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CINQUIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 8035/05
présentée par José PIÑEIRO NOGUEIRA
contre l’Espagne
La Cour européenne des Droits de l’Homme (cinquème section), siégeant le 22 mai 2006 en une chambre composée de :
MM. P. Lorenzen, président,
K. Jungwiert,
V. Butkevych,
Mme M. Tsatsa-Nikolovska,
MM. R. Maruste,
J. Borrego Borrego,
Mme R. Jaeger, juges,
et de Mme C. Westerdiek, greffière de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 24 février 2005,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant, M. José Piñeiro Nogueira, est un ressortissant espagnol, né en 1951 et résidant à Villanueva de Arosa. Il est représenté devant la Cour par Me J. Ruiz-Gimenez Aguilar et Me G. Gayoso Martínez, avocats à Madrid.
A. Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.
Le requérant était porteur de deux pour cent des actions de la société « C.O., S.A. », qui, à son tour, était l’un des propriétaires de l’immeuble et de l’exploitation vinicole connus sous le nom de « Pazo Bayón », sis à Villagarcía de Arosa (Pontevedra), appartenant également à D.U.P., M.L.G., et à la société « F.E., S.A. », cette dernière appartenant à E.L.G. et L.O.P.
1. Les procédures pénales no 13/90 et no 151/1994 diligentées à l’encontre de E.L.G. et L.O.P devant l’Audiencia Nacional
Dans le cadre d’une procédure pénale portant sur une affaire de trafic international de drogue connue en Espagne sous le nom d’ « Operación Nécora », par un arrêt du 27 septembre 1994 l’Audiencia Nacional reconnut les conjoints E.L.G. et L.O.P. coupables d’un délit de recel et d’un délit fiscal contre le Trésor public et condamna chacun à une peine de douze ans et un jour d’emprisonnement et à une amende de 1 280 millions de pesetas. Le tribunal les relaxa du délit contre la santé publique. A la suite du pourvoi en cassation des deux condamnés, le Tribunal suprême, par un arrêt du 7 décembre 1996, confirma l’arrêt entrepris en ce qui concernait le délit fiscal et les relaxa quant au délit de recel. Le Tribunal suprême ramena les peines de prison à six ans et les amendes à 1 140 millions de pesetas.
Le requérant, cousin de L.O.P., fit des dépositions en qualité de témoin dans le cadre de cette procédure.
Dans le cadre d’une nouvelle enquête judiciaire portant sur un délit de trafic de stupéfiants à l’encontre de E.L.G. et L.O.P., le juge central d’instruction no 1 près l’Audiencia Nacional ordonna la perquisition du domicile de ces derniers, à savoir de l’immeuble « Pazo Bayón ». Lors de cette perquisition, furent trouvés les livres contenant les actions représentant le capital social de la société « F.E., S.A. », ainsi qu’une copie de l’acte notarié sur la vente des 2 % des actions de la société « C.O., S.A. » au requérant. Cette enquête s’acheva par une décision de non-lieu provisoire le 23 septembre 1998.
2. La procédure pénale no 52/95 engagée à l’encontre de plusieurs personnes, dont le requérant, devant le juge central d’instruction no 1 et l’Audiencia Nacional
a) La procédure devant le juge central d’instruction no 1
Une nouvelle enquête pénale pour délits de recel, de détournement de fonds (alzamiento de bienes) et de blanchiment d’argent provenant d’un trafic de stupéfiants fut diligentée à l’encontre du couple formé par L.O.P. et E.L.G., ainsi que des autres propriétaires du bien immobilier « Pazo Bayón », dont le requérant. Par une décision du 7 février 1996, le juge central d’instruction no 1 décida l’ouverture de la phase orale devant l’Audiencia Nacional.
