Přehled

Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
4.5.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE EKDOSEIS N. PAPANIKOLAOU A.E. c. GRÈCE

(Requête no 13332/03)

ARRÊT

STRASBOURG

4 mai 2006

DÉFINITIF

04/08/2006

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Ekdoseis N. Papanikolaou A.E. c. Grèce,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

MM. L. Loucaides, président,
C.L. Rozakis,
A. Kovler,
Mme E. Steiner,
MM. K. Hajiyev,
D. Spielmann,
S.E. Jebens, juges,
et de M. S. Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 11 avril 2006,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 13332/03) dirigée contre la République hellénique par une société ayant son siège dans cet Etat, la société Ekdoseis N. Papanikolaou A.E. (« la requérante »), qui a saisi la Cour le 11 avril 2003 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. La requérante est représentée par Me P. Miliarakis, avocat au barreau d’Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») est représenté par les délégués de son agent, M. S. Spyropoulos, assesseur auprès du Conseil Juridique de l’Etat, et Mme Z. Hatzipavlou, auditrice auprès du Conseil Juridique de l’Etat.

3. Le 27 octobre 2004, la Cour a décidé de communiquer le grief tiré de la durée de la procédure au Gouvernement. Se prévalant de l’article 29 § 3 de la Convention, elle a décidé qu’elle se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.

EN FAIT

4. La requérante est l’éditrice du journal « Geniki Dimoprasion », lequel publiait, entre autres, des bilans de sociétés anonymes ou à responsabilité limitée. Le 23 avril 1997, fut publié un arrêté ministériel, émis sur autorisation législative, fixant les conditions pour qualifier un journal « d’économique ». Cette qualification est exigée par la législation interne pour accorder à un journal le droit de publier des bilans de sociétés anonymes ou à responsabilité limitée. Le 30 juin 1997, l’éditeur du journal « Geniki Dimoprasion », qui ne remplissait plus les conditions prévues par l’arrêté en question pour être qualifié « d’économique », saisit le Conseil d’Etat, au nom du journal, d’un recours en annulation dudit arrêté.

5. Le 23 octobre 2002, le Conseil d’Etat fit partiellement droit au recours en annulation. Il admit que l’intéressé avait un intérêt légitime de saisir la haute juridiction administrative au nom du journal « Geniki Dimoprasion ». D’autre part, il jugea hors du champ de l’autorisation législative certaines conditions fixées par l’arrêté ministériel attaqué, tels que le mode d’impression du journal, le nombre de pages, le nombre de ses employés et le Fonds de sécurité sociale auquel ils étaient inscrits ainsi que l’origine de ses recettes (arrêt no 3068/2002). L’arrêt fut mis au net et certifié conforme le 22 novembre 2002.

6. Entre-temps, le 21 novembre 2002, un nouvel arrêté ministériel ajouta une nouvelle condition pour qualifier un journal « d’économique », celle du nombre d’abonnés.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION AU REGARD DE LA DURÉE DE LA PROCÉDURE

7. La requérante allègue que la durée de la procédure a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

8. La Cour note que la période à considérer a débuté le 30 juin 1997 avec la saisine du Conseil d’Etat et s’est terminée le 23 octobre 2002 avec l’arrêt no 3068/2002 de la même juridiction. Elle a donc duré cinq ans et plus de trois mois pour un degré de juridiction.

A. Sur la recevabilité

1. Le Gouvernement

9. En premier lieu, le Gouvernement affirme que la requête est tardive. Il note que l’arrêt no 3068/2002 du Conseil d’Etat a été mis au net et certifié conforme le 22 novembre 2002, donc plus de six mois avant l’introduction de la présente requête, que le Gouvernement situe au 25 juillet 2003, date à laquelle la Cour a reçu le formulaire de la requête.

10. En deuxième lieu, le Gouvernement plaide l’irrecevabilité de la requête pour incompatibilité ratione personae avec les dispositions de la Convention. En effet, il soutient que l’éditeur du journal « Geniki Dimoprasion » était partie à la procédure devant le Conseil d’Etat et non la requérante. Pourtant, la requête devant la Cour a été introduite par la société « Ekdoseis Papanikolaou A.E. », propriétaire du journal précité. Par conséquent, le Gouvernement argue que la requérante n’avait pas la capacité de saisir la Cour, puisque elle n’avait jamais été partie à la procédure interne devant le Conseil d’Etat.

