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QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE MAÇİN c. TURQUIE
(Requête no 52083/99)
ARRÊT
STRASBOURG
4 mai 2006
DÉFINITIF
04/08/2006
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Maçin c. Turquie,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :
Sir Nicolas Bratza, président,
MM. G. Bonello,
R. Türmen,
M. Pellonpää,
K. Traja,
L. Garlicki,
Mme L. Mijović, juges,
et de M. M. O’Boyle, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 4 avril 2006,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 52083/99) dirigée contre la République de Turquie et dont deux ressortissants de cet Etat, MM. Emrullah Maçin et Riza Maçin (« les requérants »), ont saisi la Cour le 15 mars 1999 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Les requérants, qui ont été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire, sont représentés par Mes Mesut Beştaş et Meral Beştaş, avocats à Diyarbakır. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») n’a pas désigné d’agent aux fins de la procédure devant la Cour.
3. Les requérants alléguaient en particulier ne pas avoir été aussitôt traduits devant un juge après leur arrestation (article 5 § 3 de la Convention) et ne pas avoir disposé d’un contrôle efficace de la durée de leur garde à vue et des conditions de sa prolongation (article 5 § 4 de la Convention).
4. La requête a été attribuée à la deuxième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d’examiner l’affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l’article 26 § 1 du règlement. Par une décision du 6 juillet 2000, la chambre a déclaré la requête partiellement irrecevable et a communiqué les griefs déduits de la violation des articles 5 §§ 3 et 4 de la Convention.
5. Le 1er novembre 2004, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la quatrième section ainsi remaniée (article 52 § 1).
6. Par une décision du 5 juillet 2005, la chambre a déclaré le restant de la requête recevable.
7. La chambre ayant décidé après consultation des parties qu’il n’y avait pas lieu de tenir une audience consacrée au fond de l’affaire (article 59 § 3 in fine du règlement), les parties ont chacune soumis des commentaires écrits sur les observations de l’autre.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
8. Les requérants sont nés respectivement en 1974 et 1962.
9. Le 29 septembre 1998, vers 17 h 30, R. Maçin fut arrêté et placé en garde à vue par les policiers rattachés à la section de lutte contre le terrorisme près la direction de la sûreté de Diyarbakir, pour aide et assistance au PKK.
10. Le même jour, vers 18 h 40, E. Maçin fut arrêté et placé en garde à vue au terme d’un contrôle routier effectué à Ergani par des policiers rattachés à la section de lutte contre le terrorisme près la direction de la sûreté, ce dans le cadre d’une opération dirigée contre le PKK. A cette occasion, un procès-verbal d’arrestation et saisie fut dressé par les policiers, aux termes duquel E. Maçin était suspecté d’avoir présenté une fausse pièce d’identité.
11. Le 30 septembre 1998 fut dressé un procès-verbal de déposition aux termes duquel E. Maçin reconnut appartenir à l’organisation en question et s’être livré à des activités en son sein.
12. Le 1er octobre 1998, la direction de la sûreté saisit le procureur de la République près la cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakir d’une demande de prolongation, pour une durée de deux jours, de la garde à vue des requérants.
13. Le jour même, le procureur de la République fit droit à cette demande.
14. Le 2 octobre 1998, le juge assesseur près la cour de sûreté de l’Etat, saisi sur demande du procureur de la République, ordonna la prolongation de la garde à vue des requérants pour une durée de trois jours. Il eut égard pour ce faire aux difficultés pour rassembler des éléments de preuves, au nombre d’accusés et au fait que l’instruction n’était pas terminée.
15. Le 5 octobre 1998, le juge assesseur ordonna la libération provisoire de R. Maçin et le placement en détention provisoire de E. Maçin.
