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Rozhodnutí

CINQUIÈME SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 58500/00
présentée par Ivan Petkov KRASTEV
contre la Bulgarie

La Cour européenne des Droits de l’Homme (cinquième section), siégeant le 22 mai 2006 en une chambre composée de :

M. P. Lorenzen, président,
Mme S. Botoucharova,
MM. K. Jungwiert,
V. Butkevych,
Mme M. Tsatsa-Nikolovska,
M. R. Maruste,
Mme R. Jaeger, juges,
et de Mme C.Westerdiek, greffière de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 24 avril 2000,

Vu la décision de la Cour de se prévaloir de l’article 29 § 3 de la Convention et d’examiner conjointement la recevabilité et le fond de l’affaire,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Le requérant, M. Ivan Petkov Krastev, est un ressortissant bulgare, né en 1969 et résidant à Mezdra. Il est représenté par Me S. Stefanov, avocat à Mezdra. Le gouvernement défendeur (« le Gouvernement ») est représenté par son co-agente, Mme M. Kotzeva, du ministère de la Justice.

A. Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

Le 26 novembre 1993, l’oncle du requérant (I.K.) saisit par voie de citation directe le tribunal de district de Mezdra. I.K. exposait que le 29 mai 1993 il avait été impliqué dans une querelle avec la mère du requérant, au cours de laquelle le requérant lui avait aspergé les yeux d’un liquide. Les proches de I.K. avaient appelé la police ; les policiers avaient interrogé le requérant et avaient constaté qu’il avait vaporisé le liquide. Ils avaient confisqué le vaporisateur. I.K. s’était rendu à l’hôpital où il avait été soigné. Suite à cet incident, les yeux le brûlèrent pendant plus d’une semaine.

I.K. demanda au tribunal de condamner le requérant pour violences légères n’ayant pas entraîné une détérioration de la santé, faits prévus et réprimés par l’article 130, alinéa 2 du Code pénal, ainsi qu’au versement d’une indemnité.

Le 7 décembre 1993, l’affaire fut inscrite au rôle du tribunal de district et le juge rapporteur fixa la date de la première audience.

Le 4 février 1994, l’affaire fut reportée à la demande du conseil du requérant qui déclara que les témoins à décharge étaient malades.

Le requérant indique que le 29 avril 1994, l’affaire fut de nouveau reportée et que par la suite le tribunal de district ajourna l’affaire à dix-sept reprises. Le requérant ne communique pas les raisons de ces ajournements. Cependant, il appert du jugement du tribunal que :

« Régulièrement cité, l’accusé n’a jamais comparu, des fois sans indiquer les raisons de son absence. »

Une audience eut lieu le 1er avril 1999. Le tribunal constata que l’avocat du requérant avait déposé deux demandes d’ajournement de l’audience. Le tribunal refusa de donner suite à ces demandes au motif que l’avocat n’avait pas présenté de pouvoir. Un représentant d’office fut désigné, le requérant étant absent.

Il ressort du procès-verbal établi qu’un expert médecin et trois témoins furent interrogés. Le plaignant modifia l’accusation, estimant qu’il s’agissait de violences légères ayant entraîné une détérioration temporaire de la santé, faits prévus et réprimés par l’article 130, alinéa 1 du Code pénal. Par ailleurs, il demanda le versement d’une somme plus importante à titre de dommages.

Le tribunal ordonna la notification de l’accusation requalifiée et de l’action civile modifiée au requérant, et ajourna l’audience au 20 mai 1999.

Le 28 juin 1999, le tribunal reconnut le requérant coupable et le condamna à sept mois de travail d’intérêt général. Par ailleurs, le requérant fut condamné au versement d’une indemnité à I.K.

Le 26 juillet 1999, le requérant interjeta appel, en se plaignant de la modification de l’accusation, qu’il estimait irrégulière comme étant faite en dehors du délai de six mois à compter de l’infraction fixé par le Code de procédure pénale. Par ailleurs, le requérant se plaignait de l’appréciation des faits et des preuves par le tribunal, et demandait l’audition de sa mère et d’une autre personne.

