à l’encontre des policiers responsables. Enfin, il convient de souligner la défaillance de l’Institut qui a mis environ un an pour établir son rapport et demandé à cette fin la présentation des parties à trois reprises. Le fait que ces défaillances ne sont pas imputables directement aux autorités judiciaires ne saurait dégager l’Etat de sa responsabilité dans la mesure où celui-ci est responsable de l’ensemble de ses services et non pas uniquement de ses organes judiciaires (Moreira de Azevedo c. Portugal, arrêt du 23 octobre 1990, série A no 189, § 73)
79. Le comportement des requérants ne saurait expliquer en soi la longueur du procès. S’il est vrai que leur témoin n’a pas pu être retrouvé et entendu pendant plusieurs mois, le tribunal a procédé à d’autres actes de procédure pendant cette période et, surtout, les requérants ont renoncé à l’audition de ce témoin une fois que les autres témoins avaient été entendus. L’absence des requérants au rendez-vous du 16 mars 1994 et la radiation de l’affaire du rôle à trois reprises en raison de leur absence injustifiée ont prolongé la procédure tout au plus de quelques mois, les intéressés ayant rapidement réagi et demandé la poursuite de l’examen.
80. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière et des circonstances de la cause, et plus particulièrement de l’enjeu du litige pour les requérants, la Cour estime qu’en l’espèce la durée de la procédure litigieuse est excessive et ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable ».
81. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION
82. Les requérants soutiennent que la durée de la procédure a porté atteinte à leur droit au respect de leur vie privée et familiale. Ils exposent que, pendant toute cette période, ils ont été la cible des médias en raison de la célébrité d’Emrah İpek et que l’absence de pension alimentaire a privé l’enfant du bénéfice d’une vie et d’une scolarité meilleures. Ils dénoncent finalement les troubles psychologiques causés à l’enfant par l’incertitude qui a pesé quant à sa filiation et l’impossibilité pour eux d’avoir une vie familiale normale. Ils invoquent l’article 8 de la Convention qui, en sa partie pertinente, se lit comme suit :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
(...) »
A. Applicabilité de l’article 8
83. La Cour rappelle que la notion de « vie privée » est une notion large, non susceptible d’une définition exhaustive. Elle recouvre l’intégrité physique et morale de la personne (X et Y c. Pays-Bas, arrêt du 26 mars 1985, série A no 91, p. 11, § 22). L’article 8 protège un droit à l’identité et à l’épanouissement personnel et celui de nouer et de développer des relations avec ses semblables et le monde extérieur. La sauvegarde de la stabilité mentale est à cet égard un préalable inéluctable à la jouissance effective du droit au respect de la vie privée. L’établissement des détails de son identité d’être humain et l’intérêt vital à obtenir des informations nécessaires à la découverte de la vérité concernant un aspect important de son identité personnelle contribuent à cet épanouissement, telle par exemple l’identité de ses géniteurs (Mikulić, précité, §§ 54 et 64). La naissance, et singulièrement les circonstances de celle-ci, relève de la vie privée de l’enfant (Odièvre c. France [GC], no 42326/98, § 29, CEDH 2003‑III).
84. Dans la présente affaire, à l’instar de l’affaire Mikulić, le requérant est un enfant né hors mariage qui cherche à établir l’identité de son géniteur par la voie judiciaire. L’action en recherche de paternité vise à déterminer ses liens juridiques avec Emrah İpek. Il existe ainsi une relation directe entre l’établissement de la filiation et la vie privée du requérant.
85. S’agissant de la requérante, la Cour estime que la détermination du lien de filiation de son fils né hors mariage avec le père présumé contribue sans aucun doute à son développement personnel et relève également de sa vie privée.
86. En conséquence, les faits de la cause tombent dans le champ d’application de l’article 8 de la Convention.
B. Observation de l’article 8
87. Le Gouvernement souligne que l’intérêt de la presse pour la procédure s’explique par la popularité d’Emrah İpek et qu’il convient de concilier le droit au respect à la vie privée et familiale des requérants avec la liberté de presse. Selon lui, les requérants ont volontairement médiatisé le procès et n’ont jamais demandé que la procédure se déroule à huis clos.
