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Rozhodnutí
DEUXIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 15068/03
présentée par Mahmut İRTEM
contre la Turquie
La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant le 23 mai 2006 en une chambre composée de :
MM. J.-P. Costa, président,
I. Cabral Barreto,
R. Türmen,
M. Ugrekhelidze,
Mmes A. Mularoni,
E. Fura-Sandström,
M. D. Popović, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 4 avril 2003,
Vu la décision de la Cour de se prévaloir de l’article 29 § 3 de la Convention et d’examiner conjointement la recevabilité et le fond de l’affaire,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant, M. Mahmut İrtem, est un ressortissant turc, né en 1976 et résidant à Batman. Il est représenté devant la Cour par Mes A. Erkul et C. Çoban, avocats à Batman.
A. Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
Le 8 juillet 2001 à 0 h 45, à la suite d’une perquisition, des policiers de la section antiterroriste de la direction de la sûreté de Batman arrêtèrent le requérant puis le placèrent en garde à vue pour appartenance à une organisation illégale, le Hizbullah (le Parti de Dieu).
Le même jour à 1 h 20, le requérant fut conduit à l’hôpital public de Batman pour un examen médical, dont le rapport ne mentionna aucune trace de coups et blessures sur son corps.
Le 10 juillet 2001, le requérant fut à nouveau examiné par un médecin de l’hôpital public de Batman. Le rapport ne fit état d’aucune trace de coups et blessures sur son corps.
Le 12 juillet 2001, un autre rapport médical fut établi, aux termes duquel aucune trace de coups et blessures ne fut relevée sur le corps du requérant.
Le 13 juillet 2001 à 13 h 10, le requérant fut à nouveau examiné par un médecin. Celui-ci nota que le requérant souffrait d’une douleur au niveau de l’abdomen et des testicules. L’examen ne releva aucune trace de coups et blessures sur le corps mais une sensibilité douloureuse des testicules au toucher. Le médecin jugea nécessaire de demander l’avis d’un médecin spécialisé en chirurgie générale.
Le même jour à 15 h 30, un rapport médical définitif fut établi par un médecin spécialisé en chirurgie générale. Il examina principalement les parties génitales du requérant et nota l’absence de coups et blessures.
Toujours à la même date, le requérant fut traduit devant le juge d’instance pénale de Batman qui ordonna sa mise en détention provisoire.
Le 10 décembre 2001, le requérant porta plainte à l’encontre des policiers responsables de sa garde à vue.
Par une ordonnance du 15 novembre 2002, le procureur rendit une ordonnance de non-lieu au motif qu’il n’y avait aucune preuve tangible à l’encontre des inculpés.
Le 31 décembre 2002, la cour d’assises de Midyat rejeta l’opposition formée par le requérant.
B. Le droit interne pertinent
L’article 125 §§ 1 et 7 de la Constitution énonce :
« Tout acte ou décision de l’administration est susceptible d’un contrôle juridictionnel (...)
L’administration est tenue de réparer tout dommage résultant de ses actes et mesures. »
Cette disposition consacre une responsabilité objective de l’Etat, laquelle entre en jeu quand il a été établi que, dans les circonstances d’un cas donné, l’Etat a manqué à son obligation de maintenir l’ordre et la sûreté publics ou de protéger la vie et les biens des personnes, et cela sans qu’il faille établir l’existence d’une faute délictuelle imputable à l’administration. Sous ce régime, l’administration peut donc se voir tenue d’indemniser quiconque est victime d’un préjudice résultant d’actes commis par des personnes non identifiées.
Sur le terrain du code des obligations, les personnes lésées du fait d’un acte illicite ou délictuel peuvent introduire une action en réparation pour le préjudice tant matériel (articles 41 à 46) que moral (article 47). En la matière, les tribunaux civils ne sont liés ni par les considérations ni par le jugement des juridictions répressives sur la culpabilité de l’intéressé (article 53).
L’article 243 du code pénal dispose :
« Le président et les membres d’un tribunal ou d’un organisme officiel ou tout autre fonctionnaire qui, pour faire avancer des délits, torturent ou commettent des sévices, se rendent coupables d’actes inhumains ou violent la dignité humaine, seront punis de cinq ans de réclusion au plus et de l’interdiction à perpétuité ou à temps d’exercer des fonctions publiques.
La peine encourue selon l’article 452, au cas où l’acte entraîne la mort, ou selon l’article 456 dans les autres cas, sera augmentée d’un tiers à la moitié. »
GRIEFS
Invoquant les articles 3 et 13 de la Convention, le requérant se plaint d’avoir subi des mauvais traitements lors de son arrestation ainsi que des tortures lors de sa garde à vue. Il dénonce l’absence de recours effectif devant une instance nationale au travers duquel il aurait pu formuler ses griefs.