16. Le 9 octobre 1998, le procureur de la République inculpa les requérants ainsi que huit autres personnes pour appartenance au PKK, pour s’être livrés à des activités armées au sein de cette organisation ainsi que pour aide et assistance à cette dernière. Il requit la condamnation de E. Maçin en vertu de l’article 125 du code pénal et celle de R. Maçin en vertu des articles 169 du code pénal et 5 de la loi no 3713 relative à la lutte contre le terrorisme.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
17. Aux termes de l’article 16 de la loi no 2845 sur la procédure devant les cours de sûreté de l’Etat, tel que modifié par la loi no 4229 du 6 mars 1997, toute personne arrêtée pour une infraction relevant de la compétence des cours de sûreté de l’Etat devait être traduite devant un juge au plus tard dans les quarante-huit heures. En cas de délit collectif, le procureur pouvait proroger la durée de la garde à vue jusqu’à quatre jours par autorisation écrite. Lorsque l’enquête préliminaire n’était toujours pas terminée dans le délai prévu, le juge saisi d’une demande du procureur, pouvait proroger ce délai jusqu’à sept jours.
Le 16 juin 2004 fut adoptée la loi no 5190 portant suppression des cours de sûreté de l’Etat. Aux termes de son article 3, la loi no 2845 fut abrogée.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 §§ 3 ET 4 DE LA CONVENTION
18. Les requérants se plaignent de la violation de l’article 5 §§ 3 et 4 de la Convention, en vertu duquel :
« 3. Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience.
4. Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »
A. Exception préliminaire
19. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes et soutient que les requérants disposaient de voies de droit aux fins de contester la légalité de leur garde à vue. A cet égard, il souligne qu’en vertu de l’article 128 § 4 du code de procédure pénale, les personnes accusées d’avoir commis une infraction entrant dans le champ de compétence des cours de sûreté de l’Etat peuvent elles-mêmes, ou par le biais de leurs proches, faire opposition à leur garde à vue. Or, les requérants n’ont pas fait usage de ce droit. Le Gouvernement soumet, à titre d’exemple, des décisions de justice rendues en droit interne conformément à cette voie.
20. Dans sa décision sur la recevabilité du 5 juillet 2005, la Cour a estimé que cette exception soulevait des questions étroitement liées à celles posées par le grief tiré de l’article 5 § 4 de la Convention et l’a jointe au fond. Aussi l’examinera-t-elle dans le cadre de son appréciation du grief formulé par les requérants sous l’angle de cet article.
B. Sur le fond
1. Grief tiré de l’article 5 § 3 de la Convention
21. Les requérants se plaignent de ne pas avoir été traduits, aussitôt après leur arrestation, devant un magistrat ou un juge.
22. Le Gouvernement conteste cette allégation et soutient que la durée de la garde à vue des requérants était conforme aux prescriptions légales. Il souligne à cet égard que l’arrestation et la garde à vue des intéressés ont eu lieu de façon régulière. Il insiste par ailleurs sur les améliorations apportées par la loi no 4229 du 6 mars 1997 quant à la durée des gardes à vue, laquelle aurait ainsi été alignée sur les critères dégagés par la jurisprudence de la Cour.
23. Le Gouvernement soutient enfin que l’appréciation de la Cour doit être faite au regard des circonstances d’espèce, et notamment des difficultés liées à l’arrestation de plusieurs personnes poursuivies dans le cadre d’une information relative à une organisation terroriste.
24. En l’espèce, la Cour constate que la garde à vue des requérants a débuté le 29 septembre 1998 avec leur arrestation et pris fin le 5 octobre 1998 avec la libération de R. Maçin et le placement en détention provisoire de E. Maçin. Elle a ainsi duré environ six jours.
25. Or, dans l’affaire Brogan et autres c. Royaume-Uni (arrêt du 29 novembre 1988, série A no 145‑B, p. 33, § 62), la Cour a jugé qu’une période de garde à vue de quatre jours et six heures sans contrôle judiciaire allait au-delà des strictes limites de temps fixées par l’article 5 § 3, même quand elle a pour but de prémunir la collectivité dans son ensemble contre le terrorisme.
26. La Cour ne saurait donc admettre qu’il ait été nécessaire de détenir les requérants pendant près de six jours avant qu’ils ne soient « traduits devant un juge ».
27. Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention.
2. Grief tiré de l’article 5 § 4 de la Convention
28. Les requérants soutiennent ne pas avoir disposé d’un contrôle efficace de la durée de leur garde à vue et des conditions de sa prolongation, faute d’un examen approfondi de cette dernière et de la possibilité de comparaître devant un juge.