88. Les requérants contestent ces arguments.
89. La Cour rappelle que si l’article 8 tend pour l’essentiel à prémunir l’individu contre des ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il ne se contente pas de commander à l’Etat de s’abstenir de pareilles ingérences : à cet engagement plutôt négatif peuvent s’ajouter des obligations positives inhérentes à un respect effectif de la vie privée. Elles peuvent impliquer l’adoption de mesures visant au respect de la vie privée jusque dans les relations des individus entre eux (X et Y c. Pays-Bas, précité, p. 11, § 23, et Botta c. Italie, arrêt du 24 février 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998‑I, p. 422, § 33).
90. La frontière entre les obligations positives et négatives de l’Etat au titre de l’article 8 ne se prête pas à une définition précise ; les principes applicables sont néanmoins comparables. En particulier, dans les deux cas, il faut avoir égard au juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents ; de même, dans les deux hypothèses, l’Etat jouit d’une certaine marge d’appréciation (Mikulić, précité, § 58, et Odièvre, précité, § 40)
91. Dans la présente affaire, la seule possibilité pour les requérants d’établir la paternité d’Emrah İpek est une procédure devant les juridictions civiles, vu le refus de l’intéressé de reconnaître sa paternité.
92. Selon le droit interne, les parties au procès sont tenues de se plier aux examens nécessaires pour l’établissement de la filiation dès lors que ceux-ci ne représentent aucun danger pour leur santé. Si l’une des parties ne consent pas à l’expertise ordonnée par la juridiction, il n’existe pas de mesure contraignant l’individu à subir les tests ou analyses ordonnés. Toutefois, dans ce cas de figure, le juge peut en tirer des conclusions et statuer sans qu’il soit nécessaire de satisfaire à ladite expertise.
93. La Cour note que le 17 mai 2000, environ huit ans après l’introduction de l’action, le tribunal a statué pour la deuxième fois sur la paternité d’Emrah İpek. Dans la deuxième partie de la procédure, ce dernier ne s’est pas présenté aux rendez-vous (onze) fixés pour les tests ADN. Le rapport de l’Institut n’a été déposé qu’un an après environ et trois présentations des parties. Les tests ADN ont nécessité au total plus de trois ans et demi.
94. La Cour considère que les personnes se trouvant dans la situation des requérants, et tout particulièrement de l’enfant, ont un intérêt vital à obtenir les informations qui leur sont indispensables pour découvrir la vérité sur un aspect important de leur identité personnelle. Ceci étant, il faut garder à l’esprit que la nécessité de protéger les tiers peut exclure la possibilité de les contraindre à se soumettre à quelque analyse médicale que ce soit, notamment des tests ADN.
95. Un système qui ne prévoit pas de moyens de contraindre le père prétendu à se soumettre à des tests ADN peut en principe être jugé compatible avec les obligations découlant de l’article 8, eu égard à la marge d’appréciation de l’Etat. Pour cela, l’intérêt de la personne qui cherche à déterminer sa filiation doit être défendu lorsque la paternité ne peut être établie au moyen de tests ADN. Le principe de proportionnalité exige que le système en question tire les conséquences du refus du père prétendu et statue rapidement sur l’action en recherche de paternité (voir, mutatis mutandis, Mikulić, précité, § 64). Or tel n’a pas été le cas en l’espèce. Le tribunal de grande instance s’est montré incapable de recourir à des moyens procéduraux adéquats pour empêcher Emrah İpek d’entraver la procédure. Il n’a pas réussi à résoudre la question de la paternité par l’appréciation d’autres éléments pertinents, notamment les témoignages et le premier rapport d’expertise qui concluait à sa paternité à 99,77 %.
96. Dès lors, la Cour estime que la procédure civile n’a pas ménagé un juste équilibre entre le droit des requérants de voir dissiper sans retard inutile l’incertitude quant à la filiation du requérant et le droit du père présumé de ne pas subir de tests ADN. Elle considère que la protection des intérêts en jeu n’est pas proportionnée.