b) La procédure de jugement devant l’Audiencia Nacional
Par une ordonnance du 22 septembre 1999, l’Audiencia Nacional se déclara incompétente et renvoya l’affaire devant l’Audiencia Provincial de Pontevedra. Cette dernière s’étant à son tour déclarée incompétente, le Tribunal suprême décida définitivement, le 4 octobre 2000, que les faits relevaient de la compétence de l’Audiencia Nacional. Pour parvenir à cette conclusion, le tribunal se fonda sur l’article 65 de la Loi organique portant sur le pouvoir judiciaire (LOPJ), qui prévoyait la compétence de l’Audiencia Nacional pour connaître des délits liés au trafic international de stupéfiants. A cet égard, il constata que certaines opérations prétendument frauduleuses des accusés s’étaient produites à l’étranger, telles que l’ouverture d’un compte bancaire en Suisse ou l’achat de deux sociétés au Panama.
Le 28 février 2001, E.L.G. décéda. Le 3 mai 2001, l’Audiencia Nacional déclara l’extinction de la responsabilité pénale de cette dernière.
Par un arrêt du 31 janvier 2002, l’Audiencia Nacional reconnut le requérant coupable d’un délit de détournement de fonds (alzamiento de bienes) et le condamna à une peine de quatre mois d’emprisonnement (arresto mayor). Elle considéra établi que le requérant avait acheté à E.L.G. les 2% des actions de « C.O., S.A. », alors qu’il avait connaissance de l’existence d’une procédure pénale engagée à son encontre, car il avait été entendu en qualité de témoin dans le cadre de celle-ci. Le tribunal prit en compte notamment l’acte notarié de vente des actions entre E.L.G. et le requérant et les dépositions faites par celle-ci lors de l’instruction, qui furent reproduites à l’audience publique conformément à l’article 730 du code de procédure pénale. Il ordonna également la confiscation des actions de « C.O., S.A. » dont le requérant était titulaire, ainsi que du bien immobilier « Pazo Bayón », celui-ci étant par ailleurs adjugé à l’Etat pour des programmes de prévention et réhabilitation de toxicomanes.
c) Le pourvoi en cassation devant le Tribunal suprême
Le requérant se pourvut alors en cassation devant le Tribunal suprême. Par un arrêt du 25 février 2004, le Tribunal suprême repoussa le pourvoi et confirma l’arrêt entrepris. S’agissant de la confiscation des biens ordonnée par l’Audiencia Nacional, le Tribunal suprême releva que la condamnation pénale pour le délit de détournement de biens comportait la nullité de l’acquisition desdits biens, et que le requérant ne pouvait donc contester la destination donnée à ceux-ci.
d) Le recours d’amparo devant le Tribunal constitutionnel
Invoquant les articles 14 (principe d’égalité), 24 (droit à un procès équitable, principe de la présomption d’innocence) et 25 (principe de légalité) de la Constitution, le requérant saisit le Tribunal constitutionnel d’un recours d’amparo. Il se plaignait notamment de l’incompétence de l’Audiencia Nacional, dans la mesure où les faits reprochés auraient dû être jugés par le tribunal territorialement compétent, à savoir les tribunaux de Pontevedra. Le requérant se plaignait aussi d’avoir été condamné du seul fait d’avoir acquis de biens vendus par E.L.G., à la différence d’autres acquéreurs qui furent finalement relaxés. Il contestait l’application de la loi pénale et l’appréciation des preuves faite par l’Audiencia Nacional. Par une décision du 27 juillet 2004, notifiée le 2 septembre 2004, la haute juridiction rejeta le recours comme étant dépourvu de fondement constitutionnel. S’agissant du grief tiré de l’incompétence du tribunal, elle rappela qu’il revenait aux juridictions ordinaires d’interpréter les règles portant sur la compétence des tribunaux. Pour ce qui est du grief tiré du principe d’égalité, le Tribunal constata que les faits reprochés au requérant n’étaient pas comparables à ceux reprochés aux autres acquéreurs, considérés comme responsables civils subsidiaires. Quant à la prétendue violation de la présomption d’innocence, il releva que la culpabilité du requérant était fondée sur tout un ensemble d’éléments de preuve, qui démontraient qu’il avait coopéré avec E.L.G. afin de détourner, sous une apparence de légalité, les biens de celle-ci afin d’éviter l’exécution des responsabilités civiles résultant de la condamnation pénale prononcée à son encontre le 27 septembre 1994. Enfin, pour ce qui est du grief tiré de la durée de la procédure, le tribunal rappela sa jurisprudence constante d’après laquelle ce grief est à rejeter lorsque la procédure dont l’intéressé se plaint est achevée.