Invoquant l’article 5 § 3 de la Convention, le requérant se plaint de la durée de sa garde à vue.
Le requérant allègue la violation de l’article 8 de la Convention dans la mesure où, pour procéder à son arrestation vers 1 heure du matin, les forces de l’ordre auraient forcé et cassé la porte d’entrée de son domicile.
EN DROIT
La Cour note que le requérant n’a pas envoyé d’observations sur la recevabilité et le bien-fondé de l’affaire.
1. Le requérant se plaint d’une violation de l’article 3 de la Convention ainsi libellé :
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
Le Gouvernement soutient que le requérant ne produit aucune preuve à l’appui de ses allégations. Il fait valoir que les rapports médicaux établis les 10, 12 et 13 juillet 2001 ne mentionnent aucune trace de coups et blessures sur le corps de l’intéressé.
La Cour rappelle que les allégations de mauvais traitements doivent être étayées par des éléments de preuve appropriés (voir, mutatis mutandis, Klaas c. Allemagne, arrêt du 22 septembre 1993, série A no 269, pp. 17-18, § 30). Pour l’établissement des faits allégués, la Cour se sert du critère de la preuve « au-delà de tout doute raisonnable » ; une telle preuve peut néanmoins résulter d’un faisceau d’indices, ou de présomptions non réfutées, suffisamment graves, précis et concordants (Irlande c. Royaume-Uni, arrêt du 18 janvier 1978, série A no 25, pp. 64-65, § 161 in fine, et Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 121, CEDH 2000‑IV).
Dans la présente affaire, la Cour note que le requérant n’a pas produit, devant elle, d’éléments de preuve concluants à l’appui de ses allégations de mauvais traitements. En particulier, elle constate que lorsque le requérant s’est plaint d’une douleur au niveau de l’abdomen et des testicules, un médecin spécialisé en chirurgie générale l’a examiné et n’a relevé aucune trace de coups et blessures sur son corps.
Elle relève qu’il ne ressort aucunement du dossier que l’intéressé se soit plaint, à la suite de sa garde à vue, d’un quelconque mauvais traitement, ou ait contesté les rapports médicaux et/ou entrepris une démarche afin de voir un médecin autre que celui qui avait établi ces rapports. Elle note en ce sens que le requérant a porté plainte pour la première fois le 10 décembre 2001, soit près de cinq mois après son arrestation.
La Cour constate par ailleurs qu’à la suite de cette plainte, une instruction judiciaire a été ouverte par le parquet de Batman et une enquête menée en droit interne.
Elle observe qu’en dehors des allégations subjectives du requérant, aucun élément de preuve soumis à son examen ne permet d’établir l’existence des mauvais traitements en cause.
Il s’ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée comme étant manifestement mal fondée, conformément à l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
2. Le requérant soutient ne pas avoir disposé d’un recours effectif pour faire valoir ses allégations de mauvais traitements et se plaint d’une violation de l’article 13 de la Convention, ainsi libellé dans sa partie pertinente :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
La Cour rappelle qu’elle a conclu à la non violation de l’article 3 de la Convention. Dès lors, les griefs tirés de cet article ne sont pas « défendables » aux fins de l’article 13 (en sens contraire, voir Boyle et Rice c. Royaume-Uni, arrêt du 27 avril 1988, série A no 131, p. 23, § 52, Kaya c. Turquie, arrêt du 19 février 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998‑I, pp. 330-331, § 107, et Yaşa c. Turquie, arrêt du 2 septembre 1998, Recueil 1998‑VI, p. 2442, § 113).
Il s’ensuit que ce grief doit également être rejeté pour défaut manifeste de fondement conformément à l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
3. Le requérant allègue que pour procéder à son arrestation, les forces de l’ordre ont forcé et cassé la porte d’entrée de son domicile. Il invoque l’article 8 de la Convention ainsi libellé :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile (...) »
La Cour observe que le requérant n’a à aucun moment soulevé ce grief devant les juridictions nationales.
Il s’ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée pour non-épuisement des voies de recours internes au sens de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
4. Le requérant se plaint de la durée de sa garde à vue et invoque à cet égard l’article 5 § 3 de la Convention ainsi libellé dans sa partie pertinente :
« Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article (...) a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience. »
La Cour constate que la garde à vue en cause a pris fin le 13 juillet 2001 avec l’ordonnance de mise en détention provisoire du juge pénal, soit plus de six mois avant l’introduction de la requête, à savoir le 4 avril 2003. Dès lors, ce grief est tardif et doit être rejeté pour irrespect du délai de six mois conformément à l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
Dès lors, il convient de mettre fin à l’application de l’article 29 § 3 de la Convention et de déclarer la requête irrecevable.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
S. Dollé J.-P. Costa
Greffière Président