97. En conclusion, l’incapacité des juridictions internes à trancher rapidement la question de la paternité a maintenu les requérants dans un état d’incertitude prolongée quant à l’identité personnelle de l’enfant. Le respect du droit des requérants à la vie privée a donc été méconnu.
98. L’article 8 de la Convention a ainsi été violé.
III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION
99. Les requérants se plaignent du fait qu’en Turquie il n’existe aucune juridiction à laquelle l’on puisse s’adresser pour se plaindre de la durée excessive de la procédure. Ils invoquent l’article 13 de la Convention qui, en sa partie pertinente, se lit comme suit :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
100. Le Gouvernement soutient qu’il existe des voies de recours pour contester la durée de la procédure : d’abord, une action contre le personnel judiciaire sous forme d’une requête adressée au parquet ou au ministère de la Justice, lequel peut demander une enquête à ce sujet ; ensuite, une action contre les agents de police et le personnel de l’Institut pour négligence dans l’exercice de leur fonction. Il en conclut que les requérants avaient à leur disposition des recours qu’ils n’ont pas usés.
101. Les requérants contestent ces arguments. Ils expliquent que la plainte déposée à l’encontre de la police pour négligence n’a pas abouti et soulignent la difficulté d’engager la responsabilité d’un agent public.
102. La Cour rappelle que l’article 13 garantit un recours effectif devant une instance nationale permettant de se plaindre, entre autres, d’une méconnaissance de l’obligation, imposée par l’article 6 § 1, d’entendre les causes dans un délai raisonnable (voir Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 156, CEDH 2000‑XI). La portée de l’obligation que l’article 13 fait peser sur les Etats contractants varie en fonction de la nature du grief du requérant. Toutefois, le recours exigé par l’article 13 doit être « effectif » en pratique comme en droit (voir, par exemple, İlhan c. Turquie [GC], no 22277/93, § 97, CEDH 2000‑VII).
103. L’« effectivité » d’un « recours » au sens de l’article 13 ne dépend pas de la certitude d’une issue favorable pour le requérant. De même, l’« instance » dont parle cette disposition n’a pas besoin d’être une institution judiciaire, mais alors ses pouvoirs et les garanties qu’elle présente entrent en ligne de compte pour apprécier l’effectivité du recours s’exerçant devant elle. En outre, l’ensemble des recours offerts par le droit interne peut remplir les exigences de l’article 13, même si aucun d’eux n’y répond en entier à lui seul (voir, parmi d’autres, Silver et autres c. Royaume-Uni, arrêt du 25 mars 1983, série A no 61, p. 42, § 113, et Chahal c. Royaume-Uni, arrêt du 15 novembre 1996, Recueil 1996-V, pp. 1869-1870, § 145).
104. La Cour rappelle à cet égard qu’elle a jugé que les recours dont un justiciable dispose au plan interne pour se plaindre de la durée d’une procédure sont « effectifs », au sens de l’article 13 de la Convention, lorsqu’ils permettent d’« empêcher la survenance ou la continuation de la violation alléguée, ou [de] fournir à l’intéressé un redressement approprié pour toute violation s’étant déjà produite » (Kudła, précité, § 158). L’article 13 ouvre donc une option en la matière : un recours est « effectif » dès lors qu’il permet soit de faire intervenir plus tôt la décision des juridictions saisies, soit de fournir au justiciable une réparation adéquate pour les retards déjà accusés (ibidem, § 159). Selon la Cour, vu les « étroites affinités » que présentent les articles 13 et 35 § 1 de la Convention (ibidem, § 152), il en va nécessairement de même pour la notion de recours « effectif » au sens de cette seconde disposition.
105. En l’espèce, le Gouvernement ne fait état d’aucune voie de droit spécifique au travers de laquelle les requérants auraient pu se plaindre de la durée de la procédure.