B. Le droit et la pratique internes pertinents
1. Loi organique relative au pouvoir judiciaire 6/1985 (LOPJ)
Article 65
« La chambre pénale de l’Audiencia Nacional est compétente pour connaître :
1. Des délits suivants, à l’exception de ceux relevant en première instance des juges centraux du pénal :
(...)
d) Trafic de drogues ou stupéfiants, fraudes alimentaires et de substances pharmaceutiques ou de médecine, à condition qu’ils soient commis par des bandes ou groupes organisés et qu’ils produisent des effets dans des endroits relevant de plusieurs « audiencias ».
Article 292
« 1. Toute victime d’un préjudice résultant d’une erreur judiciaire ou d’un fonctionnement anormal de la justice a droit à être indemnisée par l’Etat, sauf en cas de force majeure, conformément à ce qui est prescrit dans le présent Titre.
2. En tout état de cause, le préjudice allégué doit être effectif, financièrement quantifiable et individualisé, qu’il s’agisse d’une personne ou d’un groupe de personnes. »
Article 293 § 2
« Dans les cas d’erreur judiciaire comme dans ceux de fonctionnement anormal de la justice, l’intéressé adresse sa demande d’indemnisation au ministère de la Justice.
La requête est examinée selon les dispositions applicables en matière de responsabilité patrimoniale de l’Etat. La décision du ministère de la Justice peut faire l’objet d’un recours contentieux-administratif. Le droit à indemnisation se prescrit dans le délai d’un an à partir du moment où il aurait pu être exercé.
2. Arrêt du Tribunal constitutionnel 167/2002, du 18 septembre, § 13
«(...) Ce Tribunal a déclaré que ne peuvent pas être portés devant lui les griefs relatifs à la durée excessive de la procédure lorsque la procédure pénale a conclu dans ses deux instances, dans la mesure où l’appréciation par le Tribunal constitutionnel des prétendues durées excessives ne pourrait conduire à aucune prise de mesure, de la part de ce Tribunal, pour les faire cesser (arrêt du Tribunal constitutionnel 224/1991, du 25 novembre, § 2), étant donné que la restitutio in integrum du droit fondamental n’est pas possible, en raison du fait que la procédure est terminée, le rétablissement demandé par le requérant dans l’intégrité de son droit par l’adoption des mesures appropriées et, le cas échéant, pour sa conservation, [article 55 § 1 c) de la Loi organique portant sur le Tribunal constitutionnel] ne pourra intervenir que par voie d’indemnisation " (arrêt du Tribunal constitutionnel 180/1996, du 12 novembre, § 8; doctrine réitérée dans l’arrêt du Tribunal constitutionnel 237/2001, du 18 décembre, § 3). Par conséquence, les recours d’amparo portant sur la durée excessive de la procédure, formés une fois la procédure terminée, ne sont pas viables et sont à rejeter par le Tribunal constitutionnel pour manque d’objet (arrêt du Tribunal constitutionnel 146/2000, du 29 mai, § 3; doctrine réitérée par l’arrêt du Tribunal constitutionnel 237/2001, du 18 décembre, § 3) ».
3. Le code de procédure pénale
Article 730
« Les actes d’instruction pourront aussi être lus à l’audience, si l’une des parties le demande lorsque, pour de raisons indépendantes de la volonté de ces dernières, ils ne peuvent pas être reproduits lors de débats oraux ».