Une audience se tint le 16 septembre 1999 ; la mère du requérant fut interrogée par le tribunal. Le même jour, après en voir délibéré, le tribunal rejeta l’appel de l’intéressé en audience publique en présence des parties.

Les motifs du jugement furent déposés au greffe le 8 novembre 1999.

A une date non précisée, le requérant introduisit une demande en réouverture de la procédure auprès du parquet régional de Vratsa. A une date non communiquée, elle fut rejetée par le parquet.

B. Le droit et la pratique internes pertinents

1. La saisine des juridictions pénales par voie de citation directe

Aux termes de l’article 161, alinéa 1 du Code pénal les violences légères contre autrui sont poursuivies par voie de citation directe.

L’article 57 du Code de procédure pénale dispose que la victime ou ses héritiers doivent introduire la plainte dans un délai de six mois à compter de l’infraction. L’alinéa 1 dispose :

« La plainte doit être présentée par écrit, elle doit contenir des informations concernant le plaignant, la personne contre laquelle la plainte est dirigée, ainsi que les circonstances de l’infraction. (...) »

Selon la jurisprudence constante des tribunaux bulgares (c.f. jugement no 472 du 16 octobre 2001, Cour suprême de cassation, deuxième chambre pénale), le plaignant n’a pas l’obligation de donner une qualification juridique des faits de la cause, cette tâche revenant en premier lieu aux tribunaux saisis de l’affaire.

2. Les peines encourues par le requérant

Aux termes de l’article 130, alinéa 1 du Code pénal les violences légères, ayant entraîné une détérioration de la santé sont punies d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à deux ans ou de travail d’intérêt général. L’alinéa 2 dispose que lorsque les violences légères n’ont pas entraîné une détérioration de la santé de la victime, l’infraction est punie d’une peine d’emprisonnement de six mois au maximum, de travail d’intérêt général ou d’une amende.

Les personnes condamnées à une peine de travail d’intérêt général sont tenues d’effectuer une activité professionnelle rémunérée et de verser une partie de leur salaire (entre 10 et 25 %) au profit de l’Etat (article 43 du Code pénal).

3. Décret ministériel no 28 de 1995 relatif à l’administration des tribunaux (Hаредба № 28 за функциите на служителите в помощните звена и канцелариите на районните, окръжните, военните и апелативните съдилища)

Aux termes de l’article 91 alinéa 1 du décret, les dossiers sont versés aux archives des tribunaux et des cours ayant statué sur l’affaire. Lorsque l’affaire a été examinée par les juridictions de district ou régionales, le dossier est conservé pour une période de cinq ans. A l’expiration de cette période, les dossiers sont triés (article 92).

GRIEFS

1. Invoquant l’article 6 § 1, le requérant se plaint de la durée de la procédure pénale.

2. Invoquant l’article 6 § 3 a), le requérant se plaint de la requalification de l’accusation devant le tribunal de district.

3. Invoquant l’article 6 § 3 c), le requérant allègue que la décision du tribunal de district de désigner un avocat d’office a enfreint son droit à être représenté par un avocat de son choix.

4. Par ailleurs, le requérant se plaint d’une violation de l’article 6 § 3 d) concernant le refus allégué des tribunaux d’interroger les témoins oculaires qu’il aurait désignés.

EN DROIT

A. Sur l’exception d’irrecevabilité du Gouvernement

Le Gouvernement maintient que la requête a été introduite tardivement, la procédure ayant pris fin avec le prononcé du jugement du tribunal régional de Vratsa à l’audience du 16 septembre 1999. De l’avis du Gouvernement, c’est le point de départ du délai de six mois.

Le requérant conteste la thèse du Gouvernement quant au point de départ du délai de six mois ; il fait valoir qu’il n’était pas présent au moment du prononcé du jugement et n’en a pris connaissance qu’après le dépôt de celui-ci au greffe du tribunal, le 8 novembre 1999.

La Cour n’estime pas nécessaire de se pencher sur la question de savoir si le délai de six mois prévu à l’article 35 § 1 de la Convention a été respecté dans le cas d’espèce, les griefs du requérant étant en tout état de cause irrecevables pour les raisons exposées ci-dessous.

