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TROISIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
des requêtes nos 16605/03, 16641/03 et 16644/03
présentées par Vittorio GARINO
contre l’Italie
La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant le 18 mai 2006 en une chambre composée de :
MM. B.M. Zupančič, président,
J. Hedigan,
L. Caflisch,
C. Bîrsan
V. Zagrebelsky,
Mme A. Gyulumyan,
M. E. Myjer, juges,
et de M. V. Berger, greffier de section,
Vu les requêtes susmentionnées introduites le 19 avril 1999,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant, M. Vittorio Garino, est un ressortissant italien, né en 1944 et résidant à Turin.
A. Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.
- Les procédures principales
a) requête no 16641/03
Le 6 mars 1985, le requérant assigna sa sœur, Mme L. G., devant le tribunal de Casale Monferrato (Alessandria) afin d’obtenir un partage d’héritage.
Des quarante-deux audiences fixées entre le 22 mai 1985 et le 24 février 1998, quatre furent renvoyées d’office et une pour cause de grève des avocats.
b) Requête no 16644/03
Par la suite, le 18 avril 1989, le requérant assigna Mme L. G., devant le tribunal de Casale Monferrato afin d’obtenir le remboursement de la somme de 7 181 533 lires [3 708,95 euros (EUR)], payée lors de la succession de leur père.
Des vingt-six audiences fixées entre le 7 juin 1989 et le 20 octobre 1998, trois furent renvoyées d’office et sept à la demande des parties ou en raison de leur absence.
c) Requête no 16605/03
Enfin, le 17 juillet 1992, le requérant assigna Mme L.G. devant le tribunal de Casale Monferrato afin d’obtenir un dédommagement pour ne pas avoir pu exercer son droit de préemption.
Des quatorze audiences fixées entre le 21 octobre 1992 et le 16 décembre 1997, quatre furent renvoyées d’office et une en raison de l’absence des parties.
d) Faits communs aux trois requêtes
Le 2 mai 1997, les parties parvinrent à un règlement amiable, qui suspendait ses effets jusqu’à la rédaction d’un acte public, qui fut signé par les parties le 14 décembre 1998.
Le 20 octobre 1998, les parties étant absentes pour la deuxième fois consécutive, les trois affaires furent rayées du rôle conformément à l’article 309 du code de procédure civile.
- La procédure « Pinto »
Le 26 juillet 2001, le requérant saisit la cour d’appel de Milan au sens de la loi no 89 du 24 mars 2001, dite « loi Pinto », afin de se plaindre de la durée des procédures décrites ci-dessus. Le requérant demanda à la cour de constater une violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de condamner l’Etat italien au dédommagement des préjudices matériel et moral subis. Le requérant affirma qu’il avait dû accepter un règlement amiable défavorable à cause de la durée déraisonnable des procédures.
Le requérant demanda notamment un minimum de 419 000 000 lires [216 395,44 euros (EUR)] en équité pour dommage matériel et moral.
Par une décision du 3 octobre 2001, dont le texte fut déposé au greffe le 4 février 2002, la cour d’appel constata le dépassement d’une durée raisonnable.
Elle rejeta la demande relative au dommage matériel au motif que le requérant n’avait fourni aucune preuve du fait d’avoir accepté un règlement amiable qui était défavorable. Elle accorda 20 000 000 lires [10 329,13 EUR] en équité comme réparation du dommage moral pour les trois procédures au motif qu’elles s’étaient déroulées en parallèle et qu’elles étaient très liées. Enfin, la cour accorda 3 970 000 lires [2 050,33 EUR] pour frais et dépens.
Le 4 juin 2002, le requérant se pourvut en cassation. Selon lui, le dommage moral déterminé par la cour d’appel était insuffisant parce que déterminé sans tenir compte des trois procédures. Quant au dommage matériel, le requérant se plaignait que la cour d’appel de Milan n’avait pas tenu compte de certains éléments qui auraient permis de les déterminer en équité.
Par un arrêt du 10 janvier 2003, dont le texte fut déposé au greffe le 17 février 2003, la Cour de cassation rejeta le pourvoi au motif que, quant à la détermination du dommage moral, la cour d’appel de Milan avait tenu compte des trois procédures qui étaient liées entre elles et s’étaient déroulées en parallèle. Selon la Cour de cassation, le requérant n’avait fourni aucune preuve quant aux dommages matériels. Elle condamna le requérant au paiement de 3 000 EUR pour frais et dépens de procédure.
Par une lettre du 2 mai 2003, le requérant informa la Cour du résultat de la procédure nationale et demanda que la Cour reprenne l’examen de sa requête.
Les sommes accordées en exécution de la décision Pinto furent payées le 15 juillet 2003.
- Le droit et la pratique internes pertinents
Le droit et la pratique internes pertinents figurent dans l’arrêt Cocchiarella c. Italie ([GC], no 64886/01, §§ 23-31, 29 mars 2006).
GRIEFS
1. Invoquant l’article 6 de la Convention, le requérant se plaignait de la durée de la procédure civile. Après avoir tenté la procédure « Pinto », le requérant considère que le montant accordé par la cour d’appel à titre de dommage moral n’est pas suffisant pour réparer le dommage subi par la violation de l’article 6.
Il se plaint que la cour de Milan ne lui a pas accordé de somme au titre du dommage matériel. Enfin, il allègue que la cour d’appel de Milan, au moment de la quantification du dommage, n’a pas tenu compte des trois procédures.
2. Invoquant l’article 13 de la Convention, le requérant se plaint également que la procédure « Pinto » n’est pas un moyen effectif.