GRIEFS
1. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant soulève plusieurs griefs portant sur l’équité de la procédure. Il se plaint en premier lieu de l’incompétence de l’Audiencia Nacional pour connaître des infractions reprochées au requérant, à savoir le délit de recel et le délit de détournement de fonds. Le requérant se plaint aussi de la durée de la procédure pénale, et en particulier du délai de dix ans écoulé entre le début des faits et l’audience publique devant le tribunal de jugement.
2. Invoquant l’article 6 § 2 de la Convention, le requérant se plaint qu’il y a eu atteinte à la présomption d’innocence. Il conteste l’appréciation des preuves par les juridictions internes et soutient que les indices sur lesquels elles se sont fondées pour le condamner n’étaient pas suffisants. Le requérant se plaint du fait qu’il n’a pu contester le témoignage de E.L.G. lors de l’audience publique, car celle-ci était décédée entre-temps.
3. Sous l’angle de l’article 7 de la Convention, le requérant fait grief aux juridictions d’avoir fait une application rétroactive et in peius de la loi pénale lorsqu’elles ont ordonné la confiscation de l’immeuble « Pazo Bayón », à savoir lorsqu’elles ont appliqué la loi 36/1995 portant sur la création d’un fonds de biens provenant du trafic de drogues et de délits connexes.
4. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention et 2 du Protocole no 7, le requérant se plaint de l’absence d’un double de degré de juridiction, du fait que le Tribunal suprême n’a pas révisé sa condamnation et l’appréciation des preuves sur laquelle elle s’est fondée.
5. Enfin, sous l’angle de l’article 14 de la Convention, le requérant affirme avoir fait l’objet d’une discrimination, dans la mesure où d’autres acquéreurs des biens de E.L.G. n’auraient pas été condamnés pour les mêmes faits.
EN DROIT
1. Le requérant soulève plusieurs griefs tirés de l’article 6 § 1 de la Convention, dont les parties pertinentes se lisent ainsi :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) et dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), établi par la loi, qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »
a) Le requérant estime en premier lieu que l’Audiencia Nacional n’était pas un tribunal compétent pour connaître des infractions pour lesquelles il était inculpé et que l’affaire aurait dû être jugé par l’Audiencia Provincial de Pontevedra
Dans la mesure où le requérant estime que son droit à un juge établi par la loi n’a pas été respecté, la Cour note, comme l’a précisé le Tribunal constitutionnel, qu’il se plaint en fait de l’interprétation et de l’application des règles portant sur la compétence des différents organes juridictionnels. A cet égard, elle rappelle qu’en vertu de l’article 6 § 1 un « tribunal » doit toujours être « établi par la loi ». Cette expression reflète le principe de l’Etat de droit, inhérent à tout le système de la Convention et de ses protocoles. En effet, un organe qui n’a pas été établi conformément à la volonté du législateur serait nécessairement dépourvu de la légitimité requise dans une société démocratique pour entendre la cause des particuliers. L’expression « établi par la loi » concerne non seulement la base légale de l’existence même du tribunal, mais encore la composition du siège dans chaque affaire (Lavents c. Lettonie, no 58442/00, § 114, 28 novembre 2002). La « loi » visée par cette disposition est donc non seulement la législation relative à l’établissement et à la compétence des organes judiciaires, mais également toute autre disposition du droit interne dont le non-respect rend irrégulière la participation d’un ou de plusieurs juges à l’examen de l’affaire. Il s’agit notamment des dispositions relatives aux mandats, aux incompatibilités et à la récusation des magistrats (voir Coëme et autres c. Belgique, arrêt du 22 juin 2000, Recueil des arrêts et décisions 2000-VII).
Le non-respect, par un tribunal, des dispositions susvisées, emporte en principe violation de l’article 6 § 1. La Cour a donc compétence pour se prononcer sur le respect des règles du droit interne sur ce point. Toutefois, vu le principe général selon lequel c’est en premier lieu aux juridictions nationales elles-mêmes qu’il incombe d’interpréter la législation interne, la Cour estime qu’elle ne doit mettre en cause leur appréciation que dans des cas d’une violation flagrante de cette législation (voir Lavents précité, ibidem, et Coëme et autres, précité, § 98 in fine).