11. En troisième lieu, le Gouvernement affirme que l’article 6 ne s’applique pas en l’espèce. Il avance que la procédure devant le Conseil d’Etat ne portait pas sur les droits et obligations de caractère civil de la requérante ou, du moins, que l’issue de la procédure engagée devant le Conseil d’Etat n’était pas déterminante pour le droit en question. En particulier, le Gouvernement allègue que le présent litige, portant sur la légalité d’un acte administratif réglementaire, ne concerne pas directement un droit civil de la requérante, car la possibilité de publier des bilans de sociétés anonymes ou à responsabilité limitée dans un journal qualifié d’ « économique » est prévue afin de protéger les intérêts économiques des actionnaires des sociétés anonymes et non des propriétaires des journaux concernés. Au demeurant, le Gouvernement soutient que, même au cas où l’acte administratif en cause touchait à certains droits patrimoniaux de la requérante, les répercussions en seraient lointaines ; la requérante ne s’est pas vu attribuer le droit de publier de bilans des sociétés anonymes à l’issue de la procédure devant la haute juridiction administrative, mais elle a uniquement obtenu l’annulation d’un arrêté ministériel fixant les conditions pour qualifier un journal « d’économique ».

2. La requérante

12. S’agissant de l’exception de tardiveté, la requérante rétorque qu’il est incontestable que la requête a été introduite dans le délai de six mois prescrit par l’article 35 § 1 de la Convention.

13. S’agissant de l’exception ratione personae, la requérante soutient que l’issue de la procédure engagée devant le Conseil d’Etat était directement déterminante pour ses droits économiques et son statut financier.

14. Enfin, s’agissant de l’applicabilité de l’article 6 § 1 de la Convention, la requérante avance que l’objet de la procédure devant le Conseil d’Etat était le statut « économique » ou non de « Geniki Dimoprasion », journal dont elle est la propriétaire. La requérante soutient qu’il va donc de soi qu’elle est en droit de défendre devant la Cour les intérêts d’un journal qui lui appartient.

3. La position de la Cour

a. Sur l’exception de tardiveté

15. La Cour note que la requête a été introduite le 11 avril 2003, date à laquelle la requérante a envoyé à la Cour la première lettre dans laquelle elle exposait suffisamment l’objet de la requête (voir, Kavakçi c. Turquie (déc.), no 71907/01, 30 juin 2005). Il s’ensuit que la requête n’est pas tardive. Partant, il convient de rejeter l’exception du Gouvernement.

b. Sur l’exception ratione personae

16. La Cour relève, tout d’abord, que l’éditeur du journal « Geniki Dimoprasion » était partie à la procédure interne et non la requérante. Or, il est à noter que celui-ci, n’a pas saisi la haute juridiction administrative en son nom propre mais au nom du journal qu’il représentait, ce que le Conseil d’Etat a reconnu dans son arrêt. La Cour observe que ledit journal appartient à la requérante et, par conséquent, cette dernière a la capacité d’agir au nom du journal et de défendre les intérêts de celui-ci, du moment où, par ce biais, elle défend en même temps ses propres intérêts.

17. Il s’ensuit que la requérante peut se prétendre « victime » des violations alléguées et que la présente requête est compatible ratione personae avec les dispositions de la Convention au sens de son article 35 § 3. Il convient donc de rejeter l’exception du Gouvernement.

c. Sur l’exception d’inapplicabilité de l’article 6 § 1

18. La Cour rappelle que, pour que l’article 6 § 1 trouve à s’appliquer sous sa rubrique « civile », il faut qu’il y ait « contestation » sur un « droit » « de caractère privé » (voir, par exemple, Allan Jacobsson c. Suède arrêt du 25 octobre 1989, série A no 163, p. 20, § 72) que l’on peut prétendre, au moins de manière défendable, reconnu en droit interne. Il doit s’agir d’une « contestation » réelle et sérieuse ; elle peut concerner aussi bien l’existence même d’un droit que son étendue ou ses modalités d’exercice. L’issue de la procédure doit être directement déterminante pour le droit de caractère civil en question, un lien ténu où des répercussions lointaines ne suffisant pas à faire entrer en jeu l’article 6 § 1 (voir, par exemple, Balmer-Schafroth c. Suisse, arrêt du 26 août 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-IV, p. 1357, § 32).

19. Tout d’abord, la Cour constate que l’existence d’une « contestation » n’est pas controversée en l’espèce. Elle entend en conséquence se borner à examiner si cette « contestation » portait sur « un droit de caractère civil ».

20. En l’occurrence, la « contestation » devant le Conseil d’Etat portait sur la légalité d’un acte administratif qui fixait les conditions pour qualifier un journal « d’économique ». Or, le caractère « économique » d’un journal est une condition exigée par la législation interne pour accorder à celui-ci le droit de publier des bilans de sociétés anonymes ou à responsabilité limitée. En d’autres termes, faute pour le journal intéressé de remplir cette condition, il ne serait pas autorisé à publier les bilans précités et, par conséquent, d’avoir une source supplémentaire de revenus. Partant, l’annulation par le Conseil d’Etat de l’acte attaqué a permis à la requérante de maintenir la qualité « d’économique » de son journal, statut dont elle bénéficiait selon le régime précédent.

