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TROISIÈME SECTION
AFFAIRE MOCANU c. ROUMANIE
(Requête no 56489/00)
ARRÊT
(Règlement amiable)
STRASBOURG
24 mai 2006
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme
En l’affaire Mocanu c. Roumanie,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. J. Hedigan, président,
L. Caflisch,
C. Bîrsan,
V. Zagrebelsky,
Mme A. Gyulumyan,
M. David Thór Björgvinsson,
Mme I. Ziemele, juges,
et de M. V. Berger, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 4 mai 2006,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 56489/00) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Silviu Mocanu (« le requérant »), avait saisi la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission ») le 7 septembre 1998 en vertu de l’ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant est représenté par Me D.-O. Calinescu, avocate à Bucarest. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme B. Ramaşcanu, du ministère des Affaires étrangères.
3. Le requérant alléguait qu’il avait été victime d’une violation de l’article 3 de la Convention en raison de mauvais traitements auxquels il avait été soumis pendant sa garde à vue ainsi que de l’absence d’enquête effective à cet égard. Il se plaignait également de la méconnaissance de l’article 8 de la Convention, en raison notamment de l’ouverture du courrier envoyé par la Cour et du refus de l’administration de lui fournir des timbres pour sa correspondance, et de l’article 34, compte tenu de l’entrave à l’exercice du droit de recours individuel. Par ailleurs, il se disait victime d’une violation de l’article 13 de la Convention combiné avec les articles 3 et 8, du fait de l’absence de recours effectifs à l’égard des griefs tirés de ces articles.
4. Par une décision du 6 octobre 2005, la Cour (troisième section) a déclaré la requête partiellement recevable.
5. Le 22 décembre 2005, après un échange de correspondance, le greffier a proposé aux parties la conclusion d’un règlement amiable au sens de l’article 38 § 1 b) de la Convention. Les 17 janvier et 28 février 2006 respectivement, le requérant et le Gouvernement ont présenté des déclarations formelles d’acceptation d’un règlement amiable de l’affaire.
EN FAIT
6. Le requérant est né en 1976 et réside à Brăila.
7. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
1. L’arrestation du requérant et la procédure pénale menée contre lui
8. A 2 heures du matin, dans la nuit du 25 au 26 mai 1997, le requérant et son frère furent arrêtés à leur domicile par des policiers et accusés d’avoir commis un meurtre quelques heures auparavant dans une station-service. Au moment de leur arrestation, ils étaient en train de laver leurs vêtements tachés de sang.
9. Le requérant, qui fut immédiatement amené au commissariat de police de Brăila et placé en garde à vue, allègue que des policiers l’ont soumis à des mauvais traitements (coups) jusqu’à 9 heures du matin afin qu’il reconnaisse avoir commis le meurtre avec son frère.
10. Par une lettre du 25 octobre 2004, il a fourni à la Cour des copies de deux déclarations faites les 14 et 18 juillet 2004 par deux codétenus du commissariat, D.C. et M.N.A., qui témoignaient qu’il portait des traces de violences sur le visage et sur le corps le 26 mai 1997. Dans sa déposition, M.N.A. précisa que dans la nuit du 25 au 26 mai 1997 il était également en garde à vue au commissariat et que le requérant, avant d’être interrogé par des policiers, ne présentait pas de traces visibles de violences. Après que ce dernier eut été emmené par des policiers, le témoin entendit ses cris, puis vit qu’il avait les vêtements déchirés, le visage enflé et ensanglanté, et d’autres lésions au niveau des bras.
11. Le 26 mai 1997, à 9 heures du matin, le requérant fut présenté au procureur L.D., auquel, selon ses dires, il relata les violences que lui avaient infligées les policiers et demanda à être examiné par un médecin en vue de l’établissement d’un certificat médical. Le procureur l’invita à rédiger sa demande par écrit, mais le requérant n’y donna aucune suite. D’après le requérant, le procureur le menaça et le frappa lui aussi.
12. Selon le Gouvernement, lorsque le requérant fut présenté au procureur L.D. le matin du 26 mai 1997, ce dernier constata l’état physique dans lequel se trouvait l’intéressé et lui conseilla de demander un examen médical afin de faire établir la cause des blessures qu’il présentait.