En l’espèce, la Cour constate que le Tribunal suprême a, en dernier degré et par une décision du 4 octobre 2000, attribué la compétence à l’Audiencia Nacional et non à l’Audiencia Provincial de Pontevedra, lieu de la perpétration du délit par le requérant, et ceci en raison de l’existence de certaines opérations réalisées à l’étranger résultant du trafic de drogues, conformément aux dispositions de la Loi organique portant sur le pouvoir judiciaire (LOPJ). De l’avis de la Cour, l’attribution de la compétence pour l’examen de la cause du requérant à l’Audiencia Nacional par le Tribunal suprême, sur le fondement de la législation relative à la compétence des organes judicaires internes, ne saurait être qualifiée d’arbitraire, de déraisonnable ou de nature à entacher l’équité de la procédure.
A la lumière des principes dégagés par la jurisprudence des organes de la Convention, la Cour estime que rien dans le dossier ne permet de déceler une apparence de violation par les juridictions espagnoles du droit du requérant à ce que sa cause soit examinée par un tribunal établi par la loi, garanti par l’article 6 de la Convention.
Ce grief est donc manifestement mal fondé et doit être déclaré irrecevable en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
b) Le requérant se plaint de la durée de la procédure pénale diligentée à son encontre.
A cet égard, la Cour rappelle que, dans le système juridique espagnol, toute personne estimant que la procédure à laquelle elle est partie souffre de délais excessifs peut, après s’être vainement plainte auprès de la juridiction chargée de l’affaire, saisir le Tribunal Constitutionnel d’un recours d’amparo sur le fondement de l’article 24 § 2 de la Constitution. Cette voie de recours auprès du Tribunal constitutionnel vise à empêcher la continuation devant les juridictions ordinaires de la violation alléguée. Par ailleurs, les articles 292 et suivants de la Loi organique au Pouvoir judiciaire (LOPJ) offrent la possibilité au justiciable, une fois la procédure terminée, de saisir le ministère de la Justice d’une demande en réparation pour fonctionnement anormal de la justice. Elle relève que selon la jurisprudence administrative en la matière (González Marín c. Espagne (déc.), no 39521/98, CEDH 1999-VII), la durée déraisonnable de la procédure est assimilée à un fonctionnement anormal de l’administration de la justice. La Cour a jugé que cette voie de droit permettait en principe de remédier à une violation alléguée du droit de voir sa cause entendue par les juridictions espagnoles dans un «délai raisonnable» au sens de l’article 6 § 1 de la Convention, et constituait dès lors un recours qui devait être exercé (voir, par exemple, Fernández-Molina González et autres c. Espagne (déc), no 64359/01, CEDH 2002-IX et Saez Maeso c. Espagne, no 77837/01, décision (partielle) du 19 novembre 2002).
En l’espèce, et au vu de ce qui précède, la Cour constate que le rétablissement du requérant dans son droit ne pourra intervenir que par la voie d’indemnisation prévue par l’article 292 de la LOPJ (voir Puchol Oliver c. Espagne, (déc.), no 17823/03, 25 janvier 2005). Les voies de recours internes n’ont dès lors pas été correctement épuisées, comme l’exige l’article 35 § 1 de la Convention, et cette partie de la requête doit donc être rejetée conformément à l’article 35 § 4 de la Convention.
