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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
18.5.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

TROISIÈME SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 15110/05
présentée par Alexandru Viorel ENE
contre la Roumanie

La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant le 18 mai 2006 en une chambre composée de :

MM. B.M. Zupančič, président,
J. Hedigan,
L. Caflisch,
C. Bîrsan,
V. Zagrebelsky,
E. Myjer,
David Thór Björgvinsson, juges,
et de M. V. Berger, greffier de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 15 avril 2005,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Le requérant, M. Alexandru Viorel Ene, est un ressortissant roumain, né en 1952 et résidant à Craiova.

A. Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.

Depuis une vingtaine d’années, le requérant souffre de hernie de disque et de lombosciatique. Il est également malade d’ulcère duodénal et d’hépatite B chronique.

En vertu d’un arrêt avant dire droit du 28 mai 2004 de la cour d’appel de Craiova, le requérant fut placé en détention provisoire au motif qu’il était soupçonné d’avoir commis plusieurs délits de vol, faux et usage de faux en tant qu’administrateur de deux sociétés commerciales afin d’obtenir indûment le remboursement de la TVA.

A l’audience du 2 juin 2004 devant le tribunal départemental de Dolj, sur le fondement de l’article 139 (34) du code de procédure pénale, le requérant demanda la révocation de sa mise en détention provisoire pour des motifs médicaux, estimant que son état de santé s’était dégradé en prison. Le tribunal ordonna la réalisation d’une expertise médicolégale qui devait établir notamment si l’état de santé du requérant était compatible avec le régime de détention.

S’appuyant sur des examens médicaux effectués à l’hôpital de Craiova entre le 7 et le 9 septembre 2004, le rapport médicolégal de l’Institut médicolégal de Craiova du 10 septembre 2004, complété le 6 octobre 2004, conclut que le requérant souffrait d’hernie discale L2-L3, de protrusion discale L4-L5 et de lombosciatique. Il recommanda une intervention neurochirurgicale, qui ne pouvait pas être réalisée dans un hôpital pénitentiaire, précisant que celle-ci ne représentait pas une urgence absolue mais, compte tenu de la possible aggravation de la maladie et du risque de l’apparition des complications, nécessitait une solution rapide.

Sur le fondement du rapport médicolégal susmentionné, par un jugement avant dire droit du 11 octobre 2004, le tribunal départemental de Dolj accueillit la demande du requérant de révocation de la mise en détention provisoire, estimant qu’il y avait un risque d’apparition des complications de cette maladie, qui ne pouvait pas être soignée dans le cadre du réseau sanitaire pénitentiaire.

Sur recours du parquet, par un arrêt avant dire droit du 14 octobre 2004, la cour d’appel de Craiova cassa le jugement précité et renvoya l’affaire au tribunal départemental de Dolj, afin de réaliser une expertise médicolégale qui devait préciser si la maladie du requérant pouvait ou non être traitée dans le réseau sanitaire pénitentiaire.

Dans un rapport médical du 18 novembre 2004 destiné à la commission médicale qui allait examiner le requérant, un médecin de l’hôpital pénitentiaire de Bucarest indiqua les maladies dont souffrait l’intéressé et précisa que le traitement administré avait un effet symptomatique favorable.

Le 26 novembre 2004, le requérant fut soumis à un examen médical neurochirurgical à l’hôpital clinique d’urgence de Bucarest, à l’issue duquel le médecin recommanda une intervention chirurgicale pour l’hernie discale, précisant que cette intervention n’était pas urgente. Sur le fondement de ces renseignements, le rapport médicolégal de l’Institut national Mina Minovici de Bucarest du 22 décembre 2004 conclut que la discopathie vertébrale avec hernie discale dont souffrait le requérant « pouvait bénéficier d’une intervention chirurgicale qui nécessitait l’hospitalisation dans un hôpital civil », mais que cette intervention ne présentait pas un caractère d’urgence, compte tenu du stade atteint par cette maladie. Il indiquait que « l’assistance médicale non chirurgicale pouvait être assurée dans le cadre du réseau sanitaire pénitentiaire ».

Sur le fondement du rapport médicolégal du 22 décembre 2004, par un jugement avant dire droit du 24 janvier 2005, le tribunal départemental de Dolj rejeta l’action du requérant tendant à la révocation de sa mise en détention provisoire, au motif que le stade évolutif de l’hernie discale dont souffrait ce dernier n’imposait pas à cette date une intervention chirurgicale d’urgence.

Le requérant forma un recours contre ce jugement, mettant en avant que sa maladie n’était plus à un stade initial afin d’être soignée avec des médicaments et que l’intervention chirurgicale était nécessaire pour éviter la dégradation de son état de santé.