13. Le même jour, le requérant fit devant le procureur une déclaration relative aux faits. Selon ses dires, par peur d’être reconduit au commissariat, il y reconnut avoir commis le meurtre avec son frère. La déclaration fut dactylographiée, puis signée par le requérant, l’avocat commis d’office et le procureur L.D. Les passages pertinents sont ainsi libellés :
« Concernant les lésions que j’ai sur la pommette de la joue droite, je précise qu’elles ont été causées le matin du 26 mai 1997 lorsque je suis arrivé au commissariat de police. Ces lésions résultent d’une gifle à la suite de laquelle je me suis cogné contre le mur. J’ai été blessé à l’auriculaire de la main gauche après avoir été frappé, puis je suis tombé sur la main, qui a enflé. J’ai été examiné par un médecin, qui a constaté les deux blessures. Je ne peux pas m’expliquer pourquoi j’ai été frappé par les policiers (...) A la question de l’avocat qui me demande comment j’explique qu’au commissariat je n’ai pas reconnu les faits à ma charge alors que j’ai été battu, mais que je les ai reconnus devant le procureur et l’avocat sans être soumis à des violences, je précise que je n’ai pas d’explications. »
14. Il ressort du dossier que le requérant ne fut pas vu par un médecin. L’intéressé allègue en outre que l’avocat commis d’office n’était arrivé qu’à la fin de l’interrogatoire pour signer un certain nombre de documents, dont la déclaration en question, et ne lui aurait pas adressé un mot.
15. Par une ordonnance délivrée par le procureur le 26 mai 1997, le requérant, inculpé de meurtre aggravé, fut placé en détention provisoire au commissariat de police de Brăila. Dans le procès-verbal rédigé lors de la mise en détention provisoire, l’adjudant A.S. nota que le requérant ne présentait pas de traces visibles de violences. Au commissariat de police, le requérant ne fut pas soumis à un examen médical. Dans sa déclaration du 18 juillet 2004, le codétenu D.C. précisait que le requérant, lors de sa détention au commissariat, portait « des lésions sur tout le corps » et que les 27 et 28 mai 1997 il avait demandé au personnel du commissariat à être examiné par un médecin, mais n’avait pas reçu de réponse.
16. Le 29 mai 1997, le requérant fut transféré à la prison de Brăila. Il aurait demandé à la direction de la prison de Brăila à être soumis à un examen médical afin de faire constater les traces de violence sur le corps, mais il ne reçut aucune réponse.
17. Le 10 octobre 1997, le requérant fit une nouvelle déclaration devant le procureur L.D. dans laquelle il rétracta sa précédente déclaration, précisant qu’il n’avait pas commis le meurtre. Il indiqua qu’il avait fait sa précédente déclaration par peur d’être reconduit au commissariat où il avait subi des violences, et mentionna que le procureur ne l’avait pas frappé.
18. Par un jugement du 2 décembre 1997, le tribunal départemental de Brăila condamna le requérant à la réclusion criminelle à perpétuité pour meurtre aggravé. Il mentionna, entre autres, que le requérant avait affirmé au cours des débats avoir reconnu les faits par crainte des représailles de la police. Ce jugement fut confirmé, en dernier ressort, par un arrêt du 23 juin 1998 rendu par la Cour suprême de Justice.
2. Les procédures pénales dirigées contre le procureur et les policiers
19. Le requérant affirme que les plaintes concernant les mauvais traitements subis qu’il a envoyées au commissariat de police, aux tribunaux et aux parquets de Galaţi entre les mois de mai 1997 et de janvier 2001 sont demeurées sans réponse. L’intéressé a indiqué à la Cour les dates et les références des plaintes qu’il a envoyées des prisons où il était détenu.
a) La plainte du requérant contre les policiers
20. Le 12 avril 2001, le requérant porta plainte pour enquête abusive contre les policiers responsables des mauvais traitements qu’il avait subis pendant la nuit du 25 au 26 mai 1997. Il précisait ne pas connaître les noms des policiers, mais les identifia par la suite.
21. Le 22 mai 2002, le parquet militaire près le tribunal militaire compétent rendit un non-lieu en faveur de deux des policiers mis en cause par le requérant, sans se prononcer au sujet des autres policiers identifiés par ce dernier. Le parquet estima que les preuves administrées en l’espèce, à savoir les déclarations faites par les deux policiers ainsi que le procès-verbal de mise en détention provisoire du 26 mai 1997, n’avaient pas confirmé la commission de l’infraction dénoncée par le requérant.