B. Sur le grief tiré de la durée de la procédure

Le requérant estime que la durée de la procédure pénale à son encontre a méconnu les exigences du « délai raisonnable », visé à l’article 6 § 1 de la Convention dont les parties pertinentes se lisent comme suit :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

Invité à fournir toutes les informations pertinentes sur ce point, le Gouvernement fait valoir qu’il n’est pas en mesure de produire des détails concernant le déroulement de la procédure, le dossier de l’affaire ayant été trié à l’expiration du délai de cinq ans à compter du prononcé de la décision définitive interne prévu à cette fin.

Le requérant considère que n’ayant pas fourni des observations sur le fond du grief, le Gouvernement a implicitement reconnu qu’il était bien-fondé.

La Cour constate que la procédure litigieuse a commencé avec le dépôt de la plainte de l’oncle de l’intéressé, le 26 novembre 1993. Le requérant en a été informé à une date non précisée, se situant entre le 7 décembre 1993, date de l’ordonnance du juge rapporteur fixant la date de la première audience, et le 4 février 1994, date de la première audience devant le tribunal de district de Mezdra. La procédure a pris fin avec le prononcé du jugement du tribunal régional de Vratsa, le 16 septembre 1999, date à laquelle le requérant avait connaissance de la fin de celle-ci et de son issue. Ainsi, la période à prendre en considération s’étend sur environ cinq ans et neuf mois pour deux instances de juridiction, dont environ cinq ans et demi pendant lesquelles l’affaire a été examinée par le tribunal de district.

La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par la jurisprudence de la Cour, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes (voir, parmi beaucoup d’autres, Pélissier et Sassi c. France [GC], no 25444/94, § 67, CEDH 1999-II).

En l’espèce, elle considère que la procédure en cause n’était pas très complexe en fait ou en droit ; elle portait sur une infraction mineure et l’établissement des faits a nécessité l’audition de quelques témoins et d’un expert.

S’agissant du comportement du requérant, la Cour relève que celui-ci a demandé l’ajournement de la première audience du tribunal de district au motif que les témoins qu’il voulait interroger étaient malades et qu’il n’a pas comparu à toutes les audiences tenues par la suite devant la juridiction de première instance, des fois sans indiquer les rasions de son absence.

Quant au comportement des autorités, il ne ressort pas des pièces communiquées que des retards dans le déroulement de la procédure leur soient imputables.

Or, la Cour rappelle que seules les lenteurs imputables aux autorités internes peuvent amener à conclure à l’inobservation du délai raisonnable (voir Proszak c. Pologne, arrêt du 16 décembre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997VIII, § 40) et que le comportement du requérant constitue un élément objectif, non imputable à l’Etat et qui entre en ligne de compte pour déterminer s’il y a eu ou non dépassement du délai raisonnable (voir Sablon c. Belgique, no 36445/97, § 95, 10 avril 2001).

Elle constate que dans le cas d’espèce l’omission du requérant de comparaître a été la cause de tous les ajournements d’audience ordonnés par le tribunal de district. D’ailleurs, bien qu’il soutienne, de manière globale, que la durée de la procédure était excessive, l’intéressé ne précise pas les raisons de ses absences.

Dans ces circonstances, la Cour ne pourrait spéculer si ses absences étaient justifiées, ni si la juridiction compétente aurait pu prendre des mesures visant à accélérer la procédure, tout en respectant les intérêts et les droits de la défense.

Par ailleurs, contrairement à ce que soutient le requérant, le fait que le Gouvernement n’a pas pu communiquer des détails concernant le déroulement de la procédure ne permet pas de tirer des conclusions quant au bien-fondé des allégations, la partie défenderesse étant dans l’impossibilité objective à fournir ces informations en raison du tri du dossier à l’expiration du délai légal de cinq ans prévu à cette fin.