Par un arrêt du 27 janvier 2005, la cour d’appel de Craiova rejeta le recours du requérant comme mal fondé, jugeant qu’il ressortait des rapports médicaux versés au dossier que la maladie dont souffrait l’intéressé pouvait être traitée avec des médicaments en régime de détention, la mise en liberté pour subir une intervention chirurgicale n’étant pas nécessaire à la date de l’arrêt.

B. Le droit interne pertinent

L’article 139 (34) du code de procédure pénale dispose :

« Si la juridiction constate, sur le fondement d’une expertise médicolégale, que la personne privée de liberté souffre d’une maladie qui ne peut pas être traitée dans le réseau sanitaire pénitentiaire, elle décide, sur demande ou d’office, de révoquer la détention provisoire. »

GRIEFS

1. Sur le fondement des articles 2, 3 et 8 de la Convention, le requérant se plaint du maintien en détention provisoire en dépit de son état de santé, mettant en avant que l’intervention chirurgicale constitue le seul traitement susceptible de le guérir de l’hernie discale dont il souffre. Considérant que le traitement non chirurgical ne saurait empêcher le risque d’apparition des complications et de dégradation de son état de santé en prison, il estime que le refus des juridictions de lui permettre de se soumettre à une intervention chirurgicale équivaut à un déni de traitement médical adéquat.

2. Invoquant l’article 14 de la Convention, le requérant estime avoir subi une discrimination, faisant valoir qu’il aurait pu bénéficier d’une intervention chirurgicale s’il s’était trouvé en liberté. Il considère que les personnes privées de liberté ne devraient pas se voir restreindre d’autres droits que le droit à la liberté.

EN DROIT

1. Le requérant se plaint de son maintien en détention provisoire par les juridictions internes malgré son état de santé qui nécessiterait une intervention chirurgicale relative à l’hernie discale dont il souffre, et estime de ce fait qu’il ne bénéficie pas d’un traitement médical adéquat en prison. Il invoque à ce titre les articles 2, 3 et 8 de la Convention, dont les parties pertinentes sont libellés ainsi :

Article 2

« 1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d’une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi.

(...) »

Article 3

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

Article 8

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bienêtre économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

Compte tenu de ce que le grief du requérant porte sur son maintien en détention malgré son état de santé et sur l’absence alléguée de traitement médical adéquat en prison, la Cour estime qu’il convient de l’examiner d’abord sous l’angle de l’article 3 de la Convention.

La Cour rappelle que selon sa jurisprudence constante, pour tomber sous le coup de l’article 3, un traitement doit atteindre un minimum de gravité (McGlinchey et autres c. Royaume-Uni, no 50390/99, § 45, CEDH 2003-V). L’appréciation de ce minimum est relative par essence ; elle dépend de l’ensemble des données de la cause et notamment de la nature et du contexte du traitement, de ses modalités d’exécution, de sa durée, de ses effets physiques ou mentaux, ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime (voir, parmi autres, Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 91, CEDH 2000-XI). S’agissant de personnes privées de liberté, l’article 3 impose à l’Etat, entre autres, l’obligation positive de s’assurer que les modalités d’exécution de la mesure – qu’il s’agisse de purge d’une peine ou de la détention provisoire – ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier sont assurés de manière adéquate, notamment par l’administration des soins médicaux requis (Kudła, précité, § 94).

Tout particulièrement, les conditions de détention d’une personne malade doivent garantir la protection de la santé du prisonnier, eu égard aux contingences ordinaires et raisonnables de l’emprisonnement. Si l’on ne peut en déduire une obligation générale de remettre en liberté ou bien de transférer dans un hôpital civil un détenu, même si ce dernier souffre d’une maladie particulièrement difficile à soigner (Mouisel c. France, no 67623/01, § 40, CEDH 2002-IX), l’article 3 impose en tout cas à l’Etat de protéger l’intégrité physique des personnes privées de liberté. La Cour ne saurait exclure que, dans des conditions particulièrement graves, l’on puisse se trouver en présence de situations où une bonne administration de la justice pénale exige que des mesures de nature humanitaire soient prises pour y parer (Farbtuhs c. Lettonie, no 4672/02, § 52, 2 décembre 2004).

Afin d’examiner la compatibilité d’un état de santé préoccupant avec le maintien en détention du requérant, la Cour doit tenir compte, notamment, de trois éléments : a) la condition du détenu, b) la qualité des soins dispensés et c) l’opportunité de maintenir la détention au vu de l’état de santé du requérant (Mouisel, précité, §§ 40-42).

En l’espèce, la Cour observe que, tout de suite après son placement en détention provisoire le 28 mai 2004, invoquant la dégradation de son état de santé en prison, le requérant a saisi les juridictions internes d’une demande de mise en liberté afin notamment de se soumettre à une intervention chirurgicale pour l’hernie discale dont il souffrait depuis une vingtaine d’années.

