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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
23.5.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

TROISIÈME SECTION

DÉCISION PARTIELLE

SUR LA RECEVABILITÉ

des requêtes nos 24428/03 et 26977/03
présentées par Gheorghe ŞTEFAN et Gheorghe ŞTEF
contre la Roumanie

La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant le 23 mai 2006 en une chambre composée de :

MM. B.M. Zupančič, président,

L. Caflisch,

C. Bîrsan,

V. Zagrebelsky,

E. Myjer,

David Thór Björgvinsson,

Mme I. Ziemele, juges,

et de M. V. Berger, greffier de section,

Vu les requêtes susmentionnées introduites les 3 et 7 juillet 2003,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Les requérants, MM. Gheorghe Ştefan (« le premier requérant ») et Gheorghe Ştef (« le second requérant »), sont des ressortissants roumains, nés respectivement en 1954 et 1944 et résidant à Baia Mare.

A. Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les requérants, peuvent se résumer comme suit.

Le 15 janvier 2001, les requérants demandèrent au conseil du barreau du département de Maramureş (« le conseil départemental ») leur inscription au barreau sans examen. Ils firent valoir qu’ils exerçaient la profession de juriste d’entreprise depuis plus de dix ans et qu’en vertu de l’article 14 § 2 de la loi no 51/1995 sur l’organisation de la profession d’avocat, ils avaient droit à être inscrits à l’Ordre des avocats (« l’Ordre ») sans examen d’entrée.

Le 1er juin 2001, le conseil départemental auditionna les requérants, qui furent également soumis à un test écrit. Le 5 juin 2001, par deux lettres adressées à l’Union des avocats (« l’Union »), le conseil départemental exprima un avis négatif à l’égard de l’admission sans examen des requérants au barreau de Maramureş, au motif que « leur prestation à l’entretien et au test écrit n’avait pas été convaincante ».

Le 13 juin 2001, la commission permanente de l’Union (« la commission permanente »), se fondant sur l’avis du conseil départemental, rejeta les demandes des requérants. Les contestations introduites par les requérants auprès du conseil de l’Union furent rejetées le 15 décembre 2001.

Le 31 janvier 2002, les requérants contestèrent les décisions de la commission permanente et du conseil de l’Union devant la cour d’appel de Cluj. Ils exposaient que le rejet de leur demande était arbitraire car la loi no 51/1995 leur conférait le droit à être inscrits au barreau sans examen et que le conseil départemental n’avait qu’un rôle consultatif.

Par deux arrêts du 21 mars 2002, la cour d’appel accueillit leur action, jugeant que les requérants remplissaient toutes les conditions requises par la loi pour être admis à l’Ordre sans examen. Elle retint que les requérants avaient correctement répondu aux questions du test écrit. Observant que le conseil départemental n’avait pas noté ces réponses, mais qu’il avait exprimé un avis négatif, la cour d’appel jugea que cet avis était dépourvu de toute base objective et qu’il avait porté atteinte à leur droit reconnu par la loi d’être inscrits à l’Ordre sans examen.

L’Union et le barreau de Maramureş formèrent un recours contre ces arrêts alléguant qu’en vertu du Statut de la profession d’avocat, pour bénéficier de l’inscription au barreau sans examen, les candidats ayant au mois dix ans d’expérience dans une profession juridique devaient passer un test sur l’organisation et l’exercice de la profession, auquel les requérants avaient échoué.

Par deux arrêts du 30 janvier 2003, la Cour suprême de justice accueillit les recours.

S’agissant du premier requérant, elle motiva l’arrêt dans les termes suivants :

« Selon l’article 16 § 1 de la loi no 51/1995 concernant l’organisation et l’exercice de la profession d’avocat, le droit d’être inscrit à l’Ordre est octroyé après avoir passé un examen organisé conformément aux dispositions de la présente loi et du statut de la profession.

L’article 16 § 2 b) déroge de la règle susmentionnée et crée une exception en vertu de laquelle la personne qui a exercé pendant dix ans la fonction de juge, procureur, notaire ou conseiller juridique, peut devenir avocat sans passer d’examen.

Toutefois, la décision concernant l’inscription à l’Ordre est l’attribut de l’Union, qui l’exerce par ses organes dans les conditions de la loi.

L’appréciation quant à la réunion des conditions pour être inscrit à l’Ordre est faite par le conseil départemental conformément à l’article 32 § 1 du Statut de la profession, après la vérification des connaissances du candidat concernant l’organisation et l’exercice de la profession (...)