EN DROIT
1. Le requérant se plaignait de la durée des procédures civiles. Après avoir tenté la procédure « Pinto », le requérant considère que le montant accordé par la cour d’appel à titre de dommage moral n’est pas suffisant pour réparer le dommage subi pour la violation de l’article 6. Il se plaint que la cour de Milan ne lui a pas accordé de somme au titre du dommage matériel. En fin, il allègue également que la cour d’appel de Milan, au moment de la quantification du dommage, n’a pas tenu compte des trois procédures.
L’article 6 de la Convention, en ses parties pertinentes, se lit ainsi :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
Le grief du requérant porte sur la durée de trois procédures civiles qui se sont déroulées en parallèle. La première a débuté le 6 mars 1985, la deuxième le 18 avril 1989 et la troisième le 17 juillet 1992. Les trois procédures se sont terminées le 20 octobre 1998. Elles ont duré respectivement treize ans et sept mois, neuf ans et six mois et six ans et trois mois chacune pour une instance.
Selon le requérant, la durée des procédures ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention.
Avant d’examiner la question de savoir s’il y a eu en l’espèce violation de l’article 6 § 1 de la Convention, la Cour doit d’abord évaluer si le requérant peut continuer à se prétendre « victime » au sens de l’article 34 de la Convention après avoir exercer le recours national.
A cet égard, elle rappelle sa jurisprudence dans l’affaire Cocchiarella c. Italie (précité, § 84) selon laquelle dans ce genre d’affaires il appartient à la Cour de vérifier, d’une part, s’il y a eu reconnaissance par les autorités, au moins en substance, d’une violation d’un droit protégé par la Convention et, d’autre part, si le redressement peut être considéré comme approprié et suffisant.
La première condition, à savoir le constat de violation par les autorités nationales, ne prête pas à controverse puisque la cour d’appel a expressément constaté la violation.
Quant à la seconde condition, à savoir un redressement approprié et suffisant, la Cour se réfère à ce qu’elle a énoncé dans l’arrêt Cocchiarella c. Italie (précité, §§ 86-107) quant aux caractéristiques que doit avoir un recours interne pour apporter un redressement approprié et suffisant ; il s’agit tout particulièrement du fait que pour évaluer le montant de l’indemnisation allouée par la cour d’appel, la Cour examine, sur la base des éléments dont elle dispose, ce qu’elle aurait accordé dans la même situation pour la période prise en considération par la juridiction interne.
Elle note au demeurant que le requérant ne se plaint pas de la durée de la procédure Pinto – qui a duré environ un an et six mois pour deux instances ce qui est encore raisonnable dans la mesure ou deux juridictions eurent à se prononcer – et qu’il ne se plaint pas du retard dans le paiement de l’indemnisation.
En ce qui concerne la somme octroyée par la cour d’appel de Milan, la Cour rappelle que selon sa jurisprudence, le dommage matériel consiste dans les pertes effectivement subies en conséquence directe de la violation alléguée et que le dommage moral comprend la réparation de l’état d’angoisse, des désagréments et des incertitudes résultant de cette violation, ainsi que d’autres dommages non matériels (voir Comingersoll S.A. c. Portugal [GC], no 35382/97, § 29, CEDH 2000-IV). Par ailleurs l’article 60 de son règlement exige que les requérants, lorsqu’ils présentent des demandes de dédommagement, chiffrent et ventilent leurs prétentions et joignent les justificatifs nécessaires.
Quant au dommage matériel, et à la lumière des éléments en sa possession, la Cour estime que le requérant n’avait pas étayé sa demande relative à des pertes matérielles. Partant, elle conclut que les décisions des juridictions internes sur ce point ne prêtent pas à contestation.
Quant au dommage moral, la Cour relève que dans des affaires italiennes similaires, dans lesquelles les requérants se plaignaient de la durée de plusieurs procédures liées entre elles et qui s’étaient déroulées en parallèle, le montant octroyé aux requérants n’équivaut pas à la somme des montants auxquels auraient pu prétendre les requérants pour les différentes procédures, mais correspond au montant le plus important légèrement majoré auquel pouvaient prétendre les requérants (voir, parmi d’autres, Quattrone c. Italie, no 44412/98, 25 octobre 2001, et Ferrari c. Italie, no 44525/98, 25 octobre 2001).
La Cour note que la plus longue des trois procédures, qui étaient liées entre elles et qui se sont déroulées en parallèle, a duré treize ans et sept mois pour une instance.
La Cour note que le requérant s’est vu accorder 10 329,13 EUR par la cour d’appel, ce qui représente approximativement la moitié du montant qu’elle aurait octroyé selon sa jurisprudence (Cocchiarella c. Italie, précité, § 146). La somme accordée peut donc être retenue comme globalement adéquate et de ce fait apte à réparer la violation subie.
Partant, la décision de la cour d’appel de Milan il s’inscrit dans le droit fil de la jurisprudence de la Cour européenne.
Ce grief est donc manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
2. Invoquant l’article 13 de la Convention, le requérant se plaint également que la procédure « Pinto » n’est pas un remède effectif.
Cet article est ainsi libellé :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
La Cour estime que le grief est étroitement lié à celui relatif à la durée des procédures civiles internes et doit par conséquent suivre le même sort.
Eu égard à la conclusion figurant précédemment, la Cour estime que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Décide de joindre les requêtes ;
Déclare les requêtes irrecevables.
Vincent Berger Boštjan M. Zupančič
Greffier Président