21. La Cour déduit de ce qui précède que le recours en annulation devant le Conseil d’Etat avait un objet « patrimonial » et se fondait sur l’atteinte alléguée à des droits eux aussi patrimoniaux (voir Editions Périscope c. France, arrêt du 26 mars 1992, série A no 234B, p. 66, § 40). Le droit en question revêtait donc « un caractère civil » et l’article 6 § 1 trouve à s’appliquer sous ce volet. En conséquence, l’exception soulevée par le Gouvernement quant à l’inapplicabilité de l’article 6 § 1 ne saurait être retenue.

22. La Cour constate par ailleurs que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève en outre qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité.

B. Sur le fond

23. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement de la requérante et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII).

24. La Cour a traité à maintes reprises d’affaires soulevant des questions semblables à celle du cas d’espèce et a constaté la violation de l’article 6 § 1 de la Convention (voir Dactylidi c. Grèce, no 52903/99, §§ 38-41, 27 mars 2003).

25. Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour considère que le Gouvernement n’a exposé aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu’en l’espèce la durée de la procédure litigieuse est excessive et ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable ».

Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION AU REGARD DE L’ÉQUITÉ DE LA PROCÉDURE

26. La requérante se plaint en outre d’une violation de son droit à un procès équitable, tel que garanti par l’article 6 § 1 de la Convention. En particulier, elle se plaint que l’arrêté du 21 novembre 2002 constitue un refus de l’administration de se conformer à l’arrêt no 3068/2002 du Conseil d’Etat.

Sur la recevabilité

27. La Cour note qu’en l’espèce, l’acte contesté devant le Conseil d’Etat était un arrêté ministériel fixant les conditions pour qualifier la nature économique du journal, qualification exigée pour accorder audit journal le droit de publier des bilans de sociétés anonymes et à responsabilité limitée. Le Conseil d’Etat annula l’acte attaqué au motif que certaines des conditions prescrites se trouvaient hors du champ de l’autorisation législative. La requérante a donc eu gain de cause et son journal « Geniki Dimoprasion », s’est vu maintenir le droit de publier des bilans de sociétés anonymes ou de responsabilité limité.

28. D’emblée, la Cour estime que l’arrêt no 3068/2002 du Conseil d’Etat annulant l’arrêté ministériel ne saurait être interprété comme interdisant à l’administration de réglementer cette question pour l’avenir. A cet égard, elle note que la nouvelle condition dont se plaint la requérante, ne tombait pas sous le coup de l’autorité de la chose jugée de l’arrêt en question. En l’espèce, la requérante se limite à contester l’adoption d’un nouvel arrêté sans démontrer en quoi la nouvelle condition l’affectait directement. Au demeurant, si tel était le cas, il lui revenait de saisir le Conseil d’Etat d’un recours en annulation contre le nouvel arrêté administratif.

29. Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

III. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLEGUÉES

30. La requérante se plaint sous l’angle des articles 13, 14, 17 de la Convention et 1 du Protocole no 1, d’une atteinte à son droit au respect de ses biens, sans autre précision.

31. Compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, et dans la mesure où elle est compétente pour connaître l’allégation formulée, la Cour n’a relevé aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention ou ses Protocoles.

32. Partant, cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

33. Aux termes de larticle 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

34. La requérante réclame 14 535 464 euros (EUR) au titre du préjudice matériel qu’elle aurait subi en raison de l’impossibilité de faire publier dans le journal « Geniki Dimoprasion » des bilans de sociétés.

35. Le Gouvernement juge cette somme exorbitante. Il affirme notamment qu’il n’existe aucun lien de causalité entre le préjudice matériel allégué et la violation constatée. Il considère en outre que le constat de violation constituerait en soi une réparation suffisante au titre du préjudice moral.

36. En ce qui concerne la demande de la requérante au titre du préjudice matériel, la Cour estime que rien ne justifie qu’elle lui accorde une indemnité de ce chef.

37. La Cour estime en revanche que la requérante a subi un préjudice moral du fait de la violation à son détriment de l’article 6 § 1 de la Convention. Statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, elle lui alloue 5 000 EUR à ce titre, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt.

B. Frais et dépens

38. La requérante ne présente aucune demande à ce titre. La Cour estime donc qu’il n’y a pas lieu de lui octroyer une somme au titre des frais et dépens.

C. Intérêts moratoires

39. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de la durée excessive de la procédure et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

3. Dit

a) que lEtat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 5 000 EUR (cinq mille euros) pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 4 mai 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Søren Nielsen Loukis Loucaides
Greffier Président