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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
1.6.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

TROISIÈME SECTION

DÉCISION PARTIELLE

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 26733/02
présentée par Bekir SOBACI
contre la Turquie

La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant le 1er juin 2006 en une chambre composée de :

MM. B.M. Zupančič, président,
J. Hedigan,
L. Caflisch,
R. Türmen,
C. Bîrsan,
Mme A. Gyulumyan,
M. E. Myjer, juges,
et de M. V. Berger, greffier de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 21 mai 2002,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Le requérant, M. Bekir Sobacı, est un ressortissant turc, né en 1943 et résidant à Tokat.

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.

En 1995, le requérant fut élu député à la Grande Assemblée nationale de Turquie (« l’Assemblée nationale ») en tant que membre du Refah Partisi (Parti de la prospérité, ci-après « le Refah »).

Après la dissolution du Refah le 16 janvier 1998 par la Cour constitutionnelle, le requérant rejoignit le Fazilet Partisi (Parti de la vertu, ci-après « le Fazilet »).

Le 7 mai 1999, le procureur général près la Cour de cassation (« le procureur général ») saisit la Cour constitutionnelle d’une action en dissolution du Fazilet au motif que celui-ci était devenu un centre d’activités contraires au principe de laïcité et qu’il était la continuité du Refah, définitivement dissous par une décision de la Cour constitutionnelle. Il requit la déchéance du requérant de son mandat parlementaire au même titre que tous les dirigeants et députés du Fazilet, ainsi que l’interdiction pour ceux-ci d’être membres fondateurs, adhérents, dirigeants ou commissaires aux comptes d’un autre parti politique pour une période de cinq ans.

Par un arrêt du 22 juin 2001, la Cour constitutionnelle prononça la dissolution du Fazilet au motif que celui-ci était devenu un « centre d’activités contraires au principe de laïcité », sur le fondement des articles 68 et 69 de la Constitution et 101 et 103 de la loi no 2820 sur les partis politiques. Pour parvenir à cette conclusion, elle tint compte des actes et propos de certains dirigeants et membres du parti, parmi lesquels figurait le requérant.

La Cour constitutionnelle conclut notamment :

« Le fait que Bekir Sobacı ait soutenu et encouragé les actions illégales des étudiants qui avaient été renvoyés des facultés de médecine d’Istanbul Çapa et Cerrahpaşa pour avoir résisté à l’interdiction du port du voile, en allant les chercher à Ankara, en vue d’une conférence de presse, était en contradiction avec les dispositions de l’alinéa 4 de l’article 68 de la Constitution concernant le principe de la République laïque. »

A titre de sanction accessoire, la Cour constitutionnelle décida de déchoir le requérant de sa qualité de député, en application de l’article 69 § 9 de la Constitution, ainsi libellé :

« (...) Les membres et les dirigeants dont les déclarations et les activités entraînent la dissolution d’un parti politique ne peuvent être membres fondateurs, dirigeants ou commissaires aux comptes d’un autre parti politique pour une durée de cinq ans à compter de la date à laquelle l’arrêt motivé de dissolution est publié au Journal officiel (...) »

GRIEFS

Le requérant se plaint d’avoir été déchu de son mandat parlementaire et frappé d’inéligibilité pour cinq ans suite à la dissolution du Fazilet par la Cour constitutionnelle.

Invoquant les articles 6 et 13 de la Convention, le requérant se plaint de n’avoir pas bénéficié d’une procédure équitable devant la Cour constitutionnelle, dans la mesure où ses droits de défense étaient limités dans cette procédure et qu’il n’a pas pu y participer personnellement. Il affirme avoir été sanctionné par la Cour constitutionnelle sans qu’une condamnation au pénal ait été prononcée à son égard. Il allègue également qu’il n’a pas été informé en détail des accusations dirigées à son encontre. Il soutient qu’il n’a pas bénéficié d’un recours effectif pour faire valoir ses griefs dans la mesure où la Cour constitutionnelle a statué en premier et dernier ressort.

Le requérant se plaint que la déchéance de son mandat parlementaire ainsi que son inéligibilité pour cinq ans constituent une sanction pour des actes qu’il n’a pas commis. Il allègue à cet égard la violation de l’article 7 de la Convention.

Invoquant l’article 9 de la Convention, le requérant soutient qu’il a été condamné pour avoir soutenu la cause des étudiantes voilées.

Le requérant allègue que la déchéance de son mandat parlementaire, à la suite de la dissolution du Fazilet par la Cour constitutionnelle, et son inéligibilité ont enfreint son droit à la liberté d’expression, garanti par l’article 10 de la Convention. Il indique qu’il s’était tout simplement exprimé sur la question du foulard islamique sans toutefois formuler une opinion ni faire une protestation à l’égard des principes constitutionnels de l’Etat turc. Il estime que la restriction qui lui a été imposée n’était pas justifiée et proportionnée au but poursuivi.