Il ressort des éléments du dossier que l’hernie discale en question avait été relevée longtemps avant l’arrestation du requérant, de sorte que cette maladie ne saurait être imputée à la mise en détention provisoire de l’intéressé en tant que telle, ce qu’il ne soutient d’ailleurs pas. Quant à la dégradation de son état de santé en raison de son placement en détention, la Cour observe que, même si l’état de santé du requérant peut être qualifié de préoccupant à présent, le requérant n’a pas prouvé que sa maladie a effectivement eu une telle évolution défavorable en prison, alors qu’il a fait l’objet d’examens spécialisés dès son emprisonnement.

A ce titre, la Cour relève que, pendant la procédure de révocation de la détention provisoire, le requérant a fait l’objet de plusieurs examens spécialisés, réalisés dans des hôpitaux civils, et que tous les experts ont recommandé que l’intéressé soit soumis à une intervention chirurgicale pour hernie discale, précisant également que cette intervention n’était pas urgente. Par ailleurs, les médecins de l’Institut médicolégal de Craiova avaient indiqué qu’une solution rapide s’imposait en l’espèce, compte tenu de la possible aggravation de la maladie et du risque de l’apparition des complications. En dernier ressort, s’appuyant sur le rapport médicolégal de l’Institut national Mina Minovici de Bucarest du 22 décembre 2004, les juridictions internes ont jugé qu’au regard de l’état de santé du requérant, une intervention chirurgicale ne s’imposait pas d’urgence, le traitement médicamenteux pouvant être assuré dans le réseau sanitaire pénitentiaire.

La Cour considère qu’elle ne peut pas substituer son point de vue à celui des juridictions internes quant au maintien ou non de la détention provisoire (Sakkopoulos c. Grèce, no 61828/00, 15 janvier 2004, § 44), notamment lorsque leurs décision est rendue sur le fondement des avis des experts et que les autorités nationales ont satisfait, en général, à leur obligation de protéger l’intégrité physique du requérant, en particulier par l’administration de soins médicaux appropriés.

A ce dernier titre, la Cour observe que le requérant se plaint d’être privé d’un traitement médical adéquat en prison, estimant notamment que le seul traitement efficace serait l’intervention chirurgicale qui lui a été refusée. Il convient donc d’analyser en l’espèce si les autorités ont satisfait à leur obligation positive d’assurer au requérant les soins médicaux requis.

La Cour note d’abord que le requérant ne se plaint pas du fait qu’il serait privé en détention de soins médicaux autres que l’intervention chirurgicale en question. Quant au caractère adéquat du traitement non chirurgical de l’hernie discale dont souffre le requérant, elle relève ensuite qu’il ressort du rapport médicolégal du 22 décembre 2004 qu’un tel traitement peut être assuré dans le cadre du réseau sanitaire pénitentiaire et que le rapport médical du 18 novembre 2004 faisait état de ce que le traitement administré avait un effet symptomatique favorable.

Compte tenu des conclusions des experts et de la situation présente du requérant considérée dans son ensemble, la Cour estime que les autorités n’ont pas manqué à leur devoir de protéger la santé de l’intéressé et que la détresse que ce dernier allègue du fait de son maintien en détention malgré son état de santé n’atteint pas le seuil minimum de gravité requis par l’article 3 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Corsaro c. Italie (déc.), no 69135/01, 6 novembre 2003, et Dimitrov c. Bulgarie (déc.), no 50401/99, 26 mai 2005).

La Cour relève enfin que, si l’état du requérant venait à s’aggraver, il pourrait former une nouvelle demande de révocation de la détention provisoire, dont l’issue dépendrait de nouvelles expertises médicales qui seraient diligentées.

Il s’ensuit que ce grief doit être rejeté comme étant manifestement mal fondé, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

Eu égard à ses conclusions ci-dessus concernant l’article 3 de la Convention, la Cour estime qu’il ne se pose aucune question distincte justifiant un examen sous l’angle des articles 2 et 8 de la Convention (voir, mutatis mutandis, T.I. c. Royaume-Uni (déc.), no 43844/98, 7 mars 2000, Recueil des arrêts et décisions 2000-III).

2. Le requérant allègue avoir subi une discrimination, faisant valoir qu’il aurait pu bénéficier d’une intervention chirurgicale pour hernie discale s’il s’était trouvé en liberté. A ce titre, il invoque en substance les articles 3 et 14 de la Convention combinés, dont le dernier est ainsi libellé :

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

Compte tenu de sa conclusion à l’issue de l’examen du grief tiré des articles 2, 3 et 8 de la Convention et à la lumière des éléments du dossier, la Cour considère qu’il n’y a en l’espèce aucune apparence de violation de l’article 14 de la Convention, pris isolement ou combiné avec les articles susmentionnés (voir, mutatis mutandis, Sulimenko c. Pologne (déc.), no 39190/98, 25 mai 1999).

Il s’ensuit que ce grief doit être rejeté comme manifestement mal fondé, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Vincent Berger Boštjan M. Zupančič
Greffier Président