106. La Cour estime que les requérants ne pouvaient pas obtenir satisfaction – préventive ou compensatoire – au moyen des voies de droit mentionnées par le Gouvernement. Il s’agit de procédures visant à engager la responsabilité personnelle des intéressés et pouvant aboutir à l’application de sanctions disciplinaires, et non pas à faire intervenir plus rapidement la décision ou fournir aux requérants une réparation adéquate. A supposer que de tels recours contribuent à accélérer la procédure, il serait déraisonnable d’exiger d’une partie à l’instance qu’elle introduise une action contre tous les acteurs défaillants de la procédure. Cette fonction appartient au juge qui est chargé de la conduite rapide du procès.
107. Dès lors, la Cour estime qu’en l’espèce il y a eu violation de l’article 13 de la Convention en raison de l’absence en droit interne d’un recours qui eût permis aux requérants d’obtenir la sanction de leur droit à voir leur cause entendue dans un délai raisonnable, au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.
IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
108. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
109. Les requérants réclament 50 000 euros (EUR) au titre du préjudice matériel. Ils estiment leur préjudice moral à 50 000 EUR.
110. Le Gouvernement conteste ces montants.
111. La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre les violations constatées et le dommage matériel allégué, et rejette cette demande. En revanche, elle admet que les requérants ont subi un dommage moral qu’un simple constat de violation de la Convention ne suffit pas à compenser. Statuant en équité, elle considère qu’il y a lieu de leur octroyer conjointement 12 000 EUR au titre du préjudice moral.
B. Frais et dépens
112. Les requérants demandent 20 000 EUR pour les frais et dépens encourus devant les juridictions internes. Ils réclament en outre le dédommagement des frais et dépens encourus devant la Cour, sans toutefois les chiffrer. Ils ne fournissent pas de justificatif à l’appui de leur demande.
113. Le Gouvernement conteste ces prétentions.
114. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des éléments en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour estime raisonnable la somme de 2 000 EUR tous frais confondus et l’accorde aux requérants conjointement.
C. Intérêts moratoires
115. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 6 de la Convention ;
2. Dit, par cinq voix contre deux, qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention ;
3. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention ;
4. Dit, à l’unanimité,
a) que l’Etat défendeur doit verser aux requérants conjointement, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 12 000 EUR (douze mille euros) pour dommage moral et 2 000 (deux mille euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû au titre de taxes, droits de timbres et charges fiscales exigibles au moment du versement, à convertir en nouvelles livres turques au taux applicable à la date du règlement ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
5. Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 30 mai 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
S. Dollé J.-P. Costa
Greffière Président
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion partiellement dissidente de Mmes Mularoni et Fura-Sandström.
J.-P.C.
S.D.
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE DE Mmes LES JUGES MULARONI ET FURA-SANDSTRÖM
Nous partageons l’avis de la majorité qu’il y a eu violation des articles 6 et 13 de la Convention dans cette affaire.
Cependant, eu égard à la conclusion sur le terrain de l’article 6 § 1, nous estimons que aucune question distincte ne se pose sous l’angle de l’article 8 par rapport aux griefs formulés par les requérants (voir § 82 de l’arrêt).
En premier lieu, nous estimons qu’il n’était pas nécessaire de réexaminer le problème de la durée de la procédure sous l’angle de l’article 8.
En deuxième lieu, le fait pour les requérants d’avoir « été la cible des médias en raison de la célébrité d’Emrah Ipek » n’engage à notre avis nullement la responsabilité de l’Etat défendeur.
Enfin, nous considérons que la Cour aurait pu sans difficulté tenir compte sous l’angle de l’article 41 de la Convention de ce que « l’absence de pension alimentaire a privé l’enfant du bénéfice d’une vie et d’une scolarité meilleures » ainsi que des « troubles psychologiques causés à l’enfant par l’incertitude qui a pesé quant à sa filiation » et de « l’impossibilité pour les requérants d’avoir une vie familiale normale » pendant une longue période. Nous estimons qu’il s’agit malheureusement de conséquences directes de la durée de la procédure et que, par conséquent, il n’était pas nécessaire de trouver également une violation de l’article 8.