Vu que les dispositions de l’article 16 § 2 de la loi no 51/1995 ont le caractère d’une permission ouvrant à l’intéressé seulement une possibilité et non un droit à être inscrit à l’Ordre sans examen, et compte tenu du fait que les autorités compétentes ont constaté que la prestation du [requérant] n’avait pas été satisfaisante (...), la Cour conclut que l’action du requérant est mal fondée. »

Quant au second requérant, la Cour suprême conclut :

« En vertu de la loi no 51/1995 et du Statut de la profession, les autorités compétentes pour trancher la demande du requérant ont légalement justifié leur refus d’autorisation de l’inscription à l’Ordre sans examen.

Au vu de ces circonstances, la condition imposée au requérant pour être admis dans la profession, à savoir la réussite à un examen, est conforme à la loi no 51/1995 et au Statut.

En effet, le requérant a vocation à être inscrit à l’Ordre, mais la conversion de cette vocation en un droit ne peut se réaliser que par le biais d’un examen préalable. »

En 2003, le premier requérant fit une nouvelle demande d’inscription à l’Ordre auprès du barreau du département de Mureş, situé à environ 200 kilomètres de son domicile. Le conseil départemental rendit un avis favorable sur sa demande et, par une décision du 12 décembre 2003, le conseil de l’Union autorisa son inscription à ce barreau sans examen. Le 12 janvier 2004, le premier requérant fut autorisé à ouvrir son cabinet à Târgu Mureş.

Le 1er avril 2004, le second requérant fit une demande d’inscription sans examen au barreau du département de Satu Mare, situé à environ 70 kilomètres de son domicile. Le conseil départemental transmit à la commission permanente un avis négatif sur la base duquel, le 21 mai 2004, cette dernière rejeta la demande. Le second requérant forma un recours devant le conseil de l’Union.

En vertu des modifications de la loi no 51/1995 intervenues le 16 juin 2004, le conseil départemental devint compétent pour trancher les demandes d’inscription à l’Ordre. Par une décision du 28 mars 2005, il rejeta la demande du second requérant, qui attaqua cette décision devant la cour d’appel d’Oradea.

Par un arrêt du 9 mai 2005, la cour d’appel accueillit l’action estimant que le second requérant remplissait toutes les conditions légales pour être inscrit à l’Ordre.

Sur recours de l’Union, par un arrêt du 1er novembre 2005, la Cour suprême de Justice confirma l’arrêt de la cour d’appel. Le 6 mars 2006, le second requérant fut autorisé à ouvrir son cabinet à Satu Mare.

B. Le droit et la pratique internes pertinents

1. Loi no 51/1995 sur l’organisation et l’exercice de la profession d’avocat

Article 16

« 1. Le droit à être inscrit à l’Ordre est soumis à un examen organisé conformément aux dispositions de la présente loi et du Statut de la profession.

2. Sur demande, peut être inscrit à l’Ordre sans examen :

a) le titulaire d’un diplôme de docteur en droit ;

b) celui qui, avant l’inscription à l’Ordre, a exercé pendant au moins dix ans la fonction de juge, procureur, notaire, ou conseiller juridique. »

2. Statut de la profession d’avocat

Article 28

« Le candidat qui remplit les conditions prévues par la loi peut demander au doyen du barreau l’inscription au barreau dans lequel il souhaite exercer la profession. »

Article 29 § 4

« Après l’enregistrement de la demande, dans un délai de quatre jours, le doyen désigne, parmi les avocats du barreau, un avocat rapporteur chargé de faire les recherches nécessaires concernant la moralité et la probité du candidat (...) »

Article 31

« L’avocat rapporteur soumet au doyen un rapport écrit dans lequel il exprime son avis motivé sur l’admission ou le rejet de la demande. »

Article 32

« Après le dépôt du rapport et la vérification des connaissances concernant l’organisation et l’exercice de la profession, le conseil du barreau examine la réunion par le candidat des conditions pour l’inscription à l’Ordre (...) et transmet son avis motivé à la commission permanente de l’Union (...) »

Article 33 § 2

« Le candidat peut demander une fois le réexamen de la décision du conseil de l’Union concernant son inscription à l’Ordre. »

3. Arrêt du 25 février 2003 de la Cour suprême de justice

C.O., exerçant depuis plus de dix ans la profession de conseiller juridique à Baia Mare, demanda, à l’instar des requérants, son inscription sans examen au barreau du département de Maramures.