22. Le 13 juin 2002, le requérant contesta le non‑lieu, précisant, entre autres, qu’il n’avait reçu aucune réponse au sujet des autres policiers qu’il avait identifiés à la suite de sa plainte du 12 avril 2001.
23. Par une lettre du 17 septembre 2002, le requérant réitéra ses griefs et précisa notamment au parquet qu’il venait d’identifier un témoin des violences auxquelles il avait été soumis au commissariat de police. Il s’agissait du détenu M.N.A., qui était prêt à témoigner dans son affaire.
24. Par une ordonnance du 18 mars 2003, le parquet près le tribunal militaire compétent, sans examiner d’autres preuves, rejeta comme mal fondée la contestation du requérant contre le non-lieu du 22 mai 2002. Dans les motifs, résumés en un paragraphe, le procureur estima que l’intéressé se plaignait de l’issue de la procédure pénale engagée contre lui.
b) La plainte du requérant contre le procureur L.D.
25. Le 30 octobre 2002, le requérant saisit le parquet près la cour d’appel de Galaţi d’une plainte contre le procureur L.D. pour enquête abusive. Il allégua, entre autres, que le procureur l’avait frappé le 26 mai 1997 et que celui-ci n’avait pas donné suite à la demande écrite qu’il avait présentée le même jour en vue de subir un examen médical.
26. Après avoir constitué un dossier d’enquête composé de pièces produites dans le cadre de la procédure pénale dirigée contre le requérant, le parquet près la cour d’appel de Galaţi rendit un non‑lieu par une ordonnance du 11 novembre 2002, sans entendre l’intéressé ou le procureur L.D. Le procureur chargé de l’enquête conclut que les faits allégués, n’étant nullement prouvés, ne correspondaient pas à la réalité.
27. Par une ordonnance du 10 décembre 2002, le procureur en chef du parquet compétent confirma le bien-fondé du non-lieu.
3. Les faits relatifs à la correspondance du requérant avec la Cour
a) Faits relatifs à l’ouverture des lettres de la Cour
28. Le 17 août 1999, le requérant reçut, ouverte et sans enveloppe, la lettre de la Cour du 28 juin 1999 à laquelle était annexé un formulaire de requête. La lettre, envoyée par la Cour à la prison de Craiova, portait le tampon de la prison de Bucarest-Rahova, où le requérant avait été transféré entre temps, et un numéro d’enregistrement. L’enveloppe vide fut remise au requérant, à sa demande, par le personnel de la prison quelques jours plus tard.
29. Le 18 août 1999, le requérant déposa auprès du parquet militaire une plainte pour ingérence dans sa correspondance, précisant par la suite que la lettre de la Cour du 28 juin 1999 lui avait été remise dans sa cellule par un codétenu. Il mentionnait qu’à la différence de cette lettre, les deux premières lettres que la Cour lui avaient envoyées les 2 décembre 1998 et 11 mars 1999 avaient été ouvertes, lues et enregistrées par le personnel de la prison de Craiova, où il se trouvait à l’époque, en sa présence.
30. A la suite de l’ouverture d’une enquête pénale, le 19 novembre 1999, le requérant fit une déclaration devant un procureur dans laquelle il réitéra ses griefs et précisa l’identité du détenu qui lui avait remis la lettre du 28 juin 1999. Toutefois, ce dernier ne fut pas entendu par le parquet. La sergente P.E.R., qui avait appliqué le tampon sur la lettre en question, fit une brève déclaration au parquet.
31. Après avoir décidé le 21 juin 2000 d’engager des poursuites contre la sergente P.E.R. pour ingérence dans la correspondance, par une ordonnance datée du même jour, le procureur G.R. mit fin aux poursuites et infligea à P.E.R. une sanction administrative, à savoir une réprimande avec avertissement. Il motiva son ordonnance par la charge de travail importante de P.E.R. ainsi que par l’atteinte minime et manifestement sans importance au droit du requérant au respect de sa correspondance, et précisa que le droit de recours de celui-ci n’avait été aucunement entravé. Par une ordonnance du 21 juillet 2000, le procureur de rang supérieur confirma l’ordonnance susmentionnée. Le dossier des poursuites contient la preuve de la communication de l’ordonnance du 21 juillet 2000 à la sergente P.E.R., mais non celle de la notification au requérant.
b) Faits relatifs à la fourniture au requérant de timbres pour sa correspondance avec la Cour
32. Par une lettre du 5 octobre 1999 adressée à la Cour, le requérant précisa que le retard dans le renvoi du formulaire de requête était dû, entre autres, au refus de la prison de Bucarest-Rahova de lui fournir des timbres pour sa correspondance avec la Cour. Il y faisait part de ses inquiétudes concernant le risque de censure de la part des autorités roumaines.