29. Le Gouvernement conteste ces allégations.
30. La Cour rappelle que dans son arrêt Öcalan c. Turquie ([GC], no 46221/99, CEDH 2005‑...), elle a considéré, après examen de décisions judiciaires produites par le Gouvernement, que le contrôle effectué par le juge national sur la légalité de la détention en vertu de l’article 128 § 4 du code de procédure pénale ne respectait pas les exigences de l’article 5 § 4, ce pour deux raisons. D’une part, dans aucune de ces décisions, le juge national n’avait ordonné la mise en liberté des intéressés, même après avoir constaté que le délai légal était écoulé et qu’il manquait l’ordonnance du parquet prescrivant le maintien de la garde à vue ; il s’est contenté de renvoyer les intéressés devant le juge chargé de la mise en détention. D’autre part, dans aucune des procédures aboutissant aux décisions judiciaires mentionnées par le Gouvernement, le prévenu en garde à vue n’avait comparu devant le juge, ce dernier ayant effectué son contrôle uniquement sur le dossier.
31. Dans la présente affaire, elle n’aperçoit aucune raison de s’écarter de cette conclusion. A cet égard, elle rappelle qu’au stade de la recevabilité, le Gouvernement a fourni des exemples de décisions judiciaires aux fins d’illustration de l’efficacité de cette voie de recours. Or, le seul cas probant en l’occurrence concerne la garde à vue d’un mineur, dont l’élargissement fut prononcé uniquement en raison de sa minorité ; situation aucunement comparable à celle des requérants. Quoiqu’il en soit, la Cour constate, à la lecture des exemples fournis, que le juge national se prononce sur le dossier, sans comparution préalable du prévenu en garde à vue.
32. De surcroît, les accusations portées contre les requérants revêtaient une certaine gravité et la durée de leur garde à vue était conforme à la législation nationale. Dès lors, une opposition sur ce point devant un juge d’instance était loin de présenter des chances d’aboutir à une remise en liberté (voir Öcalan, précité, § 70, Bazancir et autres c. Turquie, nos 56002/00 et 7059/02, §§ 30-33, 11 octobre 2005, et Mehmet Mübarek Küçük c. Turquie, no 7035/02, §§ 26-28, 20 octobre 2005).
33. La Cour rejette donc l’exception du Gouvernement et conclut qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention
II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
34. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
35. Les requérants allèguent avoir subi un préjudice moral qu’ils évaluent à 20 000 EUR (euros) chacun. R. Maçin allègue en outre avoir subi un préjudice matériel qu’il estime à 5 000 EUR.
36. Le Gouvernement conteste ces prétentions.
37. La Cour estime que l’existence d’un préjudice matériel ne ressort pas clairement du dossier et estime ainsi qu’il n’y a pas lieu d’accorder d’indemnité à ce titre.
38. Quant au préjudice moral, statuant en équité, elle estime raisonnable d’allouer la somme de 1 000 EUR à chacun des requérants.
B. Frais et dépens
39. Les requérants sollicitent 6 450 EUR pour les frais et dépens devant les juridictions internes et devant la Cour.
40. Le Gouvernement conteste ces prétentions soutenant que celles-ci ne sont aucunement étayées.
41. Compte tenu des éléments en sa possession et de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime raisonnable la somme de 1 500 EUR et l’accorde aux requérants conjointement, moins les 685 EUR versés par le Conseil de l’Europe au titre de l’assistance judiciaire.
C. Intérêts moratoires
42. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Rejette l’exception du Gouvernement ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention ;
3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention ;
4. Dit
a) que l’Etat défendeur doit verser aux requérants, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes à convertir en nouvelles livres turques au taux applicable à la date du règlement :
i. 1 000 EUR (mille euros) pour dommage moral à chacun des requérants ;
ii. 1 500 EUR (mille cinq cents euros) pour frais et dépens, moins les 685 EUR (six cent quatre-vingt-cinq euros) perçus au titre de l’assistance judiciaire, aux requérants conjointement ;
iii. tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur lesdites sommes ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 4 mai 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Michael O’Boyle Nicolas Bratza
Greffier Président