Invoquant l’article 11 de la Convention, le requérant se plaint de la méconnaissance de son droit à la liberté d’association. Il déplore les sanctions prononcées à son encontre qui étaient, selon lui, disproportionnées au but poursuivi et non nécessaires dans une société démocratique.

Le requérant se plaint d’avoir été injustement privé du bénéfice de ses émoluments parlementaires en violation de l’article 1 du Protocole no 1.

Le requérant fait grief également de ce que la dissolution du Fazilet l’a privé de la possibilité d’entreprendre une action politique pendant cinq ans. Il allègue à cet égard une violation de l’article 3 du Protocole no 1.

Le requérant estime qu’il a fait l’objet d’une discrimination et invoque l’article 14 de la Convention.

EN DROIT

1. Le requérant se plaint d’avoir été déchu de son mandat parlementaire et frappé d’inéligibilité pour cinq ans à la suite de la dissolution du Fazilet par la Cour constitutionnelle. Il allègue la violation des articles 9, 10 et 11 de la Convention ainsi que de l’article 3 du Protocole no 1.

En l’état actuel du dossier, la Cour ne s’estime pas en mesure de se prononcer sur la recevabilité de ces griefs et juge nécessaire de communiquer cette partie de la requête au gouvernement défendeur conformément à l’article 54 § 2 b) de son règlement.

2. Le requérant se plaint de n’avoir pas bénéficié d’un procès équitable et d’un recours effectif dans la procédure devant la Cour constitutionnelle pour faire valoir ses griefs dans la mesure où cette cour a statué en premier et dernier ressort. Il invoque les articles 6 et 13 de la Convention.

La Cour examinera ce grief au regard de l’article 6 de la Convention.

Elle rappelle que l’applicabilité de l’article 6 § 1 à une procédure constitutionnelle dépend du fond et de l’ensemble des données de chaque cas d’espèce (Bock c. Allemagne, arrêt du 29 mars 1989, série A no 150, p. 18, § 37). Elle doit donc déterminer si les allégations formulées par le requérant au cours de la procédure constitutionnelle en question peuvent s’analyser en une contestation relative à un droit de caractère civil ou à une accusation en matière pénale.

En effet, la procédure devant la Cour constitutionnelle portait sur un litige relatif au droit du Fazilet de poursuivre, en tant que parti politique, ses activités politiques. Il s’agissait donc, par excellence, d’un droit de nature politique, qui, comme tel, ne relève pas de la garantie de l’article 6 § 1 de la Convention.

Il en est de même de l’interdiction faite par l’article 69 de la Constitution aux membres et aux dirigeants des partis politiques dissous d’être fondateurs et dirigeants ou comptables d’un nouveau parti. Il s’agit, ici aussi, d’une restriction des droits politiques des intéressés qui ne saurait relever de l’article 6 § 1 de la Convention, ni au titre d’une contestation portant sur un droit civil ni au titre d’une accusation en matière pénale (Refah Partisi (Parti de la prospérité) et autres c. Turquie, nos 41340/98, 41342/98, 41343/98 et 41344/98).

Partant, la Cour estime que la procédure litigieuse ne concernait ni une contestation sur les droits et obligations de caractère civil du requérant, ni une accusation en matière pénale dirigée contre lui, au sens de l’article 6 § 1. Elle conclut que cette partie de la requête doit être rejetée comme incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention, conformément à l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

3. Dans la mesure où le requérant se plaint d’une violation de l’article 7 de la Convention, la Cour rappelle que cette disposition interdit une application rétroactive de la loi pénale. Or, en l’espèce, la dissolution du Fazilet et les effets de cette dissolution sur les droits politiques du requérant ne correspondent pas à des sanctions pénales. La Cour considère donc que cette disposition n’est pas applicable en l’espèce. Il s’ensuit que ce grief doit être rejeté comme incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention, conformément à l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

4. Concernant l’article 14 de la Convention et l’article 1 du Protocole no 1, les griefs du requérant tels qu’ils ont été formulés ne révèlent aucune apparence de violation des dispositions de la Convention ni de ses Protocoles additionnels. Il s’ensuit qu’ils doivent être rejetés pour défaut manifeste de fondement, conformément à l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Ajourne l’examen des griefs du requérant tirés des articles 9, 10 et 11 de la Convention et de l’article 3 du Protocole no 1 ;

Déclare la requête irrecevable pour le surplus.

Vincent Berger Boštjan M. Zupančič
Greffier Président