33. Par des lettres des 19 janvier 2000 et 20 mai 2003, le requérant informa la Cour que depuis son transfert à la prison Bucarest-Rahova en juillet 1999, en raison du refus de la direction de cette prison de lui fournir des timbres et des enveloppes, il devait supporter le coût de sa correspondance avec la Cour et avec les autorités roumaines qu’il saisissait, alors qu’il n’avait pas de ressources. Il précisa qu’il n’avait pas de famille à part sa mère malade et retraitée qui percevait une pension d’environ 25 euros par mois.
EN DROIT
34. Le 28 février 2006, la Cour a reçu du Gouvernement la déclaration suivante :
« Je déclare que le gouvernement roumain offre de verser à M. Silviu Mocanu, à titre gracieux, la somme de 17 000 euros, dont 5 657 euros pour frais et dépens payables directement à son avocate, conformément au contrat qu’elle a conclu avec le requérant, en vue d’un règlement amiable de l’affaire ayant pour origine la requête susmentionnée pendante devant la Cour européenne des Droits de l’Homme.
Cette somme couvrira tout préjudice matériel et moral ainsi que les frais et dépens et sera payée dans les trois mois suivant la date de la notification de l’arrêt de la Cour rendu conformément à l’article 39 de la Convention européenne des Droits de l’Homme. A défaut de règlement dans ledit délai, le Gouvernement s’engage à verser, à compter de l’expiration de celui-ci et jusqu’au règlement effectif de la somme en question, un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne, augmenté de trois points de pourcentage. Ce versement vaudra règlement définitif de l’affaire.
En outre, le Gouvernement s’engage à ne pas demander le renvoi de l’affaire à la Grande Chambre conformément à l’article 43 § 1 de la Convention. »
35. Le 17 janvier 2006, la Cour a reçu la déclaration suivante, signée par l’avocate du requérant :
« Je note que le gouvernement roumain est prêt à verser à M. Silviu Mocanu, à titre gracieux, la somme de 17 000 euros, dont 5 657 euros pour frais et dépens payables directement à son avocate, conformément au contrat qu’elle a conclu avec le requérant, en vue d’un règlement amiable de l’affaire ayant pour origine la requête susmentionnée pendante devant la Cour européenne des Droits de l’Homme.
Cette somme couvrira tout préjudice matériel et moral ainsi que les frais et dépens et sera payée dans les trois mois suivant la date de la notification de l’arrêt de la Cour rendu conformément à l’article 39 de la Convention européenne des Droits de l’Homme. A compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au règlement effectif de la somme en question, il sera payé un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne, augmenté de trois points de pourcentage.
J’accepte cette proposition et renonce par ailleurs à toute autre prétention à l’encontre de la Roumanie à propos des faits à l’origine de ladite requête. Je déclare l’affaire définitivement réglée.
La présente déclaration s’inscrit dans le cadre du règlement amiable auquel le Gouvernement et le requérant sont parvenus.
En outre, je m’engage à ne pas demander, après le prononcé de l’arrêt, le renvoi de l’affaire à la Grande Chambre conformément à l’article 43 § 1 de la Convention. »
36. La Cour prend acte du règlement amiable auquel sont parvenues les parties (article 39 de la Convention). Elle est assurée que ce règlement s’inspire du respect des droits de l’homme tels que les reconnaissent la Convention ou ses Protocoles (articles 37 § 1 in fine de la Convention et 62 § 3 du règlement).
37. Partant, il convient de rayer l’affaire du rôle.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Décide de rayer l’affaire du rôle ;
2. Prend acte de l’engagement des parties de ne pas demander le renvoi de l’affaire à la Grande Chambre.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 24 mai 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Vincent Berger John Hedigan
Greffier Président