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PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE MANTZILA c. GRÈCE
(Requête no 25536/04)
ARRÊT
STRASBOURG
4 mai 2006
DÉFINITIF
04/08/2006
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Mantzila c. Grèce,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
MM. L. Loucaides, président,
C.L. Rozakis,
Mme N. Vajić,
M. A. Kovler,
Mme E. Steiner,
MM. K. Hajiyev,
S.E. Jebens, juges,
et de M. S. Nielsen, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 11 avril 2006,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 25536/04) dirigée contre la République hellénique et dont une ressortissante de cet Etat, Mme Vassiliki-Anna Mantzila (« la requérante »), a saisi la Cour le 24 juin 2004 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. La requérante est représentée par Mes I. Ktistakis et D. Yannopoulos, avocats aux barreaux de Thiva et d’Athènes respectivement. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») est représenté par les délégués de son agent, MM. V. Kyriazopoulos, assesseur auprès du Conseil Juridique de l’Etat et I. Bakopoulos, auditeur auprès du Conseil Juridique de l’Etat.
3. Le 26 mai 2005, la Cour a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant de l’article 29 § 3 de la Convention, elle a décidé qu’elle se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.
EN FAIT
4. La requérante est née en 1935 et réside à Athènes. Elle est retraitée de l’Organisme de Sécurité Sociale (Ίδρυμα Κοινωνικών Ασφαλίσεων - ci-après « l’IKA »).
5. Le 11 novembre 1994, la requérante saisit le tribunal administratif d’Athènes d’une demande contre l’IKA tendant à la condamnation de ce dernier au versement de dommages-intérêts pour le calcul erroné du montant correspondant au rachat de ses jours de travail auprès d’un autre organisme. L’audience eut lieu le 13 février 1996.
6. Le 30 avril 1996, le tribunal rejeta sa demande (décision no 5950/1996). Cette décision fut notifiée à la requérante le 30 octobre 1996. Le 14 novembre 1996, celle-ci interjeta appel. L’audience fut initialement fixée au 14 septembre 1998, puis reportée à deux reprises au motif que l’IKA avait omis de produire des documents importants pour l’examen du recours.
7. Le 26 juillet 2000, la cour administrative d’appel d’Athènes infirma la décision attaquée et fit droit à la demande de la requérante (arrêt no 3340/2000). Cet arrêt fut notifié aux parties en mars 2001. Le 16 mai 2001, l’IKA se pourvut en cassation. Le 17 octobre 2003, il se désista de son recours.
8. Le 12 janvier 2004, le Conseil d’Etat prononça l’annulation de la procédure (acte no 23/2004).
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
9. La requérante allègue que la durée de la procédure a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
A. Sur la recevabilité
10. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
1. Période à prendre en considération
11. Le Gouvernement affirme que la période durant laquelle l’affaire était pendante devant le Conseil d’Etat ne saurait être prise en considération en l’espèce, puisque l’IKA s’est désisté de son pourvoi en cassation. Selon lui, la procédure litigieuse s’est donc terminée le 26 juillet 2000, avec l’arrêt de la cour administrative d’appel.
12. La requérante combat cette thèse.
13. La Cour n’est pas convaincue par l’argument du Gouvernement, selon lequel la procédure litigieuse s’est terminée avec l’arrêt no 3340/2000 de la cour administrative d’appel d’Athènes. Admettre cette thèse, équivaudrait à se substituer au rôle du Conseil d’Etat, seul organe compétent pour décider du sort de la procédure engagée devant lui par l’IKA (voir, mutatis mutandis, Mikros c. Grèce, no 34358/02, § 13, 10 février 2005).
14. La Cour note dès lors que la procédure a débuté le 11 novembre 1994, avec la saisine du tribunal administratif d’Athènes, et s’est terminée le 12 janvier 2004, avec l’acte no 23/2004 du Conseil d’Etat. Elle a donc duré neuf ans, deux mois et un jour pour trois degrés de juridiction.
2. Caractère raisonnable de la durée de la procédure
15. Le Gouvernement affirme que la durée de la procédure n’a pas été excessive et que les juridictions saisies ont statué dans des délais raisonnables. S’agissant notamment de la procédure en appel, le Gouvernement soutient que l’audience fut annulée à deux reprises en raison de l’omission de l’IKA de produire des documents importants pour l’examen de son recours.
16. La requérante affirme que la procédure connut une durée excessive et qu’aucun ajournement ne saurait lui être imputé.
17. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII).
18. La Cour a traité à maintes reprises d’affaires soulevant des questions semblables à celle du cas d’espèce et a constaté la violation de l’article 6 § 1 de la Convention (voir l’affaire Frydlender précitée).
19. Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour considère que le Gouvernement n’a exposé aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent. En particulier, la Cour estime que même si l’IKA avait omis de produire des documents importants pour l’examen de son appel, cette négligence ne saurait justifier la durée globale que connut la procédure. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu’en l’espèce la durée de la procédure litigieuse est excessive et ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable ».
Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION
20. La requérante se plaint également du fait qu’en Grèce il n’existe aucune juridiction à laquelle l’on puisse s’adresser pour se plaindre de la durée excessive de la procédure. Elle invoque l’article 13 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
21. Le Gouvernement, considérant qu’il n’y pas eu en l’espèce dépassement du délai raisonnable, conteste cette thèse.
A. Sur la recevabilité
22. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
23. La Cour rappelle que l’article 13 garantit un recours effectif devant une instance nationale permettant de se plaindre d’une méconnaissance de l’obligation, imposée par l’article 6 § 1, d’entendre les causes dans un délai raisonnable (voir Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 156, CEDH 2000‑XI).
24. Par ailleurs, la Cour a déjà eu l’occasion de constater que l’ordre juridique hellénique n’offrait pas aux intéressés un recours effectif au sens de l’article 13 de la Convention leur permettant de se plaindre de la durée d’une procédure (Konti-Arvaniti c. Grèce, no 53401/99, §§ 29-30, 10 avril 2003). La Cour ne distingue en l’espèce aucune raison de s’écarter de cette jurisprudence, d’autant plus que le Gouvernement n’affirme pas que l’ordre juridique hellénique fût entre-temps doté d’une telle voie de recours.
25. Dès lors, la Cour estime qu’en l’espèce il y a eu violation de l’article 13 de la Convention à raison de l’absence en droit interne d’un recours qui eût permis à la requérante d’obtenir la sanction de son droit à voir sa cause entendue dans un délai raisonnable, au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
26. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
27. La requérante réclame 20 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’elle aurait subi.
28. Le Gouvernement affirme que la somme demandée est excessive.
29. La Cour estime que la requérante a subi un tort moral certain. Statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, elle lui accorde 6 000 EUR à ce titre, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt.
B. Frais et dépens
30. La requérante demande également 500 EUR pour les frais et dépens encourus devant les juridictions internes et la Cour. Elle ne produit aucune facture ou note d’honoraires.
31. Le Gouvernement affirme que les prétentions de la requérante sont exagérées et non justifiées.
32. La Cour rappelle que l’allocation de frais et dépens au titre de l’article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000-XI).
33. En l’occurrence, la Cour observe que les prétentions de la requérante ne sont pas accompagnées des justificatifs nécessaires permettant de les calculer de manière précise. Il convient donc d’écarter sa demande.
C. Intérêts moratoires
34. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention ;
4. Dit
a) que l’Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 6 000 EUR (six mille euros) pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 4 mai 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Søren Nielsen Loukis Loucaides
Greffier Président