Le conseil départemental rendit le 5 juin 2001 un avis négatif sur la base duquel, le 15 décembre 2001, le conseil de l’Union rejeta sa demande. Par un arrêt du 10 juillet 2002, la cour d’appel de Cluj, avec une motivation identique à celle adoptée dans les affaires des requérants, accueillit l’action et condamna l’Union à l’inscrire à l’Ordre sans examen.

L’Union forma un recours alléguant que l’inscription à l’Ordre sans examen n’était pas un droit mais seulement une opportunité faisant l’objet du contrôle des barreaux départementaux.

Par un arrêt du 25 février 2003, la Cour suprême de Justice rejeta le recours, jugeant que si un candidat avait l’expérience professionnelle requise par la loi et s’il n’était pas dans une situation d’incompatibilité, son droit à être inscrit à l’Ordre découlait de la loi et l’Union ne pouvait pas entraver son exercice.

4. Arrêts des 22 novembre 1996, 6 mars 1998, 23 mai 2000, 10 décembre 2002 et 29 janvier 2003 de la Cour suprême de justice

Dans ces arrêts, la Cour suprême a confirmé sa jurisprudence selon laquelle l’inscription à l’Ordre sans examen était pour la personne qui remplissait les conditions de la loi, un droit et non pas une possibilité laissée à l’appréciation discrétionnaire de l’Union.

GRIEFS

1. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, les requérants se plaignent de la violation de leur droit à un procès équitable au motif que la Cour suprême de justice a prononcé, dans leurs cas, des arrêts qui vont à l’encontre de sa jurisprudence constante. Ils estiment que la position adoptée par la Cour suprême dans leurs cas porte atteinte au principe de la sécurité juridique.

2. Sur le même fondement, le second requérant se plaint de la durée de la procédure.

3. Citant l’article 8 de la Convention, les requérants se plaignent d’une entrave à leur droit de choisir librement leur profession.

4. Sous l’angle de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 6 § 1, ils allèguent une discrimination par rapport à d’autres personnes qui, dans des situations similaires à la leur, ont eu gain de cause devant la Cour suprême de Justice.

A cet égard, ils font notamment valoir qu’ils se trouvaient dans une situation identique à celle de C.O. qui, par l’arrêt de la Cour suprême de justice du 25 février 2003, s’est vu reconnaître le droit à être inscrite au barreau de Maramureş sans examen.

EN DROIT

1. Les requérants allèguent une violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison de la jurisprudence contradictoire de la Cour suprême de Justice.

En l’état actuel du dossier, la Cour ne s’estime pas en mesure de se prononcer sur la recevabilité de ce grief et juge nécessaire de le communiquer au gouvernement défendeur conformément à l’article 54 § 3 b) de son règlement.

2. Le second requérant allègue également une violation de l’article 6 § 1 en raison de la durée de la procédure.

La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes, ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII).

En l’espèce, la Cour note que la procédure a débuté le 15 janvier 2001, date de l’introduction de la demande d’inscription à l’Ordre, et s’est terminée le 30 janvier 2003 par l’arrêt de la Cour suprême de justice. Elle a donc duré deux ans et quinze jours, période au cours de laquelle deux juridictions se sont prononcées sur le fond de l’affaire.

Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu’en l’espèce la durée de la procédure litigieuse n’a pas été excessive.

Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

3. Invoquant l’article 8 de la Convention, les requérants dénoncent une atteinte à leur droit de choisir librement leur profession.

La Cour rappelle que le respect de la vie privée englobe, dans une certaine mesure, le droit pour l’individu de nouer et développer des relations avec ses semblables notamment dans le cadre des activités professionnelles des membres d’une profession libérale (Niemietz c. Allemagne, arrêt du 16 décembre 1992, série A no 251B, p. 33, § 29).

Toutefois, elle relève que la Convention ne reconnaît pas, comme tel, le droit au travail pas plus qu’elle ne reconnaît le droit de choisir son métier.

Il s’ensuit que ce grief est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention et doit être rejeté conformément à l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

4. Invoquant l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 6 § 1, les requérants allèguent une discrimination par rapport à d’autres personnes qui ont bénéficié du droit d’être inscrites à l’Ordre sans examen.

Le grief portant sur les mêmes faits que ceux examinés sur le terrain de l’article 6 § 1, la Cour estime inutile de l’examiner séparément.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Décide de joindre les requêtes ;

Ajourne l’examen du grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention pour autant qu’il concerne la jurisprudence contradictoire de la Cour suprême de justice ;

Déclare les requêtes irrecevables pour le surplus.

Vincent Berger Boštjan M. Zupančič
Greffier Président