2. Le requérant se plaint de l’absence d’indices suffisants permettant de conclure à sa condamnation. Il estime qu’il y a eu atteinte à la présomption d’innocence et en infère une violation de l’article 6 § 2 de la Convention ainsi libellé :
« 2. Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. »
La Cour rappelle d’abord que la présomption d’innocence consacrée par le paragraphe 2 de l’article 6 figure parmi les éléments du procès pénal équitable exigé par le paragraphe 1 (voir, parmi d’autres, Allenet de Ribemont c. France, arrêt du 10 février 1995, série A no 308, p. 16, § 35 et Foucher c. France, arrêt du 18 mars 1997, Recueil 1997-II, p. 464, § 30). Par conséquent, elle examinera le grief du requérant sous l’angle des deux textes combinés.
En se livrant à cette analyse, la Cour doit considérer la procédure pénale dans son ensemble. Certes, il n’entre pas dans ses attributions de substituer sa propre appréciation des faits et des preuves à celle des juridictions internes, à qui il revient en principe de peser les éléments recueillis. La tâche de la Cour consiste à rechercher si la procédure litigieuse, envisagée comme un tout, y compris le mode d’administration des preuves, revêtait un caractère équitable (voir, mutatis mutandis, Edwards c. Royaume-Uni, arrêt du 16 décembre 1992, série A no 247-B, pp. 34 et 35, § 34, et Mantovanelli c. France, arrêt du 18 mars 1997, Recueil 1997-II, pp. 436–437, § 34).
La Cour constate tout d’abord que l’Audiencia Nacional a reconnu le requérant coupable du chef d’un délit de détournement de fonds au moyen d’un arrêt amplement motivé en se fondant sur tout un ensemble d’éléments de preuve recueillis au long de l’instruction, examinés et librement débattus à l’audience, conformément au principe du contradictoire, et qu’elle a estimés suffisants. Par ailleurs, il ne ressort pas de l’examen des décisions rendues par les juridictions internes que celles-ci soient entachées d’arbitraire.
Quant à la valeur probante des dépositions faites par E.L.G. devant le juge d’instruction, comme la Cour l’a précisé à plusieurs reprises, (voir, entre autres, Isgrò c. Italie, arrêt du 19 février 1991, série A no 194-A, p. 12, § 34, et Lüdi c. Suisse, arrêt du 15 juin 1992, série A no 238, p. 21, § 47), dans certaines circonstances il peut s’avérer nécessaire, pour les autorités judiciaires, d’avoir recours à des dépositions remontant à la phase de l’instruction. Elle rappelle que si l’accusé a eu une occasion adéquate et suffisante de contester pareilles dépositions, au moment où elles sont faites ou plus tard, leur utilisation ne se heurte pas en soi aux droits garantis par l’article 6. Il s’ensuit, cependant, que les droits de la défense sont restreints de manière incompatible avec les garanties de l’article 6 lorsqu’une condamnation se fonde, uniquement ou dans une mesure déterminante, sur des dépositions faites par une personne que l’accusé n’a pu interroger ou faire interroger ni au stade de l’instruction ni pendant les débats (voir Unterpertinger c. Autriche, arrêt du 24 novembre 1986, série A no 110, pp. 14-15, §§ 31-33, Saïdi c. France, arrêt du 20 septembre 1993, série A no 261-C, pp. 56-57, §§ 43-44, et Van Mechelen et autres c. Pays-Bas, arrêt du 23 avril 1997, Recueil 1997‑III, p. 712, § 55; voir aussi Dorigo c. Italie, no 33286/96, rapport de la Commission du 9 septembre 1998).
Dans le cas d’espèce, le requérant se plaint que les juridictions internes ont considéré comme preuve à charge les dépositions de E.L.G., qui avait fait aussi l’objet d’une accusation mais dont la responsabilité pénale fut écartée en raison de son décès, lequel l’empêcha de déposer à l’audience et d’être interrogée par les parties. La Cour relève que, pour conclure à la condamnation du requérant, les juridictions nationales ne se sont pas fondées exclusivement sur les déclarations faites par E.L.G. pendant l’instruction, mais ont pris aussi en compte les dépositions effectuées à l’audience par lui-même, ainsi que d’autres éléments de preuve (documents). Par ailleurs, elle note que les dépositions de E.L.G. furent introduites à l’audience comme le prévoit l’article 730 du code de procédure pénale au moyen de leur lecture, vu l’impossibilité pour E.L.G. d’y prendre part puisqu’elle était décédée entre-temps, et que le requérant a pu dès lors contredire son témoignage.
