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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
1.6.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

TROISIÈME SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 2627/04
présentée par Selim YILDIRIM
contre la Turquie

La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant le 1er juin 2006 en une chambre composée de :

MM. B.M. Zupančič, président,
L. Caflisch,
R. Türmen,
C. Bîrsan,
V. Zagrebelsky,
E. Myjer,
David Thór Björgvinsson, juges,
et de M. V. Berger, greffier de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 17 décembre 2003,

Vu la décision de traiter en priorité la requête en vertu de l’article 41 du règlement de la Cour,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Le requérant, M. Selim Yıldırım, est un ressortissant turc, né en 1963. Il est représenté devant la Cour par Mes V. Karaduman et Ö. Yıldız, avocats à Diyarbakır.

A. Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

Le 20 septembre 1998, le requérant fut appréhendé par les forces de l’ordre et placé en garde à vue.

A une date non indiquée, il fut condamné par la cour de sûreté de Diyarbakır à douze ans et six mois d’emprisonnement pour infraction à l’article 168 § 2 réprimant l’appartenance à une organisation illégale. Il fut placé à la prison de Muş.

Depuis son entrée en prison le 26 septembre 1998, il fut transféré à l’hôpital civil de Muş, pour divers problèmes de santé, liés en particulier à une maladie cardio-vasculaire.

Le rapport médical du 26 octobre 2000, délivré par l’hôpital de Muş, indiqua que la maladie du requérant ne nécessitait pas de mesures particulières.

Le 26 janvier 2001, il fut transféré à l’hôpital civil de Van. Les rapports médicaux établis les 10 et 17 octobre 2001 mentionnent l’état de sclérose artérielle totale des membres inférieurs, et de sclérose coronarienne avec un taux variant entre 70 et 100 %. Il constate également des thromboses coronariennes impliquant un pontage.

Les 28 et 29 mars 2001, lors d’une hospitalisation, il subit une angiocardiographie à l’hôpital spécialisé dans les maladies cardio-vasculaires de Van.

Par une lettre du 27 septembre 2001, à la suite des examens médicaux effectués les 1er et 3 juin, 24 juillet, 14 août, et 19 septembre 2001, le procureur de Muş demanda au centre hospitalier de Van si la maladie du requérant nécessitait la suspension de l’exécution de la peine.

Le rapport du 10 octobre 2001 recommandait au requérant une opération bypass. Un autre rapport daté du 17 octobre 2001 indiqua que l’opération était nécessaire et que la réincarcération du requérant devrait se faire à condition de lui assurer le traitement médical.

Le 14 novembre 2001, le médecin responsable informa le parquet du fait que la maladie du requérant comportait un danger vital et que la décision concernant la compatibilité de sa maladie avec les conditions carcérales serait prise au vu de son état post-opératoire.

Le 22 juin 2002, le requérant fut opéré. Le rapport médical daté du 5 novembre 2002 mentionne le fait que le requérant ne pouvait plus s’adapter aux conditions carcérales en raison de son état de santé.

Le rapport médical du 9 juillet 2002 présenta l’état de santé du requérant comme étant sans complexité particulière et recommanda des check-up réguliers.

Le 29 août 2002, le parquet de Muş demanda à l’hôpital d’une évaluation de la gravité de l’état de santé du requérant afin de décider de reporter ou non l’exécution de sa peine.

Le 16 septembre 2002, le requérant présenta une demande de grâce médicale auprès du président de la République, conformément à l’article 104 b) de la Constitution.

Le 2 octobre 2002, le requérant fut examiné d’abord à l’hôpital de Muş, puis transféré à l’hôpital spécialisé de Van. Le rapport indiqua que le requérant ne pouvait plus s’adapter aux conditions carcérales.

Faisant suite à la demande du requérant, le 21 février 2003, le procureur de Muş transmit le rapport médical à l’institut de médecine légale et le chargea d’établir un pronostic quant à l’applicabilité de l’article 104 b) de la Constitution dans le cas du requérant.

Le 20 janvier 2003, l’institut de médecine légale décida d’examiner le requérant avant de rendre sa décision.

Dans son rapport du 28 mars 2003, l’institut de médecine légale estima que la maladie du requérant n’était pas une maladie permanente rentrant dans le champ d’application de l’article 104 b) de la Constitution. Cela fut notifié au requérant le 6 juin 2003.

Au mois de juillet 2003, le requérant se trouvait à l’hôpital spécialisé de Van.

Le 15 novembre 2004, le représentant du requérant informa la Cour que celui-ci avait retrouvé sa liberté et que l’exécution de sa peine avait été suspendue.

Le 30 mars 2006, le gouvernement confirma cette information.