Eu égard à ces considérations, la Cour estime qu’il convient de rejeter le grief comme manifestement mal fondé, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

C. Sur le grief relatif à la requalification de l’accusation

Le requérant estime que la requalification des faits opérée par le tribunal de district emporte violation de ses droits de la défense. Selon la Cour, il convient d’examiner ses griefs sur le terrain de l’article 6 de la Convention, qui se lit comme suit en ses parties pertinentes :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle.

(...)

3. Tout accusé a droit notamment à :

a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ;

b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ; »

La Cour rappelle que la Convention ne prohibe pas en tant que telle la requalification par le juge pénal, sauf si les circonstances dans lesquelles celle-ci se produit ne permettent pas à l’accusé de connaître en détail l’accusation portée contre lui ou de préparer efficacement sa défense (voir l’arrêt Pélissier et Sassi précité, §§ 51-63).

La Cour constate qu’en l’espèce, la qualification retenue porte exactement sur les mêmes faits que ceux qui ont été exposés dans la plainte de la victime. Le requérant a par conséquent eu l’opportunité de présenter pleinement son argumentation quant à la survenance ou non de ces faits.

Par ailleurs, à la différence de l’affaire Pélissier et Sassi précitée, la requalification a été opérée par le juge en première instance, à l’audience tenue le 1er avril 1999. Le tribunal a ordonné la notification de l’accusation requalifiée au requérant dans le but de lui donner la possibilité de préparer sa défense. Par la suite, l’affaire a été examinée par l’instance d’appel, qui était dotée de la plénitude de juridiction, et devant laquelle le requérant avait la possibilité d’invoquer tous les arguments qu’il jugeait utiles pour la défense de sa cause (voir, a contrario, l’affaire Pélissier et Sassi précitée).

Eu égard à tous ces éléments, la Cour conclut que le requérant a été informé d’une manière détaillée de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui et qu’il a disposé du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense. Partant, le grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

D. Sur le grief relatif à la désignation d’un avocat d’office

Le requérant se plaint de ce que le tribunal de district a désigné un avocat d’office pour le représenter alors qu’il avait un avocat. Il y voit une violation de l’article 6 § 3 c), qui se lit comme suit :

« 3. Tout accusé a droit notamment à :

(...)

c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ; »

La Cour relève d’emblée que le requérant ne démontre pas avoir invoqué ce grief devant l’instance d’appel. Il s’ensuit qu’il doit être rejeté pour nonépuisement des voies de recours internes, conformément à l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

E. Sur le grief concernant le refus allégué des tribunaux d’interroger les témoins désignés par le requérant

Le requérant soutient que le refus des tribunaux internes d’interroger certains témoins oculaires proposés par lui a méconnu l’article 6 § 3 d), ainsi libellé :

« 3. Tout accusé a droit notamment à :

(...)

d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ; »

La Cour rappelle que la Convention n’accorde pas à l’accusé un droit illimité d’obtenir la convocation de témoins en justice et qu’il revient en principe aux juridictions nationales de juger de l’utilité d’une offre de preuve par témoins au sens autonome que ce terme possède dans le système de la Convention (voir, au sein d’une jurisprudence abondante, Vidal c. Belgique, arrêt du 22 avril 1992, série A no 235B, § 33). Par ailleurs, il ne suffit pas, au requérant qui allègue la violation de l’article 6 § 3 d) de la Convention, de démontrer qu’il n’a pas pu interroger un certain témoin à décharge. Encore faut-il qu’il rende vraisemblable le fait que l’audition dudit témoin était nécessaire à la recherche de la vérité et que le refus des juridictions de l’interroger a causé un préjudice aux droits de la défense.

En l’espèce, la Cour relève que le requérant déplore le rejet de sa demande d’interroger certains témoins oculaires sans pourtant spécifier leurs noms, ni démontrer que leur audition aurait pu apporter des éléments nouveaux et pertinents pour l’examen de la cause.

Dans ces circonstances, la Cour ne peut conclure qu’il y a eu atteinte aux droits de la défense ; il convient donc de rejeter le grief pour défaut manifeste de fondement, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Décide de mettre fin à l’application de l’article 29 § 3 de la Convention ;

Déclare la requête irrecevable.

Claudia Westerdiek Peer Lorenzen
Greffière Président