La Cour rappelle que sa tâche n’est pas celle de procéder à une nouvelle interprétation des preuves mais de contrôler la logique du raisonnement suivi par la juridiction du jugement pour conclure à la condamnation du requérant. Dans ces conditions, la Cour ne saurait conclure que l’impossibilité d’interroger E.L.G. à l’audience a porté atteinte aux droits de la défense au point d’enfreindre les paragraphes 1 et 2 de l’article 6 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Artner c. Autriche, arrêt du 28 août 1992, série A no 242-A, pp. 10-11, §§ 22-24 ; Minguez Villar del Amo c. Espagne (déc.), no 35768/03, 1 mars 2005, Ruban et autres c. Espagne (déc.), no 41640/04, 13 septembre 2005).
Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
3. Le requérant se plaint de l’application rétroactive de la loi 36/1995 à son égard, pour ce qui est de la confiscation des biens ordonnée par le tribunal du jugement. Il invoque à cet égard l’article 7 de la Convention, dont la partie pertinente se lit ainsi :
« 1. Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international. De même il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise.
(...) »
La Cour observe que le requérant n’a pas soulevé, même en substance, le grief tiré du principe de légalité des peines dans le cadre de son recours d’amparo devant le Tribunal constitutionnel, devant lequel il s’est limité à se plaindre d’une violation du principe de légalité des délits et à contester l’application de la disposition portant sur le délit de détournement de fonds. Dans ces circonstances, ce grief doit être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
4. Le requérant se plaint de n’avoir pas bénéficié d’un double degré de juridiction en ce qui concerne sa condamnation au pénal. A cet égard, il invoque l’article 6 § 1 de la Convention et 2 du Protocole no 7, dont la partie pertinente dispose comme suit :
« 1. Toute personne déclarée coupable d’une infraction pénale par un tribunal a le droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité ou la condamnation. L’exercice de ce droit, y compris les motifs pour lesquels il peut être exercé, sont régis par la loi. »
La Cour rappelle que le fait que le « réexamen » auquel procède une juridiction suprême telle que le Tribunal suprême espagnol soit limité aux questions de droit, n’est pas contraire à l’article 6 § 1 de la Convention (mutatis mutandis, Loewenguth c. France (déc.), no 53183/99, CEDH 2000-VI, Pesti et Frodl c. Autriche (déc.), nos 27618/95 et 27619/95, CEDH 2000-I, Deperrois c. France (déc.), no 48203/99, 22 juin 2000, et Ramos Ruiz c. Espagne (déc.), no 65892/01, 19 février 2002). Par ailleurs, le Protocole no 7 n’a pas été ratifié à ce jour par l’Espagne.
Il s’ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
5. Le requérant se plaint, enfin, d’avoir fait l’objet d’une discrimination par rapport à d’autres parties à la procédure pénale. Il invoque l’article 14 de la Convention, qui est libellé ainsi :
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
La Cour rappelle que cette disposition n’a pas d’existence indépendante et ne peut être invoquée qu’à propos de la jouissance des droits et libertés garantis par la Convention et ses Protocoles (arrêt Van Raalte c. Pays-Bas, arrêt du 21 février 1997, Recueil 1997‑I, p. 184, § 33). A supposer qu’il soit combiné avec l’article 6 de la Convention, la Cour relève, comme l’a constaté le Tribunal constitutionnel, que la situation du requérant n’était pas comparable à celle des autres acquéreurs. Or, l’article 14 n’entre en jeu que pour des personnes se trouvant dans des situations analogues. Il s’ensuit que ce grief est aussi manifestement mal fondé, et doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
Claudia Westerdiek Peer Lorenzen
Greffière Président