B. Le droit interne pertinent

L’article 104 b) de la Constitution relative aux pouvoirs et attributions du président de la République est ainsi libellé :

« (...) Grâcier des condamnés ou réduire leur peine pour cause de maladie chronique, d’infirmité ou de sénilité. »

L’article 399 §§ 1 et 2 du code de procédure pénale dispose :

« (...) Il est sursis à l’exécution des peines privatives de liberté pour les condamnés atteints d’une maladie mentale jusqu’à leur rétablissement.

La même disposition s’applique également pour d’autres maladies, si l’exécution de la peine privative de liberté présente un risque vital essentiel pour le condamné. »

GRIEFS

Invoquant l’article 3 de la Convention, le requérant soutient que le fait d’être contraint à vivre dans des conditions carcérales incompatibles avec sa maladie et à dépendre de l’aide d’autres détenus s’analyse en un mauvais traitement.

Invoquant l’article 2 de la Convention, le requérant met en garde contre une éventuelle violation en raison du refus des autorités de reconnaître la gravité de son état de santé qui comporte de sérieux risques pour sa vie.

EN DROIT

Le requérant se plaint qu’en raison de son état de santé aggravé après avoir subi une opération du cœur, il ne pourrait pas survivre dans les conditions carcérales. Il invoque les articles 2 et 3 de la Convention, ainsi libellés :

Article 2

« 1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d’une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi.

2. La mort n’est pas considérée comme infligée en violation de cet article dans les cas où elle résulterait d’un recours à la force rendu absolument nécessaire :

a) pour assurer la défense de toute personne contre la violence illégale ;

b) pour effectuer une arrestation régulière ou pour empêcher l’évasion d’une personne régulièrement détenue ;

c) pour réprimer, conformément à la loi, une émeute ou une insurrection. »

Article 3

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

Le Gouvernement fait valoir dans ses observations du 6 juillet 2004, que les soins médicaux ont été administrés au requérant qui fut transporté à l’hôpital chaque fois que son état de santé l’exigeait et qu’il y restait le temps nécessaire ; en outre, les traitements exigés ainsi que les indications alimentaires ont été respectés par l’administration pénitentiaire.

Le représentant du requérant a informé la Cour, le 15 novembre 2004, que ce dernier bénéficiait d’une libération conditionnelle et que l’exécution de sa peine avait été suspendue.

La Cour rappelle que la Convention ne comprend aucune disposition spécifique relative à la situation des personnes privées de liberté, a fortiori malades. Toutefois, indépendamment de l’obligation imposée aux Etats de protéger l’intégrité physique des détenus par l’administration des soins médicaux requis, il faut rappeler que la souffrance due à une maladie survenant naturellement, qu’elle soit physique ou mentale, peut en soi relever de l’article 3 si elle se trouve ou risque de se trouver exacerbée par des conditions de détention dont les autorités peuvent être tenues pour responsables (Mouisel c. France, no 67263/01, §§ 37, 38 et 40, CEDH 2002IX, et Pretty c. Royaume-Uni, no 2346/02, § 52, CEDH 2002III).

Si la Convention n’implique aucune « obligation générale » de libérer un détenu pour motifs de santé, le tableau clinique d’un détenu constitue pourtant l’une des situations pour lesquelles la capacité de subir la détention est aujourd’hui posée au regard de l’article 3 de la Convention parmi les Etats membres du Conseil de l’Europe (Mouisel, précité, et Price c. Royaume-Uni, no 33394/96, § 30, CEDH 2001-VII). Cet élément fait désormais partie de ceux à prendre en compte dans les modalités de l’exécution d’une peine privative de liberté.

Bref, pour une affaire donnée, la détention d’une personne atteinte d’une pathologie engageant le pronostic vital ou dont l’état est durablement incompatible avec la vie carcérale peut poser des problèmes sous l’angle de l’article 3 de la Convention.

La Cour observe que la législation turque en vigueur en matière d’application des peines offre des moyens d’intervenir en cas d’affections médicales graves atteignant des détenus. La santé est l’un des éléments pouvant motiver une décision de libération provisoire ou la suspension d’une peine. Ces mesures suppléent le recours en grâce médicale, réservé au président de la République. La Cour considère que ces procédures constituent, à première vue, des garanties adéquates pour assurer la protection de l’intégrité physique et du bien-être des prisonniers que les Etats doivent concilier avec les exigences légitimes de la peine privative de liberté (Uyan c. Turquie, no 7454/04, § 47, 10 novembre 2005).

En l’espèce, le requérant a eu accès aux possibilités offertes par le droit turc et en a tiré profit. Il a été mis en liberté et bénéficie de soins nécessaires à sa santé, comme son représentant en a informé la Cour. Aucune communication en le sens contraire n’a été portée à la connaissance de la Cour à ce jour.

Partant, la requête doit être rejetée comme étant manifestement mal fondée au sens de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Vincent Berger Boštjan M. Zupančič
Greffier Président